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Avoir et Être
Ce que j’Ai, ce que je Suis

Hanétha Vété-Congolo

 

Présentation  à la Bibliothèque Municipale du François, Martinique
Le vendredi 28 mai 2010

par Roger PARSEMAIN   

 

 

 

 

Avoir et Être: Ce que j’Ai, ce que je Suis, Hanétha Vété-Congolo • Editeur Le chasseur abstrait éditeur • 2009 • ISBN 978-2-3555-4062-2 • EAN13 9782355540622 • 16 .

Avoir et Être : Ce que j’Ai, ce que je Suis

Devrais-je feindre la modestie? Ou exprimer le plaisir lié d’un brin de vanité d’ancien enseignant heureux de présenter l’élève aujourd’hui écrivain et menant une remarquable carrière universitaire?

Hanétha Vété-Congolo me ramène en ces années 80 au collège La Jetée au François de la Martinique.

À l’époque c’était l’adolescente, ointe d’une rêverie intérieure. Cela maintenait droite la tête au regard fixe vers le plus lointain horizon. Quels rêves éveillés animaient le sourire à peine amorcé dans ce visage haute proue en sa  tranquille traversée de la cour et la remontée vers sa classe, dans l’escalier et  tout au long des galeries?

Pourtant nulle ostentation dans l’allure faussement détachée. Je devinais, en elle, l’écoute de voix arrivant du monde qui l’environnait et de plus loin. Soit une sorte d’attention qui portait la tête légèrement en avant, obliquant légèrement le cou très fin. C’était une attention à la tranquille vigilance adornée d’une naïveté ténue. On dirait une sorte de disposition à la surprise. Aujourd’hui encore, l’œil s’allume du privilège de ce charme. Peut-être recevait-elle, déjà, les chants de la terre, les renfonçait en elle-même, se vidant en eux pour mieux faire le mot qui nous sauve.  

Aujourd’hui, je constate peu de changement. Après plus de deux décennies, à la lecture de ses œuvres, une cohérence se précise. Cette allure en proue fine de yole martiniquaise en régate conserve la fixité chercheuse du regard. Et cela lui fait la même naïveté d’une intelligence simplement disponible. Le corps, la flamme intérieure que l’on pressent, disent l’attente qui est aussi offrande. Offrande vers l’humain, avec soi-même l’humain et sa condition questionnante.

J’avoue, ce soir, ce plaisir de l’avoir toute proche, avec sa mère, son oncle, ses proches en ce François qui nous a fait et nous fait encore.

Je vous dis ce plaisir quand, tout récemment, elle me rappela une phrase que je lui répétais lors des remises de composition français en classe de quatrième et de troisième : Tu as une plume d’écrivain ; oui, c’est une plume d’écrivain ! Elle ne répondait pas, n’osant pas un merci. Seulement une lueur fugitive dans le regard et la même amorce du sourire qui se pinçait un peu. Etait-ce, chez elle, un bonheur intérieur réprimé ou étais-ce une terreur qui intimidait un peu? Qu’on nous laisse la grâce du mystère.

Elle nous revient des Etats-Unis. Elle est professeur, versée dans la recherche. Sa proposition de ce soir c’est,
Avoir et Etre
Ce que j’Ai, Ce que je Suis

 

Les mots et leur mise en travail

 La lecture, mais aussi l’écoute, des poèmes d’Hanétha Vété-Congolo, nous révèle une expression savante, confinant à l’hermétisme. C’est une expression première qui mérite d’être dépassée.

En fait Hanétha Vété-Congolo convoque la langue. Ou plutôt les langages.

C’est d’abord celui des mythologies. Ou, plus banalement dit, des religions.

Nous relevons à travers les poèmes: «Totale sacrifition du Suprême Divin»

L’extase transfigurée, le mot Dieu employé sept fois, calice, exaltation,  mais prends le pain le vin, Eucharistie,  miscibilité divine,  âme, Madeleine, mais aussi Champs Elysées, l’endroit des âmes justesPomone.

Le mot eucharistie revient dans le deuxième texte, avec foi, temps béni.

