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Le poète invisible

Ernest Pépin

Basquiat, Tenor

Tenor - 1985
© The Estate of Jean-Michel Basquiat
Private collection (courtesy Galerie Bruno Bischofberger, Zürich)

JE SUIS LA !

Je suis là mais tu ne me vois pas
Caché derrière la vitre de la poésie
Coincé entre la dérive des continents
Je suis le bègue qui ne sait pas parler
L’incendie qui mange les broussailles
La minorité invisible
Je suis là de temps en temps
Occupé à repeindre tes rêves
A voir s’il manque du sel au festin du monde
Je joue aux billes avec mes larmes
Je tresse les feuilles du cocotier que nul ne voit
Et je décante la poussière des mots
Je suis là même si tu ne me vois pas
J’habite la case de l’étoile de mer
J’offre mes yeux aux mendiants
Et parfois je donne l’accolade à l’amitié des jours
Je suis là
Toujours la
Depuis le vagissement du monde
Et je regarde tous les enfants qui meurent
Etouffés par la faim
Et j’emprunte la peau de ceux qui muent de souffrance
J’annonce
Je dénonce
Je suis le cri de la forêt qui brûle
La carte d’identité des sans papiers
La complainte des femmes qu’on abat
Je suis là
Je reste là même si tu ne veux pas me voir
Evidemment les tyrans ne m’aiment pas
Le réel me déserte
Et je suis souvent en chômage technique
Mais je reste là
Les perles ont besoin de moi pour naître
La voix à besoin de moi pour s’élever
Je suis l’enfant sans berceau
Le fou qui berce le monde
Les mots sont terroristes
Ils explosent n’importe où
Dans la fleur comme dans le métro
Dans l’amour qui pétrit les hanches
Dans le regard qui sculpte les seins
Là où tu n’es pas
Là où je suis
Je suis là vieux frère
Je trébuche
Je titube
Mais je marche sur la mort
Invisible
Inaudible à part pour les étoiles
Je garde la tête haute
Et j’accroche à ton oreille les battements de mon cœur
Je suis là dans tes poumons
Et dans les reins de l’injustice
Tout comme toi
Je lis le journal du monde
Et je pleure de toute mon encre
Je suis un oiseau aux plumes d’encre noire
Un corbeau invisible
Je suis Basquiat ou bien Rimbaud
Seuls les murs m’applaudissent quand je les pousse
Je ne suis pas la mer à boire
Je suis l’île solitaire
le mirage qui sonne vrai
Je suis là embusqué dans la beauté
Gardien des rages
Mais tu ne me vois pas

Ernest Pépin
Faugas/ Lamentin/ Guadeloupe
Le 5 Août 2011

Viré monté