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Zombie, mythe ou réalité?

Frantz Alix Lubin Anthropologue

Source: Le Nouvelliste,
10.11.2011-25.11.2012

Un anthropologue scrute de manière objective le phénomène de la zombification en Haïti. Analyse de contenus, enquête de terrain et interview structurent sa méthodologie.

Et si Lazare n'était qu'un zombie?

Au temps de Khéops, la souveraine conviction que la mort n'était qu'un long sommeil de 3 000 ans a suffi pour justifier les traitements raffinés et onéreux que les prêtres d'Amon administraient aux dépouilles mortelles des plus grands dignitaires de la civilisation du Nil. Bouleversant, non?

Cependant, un chercheur suffisamment bien informé sur l'Égypte pharaonique ne peut qu'être stupéfait d'apprendre qu'il existerait en plein XXI ème siècle un pays dont les citoyens croient encore avec une ferveur à faire pleurer les momies et les saints d'albâtre que certains sorciers peuvent tuer et ressusciter en 24 heures leurs victimes.

Depuis toujours, les hommes de toutes les contrées croient qu'il existe des moyens de ramener à la vie un trépassé. D'où le mythe universel du revenant. L'exemple du genre le plus répandu à travers le monde chrétien, raconté avec le plus de conviction et de ferveur religieuses, est celui de Lazare. Il y a environ deux mille ans, un certain Lazare, en Samarie, fut déclaré mort par sa soeur Marthe. Celle-ci qui était l'amie du plus célèbre Juif de l'Histoire, Jésus de Nazareth, lui demanda de ramener son frère à la vie. Jésus entra dans la crypte où était déposé le corps de Lazare et quand il en sortit c'était en compagnie de l'ex-mort. Lazare était sur ses deux jambes, parlait à Jésus et à Marthe.

Au niveau strictement littéraire, les conteurs comme l'Allemand Jacob Grimm, le père de Blanche Neige et le Danois Hans Christian Andersen, sans compter le célébrissime romancier irlandais, Bram Stocker, ont tous exploité ce mythe, chacun à sa façon, mais invariablement avec maestria. Leur succès est mondain et ne soulève pas les foules, mais il est tout aussi éloquent que celui des évangélistes.

Pourtant, comme une momie qui traverse les siècles avec bonne mine, un «revenant» n'est pas un miraculé. Et ceci est scientifiquement démontrable.

Zombification et Thanatologie

Si nous savons peu de choses de l'angoisse des autres animaux face à la mort, celle de l'homme est, a contrario, à l'origine d'une abondante littérature et de nombreux mythes. Par contre, ce qui fait le plus peur à l'homme, ce n'est pas la conscience d'être né pour mourir, mais plutôt l'idée qu'il se fait de la mort. La cohésion religieuse, pour reprendre à notre compte un concept durkheimien, facilite aux croyants de divers horizons l'acceptation de cette dure réalité. Personne ne sait ce qui se passe sur l'autre rive du Styx. Mais, puisque la mort est repoussante à un degré sans égal dans notre univers, et cruellement irréversible par ailleurs, il devient dès lors évident qu'elle soit la pire forme de châtiment qu'on puisse administrer à un être vivant. Et cela justifie amplement que dans la plupart des sociétés démocratiques la peine de mort soit en passe d'être totalement abolie.

La thanatologie, partie de la psychologie dont l'objet principal est le vécu de l'agonie, affirme que la conscience de mourir place le sujet dans un état de rage indescriptible. Or, voilà qu'au travers d'une certaine forme de justice coutumière, des Haïtiens promènent leurs ennemis, parfois de proches parents, dans les couloirs de la mort sans que cela ne suscite la moindre réaction des pouvoirs publics. Alors, on se demande comment une société qui aspire à la modernité puisse tolérer que certains de ses membres fassent expérimenter à leurs pairs, une fois de trop durant leur brève vie, l'événement le plus tragique connu dans l'univers que plus de13 milliards d'années d'expansion continuelle et d'évolution n'ont pas suffi à anéantir? N'est-il pas temps que l'Université, la Justice et le Parlement s'en mêlent?

Les zombies dans la coutume haïtienne

Il existe en Haïti deux catégories de zombies. D'abord, il y a les revenants qui sont des êtres de chair et de sang, et ensuite les «esprits» piégés dans des cruches d'argile ou des bouteilles de verre méticuleusement préparées à cet effet. Les zombies du premier groupe sont des hommes ou des femmes qui ont été séquestrés suite à un état comateux profond et à la faveur de l'inhumation qui en découle. On les retrouve soit comme domestiques dans une maison familiale, dans un magasin, ou soit, comme c'est souvent le cas, comme esclaves aux champs. Très souvent, ils sont vendus très loin de leur lieu de provenance. Mais il arrive qu'ils soient volontairement libérés par leurs propriétaires ou par les héritiers de ces derniers. Depuis l'affaire Clervius Narcisse, leur existence est scientifiquement attestée.

Selon la neurotoxicologie, cette zombification est la conséquence d'un état d'altération du système nerveux central et périphérique par l'administration de substances psychoactives.

Les zombies de la seconde catégorie correspondent à la fois à l'âme, et la force vitale d'un défunt. On peut les assimiler au «ba» et au «ka» de la kabbale égyptienne. Eux aussi font l'objet d'un fonds de commerce. «Extirpés» du corps du défunt, ils peuvent être transférés dans d'autres substrats tels que: biceps ou jambes d'un homme en vie, stylographe, etc. Ils sont supposés rendre fort ou intelligent selon les caractéristiques physiques ou psychologiques de l'ancien propriétaire et la demande faite au «bòkò» vendeur. On les surnomme également: «pwen , baka ,etc.». Mais, les vrais revenants, plus faciles à observer, fascinent les anthropologues beaucoup plus que les insaisissables esprits.