Nous pouvons étendre le relevé à l’ensemble de l’œuvre. La convocation du langage mythologique ou religieux, ne s’adresse pas seulement aux croyances judéo-chrétiennes. Déjà dans les poèmes présentés, nous avons Champs Elysées, très gréco-romain de l’Europe méditerranéenne antique, tout comme Pomone, nymphe d’une grande beauté. Divinité des fruits, elle ne cultive aucun intérêt pour les hommes mais rend fous les Dieux champêtres.

Nous rencontrerons Apollon, Eros et Pan, Orphée, le Styx, fleuve des Enfers. Puis une Santa Barbara Africana annoncée par un doum-boudoum, doum doum de tambour, Athéna encore et Delphes la ville des prophéties, puis Erzulie chevauchant les ailes du zèle/reine sur l’arène de mon désir/…. Erzulie est déesse du vaudou caribéen aux avatars nombreux. Du reste, est-ce Erzulie ou Ezili?

Hanétha Vété-Congolo affirme son athéisme. Elle se révèle, néanmoins, écrivain du sacré. Elle affirme avoir la foi des croyants. Une telle foi, écrit Pierre Ouellet1, anime l’hagiographe (hagios=sacré – graphein= écrire). Elle anime ses membres, les organes du souffle comme ceux de la parole. Foi charnelle, qui pousse au changement de sexe, le moment aussi où la sainte se mélange corps et âme à la terre comme au ciel. L’expérience mystique serait-elle aussi une incarnation chez Hanétha Vété-Congolo? Et la langue pareillement travaillée, cette langue elle-même re-figure, ré-incarne la divinité qui embrase la Sainte. L’analyse de Pierre Ouellet vaut-elle pour Ce que j’Ai, Ce que je Suis? En bonne part certes. Mais nuançons en proposant, ici, l’Eve essentielle.

Comme  l’avance l’écrivain québécois, nous disons qu’Hanétha Vété-Congolo préfèrera les Saintes un peu pécheresses, les divinités ambiguës comme dans le recueil cette Erzulie, la nymphe Pomone et c’est tout le corps qui croît, non l’âme seule. L’auteure inviterait-elle aussi aux extases de la Sainte Thérèse de Lisieux?

C’est une proposition de la voix d’ Hanétha Vété-Congolo. Je lui demandais s’il  y avait là un désespoir dynamique, capable d’emporter dans un délire de cendre l’écrivain lui-même, ou l’artiste dont les pieds ne tiennent plus sur le gravier mouvant des vanités courantes.

Dans «L’enfance du verbe» cité par Pierre Ouellet2, Louis Combet écrit la vraie parole est un enfoncement en soi, une sécrétion morne et étouffante de silence et d’imploration. Chez Hanétha Vété-Congolo, la parole plorante n’est pas l’expression de cette calamité qu’est l’éloignement de l’enfance. Certes, sa parole est un enfoncement en soi, mais elle dit un triomphe, ou plutôt une souveraineté occultée par des millénaires tissés d’heures de silence. Mais aussi d’heures de bruits et de rites que l’humanité urbaine a tissé, rusant avec elle-même jusqu’à son illusion d’éternité. La sécrétion n’est plus morne et étouffante. Le mot est une prison dont Hanétha Vété-Congolo fait crouler les murs des cellules.

Pour le lecteur, l’approche de son poème sera en lui-même la découverte que le précipité de la sécrétion est l’unique nervure en âge de l’homme. Unique nervure en chant modulé sous les millions de mots et d’instruments, continuant les premiers baragouins, les cris des bêtes, les rumeurs de forêts et de fleuves, les fracas d’ouragans et les hoquets éruptifs des volcans.

