Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

La peinture en Martinique
Saisons, 25-Février
par Renée-Paule Yung-Hing

Saisons, 25 - Février

Martine Porry – Saisons, 25 - Février, 2004, Technique mixte sur toile, 73 x 100 cm.
(Photo Jean Popincourt)

Sans doute les lointains et fascinants paysages du célèbre Tokaïdo d’Hiroshige m’ont-ils amenée à m’interroger sur la perception et le rendu de la nature dans l’œuvre de Martine Porry en terre martiniquaise.

De saison en saison, de morne en fonds, de bois en savane, de Tracée en Trace, l’artiste nous promène dans son «taxi-pays» végétal, à la rencontre d’un monde de fugacité, à la jonction du ténu universel.

Saisons, 25, avec ses ors fulgurants, ses ocres sulfureuses, ses jaunes citron, nous conte un temps de début de carême, quand la nature s’apprête à ne plus laisser voir que la beauté sous le soleil. 

Campé au premier plan, l’albizzia lebbeck dit «cha-cha», tronc brun sombre, figuré à longues touches de pinceau, rythme la composition.

Puis de petites touches saccadées en petits traits hachurés, le feuillage…

Des feuilles, dans un foisonnement de gousses sèches, rousses, aux lignes sinueuses, dansantes, à la force expressive et à la légèreté de kanji en balançoire, se saisissent de l’espace environnant, s’y déploient en «chuchotant bruyamment» à la moindre brise.

Au-delà des tons orangés, transparaissent les mornes aux verts dilués, formes incertaines, étranges découpes se dessinant dans le ciel.

Et puis, il y a ce choix de l’artiste: la scène se «décadre», se répète.

Tableau dans le tableau, motif dans le motif, comme pour orienter notre regard autrement, hors des conventions... sur une Trace de poussière anthracite, tachée rosée, bordée d’oxalis vaporeux, d’épillets folâtres, de «cabouyas», de «Marie-honte» repliées au premier frôlement de leur feuillage craintif par une mangouste délicate et fauve, gênée dans sa course furtive.

Et au bout de cet univers végétal, dans un calme presque envoûtant de chaleur torride, l’oiseau sucrier gonfle son «fal jaune», le «colibri-madère» perce les dernières baies et les corolles des fleurs d’amourette, dans une harmonie de gris précédant l’arrivée désormais rare du «gros grain».

Avec Saisons, 25, Martine Porry ne se limite pas à une interprétation plastique du visible. Elle cherche, en révélant l’émotion cachée d’un moment de carême, en célébrant l’éternel recommencement des saisons, à exacerber nos sens, à sublimer nos sensations. À réveiller notre mémoire patrimoniale pour dire, avec Patrick Chamoiseau: «Petite personne considère ton lieu. C’est pays Martinique. C’est ton assise au monde. Tu ne peux l’oublier, l’ignorer ou bien t’en écarter. Il y a, dans ton Lieu, les routes, les chemins et les Traces. Les routes et les chemins s’en vont tout droit au temps rapide. Ils n’enseignent pas, ni ne transmettent des souvenirs. Ils précipitent. Dans ce précipité, tu dois cueillir des fleurs de joie et des plaisirs de vie. Essaye, si tu le peux, et c’est bon d’essayer. Mais, il y a les Traces. Traces!...»

Renée-Paule Yung-Hing

boule

La peinture en Martinique

Viré monté