La chute d'un mythe

Les Américains ont commencé leurs investigations sur le phénomène dès 1915, date de la première occupation militaire du pays. Mais, le jour du départ de la force d'occupation en 1934, certains «bòkò», qui ont fait la résistance à leur manière, ont exhibé des zombies «blancs» en guise de trophées. Il est certain qu'en dépit de louables efforts, les cacos de Péralte n'ont pas su rééditer l'exploit de Dessalines à Vertières. Mais, les lointains successeurs de Makandal, s'ils n'ont pas mené une véritable guerre biochimique contre l'occupant, se sont, semble-t-il, évertués à démontrer que l'arme absolue puisse être conçue loin des complexes militaro-industriels. S'il est historiquement vrai que les Américains avaient initié la recherche sur le phénomène de la zombification dès le début du XXème siècle, leur chance à l'époque d'identifier les molécules en cause par des moyens scientifiques était nulle. Dissuadés par l'instinct de conservation et aussi bien que par patriotisme, les Haïtiens ont longtemps résisté à la tentation de dévoiler l'un de leurs ultimes secrets aux occidentaux. Étant donné que rien ne saurait arrêter les progrès de la science, la communauté scientifique était assurée de découvrir un jour de par ses propres moyens ce qui se cache sous le vocable de zombie. Et, ce jour est advenu un demi-siècle après l'occupation américaine d'Haïti, quand monsieur Davis mit en évidence le rôle crucial d'une ichtyosarcotoxine et des alcaloïdes dans ce qui fut pendant longtemps une énigme juridico-scientifique. Si ce dernier s'est fait un point d'orgue de dévoiler le secret plusieurs fois séculaires du processus de zombification, il faut reconnaître que d'éminents chercheurs pour la plupart nobélisés lui ont indirectement mais, admirablement pavé la voie.

Sur la piste de Wade Davis...

Depuis l'intronisation, désormais historique, en été 2008, du premier Ati national, Max Beauvoir, également biologiste formé aux États-Unis d'Amérique, la zombification semble exercer un nouvel attrait sur les médias tant en Haïti qu'à l'étranger. Et, la personnalité du premier dignitaire du vaudou, aujourd'hui placée sous les feux des projecteurs, même si elle n'en est pas la cause principale, forte de son pouvoir suggestif, a joué un rôle décisif dans l'irruption de la zombification sur la scène médiatique.

En effet, Max Beauvoir, depuis sa rencontre avec l'anthropologue américain Wade Davis durant les années 80*, est associé au mystère des zombies. Cependant, depuis lors également, l'impression que ce champ d'investigation, dans une perspective biochimique, a été ratissé et mis à nu semble avoir conquis la communauté scientifique.

Pourtant, il ne fait aucun doute que dans un avenir plus ou moins éloigné certaines des substances neurotoxiques que l'on retrouve à l'origine de la zombification auront une application beaucoup plus noble et pacifique en médecine, et en astrophysique. Déjà, des études canadiennes confirment le pouvoir de cette ichtyosarcotoxine de combattre à faible dose l'addiction aux drogues dures. Mais, certains exobiologistes et astrophysiciens auraient signalé cette substance psychoactive comme le somnifère idéal, susceptible de mettre en mode hibernation l'équipage des vaisseaux interplanétaires, voire intergalactiques qui permettra un jour aux hommes de jouer au bonhomme de Langevin et à Christophe Colomb en costume de Jedi. Mais, ce ne sont pas ces enjeux-là, plus proches de la science fiction que les préoccupations plus immédiates et plus prosaïques du peuple haïtien, qui font que les zombies connaissent un regain d'intérêt. Deux autres raisons expliquent avec pertinence l'irruption de la zombification dans les médias au seuil du troisième millénaire. Le sentiment d'abandon ressenti par la paysannerie.

Pendant quatorze longues années, de 1957 à 1971, pour pérenniser sa mainmise sur le pouvoir, le docteur François Duvalier, machiavélique stratège politique et ethnologue avisé, avait utilisé tous les instruments qu'il avait à sa disposition pour neutraliser ses opposants. Grâce à une milice absolument dévouée à sa personne déployée dans les villes comme dans les profondeurs de la campagne, Papa Doc avait le contrôle total du territoire national, tandis que la périodicité de ses rencontres, au palais présidentiel notamment, avec de soi disant sorciers à la réputation surfaite, achevait de convaincre ses plus irréductibles ennemis de l'intérieur, qu'il pouvait accaparer ce qu'ils avaient de plus précieux, leur âme. Les sorciers étaient devenus les éléments clés de la structure répressive du régime macoute. Ils avaient peu ou prou la maitrise des dispositifs permettant de faire une utilisation efficace de l'arme absolue du paysan haïtien: la zombification. Et celle-ci était devenue une arme politique terrifiante entre les mains du chef des tontons macoutes. C'est ce qui explique partiellement que l'initiative de la recherche scientifique sur ce phénomène allait venir d'ailleurs. La séquestration, lors des ses obsèques mêmes, du cadavre de l'un de ses challengers aux élections présidentielles de 1957, Clément Jumelle, a été orchestrée pour convaincre le dernier carré des sceptiques que Duvalier avait scellé un véritable pacte avec le Diable. Enfin, le mystère qui entoura la mort et les funérailles de Duvalier père le 25 avril 1971 était une manière pour le clan au pouvoir de signifier à tous qu'il n'y avait pas lieu de s'attendre à une rupture avec les pratiques établies par le dictateur défunt. Et, naturellement, l'imaginaire collectif particulièrement fertile en Haïti a fait le reste.

