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André et Simone Schwarz-Bart,
diasporas entretissées et écritures connectées:

l’œuvre romanesque de
deux auteurs marranes et marrons

Atwerpwe

Séminaire Université d’Anvers 29 avril 2010
Hof van Liere PRINSSTRAAT 13 B 2000 ANVERS
En présence de Mme Simone Schwarz-Bart

Ouvert au public, veuillez signaler votre présence à kathleen.gyssels@ua.ac.be (avant le 25 avril au plus tard)

Né le 23 mai 1929 à Metz, le romancier André Schwarz-Bart est indéniablement une figure marquante dans le panorama littéraire caribéen.  Paradoxalement, son nom reste pourtant souvent absent des anthologies et des manuels d’histoire littéraire antillaise ou parmi les auteurs juifs.  Mort en 2006 dans un silence assez troublant, ce «Juif de nulle part» (Kaufmann 2008) demeure toutefois une figure de passeur étonnant: entre-tissant de manière originale, voire ingénue, des liens entre la diaspora juive et diaspora noire, il incarne le «maillon» entre communautés dispersées et minorités opprimées. Avant l’ère des postcolonial studies, il œuvrait déjà non pour le «conflit des mémoires», mais pour les interstices textuels et les interactions entre des communautés réduites en esclavage dans des systèmes totalitaires et des univers concentrationnaires:

Ce qui m’a touché, dès le début, chez les Antillais, ce qui m’a fait véritablement les regarder comme des frères… c’est le mot ‘ esclavage’. (…) Ce mot me touchait en tant que descendant lointain d’un peuple né en esclavage et qui en émergea voici trois mille ans.
(Schwarz-Bart, «Pourquoi j’ai écrit La Mulâtresse Solitude», Le Figaro littéraire, 26 janvier 1967, pages 1, 8-9).

Dans ce séminaire, qui marque le cinquantième anniversaire de son retentissant prix Goncourt, nous proposons une réflexion sur  la co-écriture schwarz-bartienne. 

À partir de son Goncourt Le Dernier des Justes (1959) et jusqu’à l’écriture conjointe avec son épouse Simone Schwarz-Bart, il s’agira de revisiter le cycle romanesque que ce couple a offert au domaine des études francophones, postcoloniales et juives.

Analysant l’œuvre tour à tour sous son versant ashkénaze et antillais, nous aimerions ainsi rendre justice à un auteur antillais d’adoption trop souvent “exilé de la Shoah” (Scharfman 1995), méconnu des «Trauma Studies», ou tardivement découvert (Rothberg 2006, 2008), et de surcroît reçu de manière ambivalente aux Antilles mêmes.

Liant la réception de l’œuvre aux mécanismes de canonisation, nous nous interrogerons aussi sur la place de chefs-d’œuvre incontournables (La Mulâtresse Solitude, 1972 d’André, et Pluie et vent sur Télumée Miracle, 1972, de Simone Schwarz-Bart).

André et Simone Schwarz-Bart, diasporas entretissées et écritures connectées:
l’œuvre romanesque de deux auteurs marranes et marrons

Programme : 29 avril 2010 à l’université d’Anvers, Hof van Liere PRINSSTRAAT 13

10:00-10:15 Verwelkoming/Accueil - Vivian Liska (Instituut voor Joodse Studies, Universiteit Antwerpen)
Inleiding/ Introduction - Kathleen Gyssels (Universiteit Antwerpen)
10:15-11:00 La figure du Juste dans l’œuvre d’André Schwarz-Bart
(Francine Kaufmann, UBI)
11:15-12:00 L’ancrage des œuvres de Simone et André Schwarz-Bart dans le présent
(Malka Marcovich, Paris)
12:15-13:00 Le tissage des voix dans l'œuvre de Simone Schwarz-Bart: vers une poétique du métissage
(Gabrielle Said, U Cergy-Pontoise)
13:00-14:15 Lunch
14:15-15:00 D’un Je à l’Autre ou l’histoire ambiguë de La Mulâtresse Solitude d'A. Schwarz-Bart
(Marine Piriou, University of Miami, Coral Gables, FL, Sorbonne nouvelle)
15:15-16:00 Un plat de porc aux bananes vertes et «L’autrement qu’être» de la Relation (Levinas)
(Maha Ben Abdeladhim, Paris IV)
16:15-17:00 Esthétique de la Shoah, esthétique de l’exil
(Serge Goriely, UCL)
17:15-18:00 Du merveilleux au terrifiant dans l’œuvre schwarz-bartienne
(Mariella Aita, Universitad Simon Bolivar, Paris IV)
18:00-20:00 dîner
20:00-21:00 Conférence plénière: L’entreprise littéraire d’André Schwarz-Bart: faire aimer l’étranger dans sa différence
(Francine Kaufmann, UBI)

