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La peinture en Martinique

Alexandre Bertrand :
Sansann

  Gerry L’Étang

 

 

Alexandre Bertrand
(photo Pablo Roy-Camille)

Alexandre Bertrand

Aleksann pati, i pati, bien pati, mon Dieu!
Si Sansann pati, mon Dieu! Si Sansann pati, mon chè…
Léona Gabriel

Alexandre Bertrand est de ces artistes que l’on évoque avec nostalgie quand bien même on ne les a pas connus. Ce mélange de reconnaissance et de regret qu’est la nostalgie tient, pour le cas de Bertrand, au sentiment qu’il est parti en emportant avec lui quelque chose d’essentiel : une capacité à produire des œuvres qui disaient l’essence du pays, qui en exprimaient toutes les vibrations affectives. Et à ce talent à révéler l’originalité martiniquaise s’ajoutait un rôle de pédagogue artistique.

Officiellement, Alexandre Bertrand est né le 3 juin 1918. En réalité, il voit le jour le 23 avril de la même année1, au Morne-des-Esses, dans cette Martinique rurale à laquelle il restera toute sa vie attaché. Il passe son enfance dans sa campagne natale, puis, à l’adolescence, s’établit au quartier Gerbault, à Fort-de-France. Le peintre Marcel Mystille, de deux ans son cadet, l’a connu en voisin: «Sa belle-mère et son père étaient des gens aisés. Elle était institutrice et il était, je crois, contrôleur des contributions. Il possédait une automobile, chose rare pour l’époque : une Ford que conduisait parfois Alexandre, assis à son côté. Ses parents lui laissaient une grande liberté. Je me souviens de lui chassant le kayali à l’arbalète, au fond de la Ravine Bouillé2

Ayant manifesté, dès l’âge de neuf ans, des affinités pour le dessin et la peinture, il s’engage résolument dans cette voie, se formant auprès de Fernand Peux et surtout de Paul Bailly : « Bailly fut son véritable maître. Il lui a appris la peinture et l’a beaucoup soutenu3.» Après les années de lycée, il obtient une bourse pour les Beaux-Arts de Paris: «Quand j’ai réussi le concours des bourses en 1936 pour l’école des beaux-arts, il n’y avait eu avant moi qu’une Martiniquaise4

Dans le Paris artistique, bouillonnant et fécond d’alors, Bertrand reçoit un enseignement académique interrompu par la guerre. Cette maîtrise initiale est mise au service de la formation picturale de ses compatriotes. À l’ouverture de l’école des arts appliqués en 1943 à Fort-de-France, il est, à vingt-cinq ans, le seul enseignant martiniquais de dessin et de peinture. Et en 1945, il expose, pour la première fois, à Fort-de-France.

Bal à la campagne

Bal à la campagne
 sans date, huile sur toile, 239,5 x 187,5 cm (photo Pablo Roy-Camille)

La guerre finie, Alexandre Bertrand retourne à Paris terminer ses études. Il y fréquentera au total, l’école des beaux-arts, l’école des arts appliqués, l’école des arts décoratifs : « Chaque école m’a apporté quelque chose de différent et a complété ma formation6.» Il pratiquera en outre l’atelier de Fernand Léger. Ce nouveau séjour parisien est pour lui l’occasion d’exposer au musée Galliera, au salon de l’Art libre (musée d’Art moderne), à la galerie Lucienne Rosenberg.

À Paris, il fait une rencontre décisive, celle d’Anca Ionescu, qu’il épouse en 1948. Deux ans plus tard, Bertrand décide de faire connaître son pays à sa femme. Ce devait être un bref séjour avant leur établissement au Sénégal, où Léopold Sédar Senghor, ami d’Alexandre, devait faciliter leur installation. Anca se plaisant en Martinique, le projet sénégalais fut annulé5.