La seconde partie de la saga duvaliériste allait durer 15 ans. Dès sa prise de fonction en 1971, Jean-Claude, unique fils légitime de François Duvalier et, dauphin officiellement désigné de surcroît, s'évertua durant toute sa présidence à sauvegarder les épouvantails légués par son père. Durant la deuxième moitié des années 1980, les alliés américains, jugeant désormais imminente et irréversible la fin de l'Union soviétique, renièrent à travers les continents les régimes autoritaires d'importance stratégique modeste dont ils avaient contribué au long maintien au pouvoir et provoquèrent par ce biais leur départ précipité. D'Haïti aux Philippines, les peuples se dressèrent contre leurs bourreaux et les forcèrent à partir. Ainsi, dans son rejet hargneux du duvaliérisme et de ses pratiques, le jour même du départ de Baby doc, le 7 février 1986, la populace en furie ratissa tous les endroits qui étaient suspectés d'être des lieux de séquestration de zombies, et les individus accusés d'être des sorciers furent décapités ou livrés au supplice de l'autodafé. Dans l'euphorie suscitée par la chute de Jean-Claude Duvalier aux quatre coins du monde, la presse internationale de manqua pas de titrer à la une qu'Haïti était libérée. Libérée des tontons macoutes, libérée de la dictature et libérée surtout de l'emprise des ténèbres. Le film de Wes Craven, extrait romancé de la recherche de Wade Davis libellé en anglais: «He serpent and the rainbow», est en ce sens très proche de cette perception de la réalité. Son affiche française est d'ailleurs titrée: «Emprise des ténèbres».

L'autre face du miroir magique

La zombification par son double caractère répressif et dissuasif doit être perçue comme un instrument de régulation des rapports de crise entre les individus .Elle est relative à un nombre très restreint d'actes délictueux et immuables au regard des coutumes haïtiennes. Elle est utilisée dans des situations bien spécifiques pour punir et prévenir en particulier la déloyauté, surtout dans les conflits de nature domestique. C'est-à-dire, entre membres d'une même famille, d'un même clan. Entre partenaires et concurrents. Coucher avec la femme de son patron, de son frère ou de son meilleur ami n'est pas un délit par rapport à la loi. Accaparer les meilleurs morceaux d'un héritage auquel on a droit au même titre que ses cohéritiers n'est pas une faute juridique. Pourtant, ceux qui transgressent ces tabous, entre autres, s'exposent au plus repoussant des châtiments: la zombification. Comme les mobiles qui servent de trame à ce type de délits, la sanction a une double portée: psychologique et sociale. Elle est psychologique par la hantise d'être pour un soir l'invité spécial de Baron Samedi, le maitre absolu du cimetière, et sociale par l'exclusion à perpétuité de toute réalité institutionnelle qui naturellement en découle.

Or, si on en parle beaucoup dans les villes, la zombification est par essence un phénomène rural. Le citadin est, en Haïti, moins circonspect que le paysan qui s'accommode plus facilement de la loi du silence auquel le duvaliérisme l'a habitué. L'irruption nouvelle du phénomène dans l'espace médiatique est en grande partie due au fait qu'un quart de siècle après le déchouquage des Duvalier les paysans haïtiens sont déçus de ne pas être pris en charge par les pouvoirs publics.

Il ne fait aucun doute que Gérard Barthélemy eut été d'un avis contraire. Son approche du milieu rural haïtien est sans appel: si les institutions publiques font défaut dans le Pays en dehors, «la cause est imputable à un égalitarisme primitif endogène à l'espace rural haïtien qui tente d'ignorer le pouvoir mis en place par l'autre culture dont l'exercice dans ce milieu n'aurait surement pas garanti la pratique de cet égalitarisme». Ayant souscrit un peu trop vite à la thèse de Pierre Clastres, ethnologue chez les Yanomanis, sur le refus d'accumulation de pouvoir sous forme d'Etat dans certaines sociétés, Barthélemy a conclu que: «la culture paysanne semble avoir mis en place un système autorégulé, sans État, sans institutionnalisation du pouvoir» . Il aurait fallu n'avoir jamais lu l'excellent ouvrage de Kethly Millet sur la situation socioéconomique des paysans avant et pendant l'occupation américaine de 1915 pour trouver une juste corrélation entre les Yanomanis et les paysans haïtiens. Les renseignements de Madame Millet ont apporté un éclairage précieux sur les rapports qu'entretenaient les pouvoirs publics avec la paysannerie, de la signature du traité de reconnaissance de la dette dite de l'Indépendance entre Charles X et Boyer jusqu'à l'arrivée de la force d'occupation étrangère en 1915.

Dans l'espace rural, à la veille de cette occupation, l'État ne fit que prélever des taxes et réprimer l'oisiveté. La pratique est connue des historiens classiques sous le nom de caporalisme agraire. Ce ne sont pas les paysans qui ont rejeté l'État, C'est l'inverse qui a été décidé. Donc, les origines du nivellement obsessionnel auquel est contrainte la gent rurale doivent être recherchées ailleurs.

Cependant l'idée de la zombification comme instrument régulateur de crise entre les individus aurait convaincu monsieur Barthélemy. N'a-t-il pas affirmé que face à toute forme d'agression ou d'empiètement réel ou imaginaire le moyen de défense du paysan haïtien est la sorcellerie?

Dès lors, il devient parfaitement compréhensible que globalement la sorcellerie puisse être utilisée dans la poursuite de buts politiques. Aujourd'hui, la zombification semble se trouver sur le point d'être récupérée comme instrument de revendication par la paysannerie, interlocuteur politique méconnu et sans cesse infantilisé, pour faire la démonstration de sa crédibilité et de sa puissance comme acteur politique compétent. Cette paysannerie a appris à regarder dans l'autre face du miroir...magique. La posture n'est pas nouvelle car, au crépuscule du pouvoir macoute certains «bòkò» de l'Artibonite ont prétendu avoir envouté des régiments entiers de ses sbires en bleu denim.

Depuis la chute de Duvalier en 1986, les gouvernements qui se sont succédés au pouvoir ont annoncé à grands frais de publicité et sur tous les tons l'imminence de la valorisation de l'espace rural haïtien. Près de 25 ans plus tard, l'attente des paysans s'est révélée vaine. La volonté politique de transformer l'espace rural en y implantant des institutions d'émancipation sociale et économique n'est pas évidente. La mentalité du paysan haïtien est demeurée inchangée. Aucune institution nouvelle n'est venue le sortir de son immobilisme, bouleverser sa routine. Dans les situations conflictuelles, le paysan haïtien est vindicatif jusqu'à la moelle. Pour cause, sa victoire doit être totale. Il doit vaincre son ennemi à l'intérieur comme à l'extérieur; dans son âme et dans son rapport au monde. Mais paradoxalement, l'ennemi doit être le spectateur privilégié de sa propre déchéance.