Résumés

La figure du Juste dans l’œuvre d’André Schwarz-Bart (Francine Kaufmann, UBI)

Face à la violence, à l’oppression et à l’œuvre de déshumanisation émanant du monde occidental à l’encontre des Juifs et des esclaves africains déportés aux Antilles, André Schwarz-Bart oppose la figure lumineuse du Juste. Dans le sillage des légendes juives traditionnelles, Schwarz-Bart campe des héros de roman incarnant sa vision personnelle du Juste, à la spiritualité essentiellement humaine. Le Juste a deux fonctions primordiales: il  condense en lui toute l’histoire et les valeurs de ses ancêtres (ceux de sa famille et de sa communauté) et il se fond dans le cortège de son peuple (microcosme de l’humanité) dont il accompagne le destin et qu’il soutient par une compassion sans limites. Enfants par l’âge ou par la naïveté du regard porté sur le monde, adultes écrasés et bestialisés par la haine meurtrière du persécuteur, les héros et les héroïnes du Dernier des Justes, de La Mulâtresse Solitude, du Plat de porc aux Bananes vertes et du roman posthume L’étoile du matin (relayés par les héros des romans personnels de Simone) acquièrent et imposent une dignité résolument différente de «l’honneur» qui caractérise les héros du roman occidental.

L’ancrage des œuvres de Simone et André Schwarz Bart dans le présent (Malka Marcovich, Paris)

Les œuvres de Simone et André Schwarz-Bart n’ont pas seulement rendu visibles des mémoires particulières au message universel.  Leur impact politico-poétique peut être situé et analysé dans le contexte évènementiel, soit de l’actualité. Il s’agira donc de retracer ces cinquante années d’histoire, oscillant entre reconnaissance, dialogue des victimes ou concurrence mémorielle. L’épopée symbolique des héros quasi mythologiques – y compris les femmes de l’encyclopédie Hommage à la femme noire  - transcende le temps. Elle s’inscrit dans le réel et augure bien souvent d’une vision quasi prophétique. Après avoir présenté l’écho qu’a rencontré Le Dernier des Justes à l’automne 1959 et la situation géopolitique de l’immédiate après-guerre en France, nous suivrons pas à pas le mouvement de ces œuvres dans l’histoire du présent jusqu’à l’automne 2009.

Le tissage des voix dans l'œuvre de Simone Schwarz-Bart: vers une poétique du métissage (Gabrielle Said, U Cergy Pontoise)

Pourquoi parler de la présence des voix dans l’œuvre de Simone Schwarz-Bart?  C’est que la parole est au cœur à la fois de l'activité créatrice de la romancière et de la construction identitaire des personnages. La voix narrative cherche à tisser ensemble les différentes voix à l’œuvre, et sans se poser elle-même comme voix d’autorité surplombant celles des personnages. Son rôle semble être de les faire dialoguer, de les tisser ensemble, en vue d’élaborer un discours intersubjectif sur le monde et sur soi.  Par conséquent, la parole s’envisage davantage comme un processus inachevé de tissage, d’enchevêtrement ou de métissage. Elle est, en ce qui concerne l'acte d'écriture, processus d'exploration et objet exploré, et en ce qui concerne la construction des personnages, condition d'ancrage et d'ouverture. Dans cette perspective, j'analyserai la triple articulation : voix narrative/des personnages, ancestrale/contemporaine, individuelle/collective, afin de mieux cerner ce que peut receler la notion métissage dans son acception poétique.