Roland Suvélor, figure intellectuelle et grand témoin du xxe siècle martiniquais, fut l’ami du couple et parle d’Anca en ces termes: «Cette jeune Roumaine, après la guerre dont elle a connu les horreurs, était venue à Paris étudier à l’idhec (Institut des hautes études cinématographiques). Or cinéma et peinture font bon ménage… L’union du Noir martiniquais et de la Blanche roumaine fut, pour l’art, chose heureuse, puisqu’elle permit que se tisse une atmosphère bénéfique à chacun… Leur retour et leur installation en terre martiniquaise furent plus bénéfiques encore. L’origine roumaine d’Anca était une circonstance favorable. Elle n’avait aucun complexe face à cette société négrifiée, métissée, puisque ses ancêtres n’avaient rien eu à voir avec l’entreprise coloniale. De même, les indigènes qui l’accueillaient n’avaient vis-à-vis d’elle, pour cette même raison, aucun sentiment de refus ou d’hostilité. De plus, Anca s’enthousiasma pour ce monde inconnu d’elle jusque-là. D’autant que les amis de son mari aidèrent à son acclimatation, et cela quel que soit le milieu socioculturel auquel ils appartenaient. Il faut rendre hommage au beau travail culturel qu’elle a accompli en Martinique : en découvrant des artistes, en collaborant à la revue Horizons caraïbes du regretté et trop oublié Auguste Joyau, en créant la revue Parallèles, en animant des émissions à la radio. Et il faut évoquer tout ce qu’elle a apporté à la liberté de travail et à l’épanouissement d’Alexandre Bertrand7

Bonjou patwon (La soumission)

Bonjou patwon (La soumission)
1959, huile sur toile, 64 x 93 cm (photo Pablo Roy-Camille)

Rentré en 1950 en Martinique, Bertrand reprend son enseignement à l’école des arts appliqués. Les « armes miraculeuses » gagnées à Paris au frottement de l’Autre sont mises au profit d’un engagement pédagogique d’une grande générosité. Ses élèves s’en souviennent avec reconnaissance.

Pour Ginette Mible-Mongallon, «Quand Sansann a réintégré l’école en 1950, nous avions déjà des cours de bon niveau, avec André Couret, les époux Saddier, etc. Mais son arrivée fut un événement car il a, en quelque sorte, révolutionné nos techniques d’apprentissage, notamment du dessin. Elles m’ont servi quand j’ai continué aux Arts-Déco de Nice, puis durant toute ma vie d’enseignante et d’artiste. Et puis Sansann était martiniquais, passionnément martiniquais, tout en étant ouvert au vaste monde. Il nous poussait à nous documenter sur le pays, nous emmenait assister à des conférences sur l’art précolombien, sur d’autres aspects de notre culture, sur d’autres civilisations aussi.

Il nous imposait de nous mêler aux pauvres, à leur souffrance. Il disait qu’il fallait saisir, traduire le ressenti du peuple des délaissés, car la vraie vie, l’âme de la Martinique, était là. Un jour, il a emmené sa classe au bas du lycée Schœlcher, au lieu dit ‘Au Corossol’. Je n’avais jamais vu ça! Des cases misérables au bord de la vase, des enfants nus avec des ventres, des nombrils énormes, des mèches de rhume. Et au milieu de tout ça, des excréments, la puanteur. J’étais paralysée. Sansann m’a prévenue: ‘Tu descends ou tu prends des coups de pied au derrière!’ Alors mon camarade Mathieu Jean Gensin m’a prise sur son dos et m’a installée dans un gommier. Quand j’ai commencé à camper cet environnement, à peindre ces enfants qui nous regardaient avec étonnement, je n’ai plus été gênée par la boue, l’odeur. Quand nous sommes remontés, Sansann m’a déclaré: ‘Maintenant que tu as touché du doigt le malheur des autres, ta carapace est ouverte, tu peux travailler.’ Quand nous avons exposé nos tableaux, le mien a été acheté par Christian Laigret, préfet de Martinique8