Contrairement à un condamné à mort dont la sentence est exécutée en public, ceux qui assistent à l'enterrement d'un candidat à la zombification ne savent pas que l'occupant du cercueil est vivant. Mais, lui, le «macchabé» le sait. La zombification, comme instrument de vengeance, est scrupuleusement conforme à l'architecture de la pensée paysanne haïtienne. Duvalier l'avait parfaitement bien compris. Est-ce pourquoi, bien entendu, qu'il ne tenait surement pas à ce que le secret de la zombification soit percé.

Le processus de zombification

Une ichtyosarcotoxine, plus précisément la tétrodotoxine dans le contexte haïtien, partage avec d'autres substances psychoactives le pouvoir de la zombification. La tétrodotoxine est une toxine que l'on trouve dans des espèces bien particulières de poissons. Mais, le foie et les ovaires de l'animal sont les organes qui renferment la plus forte densité de cette toxine. Ils représentent les 90% de sa concentration dans le poisson hôte.

Ce poisson, dans la région des Cayes, les pêcheurs l'appellent «crapaud de mer». Celui-ci est en réalité le Tétrodon du genre tétraodontidé. Il ne dispose pas de cuirasse, sa peau n'est pas écailleuse, mais bordée de plaques osseuses, souvent piquées d'épines. Son intestin comporte de nombreux sacs qu'il peut remplir d'eau ou d'air et qui lui permet de se gonfler démesurément comme un gros ballon. Si son milieu naturel est relativement bien connu, on ignore à cette date l'élément de sa chaine alimentaire qu'il synthétise sous la forme de la tétrodotoxine. Les ichtyologistes sont perplexes quant à l'utilisation dont font les poissons-globes de leur dangereux poison. Ils sont presque surs qu'ils ne s'en servent pas pour se défendre. Selon le professeur Tamao Noguchi de l'Université de Nagasaki, après un certain temps passé en aquarium, la chair du tétrodon perd sa toxicité.

La fabrication de la poudre à zombie se fait avec beaucoup de soins. Après l'éviscération de l'animal, on fait sécher les organes clés, puis on les pulvérise par broyage au mortier en une poudre fine. Le «bòkò» se protège de l'inhalation ou de l'ingestion accidentelle des particules en se masquant le nez et la bouche durant l'opération. Cependant, pour s'assurer du secret de la fabrication de la fameuse substance, le «bòkò» fait du détournement d'attention par ajout d'autres intrants insolites comme par exemple de la poudre d'os humain.

Pour «tuer» la victime, on saupoudre sa nourriture de tétrodotoxine, parfois avec la complicité d'un domestique de sa propre résidence. Une fois cette nourriture ingérée, au bout de quelques heures, la victime entre dans un profond coma, son corps se paralyse et les extrémités de ses membres deviennent froides, les battements de son coeur ne sont plus directement perceptibles. Pris de panique, les membres de son entourage placent en sécurité les objets précieux de la maison, recouvrent le corps inanimé d'un drap blanc et poussent le fameux «rèl» pour informer le voisinage du décès de la personne. Rapidement les formalités pour son inhumation sont réglées, et dans moins de 24 heures ce seront les funérailles. Pour accélérer les démarches relatives aux obsèques, un complice du «bòkò» répand à proximité de la maison du «défunt» un liquide à l'odeur putride pour faire croire que le «mort» commence à putréfier et qu'il faut agir très vite. Ce liquide putride provient carrément d'un vrai trépassé enterré depuis plus d'une semaine. La nuit qui suit les funérailles du zombie en sursis, le «bòkò» et son équipe exhument le corps, le réveillent et l'affaiblissent par de violents coups. Ensuite, ils le drapent dans un linceul blanc, après lui avoir soigneusement menotté les poignets et ligoté les pouces.

Si la tétrodotoxine est utilisée pour provoquer l'état de mort apparente de la victime, des alcaloïdes, extraits du datura stramonium, sont utilisés pour provoquer l'effacement de sa personnalité, et naturellement sa soumission à des tiers. Le Datura est connu pour être le plus toxique des solanacées. De puissants alcaloïdes comme la hyoscamine, la scopolamine, l'atropine sont contenues en quantité extraordinaire dans le Datura. Ingurgités, ces alcaloïdes provoquent les symptômes suivants: perte de repères spatio-temporels, amnésie, hallucinations cauchemardesques visuelles et auditives. La victime du Datura ne reconnait plus ses proches et semble vouloir toujours attraper des objets imaginaires. Enfin, ses pupilles sont dilatées et n'arrivent plus à se contracter à la lumière. Certaines scènes du film de Wes Craven ont montré avec un réalisme poignant les effets dévastateurs de l'usage du Datura.

Durant le trajet qui le conduira à une case aux zombies, le revenant sera contraint d'ingurgiter des doses spécifiques d'infusions du Datura qu'on appelle communément en Haïti «concombre zombie». Il arrive cependant, qu'une surdose du breuvage tue pour de bon le zombie. Pourtant, les alcaloïdes du Datura ne sont pas tous létaux à la même dose. Ils sont répartis de manière aléatoire dans les diverses parties de la plante. La hyoscamine et la scopolamine sont fortement concentrées dans ses tiges, tandis que l'atropine est surtout présente dans ses graines. Aussi, certaines infusions sont faites avec les tiges tandis que d'autres sont faites avec les racines, les graines ou même les feuilles du Datura. La moindre négligence dans la préparation des breuvages peut causer la mort réelle du zombie. Ce sont ces substances psychoactives, dans le contexte haïtien, qui sont responsables du processus de zombification.

