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Chronique du temps présent

Forêt des Petites Antilles, richesse insoupçonnée…

Raphaël Confiant

5. Février 2010

 

 

 

 

 

 

 

La végétation forestière des Petites Antilles, Philippe Joseph • 2009 • Karthala
• ISBN 978-2-8111-0091-9 • 32 €.

À part les randonneurs, les chasseurs et les sportifs spécialisés dans les raids, nous connaissons assez peu nos forêts des Petites Antilles. Il est vrai qu’elles brillent par leur absence dans notre imaginaire au sein duquel le morne, la rivière, la campagne, la mer et l’En-ville sont omniprésents. C’est que nous ne l’avons jamais habité au sens propre du terme, c’est-à-dire intégrée à nos pratiques quotidiennes, hormis de manière sporadique. Je me souviens ainsi que dans mon enfance, au début des années 50, nous habitions le Morne Carabin, sur les hauteurs du Lorrain, au pied du Morne Jacob et de sa vaste forêt. Nous, adultes comme enfants, nous connaissions la campagne environnante comme le fond de notre poche, mais rares, très rares étaient ceux qui s’aventuraient au-delà d’une ligne imaginaire qui indiquait le début de cette forêt. Je ne l’ai pénétrée qu’une trentaine d’années plus tard, avec des randonneurs justement!

Autre expérience très significative: nous nous imaginons qu’un pays développé est un pays sans forêt, c’est-à-dire bétonné de partout. Un jour que je me rendais au Japon depuis l’Europe et que nous avions fini de survoler l’immense Sibérie, puis l’île de Shakaline, j’ai eu la peur de ma vie. Pendant des heures et des heures, je ne voyais que forêts en-dessous de nous, alignements interminables de forêts. Dans ma tête, ça ne pouvait en aucun cas être le Japon, pays hyper-développé et deuxième puissance économique mondiale. J’ai alors pensé que notre avion avait été détourné et que nous devions survoler les Philippines ou l’Indonésie. Arrivé à Tokyo, j’apprends que 70% du territoire japonais est couvert de forêts!!! Presqu’autant que l’île de la Dominique.

DEVELOPPEMENT

La forêt n’est donc ni un obstacle ni un ennemi du développement économique. Simplement, il faut la connaître, l’étudier soigneusement afin d’en mettre à jour les potentialités. C’est ce qu’a fait Philippe Joseph, maître de conférences en biogéographie à l’Université des Antilles et de la Guyane dans un ouvrage magistral intitulé «La Végétation forestière des Petites Antilles - Synthèse biogéographique et écologique, bilan et perspectives» aux éditions Karthala. Qu’on n’en ait guère entendu parler est de l’ordre du normal dans un pays où l’indigence intellectuelle le dispute à la suffisance. Or, voici le genre d’ouvrage qu’aurait pu couronner le Prix Carbet au lieu de se perdre dans la musique, la peinture, l’action humaniste ou politique comme il a annoncé qu’il le fera désormais (on suppose que d’ici 2014, il sera attribué à Serge Letchimy pour l’ensemble de son œuvre). Les membres du jury du Prix Carbet ne sont pas ni des géographes ni des scientifiques, nous rétorquera-t-on. Ce à quoi on répondra: celui du Prix Nobel non plus. Pourtant, il distribue des prix en médecine, en physique ou en économie et pas seulement en littérature. Comment fait le Nobel? Il a des jurys spécialisés dans ces différentes disciplines, c’est tout. Le Carbet n’a qu’à faire pareil! Le livre ce n’est pas que la littérature, loin de là. Et d’ailleurs toutes ces dernières années, aux Antilles, certains pseudo-écrivains gagneraient à lire nos historiens, économistes, anthropologues, sociologues, psychologues et autres pour apprendre à écrire. Bref…

RICHESSE

L’ouvrage de Philippe Joseph est une somme d’environ 500 pages qu’il est bien sûr impossible de résumer en quelques lignes. D’autre part, il est tout aussi clair que le lecteur non spécialisé ne sera pas à même de tout comprendre, mais ce qu’il en comprendra (ce qui, à mon niveau, se situe autour de 50 à 60% du texte) le laissera tout simplement admiratif. Admiratif à deux niveaux: d’abord à celui de l’impressionnant travail se synthèse opéré par l’auteur qui rend hommage au passage à ses prédécesseurs (Sthélé, Beard, Fiard, Portecop etc.); ensuite, par la richesse extraordinaire de notre végétation forestière que l’auteur a étudié sur le terrain pendant des années. Passionnant est le chapitre intitulé «La végétation primitive et l’évolution des paysages» dans lequel P. Joseph nous fait remonter à l’époque amérindienne, précolombienne, jusqu’à la colonisation progressive, entre le XVIIe et le XIXe siècles, de parties basses et moyennes de nos îles pour y planter le café et la canne à sucre, processus connu sous le nom d’ «anthropisation». Le chapitre consacré aux «différents types sylvatiques» retiendra aussi l’attention dans la mesure où l’on y apprend que la nomenclature établie par l’UNESCO pour décrire la végétation forestière tropicale n’est pas tout à fait adaptée aux Petites Antilles:

