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La Guadeloupe a toujours été
une terre rebelle

Ernest Pépin

Capesterre

Capesterre-Belleau, avril 2008. Photo F.Palli

La Guadeloupe a toujours été une terre de luttes. Il suffit de parcourir son histoire pour s’en rendre compte. 1802, guerre contre les troupes  de Napoléon venues rétablir l’esclavage après l’abolition de 1794. 1952 la révolte au Moule durement réprimée. Mai 1967,  un mouvement social sauvagement liquidé par l’armée française. 1985  affaire dite Faisan et aujourd’hui une grève dure conduite par le collectif Lyanaj kont pwofitasyion. Ce sont les soubresauts d’un peuple volcanique dont les combats ont eu comme objectif la liberté des esclaves obtenue en 1848 (hier), l’égalité chichement accordée par la loi de départementalisation de 1946, l’identité et enfin la souveraineté. Autrement dit, il s’agit d’une marche en avant éclairée par de grands idéaux. J’ai coutume de dire que les noirs sont les seuls êtres humains qui ont été contraints de prouver leur appartenance à la famille humaine. Là est la différence que l’opinion française a du mal à comprendre! Souvent, nous obtenons comme réponse aux questions posées par une histoire singulière: cessez de ressasser l’esclavage! Vous êtes des français à part entière! L’idéal républicain! La démocratie etc.

Sauf que les conséquences de la colonisation en termes économiques, sociaux, culturels et politiques sont encore durables et visibles. Cela s’appelle tout simplement l’injustice! Injustice à laquelle il faut ajouter la non-reconnaissance d’une identité forgée par des siècles de rapports coloniaux avec la France.

Notre société créole avait ses codes, son système de valeurs, sa manière de penser et de vivre et au moment où elle commençait à se trouver une cohésion, une cohérence, un sens, sa fragile écorce a été fissurée par ce qu’il est convenu d’appeler la modernité. Les usines ont commencé à fermer leurs portes les unes après les autres, la ruralité a été remplacée par un mode de vie citadin, le lien social a été rompu sous les coups de boutoirs des médias, de la consommation, de la libération des mœurs, de l’individualisme etc. Il en est résulté un profond malaise s’ajoutant aux rancunes tenaces qu’engendre tout système de domination. La Guadeloupe est devenue un bateau ivre et déboussolé. Malgré la belle façade d’un archipel où il fait bon vivre, d’un archipel où le tourisme pouvait prospérer, où les fonctionnaires perçoivent 40% dite de «vie chère», où le carnaval enflamme les cœurs et les corps. Malgré bien des malgré, le plus souvent liés à une vision exotique, une braise a toujours couvé sous les cendres. Le sentiment d’être dépossédé de soi, la conscience de ne pas être maître de son destin, l’impression d’habiter non seulement une «blessure sacrée» mais encore une société en trompe l’œil qui fonctionne au rebours de ses propres intérêts, de sa propre culture, de sa véritable histoire. L’état français a - par une sorte d’assimilationnisme autoritaire ou déguisé - détourné le guadeloupéen de lui-même. Le supermarché a remplacé le jardin créole, l’école a méconnu la réalité guadeloupéenne, plusieurs Guadeloupe contradictoires ont vu le jour. Tout cela avec un dénominateur commun: un imaginaire «déporté» et extraverti.

Certains n’hésitent pas à parler d’été! D’autres, à Noël, veulent importer de la neige! Les touristes qui viennent ne «vivent» que rarement le pays réel!

Les indépendantistes ont beaucoup lutté pour réaffirmer la culture guadeloupéenne en développant la pratique du créole, du gwoka et un certain nombre de traditions tournées vers la «résistance». Ils n’ont pas pour autant oublié l’économie et sur ce plan ce sont les syndicats qui ont pris le relais et notamment l’UGTG qui n’a jamais caché sa dimension politique.