La soumission chimique, maillon faible de la justice haïtienne. Il ne fait aucun doute que l'appui apporté, depuis l'été 2004, par la Mission des Nations-unies à la Police nationale d'Haïti a joué un rôle de premier plan dans la lutte de celle-ci, relativement efficace selon les statistiques comparatives échelonnées sur plusieurs périodes, contre la criminalité urbaine. Après quelques instants d'hésitation, les tribunaux affichent eux aussi leur dureté face aux criminels. L'étau se resserre peu à peu autour des malfaiteurs ordinaires. Des affaires qui traînaient en longueur finissent par être éclaircies. Les enquêtes sont conclues, et des suspects sont appréhendés et jugés.

Mais, les affaires traitées dans l'enceinte des tribunaux n'ont nullement été entourées de mystère. Mystère entendu au sens métaphysique du terme notamment. (Les crimes les plus courants en Haïti, en dehors des vols, cambriolages et le kidnapping sont des meurtres par armes à feu, armes blanches, objets contondants, autodafé, strangulation ou empoisonnement classique). Le paysan en tant qu'acteur social n'est pas moins compétent que le citadin, il sait mesurer les risques encourus par un criminel dont l'arme du crime est facilement reconnaissable.

Alfred Métraux, fin connaisseur du paysan haïtien, n'a-t-il pas affirmé que celui-ci raconte à qui veut l'entendre: «que mieux vaut envoûter quelqu'un que le poignarder.» Or, pour le commun des mortels, la zombification est bel et bien un phénomène surnaturel. Les phénomènes qualifiés comme tels se manifestent bien évidemment en milieu rural que dans les villes et ce, dans tous les pays du monde. Et puisque aucune mesure de nature institutionnelle ne saurait corriger les désastres engendrés par des forces occultes, les législateurs et les gouvernants d'Haïti, dans leur refus d'émanciper les masses paysannes tout au long de son histoire, profitent pleinement de ce postulat pour feindre d'ignorer le problème des zombies.

Récemment une brigade de police scientifique a été créée non sans de notables malformations congénitales. Ses carences aiguës et chroniques en médecins légistes, de techniciens de laboratoire d'un niveau comparable à celui de leurs collègues occidentaux, et de matériel analytique de pointe traduisent aujourd'hui encore l'impossibilité pour la justice haïtienne de s'attaquer avec efficacité aux crimes par soumission chimique. La faiblesse structurelle de la police haïtienne combinée au manque de confiance manifesté par tous à l'endroit du système judiciaire justifie certainement le retour en force de la pratique de la zombification tant dans les campagnes que dans les villes ruralisées par les flux migratoires et le déclin institutionnel.

Les principaux symptômes de l'intoxication par tétrodotoxine

Dans leur étude des pathologies du système nerveux central et périphérique S. Sally et R. Garnier de l'Hôpital Fernand Widal à Paris ont formellement démontré que l'exposition du système nerveux humain à la tétrodotoxine, xénobiotique psychoactive, provoque chez la victime, de manière évidente, la manifestation de nombreux signes susceptibles d'induire le diagnostic de mort apparente. Les observations faites au Fernand Widal ont permis de répertorier les signes suivants: paresthésies, paralysie, distorsions sensorielles et bradycardies. Mais les études japonaises ajoutent à cette panoplie: le blocage du système respiratoire ou plus précisément une apnée de longue durée due à la bradycardie, le coma et la raideur cutanée. La tétrodotoxine inhibe à la fois les neurones sensitifs et effecteurs.

Les effets de l'intoxication par tétrodotoxine sont à la fois morbides et spectaculaires. L'état de mort apparente est surtout causé par le coma, la raideur cutanée et l'hypothermie. Le coma est un état d'inconscience au cours duquel un malade ne répond plus aux stimuli extérieurs. Dans les comas très profonds, la respiration naturelle ne se fait plus.

D'une manière générale, la paresthésie est un trouble de la sensibilité. Dans le cas d'espèce qui nous préoccupe, elle s'observe tout autour de la bouche et à l'extrémité des doigts et des orteils. Sous l'effet de la tétrodotoxine, la peau, le plus vaste organe du corps humain, parcourue par des terminaisons nerveuses, perd son élasticité, sa sensibilité et se raidit. Son raidissement se transmet à l'ensemble du corps, plus particulièrement aux membres supérieurs qu'elle recouvre et qui se contractent. La contraction des ramifications du nerf facial empêche aux lèvres de se mouvoir et les fige dans un rictus qui évoque le masque mortuaire.

Le ralentissement excessif du flux sanguin inhérent à la raideur cutanée entraine une réaction hypothermique du tissu épithélial. Le corps de la victime se glace. C'est la paralysie générale. Le coeur bat normalement à une fréquence comprise entre 60 et 100 battements par minute. On parle de bradycardie quand le nombre de contractions cardiaques est inférieur à 50-60 par minute. Une bradycardie peut être aussi bien physiologique que pathologique. Au cours de la journée, il y a de grandes variations de la fréquence cardiaque. La fréquence la plus basse étant présente au cours du sommeil. La détection d'une bradycardie ne se fait que par électrocardiogramme. Celle-ci peut être due à une dysfonction intrinsèque du noeud sinusal, du système de conduction ou à des facteurs extérieurs. La bradycardie renforce la dyspnée que l'on observe généralement chez la victime de la tétrodotoxine. De l'avis du docteur Dresse F. Seydtaghia, parmi les causes extrinsèques de bradycardie, les atteintes neurologiques sont indexées. Il est clair que l'observation simultanée de tous ces symptômes chez un même patient conduit inévitablement à déclarer sa mort clinique. Seule l'utilisation d'un matériel analytique de pointe peut prouver le contraire.

Spectrométrie de masse, chromatographie et électro-encéphalographie

La spectrométrie de masse permet de transformer des molécules dans leur état naturel en ions à l'état gazeux et d'obtenir leur masse moléculaire en analysant leur rapport de masse/charge. L'analyse spectrométrique de masse est fondée sur le nombre d'électrons propre à chaque élément du tableau périodique. La spectrométrie de masse a été découverte en 1897 par Joseph John Thomson de l'Université de Cambridge.

