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Littérature caribéenne dans le monde:
État des lieux et perspectives

Ernest Pépin

Texte présenté lors du
1er Congrès international des écrivains de la Caraïbe,
25-29 novembre 2008, Gosier (Guadeloupe).

Je n’ai pas l’ambition de faire l’état des lieux de la littérature caribéenne dans le monde. Les cloisonnements que nous tentons ici de vaincre ne me permettent pas d’avoir une vision panoramique à ce sujet. Je limiterai donc mon propos à la littérature des Antilles françaises (Guadeloupe, Martinique). Littérature atypique du fait de son inscription dans un champ littéraire qui n’a pas véritablement de place pour l’accueillir. Elle est en effet francophone et française et d’une certaine manière créolophone et française, régionale et nationale. Elle est, de plus, un isolat dans un espace caribéen largement hispanophone et anglophone.

Des éclats, notamment médiatiques, empêchent de prendre conscience de son immense solitude et de ses limites en termes de réception au sein de la République Française et dans le monde. Il convient d’évoquer le fait que même Aimé Césaire fut plus longtemps combattu et méconnu du monde des lettres françaises qu’encensé comme ce fut le cas vers la fin de sa vie. Il subit même l’affront d’être retiré du programme scolaire par M. Bayrou ministre de l’éducation nationale de l’époque.

Il est vrai qu’entre temps des poètes québécois nationalistes comme Gaston Miron reconnaissaient la portée universelle de son œuvre en se considérant comme des «nègres blancs» dans leur propre pays. Dois-je rappeler qu’il a fallu le film d’Euzhan Palcy pour donner un certain retentissement au roman de Joseph Zobel : La rue Cases-Nègres.

Du côté de la Guadeloupe, ni les somptueux chants de Simone Schwarz-Bart ni l’œuvre décapante de Maryse Condé n’émurent comme cela se devrait le monde littéraire français. Cela malgré de nombreux articles et de prestigieuses distinctions.

Longtemps nous sommes restés désespérément seuls, entre nous, comme des exilés. Bien sûr, la vigilance cubaine de Casa de las Americas nous prêtait une oreille favorable mais qu’en est-il véritablement en Belgique, en Suisse, à la Jamaïque et même au Québec?

L’antillanité prôné un certain temps par Édouard Glissant, en dépit des fraternités souterraines d’un Derek Walcott ou d’un Edward Kamau Brathwaite, brillait comme une étoile solitaire au bout du petit matin de la négritude.

Il a fallu l’avènement de la créolité de Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant et Jean Bernabé pour assister à un engouement médiatique et pour que notre littérature antillaise soit enfin regardée par la France et par une partie du monde. Le Prix Goncourt décerné à Patrick Chamoiseau venait en quelque sorte «sanctifier» un rayonnement nouveau.

Je ne suis pas sûr que ce regard soit exempt de considérations exotiques et d’une approche confuse de ceux qui soi-disant renouvelaient la langue française en la créolisant.

Et de fait, les universités américaines où enseignaient Maryse Condé et Édouard Glissant ont beaucoup plus fait pour l’étude critique des œuvres antillaises que les universités françaises.

À vrai dire, malgré Gisèle Pineau, Danièle Maximin et tant d’autres, les lettres antillaises demeurent davantage une littérature mineure au sens où l’entendent Deleuze et Guattari que le patrimoine d’une France rebelle à la diversité et sourde à la charge revendicatrice et identitaire portée par les créations littéraires de la Martinique et de la Guadeloupe.

Pouvons-nous dire que nous existons réellement dans la Caraïbe? Je ne le crois pas!

Pouvons-nous dire, malgré bien des traductions, que nous existons dans le monde. Je n’en suis pas sûr!

C’est que notre littérature souffre de deux maux. Elle est ce que l’on pourrait appeler une littérature sans autorité qui ne décide pas elle-même de sa validation, de sa promotion et de son rayonnement. Elle est surtout une littérature déterritorialisée. Cela ne signifie pas qu’elle ne soit pas enracinée dans un territoire. Cela témoigne d’un quasi divorce entre son lieu d’émission et son lieu de réception.

Les éditeurs français, les médias français, les critiques littéraires français, les appareils idéologiques français, trop souvent, méconnaissent l’apport d’une littérature antillaise qui dépend de leur soleil pour être visible.

Il en résulte deux conséquences néfastes. La première c’est une approche réductrice des questionnements et des offres littéraires. La seconde c’est que, chez nous, l’école, les bibliothèques, les librairies, les médias ne jouent pas véritablement le jeu. On ne peut dire qu’elles ne font rien mais on peut déplorer des soubresauts conjoncturels liés à telle ou telle parution. L’évènementiel l’emporte sur le besoin d’une stratégie dont l’objectif, me semble t-il, devrait être d’assumer pleinement et entièrement sa propre littérature. Que connaît un jeune martiniquais ou un jeune guadeloupéen de la littérature antillaise? Bien peu de choses! Quelques noms plus que des œuvres! Comme si nous étions dépossédés de la notion d’histoire littéraire!

Je crois, pour toutes ces raisons, qu’il est salutaire et urgent d’inscrire la littérature antillaise dans la conscience collective des antillais car une littérature qui n’est pas portée par son peuple est une littérature vouée à des effets de mode.

D’où la nécessité de tout mettre en œuvre pour nous intégrer dans la Caraïbe qui a l’avantage énorme d’être multilingue et d’ouvrir les portes vers d’autres horizons.

D’où la nécessité de ne pas négliger l’espace francophone des Amériques et en particulier le Québec.

D’où la nécessité de jouer non pas seulement le jeu de la France mais celui du monde.

Nous pouvons légitimement revendiquer des liens avec la Caraïbe, les Amériques, l’Afrique, le Moyen-Orient, la Chine et bien entendu l’Europe.

Ces défis nous imposent d’élaborer et de conduire une politique littéraire ambitieuse et novatrice. Cependant aller vers le monde c’est aussi accueillir le monde. S’enfermer dans des débats exclusivement antillais ou franco-antillais est le plus sûr moyen de se marginaliser et de s’étioler.

Je ne peux conclure sans souligner combien la littérature en créole souffre à la fois d’un manque de considération et d’une absence totale de promotion.

J’espère, au travers de cette contribution, avoir plaidé pour que notre littérature antillaise trouve, enfin, sa vraie place dans la littérature-monde.

Ernest Pépin

Viré monté