Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

«J'ai changé, tout le monde peut changer»

Interview recueillie par Frantz Duval
Miami, le 1 avril 2006

Wyclef
Jean Wyclef. Son Site.

Grâce à son talent et à ses succès musicaux, Wyclef Jean est l'Haïtien le plus célèbre au monde. En visite très souvent en Haïti, il fait partie du paysage, mais c'est aux USA, à Miami plus précisément, que Le Nouvelliste et TICKET ont pu prendre toute la mesure du phénomène Wyclef, la superstar.

Dès qu’il rejoint l’équipe de TICKET, vers dix heures 15 du matin ce samedi premier avril, nous constatons que c’est avec une ferveur religieuse, beaucoup de respect et d’amour que des fans sortent de partout pour lui demander des autographes ou le droit de le prendre en photo ou, suprême honneur, de se faire photographier avec lui.

Dans sa voiture, alors qu’il se rend à un rendez-vous avec NBC, à Tap Tap Restaurant haut lieu de la cuisine haïtienne à Miami, on l’interpelle de toute part: «We love yo», «I love your songs», «Respect». Avec sérieux ou le sourire, Wyclef se prête au jeu. C’est son job de superstar d’être disponible.

Pendant que le photographe de Ticket, Paul Viala et moi attendons la fin de son interview avec la chaîne NBC, un des producteurs de l’émission nous aborde et nous interroge sur nos liens avec le chanteur des Fugees: vous êtes de ses amis? En fait, l’équipe de NBC nous envie de parler une langue inconnue avec Wyclef, notre bon vieux créole, qui leur est inaccessible.

Le temps de saluer des amis retrouvés à Tap Tap (Manno Charlemagne n’y était pas malheureusement), on reprend la route dans une caravane à plus d’un million de dollars composée de quatre voitures de rêve: deux Ferrari 360 Spider, une Bentley Azure et une Ford datant de 1925 que Wyclef conduit lui-même.

Sur l’autoroute 95, chaque conducteur qui arrive à hauteur de cette équipée fabuleuse ralentit, cherche à identifier qui fait si beau cortège et de nombreux admirateurs, reconnaissant Wyclef, actionnent leur avertisseur.

Cela klaxone sur le high way.

Des filles plus délurées sortent têtes et bustes de la portière d’une Mustang.

Bises et kisses volent.

Imperturbable, Wyclef répond, salue d’un signe de la main et continue de répondre à mes questions. Plus d’une heure d’interview se passe ainsi entre deux manœuvres pour contrôler la voiture ou pour en changer. Nous passons ainsi de la Ford à la Bentley plus confortable. Derrière, Viala mitraille depuis la Ferrari rouge et s’en donne à cœur joie.

Stop quelques minutes près de la zone industrielle de l’aéroport de Miami où Wyclef a repéré des hangars qui pourraient servir de studio pour la branche floridienne de Télémax. Un papi jamaïcain, qui reconnaît l’ami de Lauryn Hill, arrête le camion de transport qu’il conduit, revient vers nous à pied sur plus de 150 mètres, pour solliciter un autographe pour son petit fils. C’est vite et bien fait. Le périple peut reprendre.

A l’arrêt, dans un quartier défavorisé de Hialiea, un groupe de jeunes s’approche, salue à la manière des gangs avant que l’un d’eux réclame un numéro de téléphone pour rejoindre Wyclef. Clef s’exécute et promet d’ecouter la démo qu’il recevra sans doute, chez lui dans le New Jersey.

Partout, on sent dans les regards de ceux qui approchent Wyclef de l’admiration ou de l’amour pour tout ce qu’il représente dans la musique américaine. Cette immense popularité qu’il a décidé de mettre au service de son pays, je ne l’avais jamais imaginée aussi grande.

L’interview qui avait débuté sur les marches du Shelborne Hotel peut s’achever. Plus loin que les questions, ce samedi premier avril, j’ai entrevu la vie d’une vraie star dans un pays où on aime les artistes jusqu’à les tuer.