Pour Victor Anicet, «Sansann était quelqu’un de rare. Dans la Martinique cloisonnée de l’époque, il avait un sens singulier du contact avec toutes les couches de la population, une connaissance de tous les milieux, dans lesquels il évoluait avec aisance et jovialité. Il avait une perception très fine de son pays. Il nous a appris à regarder, à repérer l’inattendu, le caché, à restituer artistiquement cette profondeur. Il avait aussi une philosophie d’une grande lucidité: créer, faire des propositions à la Martinique et au monde, le faire avec application, enthousiasme, mais sans en attendre nécessairement une reconnaissance. Sansann savait que nous étions un petit pays en devenir, où l’art en était à ses prémices; il nous avertissait que ce serait difficile, qu’on devait être sans illusions. Enfin, il savait conseiller. C’est lui qui m’a convaincu, au sortir des Arts Appliqués de Fort-de-France, de m’inscrire à l’école des métiers d’arts plutôt qu’à l’école des beaux-arts de Paris. Il avait raison. Aux Métiers d’art, le monde entier était là. Ce fut pour moi un enrichissement extraordinaire, qui correspondait à ce qu’il me fallait9

Récolte

Récolte
 sans date, huile sur toile, 261,5 x 181,5 cm (photo Pablo Roy-Camille)

En 1956, Alexandre Bertrand quitte l’école des arts appliqués pour fonder une entreprise de décoration. Par ailleurs, ses toiles se vendent de mieux en mieux. Au début des années soixante, un tableau lui est acheté pour les collections de la Maison-Blanche par un diplomate étasunien de passage en Martinique10.

Puis, tout en continuant à peindre (il expose, en 1965, à la galerie du Carlton, à Cannes), il se met au service du Centre commercial des métiers d’arts, qu’il dirige de 1964 à 1967. Il a à son côté dans cette aventure, une autre figure tutélaire de l’art en Martinique, son ami Joseph René-Corail, avec qui il se solidarisa en 1962, quand ce dernier fut emprisonné pour sa participation à l’ojam (Organisation de la jeunesse anticolonialiste de la Martinique). Bertrand avait exposé alors, Coco en prison10 et Conversation à bâtons rompus (tableau représentant quatre policiers matraquant deux manifestants), œuvres aussitôt censurées par la police11.

Au Centre des métiers d’art, les problèmes ne tardent pas à survenir. Après avoir, sous l’impulsion de Bertrand, vu son chiffre d’affaires augmenter considérablement, la structure devient déficitaire, du fait notamment d’un personnel pléthorique. Son directeur est lâché par le conseil d’administration et son président. C’est un homme amer qui, quelques années plus tard, revient sur cet épisode: «Que le président soit sévère, je le comprends, c’était son rôle, mais que certains artisans que j’avais aidés, soutenus, soient les premiers à demander ma tête, ça, je n’ai pas pu le digérer, ça m’a dégoûté […]12.» Dans le même temps, au Crédit artisanal qu’il a contribué à fonder, les choses sont tout aussi difficiles. Bertrand s’oppose à des administrateurs dont le projet de rapprochement de cette banque coopérative locale avec des institutions bancaires françaises heurte ses convictions politiques. Il est désavoué13. Ecœuré, Alexandre Bertrand part, en 1967, à quarante-neuf ans, pour le Canada.

Dans le quartier du Vieux Montréal, qui commençait à attirer les artistes, Bertrand mène une vie où les moments de bohème alternent avec les périodes d’abondance. Son fils Dan, qu’Alexandre rejoint en 1972 en Martinique au décès d’Anca, suit son père quelques mois plus tard au Québec. Il a alors dix-sept ans: «Mon père pouvait aisément se contenter de peu de chose, vivre avec très peu d’argent. Mais c’était aussi un artiste qui pouvait faire de l’argent comme l’eau qui coule. Avec lui, il fallait s’adapter quelle que soit la situation. Une fois, dans le Vieux Montréal, nous avions comme menu un verre de chocolat et deux tranches de pain par jour. Cette situation a duré quelques semaines, puis nous sommes sortis de cette phase précaire quand il est arrivé avec une grosse somme en poche, à l’occasion d’une vente de tableaux. À ces moments-là, il dépensait sans compter. J’ai donc vécu avec lui les bons et mauvais côtés de la vie. Il m’a montré la vie telle qu’elle pouvait se présenter, et m’a appris à la prendre du bon côté, quelles que soient les circonstances15