Cependant, le professeur Pascal Kintz, notoriété mondiale en toxicologie médico-légale de l'Institut de médecine légale de Strasbourg, recommande formellement l'association, en raison de la volatilité de certaines substances, de la spectrométrie de masse et de la chromatographie en phase liquide et gazeuse dans toute investigation dont l'hypothèse met en cause l'utilisation de toxines psychoactives. L'analyse spectrographique et chromatographique couplée est nécessaire à l'identification des substances psychoactives contenues dans les prélèvements sanguins et urinaires du sujet. La chromatographie a été mise au point dès 1941 et a valu à ses auteurs Archer John Porter Martin et Richard Laurence Millington Synge, le prix Nobel de chimie de 1950.

L'application de la spectrométrie de masse dans les études des macro-biomolécules repose en grande partie sur la découverte en 1980 de nouveaux modes d'ionisation des molécules polaires et labiles. Cette avancée a permis, cinq ans plus tard, à monsieur Davis d'identifier les substances incriminées.

Dans les cas suspects où l'observation directe ne permet pas de conclure à la mort clinique du patient, l'utilisation de l'électrocardiogramme doit être requise pour éviter d'envoyer à la morgue un être vivant. Seule un électrocardiogramme peut confirmer ou infirmer une bradycardie. Carlo Matteucci (1842), John Burden Sanderson ,Frederick Page (1878), Augustus D. Waller contribuèrent tous à l'invention de l'électrocardiographie. Willem Einthoven utilise le galvanomètre à cordes en 1901 et publie les premières classifications d'électrocardiogrammes pathologiques en 1906. Il obtiendra en 1924 un prix Nobel pour ses travaux sur l'électrocardiographie.

Par contre, la prise en charge de celui qui a ingurgité les alcaloïdes extraits du Datura stramonium nécessite l'utilisation de l'électro-encéphalogramme. Celui-ci est utilisé en neurologie pour établir certains diagnostics mais aussi en neurosciences cognitives afin de mieux connaître le cerveau. Un tracé EEG permet en effet d'identifier ou de caractériser des états psychologiques en neurosciences fondamentales, ou des états pathologiques en neurologie. Il permet aussi d'étudier les troubles du sommeil et les troubles de la conscience et de la vigilance tels: coma, volonté. Le physiologiste allemand Hans Berger inventa l'électroencéphalogramme et l'employa à étudier l'activité électrique du cerveau dans les années 1920 et fut le premier également à amplifier le signal obtenu. Pour avoir repris et complété les travaux de Berger sur l'électroencéphalogramme, Edgar Adrian obtint le Prix Nobel de physiologie en 1932.

Dans les méandres du cerveau

Logé dans la boite crânienne, le cerveau humain est d'une architecture complexe. C'est le cerveau qui interprète toutes les informations sur le monde extérieur, et c'est vers lui que convergent toutes celles concernant notre organisme pour y être traitées.

Le cerveau est responsable de la conscience, de la pensée, de la mémoire et du contrôle de toutes les fonctions de l'organisme. Principal chef-d'oeuvre de l'évolution, le cerveau est le siège de nos instances psychiques. Pourtant, il représente à peine 2% de la masse corporelle d'un homme. Son poids se situe aux environs de 1,4 kg. Son histologie, depuis les travaux de Ramon y Cajal, montre qu'il est constitué de deux types de cellules spécialisées, les neurones et les gliales qui sont ses unités de fonctionnement. Ces dernières nourrissent les premières, les neurones qui sont au nombre de cinq milliards. Le système cérébral est un réseau complexe au sein duquel les différents neurones sont reliés et communiquent entre eux. Cette communication se fait sous la forme d'influx nerveux (ou potentiel d'action), qui sont des signaux de type électrique. La transmission de l'influx nerveux correspond au déplacement d'un signal électrique le long de la membrane du neurone, qui est dite excitable: elle se traduit par ce qu'on appelle une dépolarisation de la membrane (en fait, une inversion de sa polarité). Cette dépolarisation est liée aux mouvements d'ions sodium et potassium au travers de canaux membranaires qui s'ouvrent en réponse à l'arrivée d'un influx nerveux (ces canaux sont dits voltage-dépendants). Elle se propage de proche en proche sur la membrane du neurone, et tout le long de l'axone. Dans les neurones myélinisés, l'influx nerveux ne se propage pas de façon linéaire le long de l'axone: la myéline étant un très bon isolant électrique, l'influx nerveux «saute» d'un noeud de Ranvier à l'autre. Selon les neurologues de l'Hôpital Fernand Widal, la tétrodotoxine, qui est un puissant neurotoxique, a le pouvoir de modifier les paramètres de la transmission axonale en bloquant l'ouverture des canaux membranaires des neurones favorables aux ions sodium dont les fonctions essentielles sont neutralisées.

L'axone se ramifie à son extrémité en une arborisation terminale, dont chaque rameau s'achève par un renflement, le bouton synaptique, au contact de la cellule réceptrice. Le signal électrique (l'information) qui se déplace sur la membrane de l'axone ou par voie de conduite saltatoire doit nécessairement aboutir à la terminaison synaptique qui le transmettra à une autre cellule. Cette terminaison contient des sacs chargés d'un neurotransmetteur dont la nature varie en fonction de la cellule nerveuse. Les terminaisons synaptiques chargées de neurotransmetteurs sympathiques au sodium sont les plus intéressantes au regard de notre approche.