Le lecteur percevra aussi un je non dilué dans un nous capitulant. Nous aussi bien d’une  communauté que d’un tout-monde. Ce je d’Hanétha Vété-Congolo fait fi des inquiétudes d’Edouard Glissant. Ce dernier se méfiait de l’indicible poétique (…) vouée en Occident à ce qu’on appelle la dignité humaine, elle-même transcendée à partir de l’apparition de la propriété privée3. La clameur de ce je se donne à entendre. Pourtant, en quelque part, elle fut et demeure un silence. Je reviens à mon ancienne élève, l’adolescente Hanétha. Celle du pincement des lèvres et du fugitif éclair dans la prunelle, sans un mot, quand je lui faisais compliment pour ses rédactions de quatrième ou de troisième. Le mystère qui accompagnait ce silence tient encore, même lorsque l’universitaire écrivain Hanétha Vété-Congolo enjoint de prendre la parole: «Il faut prendre la parole» réitère t-elle lors de ses rencontres et interviews.

Mais quelle parole? Celle qui est l’envers des bruits de la Ville. Non plus la ville vorace dénoncée par Roger Ikor, tentaculaire, pieuvre ardente, lossuaire et carcasse solennelle de Verhaeren sur les Campagnes hallucinées, mais la Ville définitivement totale ---- et totalitaire de toujours -----.

Les mots mis en travail, c’est aussi l’utilisation des termes rares. Dans Avoir et Être, on en relèvera des dizaines.

Nous ne pouvonns pas de dresser de véritables listes. Citons ou quatre passages.

Aux pages 44/45

«quand mes larmes

(…)

      louanges

Périhélie: Il s’agirait, selon le Robert, de l’abside inférieure d’une planète, d’une comète par rapport au soleil où la distance au soleil est la plus courte.

(…)
Toi
Constance
Mon électuaire chargée du miel transfigurant

Electuaire du latin electuarium   electus=choisi, excellent  Préparation pharmaceutique de consistance molle, formée de poudres mélangées à des sirops, du miel, des pulpes végétales.

Page 44

«quand mes larmes
dans la cage primordiale du souffle
goûtant l’âpre liquide cruenté»

Cruenté: quoique les néologismes créatifs et inventions caractérisent l’écriture, je penche ici pour un dérivé de cru ou crudité. En tout, le vers est une révulsion dans le noyau trop désacralisé de la vie.

À ces trois exemples, nous pouvons ajouter pour les deux pages et demie du poème: Quand mes larmes (45): 

Larmes «hectiques»
Quand mes larmes «hectiques» de la force du perfide «éfrit» 

Hectique = hectiric = état fébrile, grandes oscillations de températures, amaigrissement, cachexie, cf. étique.
éfrit =génie malfaisant dans la mythologie arabe

On y relève aussi: thrène, distal, dol, doloir, stimugènes, main perfoliée, émétique, genoux orants, larmes éristiques, l’œil emmetrope, dégerme le gel, percolation. Je prie de croire à l’arbitraire, ou au caractère lacunaire de mes choix pour attribuer tout leur attrait savant, technique au besoin ou rare, voire d’audacieux néologismes, à ces mots ou groupes nominaux. Mais sur ces deux pages et demie, on compte seize à vingt mots savants ou rares, à caractère médical, végétal, mythologique ou  simplement «technique».

Compte tenu des répétitions (Quand mes larmes repris neuf fois; mes larmes repris douze fois), compte tenu aussi de  la longueur des vers, souvent courts, écrits en strophes allant de un à sept vers au plus, ce qui donne de nombreux espaces; ces seize à vingt mots représentent une proportion de six pour cent sur trois cent soixante environ. Ne vous y fiez pas! C’est énorme.

Le lecteur découvrira, à la longe de l’œuvre, le parti pris étendu de cette convocation des mots et leur mise en travail. Mise en travail dans un chant de chair et de terre, chant d’avant les villes et leurs bruits. Chant dans une Enfance du verbe qui n’a cessé depuis des millénaires de millénaires. Enfance de l’Etre en définitive mais conjuguée à une enfance tout court, celle de l’auteure.