La décentralisation est arrivée à point nommé pour faire baisser la pression mais d’une certaine manière, elle a déçu. Les pouvoirs locaux ne sont pas suffisamment armés pour prendre en charge les revendications, impulser un développement respectueux de la demande guadeloupéenne, élaborer un projet et mobiliser l’ensemble de la société sur des objectifs précis. Souvent, ils s’efforcent  d’être les gestionnaires d’un budget dont l’essentiel va à des équipements: routes, collèges, lycées, électrifications, adductions d’eau, irrigation, sans se rendre compte qu’ils équipent une coquille vidée de sa substance. Pendant ce temps la drogue fait des ravages, la violence sociale s’intensifie, les familles se fragilisent et la consommation fait rage avec son cortège de modèles importés. Tout cela a entraîné une distorsion, un dysfonctionnement dont les effets pervers contaminent tous les champs du réel. Le territoire subit la pression des sociétés immobilières (lotissements, logements sociaux) et les réponses apportées, désordonnées ou anarchiques, réduisent de plus en plus la surface vitale des terres agricoles. Les hôtels ont «occupé» les plages des guadeloupéens et le paysage souffre du fait d’initiatives, souvent juteuses mais dangereuses pour l’environnement. Lorsqu’on sait que l’économie véritable, celle qui assure les grands profits, n’est pas aux mains des entreprises guadeloupéennes on comprend mieux les raisons d’un mal-être que d’aucuns ont du mal à identifier. Alors, la société avance par convulsions, par coups de colère, par grèves et révoltes. À cette différence près,  que les mouvements d’aujourd’hui ne sont pas le fait d’irresponsables mais de syndicats bien documentés, bien informés, porteurs d’un projet d’émancipation. Il y a manifestement une lutte de pouvoirs entre la classe politique (souvent discréditée!) et les forces sociales et culturelles. Il y a aussi l’exigence d’une transparence, d’une honnêteté, d’une justice sociale, d’un respect, à laquelle l’Etat et les collectivités locales doivent répondre. Césaire disait que nous étions des français «entièrement à part», il n’avait pas tort sur de nombreux points. Comment accepter, par exemple, que les médias nationaux ne se souviennent de la Guadeloupe qu’aux moments des cyclones ou des révoltes? Comment accepter que malgré l’apport considérable de la Guadeloupe dans le domaine du sport, elle se trouve sous-équipée et sans grande politique sportive? Comment accepter que la musique guadeloupéenne, si riche, à part quelques rares cas, ne fasse pas partie du paysage musical au niveau national? En fait, comment accepter une reconnaissance toujours à quémander, une participation souvent refusée? La «vision» qu’offrent l’État, les médias, les entreprises culturelles ou économiques, donnent l’impression que la Guadeloupe n’existe pas ou très peu. Notre histoire n’est pas dans les manuels scolaires, notre littérature est largement méconnue, nos produits ne sont pas en vente dans les supermarchés. Etc…etc...

L’on me dira que je fais état de deux revendications contradictoires: plus d’autonomie et plus de reconnaissance au niveau national. Elles ne le sont qu’en apparence. Ce que semble vouloir la Guadeloupe c’est d’abord exister pour elle-même, par elle-même et en même temps trouver au sein de la nation un espace d’expression et de visibilité. Ce n’est pas avec des expressions comme «hommes de couleur» ou de «minorités visibles» que l’on peut résoudre ce type de problème. Il faudrait à la fois plus de respect et plus d’ouverture à la diversité.

Pour terminer, je voudrais souligner le fait que la Guadeloupe, comme la Martinique et la Guyane sont des sociétés qui en un temps record sont passés de «l’omni-niant crachat» à l’excellence dans de nombreux domaines. Ce sont des cas uniques dans l’histoire de l’humanité! C’est là leur grandeur et c’est là aussi la source de leurs légitimes aspirations.

L’État et l’ensemble des citoyens de la République doivent prendre conscience que les temps de l’exotisme ou du paternalisme sont révolus! Place maintenant aux temps du dialogue constructif en vue d’élaborer un projet de société où la Guadeloupe pourra enfin vivre en accord avec elle et inventer une autre relation avec l’hexagone et l’Europe. Une Guadeloupe plus caribéenne et surtout plus guadeloupéenne.

Ernest Pépin

 Viré monté