Concernant sa période canadienne, l’artiste confiera à René Louise: «Il me fallait m’isoler du cadre martiniquais pour des raisons sociales, politiques et économiques, pour me sentir plus libre de ce que je ressentais, sans aucun préjugé. […]. Cet isolement m’a donc permis de me trouver, et c’était très émouvant. Cela m’a donné une confiance extraordinaire en moi-même16

Au Canada, Bertrand a une production picturale intense, la plus importante de sa vie. Dans son atelier du Vieux Montréal, puis dans celui de Notre-Dame de Grâce, il reçoit des élèves et peint des tableaux qu’il expose à Montréal, Sainte-Agathe, Trois-Rivières, Toronto, New-York. Il acquiert un terrain au bord d’un lac des Laurentides, et, en 1976, il prend, avec son fils Dan, la nationalité canadienne16.

Puis Bertrand se remarie, avec une Martiniquaise. Sa nouvelle épouse résidant en Martinique, il rentre au pays: «Je suis revenu ici, en 1978, pour me remarier. Sans cela, le pays ne m’aurait jamais revu17

Dès lors, il alterne les périodes d’été au Canada, dans le bungalow qu’il a acheté à Laval, et les périodes d’hiver en Martinique, dans la maison de sa femme, au Gros-Morne, ou dans la sienne, au Morne-des-Esses. Puis il demeure de façon plus continue dans l’île, où il peint et expose, à la Bibliothèque Schœlcher, à l’Habitation Lagrange…

Le 2 octobre 1995, au terme d’une longue maladie, Alexandre Bertand décède à soixante-dix-sept ans, au Morne-des-Esses. L’artiste, qui a entre-temps divorcé, est alors entouré des membres de l’Amicale des anciens élèves des Arts Appliqués, dont il a accepté la présidence en 199419.  

Combat de coqs

Combat de coqs
 années 1970, huile sur toile, 60 x 74 cm (photo Gerry L'Étang)

L’œuvre que laisse Alexandre Bertrand est considérable: des centaines de tableaux de grande qualité, disséminés en Martinique, en France, en Amérique du nord.

Ses réalisations figuratives sont essentiellement celles d’un peintre de l’identité collective, d’une identité martiniquaise qu’il juge incertaine, instable: «La question de l’identité est la partie la plus pénible chez l’artiste martiniquais, puisqu’en fait, nous ne connaissons pas notre identité20.»; «Nous sommes à la recherche d’un équilibre […]. S’il faut nous situer, nous sommes le produit d’un mélange qui, à un certain moment, va se fixer. Et c’est cela qui sera l’Antillais. Pour l’instant, il est en devenir21

Cette quête d’identité culturelle met en scène la vie quotidienne, l’oppression sociale, les luttes politiques, mais aussi la diversité interne. Bertrand est ainsi le seul artiste martiniquais à avoir représenté des scènes du Nadron, théâtre mythologique dansé et chanté, élément du complexe culturel tamoul importé dans l’île par l’immigration indienne du XIXe siècle22.

Cette peinture figurative est traversée par plusieurs influences: surréalisme, impressionnisme, réalisme moderne.

Vers la fin des années soixante, Bertrand, tout en continuant à concevoir des œuvres figuratives, s’oriente vers une certaine forme d’abstraction, un changement de style suscité par un changement de lieu. Au Canada, l’artiste se sent libéré de la représentation de l’identité martiniquaise, et sa peinture prend une autre direction.