Les mots rares, mais aussi les mots de l’anglais, de l’espagnol, viennent buter sur les créoles de l’archipel antillais. Et tous les termes roulent dans un in-sens d’autos tamponneuses aux rythmes héritées d’Afrique puis fourbi dans l’haleine des îles:

yonn dé
yonn dé
pa pa pa pa
pa
tonbé
yonn dé pa
bèl pa
mantjé tonbé pa (Ô toi nuit debout, 90)

avec

tam tam tam boudoum
tjak pitjak pitjak tjak tjak
tjak pitjak pitjak tjak tjak (Ô toi nuit debout, 85)

La plume se révulse et saccade aux baguettes et tambours. C’est une plume de la Caraïbe. C’est le rythme de la Martinique. Tambour et tibwa. La gorge qui pousse ces chants est une gorge de la Caraïbe. Et qu’est-ce, ici, une gorge de la Caraïbe? Elle s’affirme comme telle en dehors de toute proclamation solennelle. Ce qu’elle A relève de l’incommensurable. Et qu’A telle sinon l’héritage humain en son universalité? Oui! Depuis le pré-humain? Le lecteur notera, dans les dernières pages, les retours des mots comme embryonnaire, embryon, germination, commencement, promesses en terre neuve, la verte genèse et le livre s’achèvera :

Nous

en naissance
Nous

en naissance
Nous (Yo Soy from this Nésans, 54)

Ce Nous, est-ce celui que nous signalons plus haut avec sa charge emmurante? Il y a un accord identitaire certes, que renforce une syntaxe rivetée de créole ---- nou la = nous sommes là, nous existons, et nous naissons encore, car nous avons à naître nous avons du chemin à faire et une œuvre à accomplir ----  même si la fraternité avec Haïti, la généalogie profilée de sa propre parentèle, la hauteur de l’inspiration et la force charnelle du verbe, projettent le cri du poème par-dessus les failles et tranchées de la séparation.

Ce dernier texte du livre, de la page 134 à la page 154, dédié à Aimé Césaire, s’intitule: Yo soy from this nésans

Yo soy =espagnol
nésans =créole
from this=anglais
Et cela dans la même phrase-vers

Ces langues, idiomes sacralisés par la passion et la richesse haute des mots, se croisent, se mêlent, implosant dans une rythmique ouverte. Les personnages sont aussi bien Esculape, que Mackandal, Delgrès, Hélios, mais aussi le Grand-Père mythique, les noms des propres ancêtres de l’auteure, manman inlassablement répété et aussi gran-manman.

Il se construit une généalogie aux dimensions du monde et des Cieux. Les éléments gerbent avec une force neuve dans une déchirure de l’espace et du temps; pour l’apparition divine de l’humain. Le Non, ici négation des mensonges, est un Oui à la lumière.

La généalogie n’est pas ici brassée d’ombres. Viennent et sinuent les réalités du souvenir, les désancrages lancinants d’une enfance à Dumaine, en Bossou, là où la campagne existait encore avec ses sols de bananiers, jardins d’ignames, arbres à pain et manguiers, là où la ravine s’intimidait en carême, osant à peine un timbre ténu derrière les bambous à serpents. Ressacs des choses et des gens, du temps lui-même, bruissant de la mystique des commencements. Et la grand-mère, les enfants, dont la future manman de l’auteure, charroyaient les paniers de fruits sur les têtes droites vers le marché du bourg, durement sur les pierres dures comme l’écrivait le romancier Cévenol André Chamson, dans Les hommes de la route. Mais ici, la famille avait les pieds nus.

L’Eve essentielle

Les lecteurs s’interrogeront, sans doute, sur la percussion charnelle des passages éperdus d’érotisme d’Avoir et Être.

Encore la mise en travail des mots. Travail de fouille, de renfoncement puis d’exsurgence où l’ars amatoria se restitue en plénitude et liberté. Travail qui pousse l’Être à partager sa vie secrète, la semant comme un roi, une reine plutôt, lancerait des pièces de monnaie aux manants esbaudis. Et le peuple voyeur hypocrite crierait à l’impudeur.