«Il serait illusoire» écrit P. Joseph «d’imaginer qu’une seule nomenclature définirait avec finesse tous les types forestiers de la zone tropicale… les particularités éco-climatiques et anthropiques des Petites Antilles imposent un plus haut degré de précision pour rendre compte avec fidélité – dans les descriptions tout au moins – des aspects structuraux, bioologiques et dynamiques de la végétation sylvestre.»

Sans remettre en cause la nomenclature de l’UNESCO, P. Joseph fait un apport scientifique majeur en proposant des «éléments-repaires complémentaires» qui permettent de rendre compte des spécificités des systèmes insulaires forestiers caribéens. Suit un tableau, quasiment île par île, de la diversité synécologique de la forêt des Petites Antilles depuis l’étage inférieur (le littoral et la mangrove) jusqu’à l’étage supérieur (qui pour le citoyen moyen est uniquement ce qu’il appelle «forêt») en passant par l’étage moyen (ce qu’à l’époque coloniale, on appelait les «bois debout»), chacun d’eux ayant eu affaire à une anthropisation différente. On mesure au seul listing des noms des arbres l’extraordinaire diversité de nos îles: Acacia muricata, Pimenta racemosa, Mangifera indica, Eugenia confusa, Genipa americana, Inga laurina etc., noms scientifiques que précèdent évidemment des dénominations créoles. P. Joseph écrit à cet égard:

«Le potentiel floristique (le stock d’espèces) est important (plus de 3000 espèces) si l’on se réfère à l’exigüité de l’île… Par exemple, les arbres indigènes sont au nombre de 600.»

L’auteur nous enseigne aussi que la forêt a une histoire tout comme la société humaine. Une histoire en dehors de l’homme et avec l’homme. En dehors de l’homme parce qu’elle est si puissante qu’elle créée un micro-climat différent du macro-climat insulaire d’une part et d’autre part, qu’elle réagi aux contrecoups de la nature tels que les cyclones, les éboulements, les changements climatiques brutaux etc… Dans les trouées, lèvent des plantes qui se feront concurrence pour occuper l’espace provisoirement éclairci et certaines, les héliophiles, se hâteront de grimper vers la lumière solaire. Mais la forêt, en ses différents étagements, répond également aux agressions de l’homme: coupe d’arbres, développement des cultures (canne etc.), espaces invasives venues de l’étranger etc… Paradoxalement, nous dit l’auteur, notre forêt a développé ce qu’il appelle une «immunité écosystémique» qui fait que comparativement à celle d’autres îles tropicales telles que Tahiti et la Réunion où elle a été complètement dévastée, elle résiste encore assez bien. Mais pour combien de temps?

INVASION

Instructif est le chapitre consacré aux espèces invasives c’est-à-dire ces plantes tropicales importées de l’Amérique continentale, d’Afrique ou d’Asie et vendues dans les pépinières pour leurs qualités ornementales et qui prolifèrent un peu partout au détriment des espèces indigènes. Il semblerait que nos décideurs n’aient pas pris la mesure du problème. Lorsqu’il s’agit de planter des arbres dans un lotissement, un ensemble HLM, un parc public ou même au bord des routes, c’est toujours la solution de facilité qui est choisie: on achète des plants en pépinières sans se rendre compte des dégâts qu’elles provoqueront à terme dans un écosystème au sein duquel les plantes autochtones sont déjà fragilisées par l’anthropisation.

Enfin, l’auteur aborde la question du «développement durable» qui n’est qu’un vain mot tant qu’on ne place pas la protection de notre forêt au premier plan des préoccupations. Protection qui ne signifie pas mise au musée mais gestion raisonnée de celle-ci pour toutes sortes d’activités humaines comme la foresterie, l’écotourisme, l’exploitation de plantes médicinales etc. Sans compter qu’en ces temps de changement climatique et de catastrophes naturelles à répétition, elle joue un rôle protecteur considérable.

Cet ouvrage fondamental est sorti il y a bientôt un an. Dans l’indifférence générale. Cela alors même qu’à l’étranger, P. Joseph est constamment sollicité. C’est dur à dire mais faire tant d’efforts de recherches dans ce pays zombifié qu’est la Martinique, c’est un peu comme de la confiture jetée aux cochons. Tout cela est à l’image de ce que nous sommes, hélas, devenus…

Raphaël Confiant

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