Mais la conception qu’a Bertrand de l’abstraction – qu’il définit dès 1955 – est particulière: «Il n’y a pas de peinture abstraite. Toute peinture est réaliste! Puisqu’elle part d’une réalité individuelle, et puisqu’elle fait appel à des éléments concrets pour matérialiser sa présence. Quant aux formes des éléments concrets auxquelles elle fait appel, sachons une fois pour toutes que toutes les formes existent dans la nature. On n’invente pas des formes, on les utilise. Les sentiments, les pensées sont toujours abstraits, mais exprimés par des artistes, ils deviennent concrets; car le rôle de toute forme d’art est de transposer l’abstrait en concret23


Dans cette logique, l’abstraction d’Alexandre Bertrand, que René Louise nomme « abstraction ‘matérialiste’24», est marquée par une investigation sur les origines du monde, de l’homme. Sa peinture est alors une représentation libre, intérieure, de l’infiniment grand (le cosmos), de l’infiniment petit (la cellule) et d’une façon générale, de ce dont sort la vie (ovule, œuf…).

Sans titre

Sans titre
 1970, huile sur toile (photo Pablo Roy-Camille)

Sa réinstallation en Martinique voit la continuation de réalisations à dimension abstraite, avec quelques retours secondaires à ses orientations figuratives antérieures.  

Il y a une magie dans l’œuvre d’Alexandre Bertrand, singulièrement dans ses toiles figuratives martiniquaises: le trouble que suscite l’authenticité des scènes représentées. Un enchantement que résume ce mot de Louis Laouchez, qui fut son élève: «Quand on observe un enterrement peint par Sansann, on a envie de pleurer; quand on contemple son tableau figurant des mains sur un tambour, on se surprend à les voir bouger, à percevoir le son du tam-tam25

Selon Roland Suvélor, «ce qui fait l’intérêt de l’œuvre de Bertrand, c’est qu’il s’exprime à un moment clé de notre histoire, et ceci se révèle dans sa peinture. Certes, il y a eu en Martinique de grands peintres, venus d’ailleurs, qui lui étaient antérieurs, comme Gauguin, ou qui étaient ses contemporains, comme Marillac, Baldjian. Mais entre leurs œuvres et celles de Bertrand, on découvre une différence: pas forcément de l’ordre de la qualité artistique mais parce que leur vision est moins nourrie de l’élément historique. L’histoire, elle, est au cœur du travail de Bertrand. Cette histoire, qui commence aux alentours de sa naissance, soixante-dix ans après l’Abolition et à la fin de la Première Guerre mondiale, est celle de la rupture d’avec un vécu tragique par la conquête difficile du savoir. Ce savoir, essentiellement occidental, sera détourné, investi par ceux de la génération de Bertrand et par Bertrand lui-même, au service d’une désaliénation, d’une affirmation culturelle. Tout ça est en filigrane dans sa peinture.

L’autre caractéristique du travail d’Alex Bertrand, c’est l’économie, c’est-à-dire la sobriété. Par les seuls moyens de l’art et les ressources du talent, son œuvre ouvre des fenêtres superbes sur notre monde. Il faut voir comment des tableaux essentiellement voués à la nature ambiante – mer, arbres – traduisent la vérité des lieux, des heures, des présences, et cela sans réalisme photographique étroit. Cette même vérité se retrouve dans la représentation des êtres : au travail, au repos, selon leur sexe, leur milieu, leur personnalité. Les relations entre individus, leur hiérarchie, la place qu’ils occupent dans les rapports de production, se lisent dans les couleurs, les formes, les attitudes; mais aussi dans les regards entre qui commande et qui obéit. Point n’est besoin ici de démonstration politique, militante, tout est dit par les contenances, les couleurs et les lignes. Bertrand, révélateur d’un monde historique, sociologique, n’use pas de développement didactique, de redondance informative: il expose la réalité des situations en quelques traits, en quelques teintes. En cela, il est un artiste de très grand talent26

Bertrand, peintre d’un temps où les Alexandre s’appelaient Sansann, a saisi, à travers ses yeux étonnamment bleus, les travaux, les jours, les humeurs d’un pays, d’une époque qu’il a sublimés. 