Fourre fourre fourre fouté fè fouté fè fouté (chant du cœur en Amour majeur, 57)

Ou

coupe coupe dur
là (chant du cœur en Amour majeur, 57)

Le mode impératif se tient épine central et distributive d’un corps de mots savants et de termes considérés dans leur vulgaire crudité. Il y a quelque chose de vulgaire dans l’amour, écrivait Guillermo Cabrera Infante dans La Havane pour un Infante défunt4. Mais si le roman de l’écrivain cubain s’avère la relation d’une initiation de la vie amoureuse, véritable éducation havanaise de la sexualité, voire de la chasse amoureuse, Avoir et Etre n’est pas une œuvre délibérément érotique. L’œuvre ne cultive le dessein d’un art d’aimer. Peut-être concédera t-on que c’est l’art poétique lui-même qui est une éducation sentimentale. La prise en charge par le mode impératif ramène l’humain à lui-même dans une plénitude qui est hommage et un appel à ce qui est à la fois le plus intelligent et le plus naturel en lui.

Les mots sont alors roulés dans l’humus interlope entre la langue créole et le  français selon ce qui n’est plus un rythme mais un halètement sans usure, halètement de femme souveraine qui impose avec encore cette unique nervure, ou plutôt unique mesure du chant sans calendes que je signalais plus avant. L’homme est alors sommé d’être Dieu.

prends ou laisse
Mais prends Homme comme
Dieu

et

qu’il en soit ainsi (Prière de femme qui parle souffle, 63)

ou

en Dieu
au nom de mon cœur
du corps
de mon âme (Prière de femme qui parle souffle, 64)

Quelle révolution propose Hanétha Vété-Congolo? Révolution à la naïveté riche, une fois de plus, qui n’est pas sans rappeler ces vers de la Jeune Parque de Paul Valéry:

Poreuse à l’éternel qui me semblait m’enclore
Je m’offrais dans mon fruit de velours qu’il dévore

ou

Et moi vive, debout,
Dure, et de mon néant secrètement armée5

Ici, dans Avoir et Etre, c’est une Eve première qui attend l’Homme, l’arrache de sa nonchalance. L’Eve, la femme, cette totalité, en fait la femme nature, n’est pas à violer. Elle n’est pas propre à satisfaire une pulsion «naturelle». L’impératif dont elle use, illustre sa compréhension de toutes choses. Donc de la pusillanimité du mâle, égale à celle d’un Adam oublieux de sa propre intelligence face à l’Eve qui paie encore, aujourd’hui, son insoumission curieuse, ce suc-outil de l’intelligence. Ne pourrait-on traduire ces passages invitant à connaître ce corps, ce continent corps de femme, comme une injonction à ouvrir ses propres yeux et connaître enfin, pour plus de confiance et sens du monde plus juste qui reste à créer? 

Dans le poème, la femme, l’amante alors, «mène le jeu» avec les mots. Les verbes à l’impératif sont des verbes d’action. L’esprit de la femme les charge de sens neufs. Prends, prends, ou coup/coup, néantise la - «prédation» - mais dépasse l’offrande. Les verbes deviennent des seuils, des cols positifs. La femme-amante mène le jeu, pas seulement comme un majordome, mais parce qu’elle est le terrain sans clôture du jeu, le ciel, l’air libre en vent, ce fiancé de la poésie, sur le terrain du jeu. Elle est le jeu et non plus l’enjeu. Qu’on se le dise! Du reste, il n’y a plus d’enjeu. Ici, la brutalité pornographique va s’éteindre. C’est la connaissance ultime qui s’ouvre. Et voici le chemin de nous seuls. Dans le texte, la répétition de «Dieu» élimine le Dieu strictement religieux et boursouflé de rituels. Les mots de la dévotion chrétienne ou gréco-latine, sont retournés aussi dans l’humus brassé par les halètements de la chair. Et tout, la chair devient le fleuve des onctions, un seul Gange d’ablution où la cendre des bûchers, ceux des hommes comme ceux des Dieux diluées ensemble, nous fera renaître, phénix de l’Etre restitué à l’Etre.