Or, la tétrodotoxine ingérée se répand dans les milliards de vésicules synaptiques des neurones du néocortex cérébral, et gène l'action du neurotransmetteur propice à l'ouverture des canaux aux cations sodium. Ceux-ci sont diffusés dans les neurones par l'intermédiaire des enzymes transmembranaires qui utilisent l'énergie ATP et ADP. L'activité de ces enzymes conduit à une distribution inégale des concentrations des ions Na+ et K+ à travers la membrane plasmique, créant ainsi un gradient électrochimique. Pour chaque molécule d'ATP hydrolysée, l'ATPase rejette 3 ions Na+ et fait entrer 2 ions K+. En fait, l'influx nerveux se propage d'une cellule à l'autre grâce aux mouvements des ions Na+ et K+ qui entrent et sortent des neurones. Cependant, quand se produit la fermeture des canaux d'ions sodium, les canaux d'ions potassium eux-mêmes continuent de s'entre-ouvrir pour libérer un excédant d'ions K+. Chez le sujet qui aura ingurgité de la tétrodotoxine, rien ne viendra compenser la diminution de la charge intra neuronale provoquée part le flux migratoire d'ions potassium; l'équilibre électrique du cerveau sera rompu et l'influx nerveux inhibé. En l'absence de tout influx nerveux le corps réagit comme étant virtuellement mort.

Conclusion

Ainsi, il se pourrait que le fameux Lazare et la jeune fille des Evangiles qui furent «ramenés à la vie» aient été victimes d'une intoxication due à une ichtyosarcotoxine. Jésus appartenait à une communauté de pêcheurs. Il parait admissible que ses amis aient mangé de façon accidentelle des fruits de mer contenant des toxines. L'intoxication par tétrodotoxine est fonctionnelle et non lésionnelle, et c'est en cela qu'elle est réversible. Les miraculés pourraient s'être réveillés tout seuls en raison de la réversibilité prouvée de ce type d'intoxication, selon les observations faites à l'hôpital Fernand Widal. On peut toujours soutenir que la faune marine méditerranéenne ou celle du lac Tibériade sont bien différentes de la faune marine tropicale. Mais, s'il est admis que le tétrodon est une espèce essentiellement tropicale5, il est également vrai qu'il n'est pas la seule créature aquatique à synthétiser la tétrodotoxine. Le poulpe à anneaux bleus de l'espèce Hapalochlaena lunulata, la produit également. Enfin, des données épidémiologies plus ou moins récentes analysées par les spécialistes de l'Institut Pasteur de Madagascar4 montrent que la consommation de requin, de l'espèce Carcharinus amboinensis, putréfié provoque également à peu près les mêmes symptômes que la tétrodotoxine.

Hormis ces cas légendaires, la complexité de la zombification permet de comprendre qu'il y a beaucoup moins de zombies que ce qu'on y pense. En règle générale, ce sont les cas de mort subite qui deviennent suspects. En effet, il y aurait beaucoup moins de morts subites si les haïtiens disposaient d'une meilleure couverture sanitaire et surtout, s'ils se faisaient ausculter plus souvent. Mais, au regard de la complexité du processus, on peut facilement imaginer que seul un très petit nombre de ces cas peuvent correspondre à la zombification. Par ailleurs, les erreurs de jugements relatives à la zombification viennent du fait que les haïtiens ne sont pas très physionomistes. Aux lendemains des funérailles de quelqu'un ayant rendu l'âme de façon subite, il y aura toujours un quidam pour affirmer avec force de détails avoir vu le «mort-vivant» dans une camionnette en partance pour tel ou tel endroit connu pour être un bastion de sociétés secrètes actives. Les Barradères, par exemple pour le Sud et les Nippes. Dans plus de 99% des cas, il y a erreur sur la personne, même quand l'observateur est de bonne foi. Mais, heureusement les haïtiens n'ont pas le monopole des erreurs de jugements. Ont circulé récemment sur le net de prétendus portraits, en costume d'époque, de l'acteur américain Nicolas Cage et celui de John Travolta. La particularité de ces troublants portraits, c'est qu'ils sont incroyablement ressemblants aux célèbres acteurs et qu'ils ont été pris vers 1860. Les entêtés ont prétendu que Nicolas Cage et John Travolta sont tous deux des vampires. Car, ceux-ci, selon une croyance populaire, renouvellent tous les quatre-vingt ans leurs tissus organiques pour rajeunir. Une expertise sérieuse des pièces a démontré sans ambages qu'il s'agit de portraits de sosies. Les vampires sont des personnages fantastiques. En Haïti, ces messieurs auraient été confrontés à la loi du juge Lynch. Car, viendrait-il à l'idée d'un haïtien de voir en pleine action un sosie et non un prétendu mort?

Comme nous l'avons méticuleusement démontré, la tétrodotoxine seule ne provoque pas la zombification. Le pouvoir de la tétrodotoxine est connu dans d'autres contrées, de même que celui du Datura. Mais leur association dans un seul et même but est spécifique à la panoplie criminelle haïtienne. Cette relation nous laisse aujourd'hui encore perplexe. Combien de temps ont mis les «bokors» pour parvenir à la maitrise et l'association de ces dangereuses molécules dans l'exécution d'un dessein unique? Comment des gens qualifiés généralement d'incultes ont-ils pu aboutir à des résultats aussi rationnels que ce se fait de mieux dans les plus grandes universités du Monde? Les sciences cognitives et la sociologie de la connaissance ont leur mot à dire sur la question. Mais, c'est toute l'Université en tant que matrice de production de savoirs scientifiques qui doit s'emparer de la zombification en tant que thème spécifique de recherche. Différents instituts de recherches scientifiques d'Europe et d'Amérique reconnaissent, en dépit de la faiblesse de la couverture forestière d'Haïti, que la biodiversité de ce pays est l'une des plus exceptionnelles au monde. Le Centre National de la Recherche Scientifique français, les universités de Strasbourg et de Floride, et le groupe caribéen TRAMIL tentent périodiquement depuis de très nombreuses années de dresser un inventaire exhaustif des ressources végétales et animales du pays. Certains agronomes et herboristes haïtiens, parfois à compte d'auteur, se sont mis également de la partie. Mais, ces études semblent exonérer les institutions nationales de leur responsabilité de contribuer à la connaissance et la sauvegarde du patrimoine naturel haïtien. Des révélations faites par des universitaires étrangers autour de la grande disponibilité de tout un éventail de toxines d'une rare violence dans le pays auraient dû inciter le gouvernement haïtien à créer un institut de toxicologie. Il y a seulement deux ans, des chercheurs de l'Université de Floride ont compris que l'unique mammifère venimeux du Monde est endémique à Haïti. Il s'agit du Solenodon paradoxus, communément appelé «nen long», observable dans le parc Macaya. Mais, nul ne sait la place qu'occupe l'utilisation de son venin dans l'ethno-savoir haïtien. Il se pourrait que son utilisation endogène précède de très loin sa découverte par les occidentaux. Beaucoup de paysans haïtiens ont une connaissance très fine des plantes et herbes du terroir. Mais, c'est aux universités haïtiennes que revient la légitimité de dresser le tableau exhaustif des molécules contenues dans les centaines d'espèces végétales dont regorge le pays. C'est à elles aussi de découvrir la meilleure façon de les mettre au service de l'intérêt collectif national.