Telle cette scène figurant une enfant et son petit frère au détour d’une trace, revenant de la «boutique» avec le pain quotidien. Au-delà de l’anecdote, toute une émotion est ici révélée : simplicité, fragilité, tendresse.

Sans titre

Sans titre
sans date, huile sur toile (photo Pablo Roy-Camille)

Gerry L’Étang

 

* Chapitre de l’ouvrage La peinture en Martinique (sous la direction de Gerry L’Étang), conseil régional de Martinique / HC Éditions, Paris, 2007.

  1. Dan Bertrand, entretien avec G. L’Étang, 2007.
    Il était commun, dans la Martinique d’alors, de déclarer en mairie des dates de naissance qui suivaient de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois, les dates de naissance effectives.
     
  2. Marcel Mystille, entretien avec G. L’Étang, 2007.
     
  3. Marcel Mystille, Ibid.
     
  4. Alexandre Bertrand, France-Antilles, 3 janvier 1987.
     
  5. Alexandre Bertrand, in R. Louise, Peinture et sculpture en Martinique, 1984, p. 49.
     
  6. Dan Bertrand, Ibid.
     
  7. Roland Suvélor, entretien avec G. L’Étang, 2007.
     
  8. Ginette Mible-Mongallon, entretien avec G. L’Étang, 2007.
     
  9. Victor Anicet, entretien avec G. L’Étang, 2007.
     
  10. Dan Bertrand, Ibid.
     
  11. Coco, Khokho, sont les noms d’artiste de Joseph René-Corail.
     
  12. Dan Bertrand, Ibid.
     
  13. Alexandre Bertrand, France-Antilles magazine, semaine du 26 décembre 1992 au 1er janvier 1993, p. 49.
     
  14. Dan Bertrand, Ibid.
     
  15. Dan Bertrand, entretien avec J. Nottrelet, Figures historiques de la peinture en Martinique, 2006, p. 138.
     
  16. Alexandre Bertrand, in R. Louise, Ibid. p. 49.
     
  17. Dan Bertrand, entretien avec G. L’Étang, 2007.
     
  18. Alexandre Bertrand, France-Antilles magazine, Ibid., p. 50.
     
  19. L’oraison funèbre d’Alexandre Bertrand, rédigée par Lina Adélaïde-Cadoul, fut lue en l’église du Morne-des-Esses par Ginette Mible-Mongallon, au nom de l’Amicale des anciens élèves de l’école des arts appliqués de Fort-de-France.
     
  20. Alexandre Bertrand, in R. Louise, Ibid., p. 49.
     
  21. Alexandre Bertrand, France-Antilles magazine, ibid, p.50.
     
  22. La découverte de ces tableaux par l’écrivain trinidadien Vidiadhar Surajprasad Naipaul, lors d’un séjour en Martinique en 1961 aux fins de son premier récit de voyage, allait susciter chez ce dernier la rédaction d’un chapitre consacré aux hindous de Martinique: «J’ignorais l’existence des Indiens de Martinique avant qu’Alexandre Bertrand ne me montre ses dessins de danseurs hindous martiniquais et ne me parle de leur hindouisme.» V. S. Naipaul, The Middle Passage, 1962, p. 226.
     
  23. Alexandre Bertrand, « Propos sur la peinture dite abstraite », Horizons caraïbes, juin à août 1955, p. 11.
     
  24. René Louise, Iibid, p. 50.
     
  25. Louis Laouchez, entretien avec G. L’Étang, 2006.
     
  26. Roland  Suvélor, Ibid.

 Viré monté