En guise de conclusion

C’est là une des propositions fondamentales du texte d’ Hanétha Vété-Congolo. L’impératif s’entretient dans une narration où l’action est à venir, invitée à venir. Là, immédiatement, et sans devoir cesser. La femme est Christ(e) : Prends ceci est mon corps! Prends ceci est mon sang ! retrouvera t-on au bout du retournement opéré. La phrase d’Aragon, La femme est l’avenir de l’homme est propulsée hors de l’utilité circonstancielle de la prophétie. La poëin d’ Hanétha Vété-Congolo la plonge, incontinent, dans le baptistère de l’Etre agissant qui, enfin, s’accomplira, restitué à lui-même. Le poème, même s’il «décrit» et prend en compte les douleurs torses des racines et du passé, ne s’y complait pas. Une confiance neuve est à l’action.

Je le dis volontiers, d’autant plus que pessimisme, voire nihilisme, me guettaient, me rognaient de plus en plus. Et ce, depuis le début des années 80 où j’abandonnais, entre autres préoccupations, tout militantisme politique. Il ne me déplaît pas d’avouer que l’œuvre de mon ancienne élève m’aura secoué comme au sortir d’un rêve sirupeux et mortifère. J’espère qu’il en sera ainsi pour vous, prochains lecteurs.

Je ne définis pas quelque rôle dévolu à l’écrivain. Disons que la calebasse du réel est brusquement agitée avec une ardeur neuve. Le renfoncement en soi n’est plus ce conformisme mêlé de regrets et de lassitude. Propres à produire du poétique, les colifichets d’une illusion douceâtre, mièvre et maniérée.

Ici, la répétition impérative incarnée en halètement – manman/manman/  –, comme dans un sanglot, n’est pas le suint d’une désespérance. Les lieux de la mère impliquent la vie sans cesse neuve et non la survie généralisée et ses fantômes de la peur. Le foisonnement lexical dans l’interlope du langage créé est  celui du ronronnement millénaire de la Nature terrestre, depuis les borborygmes de l’eau des forêts primaires aux vrombissements de la Ville totale.

Avoir et Être révèle une langue du remembrement. Le disparate n’a plus cours, le détail devient souverain du tout. Chaque élément évoqué, chaque éclair créé, figure le magma du volcan qui refait la terre. Une coulée aux souffles et couleurs d’incendie. Mais c’est partout le Phénix remembré dans l’Etre. Hanétha Vété-Congolo convie l’Humain à lui-même à travers les déflagrations et les fissures. Et cela s’inachève dans l’amour, cette famine sans fermoir.

Langue dont les verbes d’état ou auxiliaire se conjuguent à tous les temps. Mais aussi par tous les temps. Et cela donne la puissance explicite, et finale, du présent  de Ce que J’ai, Ce que Je suis. Un Je éperdu d’Être et comblé d’Avoir, en ligne du moindre amibe ou atome du plus profond synclinal jusqu’aux étoiles les plus fondues dans l’infini.

Ma lecture de Avoir et Être ne propose pas une analyse. Elle n’est qu’une allocution un peu trop longue. Mais j’aurai voulu inviter au voyage d’Hanétha Vete-Congolo. Un peu comme en ces classes du collège quand je lui proposais, avec toute la classe /D’aller là-bas vivre ensemble/…/Au pays qui te ressemble/, et aujourd’hui comme hier, voyage vers soi, en soi, renfoncement qui conditionne l’ouverture. Ainsi les vaisseaux qui / (…) viennent du bout du monde/ nous révèlent, des gréements aux secrets des cargaisons, que chaque Être est le monde possible. Encore une fois, confiance!

Notes

  1. Pierre Ouellet, Asiles: langues d’accueil, Québec, Editions Fides, 2002.
     
  2. Pierre Ouellet, Asiles: langues d’accueil, Québec, Editions Fides, 2002.
     
  3. Discours Antillais, p. 248,  relevé par l’article de Jacky Dahomay, Habiter la Créolité ou le heurt de l’universel dans Chemins Critiques, déc.1989.
     
  4. Guillermo Cabrera Infante dans La Havane pour un Infante défunt, Paris, Points, 1999.
     
  5. Paul Valéry, La jeune Parque, Gallimard, Paris, 1917.

boule

 Viré monté