D’un Je à l’Autre ou l’histoire ambiguë de La Mulâtresse Solitude d'André Schwarz-Bart (Marine Piriou, University of Miami, Coral Gables, FL, Sorbonne)

En tant que roman à la fois biographique et historique, à la croisée des trois voix de son auteur-narrateur – juive par filiation, occidentale par naissance, et antillaise par identification -, La Mulâtresse Solitude est une œuvre singulière dans le corpus littéraire caribéen.  D’une part, le récit de l’histoire individuelle de Bayangumay et de sa fille Solitude permet celui de l’histoire collective des esclaves africains-caribéens.  En d’autres termes, la micro-histoire de la généalogie diola dévoilée au lecteur par ces deux figures féminines devient en même temps constitutive et révélatrice de la macro-histoire du colonialisme et de la Traite négrière. D’autre part, les origines identitaires franco-polonaises et non antillaises de l’auteur font du roman une œuvre syncrétique tout en posant la question de sa légitimité. Solitude incarne alors la double symbolique en tant que figure paradigmatique de l’essence antillaise et icône légendaire de l’esclavage, voire de la figure de la martyre universelle sous la plume schwarz-bartienne. Cette analyse préliminaire permettra d’appréhender le dessein humaniste de l’auteur. Enfin, une réflexion critique sur l’ambiguïté du projet littéraire d’André Schwarz-Bart dans sa globalité conclura cette présentation.

Un plat de porc aux bananes vertes et «L’autrement qu’être» de la Relation (Maha Ben Abdeladhim, Paris IV)

Je me propose de relire dans Un plat de porc aux bananes vertes cette exposition du visage, telle que l’entend Levinas et de me pencher sur la voix et le langage: ce dernier n’est pas «signe de», mais «signe pour». Cette affection par (pour) l’autre, dans l’assignation à la responsabilité, qui dépouille le moi, dénude sa dénudation, «au-delà de la peau, jusqu’à la blessure, à en mourir» (Levinas), n’est-elle pas le fait de l’amour, et de l’acte amoureux. Celui qui aime s’expose ainsi à être blessé, trahi, tué. De même l’exposition à la rencontre, à la caresse, au corps abandonné, comme mort, de l’aimé, vulnérabilise l’être. Si la responsabilité pour autrui est infinie, elle s’expose à la violence et à la non-violence, celui qui aime, aime à en mourir, pour que l’autre vive, sans réserve dans le temps, ni dans l’espace, ni dans la chair, ou rouvrant un espace d’altérité radicale, pour l’autre, khôra (Derrida) au-delà de l’essence.

Esthétique de la Shoah, esthétique de l’exil (Serge Goriely, UCL)

Au cours des cinquante dernières années, l’horreur de la Shoah a inspiré un grand nombre de pièces de théâtre. Certains auteurs ont rivalisé d’originalité pour proposer de nouvelles formes, alors que d’autres sont restés proches de dramaturgies traditionnelles.  Il reste que les pièces qui ont le plus réussi dans leur entreprise sont celles qui ont le souci de mettre en œuvre d’une manière ou de l’autre un «détour» sur le plan de l’écriture.  Plutôt que de devoir faire face à l’événement, on trouve une parade (farce, parabole, rêve, théâtre dans le théâtre, etc.). Le thème de l’exil a aussi intéressé les dramaturges.  Par certains côtés, il peut faire écho à celui de la Shoah, en ce qu’il traite de populations entières qui sont victimes de l’histoire. Dans quelle mesure peut-on faire un rapprochement sur le plan stylistique?  Sur base de la pièce Ton beau capitaine (Simone Schwarz-Bart), des pistes de rencontres seront explorées.

 

L’entreprise littéraire d’André Schwarz-Bart: faire aimer l’étranger dans sa différence (Francine Kaufmann, UBI)

Sans la Shoah, André Schwarz-Bart ne serait jamais devenu écrivain. Sa vocation est née de la volonté de pérenniser dans l’écriture la mémoire de la civilisation de ses ancêtres, éradiquée de la carte de l’Europe. Pionnier du «devoir de mémoire» (il entame dès 1953 l’écriture de ce qui deviendra le premier best-seller mondial de la littérature romanesque de la Shoah: Le dernier des Justes, prix Goncourt 1959), il «invente» le genre de la saga identitaire dont les héros ramassent en eux l’expérience séculaire de la civilisation de leur peuple. Une même ambition le guide lorsqu’il se consacre à l’écriture de ce que fut l’esclavage noir, à travers le cycle (resté largement inédit) de La Mulâtresse Solitude. Face à la violence du monde occidental, il oppose l’intense dignité de civilisations défigurées par des préjugés meurtriers, s’efforçant, comme il le disait, de ‘faire aimer l’étranger dans sa différence’. L’étoile du matin constitue un point d’orgue de son entreprise en soulignant l’identité profonde du visage de l’Homme, issu d’un même ancêtre primordial et décliné à l’infini, à travers l’espace-temps.

 Viré monté