On ne peut éradiquer la zombification en faisant périr tous les tétrodons et détruire tous les plants de Datura ou les plus dangereuses variétés d'anoures du Globe. Nous avons besoin de bien les connaitre et non de provoquer leur extinction. La médecine du futur dépend très certainement pour beaucoup de la pérennisation de ces espèces. La réponse à cette problématique doit être de nature institutionnelle. La meilleure façon d'attaquer le problème est de réformer l'institution judiciaire haïtienne. Les organisations de droits humains, de façon sporadique, dénoncent l'absence notoire de tribunaux de paix dans l'espace rural profond haïtien d'une part, et de l'autre part, le degré de corruption avancé des tribunaux existants, désarticulés par l'incompétence et le manque de ressources dans l'ensemble du pays. Le seul moyen d'empêcher à la population de pratiquer une justice privée est de rendre crédibles les leviers institutionnels de justice.

De plus, il convient de donner à la police scientifique les moyens d'être présente et efficace dans tout le pays, et de mettre en place un service de renseignements moderne pour contrecarrer les menées criminelles des sociétés secrètes. Elles font partie de notre réalité. L'anthropologue italien Mario Brolesco a rencontré certains de leurs membres durant son passage en Haïti au début du 20e siècle. Ces organisations criminelles ont essaimé depuis des siècles dans tout le pays. Substituts de fait du pouvoir judiciaire républicain, ils sont organisés à la manière des structures paramilitaires. Elles utilisaient des laisser-passer au timbre des Forces Armées d'Haïti au temps de l'enquête de Brolesco. Leur mode opératoire est inspiré des pratiques militaires ayant cours dans le pays. Cependant, leurs armes ne sont pas seulement matérielles mais également psychologique. Elles savent inspirer la peur mieux qu'aucune autre force sociale. Ce sont ces organisations criminelles et leurs complices qu'il convient de neutraliser. Il est clair que certains employés des pompes funèbres deviennent par cupidité ou par instinct de conservation les complices des sociétés secrètes. Ils sont souvent accusés d'achever de faire «mourir» des zombies en sursis dans les morgues. Des parents de défunt se plaignent, parfois avec une pieuse conviction, qu'après avoir confié un cadavre en «bon état» aux pompes funèbres le jour de ses funérailles, à leur grande déception et un étonnement non moins grand, on leur a retourné leur mort, mais avec le visage littéralement cabossé et tuméfié... En règle générale aucune information judiciaire ne s'ouvre sur ce genre de situation. Par peur de représailles ou par ignorance, les autorités judiciaires accordent peu de foi aux plaintes des parents des victimes qui, assez souvent, pour assouvir leur soif de justice ou pour se protéger d'un second envoutement dans la famille s'en remettent par défaut à Dieu à travers une conversion calculée au protestantisme.

Ce serait une erreur pour les pouvoirs publics que d'abandonner ce terrain aux églises. Elles retourneront la situation en leur faveur sans pour autant combattre le mal. Elles n'ont ni les moyens ni le besoin de prendre part à une telle croisade. La pérennisation du mythe du sorcier qui manipule des forces occultes pour faire du mal aux innocentes personnes leur convient parfaitement. Aux forces négatives, les églises traditionnelles opposeront les forces positives dont elles prétendent être le médium. On ne coupe pas la branche sur laquelle on est assis.

Frantz Alix Lubin

BLIOGRAPHIE

1. Courier international no 931

2. Le Nouvelliste no 37917, "La zombification est-elle encore un phénomène inexplicable".

3. Pr.S.Dally et dr. R.Garnier, Neurotoxicologie, (le système nerveux, neurones, axones, transport de protéines), Hôpital Fernand Widal, Paris.

4. Joël Vinh, avril 1999, Spectrométrie de masse, (fonctionnement, étalonnage), mémoire de thèse

5. G.Champetier, De Ribes et al., Intoxication par animaux marins vénéneux à Madagascar (ichtyosarcotoxisme et chelotoxisme) Données épidémiologiques récentes, (historique et symptômes).

6. Dresse F. Seydtaglia, Bradycardies, (pathologies cardiaques) Bulletin SMUR No du 30 octobre 2006.

7. Pascal Kintz, Toxicologie médico-légale, (méthode d'identification de la substance incriminée et les organes où se font les prélèvements à analyser) Institut de médecine de Strasbourg.

8. Marilisse Neptune Rouzier, 1998, Plantes médicinales d'Haïti, éd.Regain, Port-au-Prince.

9. Gérard Barthelemy, 1989, Le pays en dehors, 2e édition. CIDIHCA, Port-au-Prince.

10. Kethly Millet, 1978, Les paysans haïtiens et l'occupation américaine 1915-1930, Collectif paroles, Québec.

11. Stanislav Franck, 1973, Encyclopédie illustrée des poissons, Gründ , 4em éd. Paris.

12. A. Cooper, 1970, Les poissons, Col. Larousse poche couleurs, Paris.

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