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Le concept de résilience chez Boris Cyrulnick

In Migration, blessure psychique et somatisation, Médecine & Hygiène éditions, 2007,pp.56-58.

Marie-Andrée Ciprut

Boris Cyrulnick, éthologue, médecin psychiatre, a puisé dans son histoire personnelle, les sources d’un concept qui va ouvrir de nouvelles perspectives à l’histoire du traumatisme: la résilience. Pour lui, c'est une notion qui ne concerne pas l'individu en soi, mais plutôt sa trajectoire de vie.

Il emprunte à la chanteuse française Barbara les mots suivants qui débutent son livre Les vilains petits canards: «Je suis née à l’âge de vingt-cinq ans, avec ma première chanson… Avant, je me débattais… J’ai dû me taire pour survivre. Parce que je suis déjà morte il y a longtemps – j’ai perdu la vie autrefois – Mais je m’en suis sortie, puisque je chante.»1 Elle impliquait par là que sans la chanson, elle n’aurait pas survécu psychiquement au viol de son père lorsqu’elle était enfant, ni aux persécutions qu’elle avait subies pendant la guerre.

La résilience, mot du vocabulaire métallurgique, signifie, d’après le dictionnaire, «le rapport de l’énergie cinétique nécessaire pour provoquer la rupture d’un métal, à la surface de la section brisée». Ce terme implique donc que tout corps déformé, tant qu’il n’a pas atteint ce point de rupture, reprendra sa structure quels que soient les coups et les pressions du milieu. B. Cyrulnick adapte ce concept de résilience à la psychologie pour montrer, contrairement aux idées reçues, que la répétition Trans générationnelle n’est pas une fatalité: un enfant battu ne donnera pas forcément un parent maltraitant. Il ne reproduira pas les mêmes schémas s’il a recours à ses propres ressources internes pour faire le deuil de ce qu’il a vécu. La résilience, qui n’a rien à voir avec l’invulnérabilité ni la réussite sociale, est donc un processus dynamique donnant à l’individu la capacité de rebondir dans la vie, de puiser dans ses ressources internes pour réapprendre à vivre une autre vie, une vie après le trauma. Le travail de mémoire consistera alors à utiliser le passé, y imprégner son imaginaire, rendre supportable le réel présent ainsi recomposé et faire des liens entre présent, passé et futur, car «c’est le style de développement de la personne blessée qui attribue au coup son pouvoir traumatisant.»2

Le trauma est souvent comparé à la mort. Il survient à la suite de mauvais traitements ou de viols, mais aussi après une guerre, une catastrophe naturelle ou un génocide. L’arrêt de la maltraitance ou du traumatisme ne signifie pas la fin de la blessure. Dans les cas de résilience, une seule personne peut suffire à redonner vie au traumatisé grâce à son empathie, son rôle de contenant réparateur, de figure d’attachement, de «tuteur de résilience». Soigner le premier coup du trauma nécessite un lent travail de cicatrisation. Pour résister au deuxième coup, il est impératif de changer la représentation de la blessure: On peut alors se protéger en se réfugiant dans un imaginaire merveilleux pour fuir l’atroce réalité, on peut aussi la transformer en accomplissant un acte généreux de créativité qui amènera la paix avec soi-même. Travailler sans cesse la signification des coups (des traumas) pour les rendre supportables, n’effacera pas les traumatismes mais supprimera la pure répétition au profit de l’élaboration et fera en sorte que le passé ne soit plus perturbateur.

La résilience met en œuvre des mécanismes de défense tels que le déni, l’isolation, la fuite en avant, l’intellectualisation et la créativité. Les mécanismes de défense de Barbara lui ont servi à étouffer les voix du passé et à renforcer les aspects de sa personnalité admis par les autres. D’ailleurs, Cyrulnick n’est pas sans souligner l’importance capitale du regard de l’Autre en tant que tuteur de résilience.

  • Qui sont les tuteurs de résilience?: Des proches, la société, des services sociaux, adultes, famille ou professionnels, des figures d’attachement en qui le traumatisé a confiance et qui lui font confiance. Au lieu de le stigmatiser dans son trauma, elles estiment qu’il peut évoluer. Le traumatisé n’est donc pas résilient tout seul, mais grâce à la confiance que l’on a mise en lui, ou à des interventions positives ciblant sa famille et/ou ses proches. Les tuteurs de résilience favoriseront ses compétences en l’aidant à faire des liens, et par identification projective, à répertorier ses propres ressources internes afin de mettre en place un processus de réparation qui lui permettra d’innover, non de répéter.
     
  • Quelques facteurs de résilience qui contribuent à la réparation: L’amour, l’humour, l’action, la compréhension, le désir d’altruisme pour les autres après avoir fait le deuil de ce que l’on a vécu, une activité salvatrice. Pour Barbara, ce fut la chanson.

Notes

  1. Boris Cyrulnik : Les vilains petits canards,  Editions Odile Jacob, Paris, février 2001, p. 13
     
  2. Ibid., p. 163

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