Frantz Duval

L’interview débute tout de go sur le perron de l’hôtel Shelborne à Miami Beach, le magnétophone a raté la première question, mais la partie de réponse enregistrée donne le ton d’une rencontre de plus de quatre heures entrecoupée périodiquement par les sollicitations des fans qui religieusement demandent un autographe ou le droit de faire photo.

«Si un homme n’a pas de quoi manger et ne peut pas envoyer ses enfants à l’école, s’il se promène avec une arme, s’il est sur le point de kidnapper sa prochaine victime, une chanson sur un CD, crois-le ou non, peut amener cette personne à changer d’avis. C’est le pouvoir qu’on a en tant que musicien. Penses-y une seconde», m’explique Wyclef.

«Quand ça chauffe à New York, ou en Californie avec les Crips, les Bloods, les Latins Kings, les plus grands gangs au monde, que crois-tu qu’ils font d’abord? Ils appellent les rappeurs. Ceux-ci se mettent ensemble et disent: «On va sur leur territoire, on va leur parler et essayer de faire une entente», poursuit la star qui revendique sa filiation avec tous les ghettos de la terre.

TICKET: Quand as-tu compris que si tu faisais de la musique pour les Haïtiens, tu devais leur envoyer un message? Quand as-tu compris que tu devais faire de la musique pour les Haïtiens en créole?

Wyclef Jean: A 13 ans.

A l’époque, mon père était pasteur. J’ai été élevé à l’Eglise du Nazaréen, c’est là que tout a commencé.

Tous les dimanches, je devais chanter une chanson pour la congrégation, mais le problème était que la congrégation ne parlait pas l’anglais, tout le monde y parlait créole.

Un dimanche, mon père qui travaillait toute la semaine à l’usine, m’a demandé ce que j’allais chanter.Je lui ai répondu que j’avais déjà chanté toutes les cantiques. Il m’a dit: «Vas, écris ta propre chanson».

Je lui ai demandé si c’était en français ou en créole. Il m’a répondu: «Tu dois le faire en créole. Les gens doivent comprendre ce que tu as à leur dire. Certains d’entre eux travaillent à l’usine, certains ont le cancer, tu dois leur donner le message qui les réconforte dans leur langue, en créole».

Depuis, je me suis dit que toutes les fois que je voudrais transmettre un message à mon peuple, ce devrait être en créole. Moïse a parlé à son peuple dans sa langue. Salomon a parlé aux siens dans leur langue. Il est important, quand tu donnes un message mis en musique, que cela soit fait dans la langue de la personne avec laquelle tu essaies de communiquer.

J’ai continué à chanter et à chanter en créole. J’ai des enregistrements, des albums produits quand j’avais 16-17 ans ...

Des chansons d’église?

Oui, des chansons d’église, mais empreintes de philosophie, porteuses de message. Des chansons avec des textes forts.

Quand tu écoutes du Bob Marley, ce sont aussi des chansons d’église. Je ne les appelle même pas ainsi. Je les appelle des chansons à texte.

Quand je chantais à l’église, mon père ne savait pas que je chantais ailleurs. Wyclef, chanteur de rap, est un grand secret que je lui cachais.

Je me cloîtrais dans des placards. Ma mère m’entendait parler à moi-même dans des monologues bizarres. Elle me demandait qu’es-ce que je fabriquais et me criait après. J’étais comme un enfant fou. Parce que le rap était considéré dans la communauté haïtienne comme de la musique pour les «Booms». Je cachais ce secret le plus loin possible de ma famille qui était versée dans les Evangiles et la Bible.

Pouvons-nous dire que «Creole 101» est l’aboutissement de ce que Wyclef a à dire en créole?

Oui parce que la langue, c’est la communication.

La musique de Shakira (Hips don’t lie), on va la faire en espagnol. Je vais la chanter en espagnol comme un vrai hispano. Faut parler avec le public visé, c’est important.

Malcolm X a dit que la race haïtienne est l’une des plus intelligentes. Il nous appelait «Juifs-Haïtiens». Parce que, selon lui, c’est le seul peuple qui peut s’adapter à n’importe quelle culture, n’importe quelle langue et rapidement.

Mais le créole est notre langue. Ma mère me disait toujours: «tu parles l’anglais comme tu veux, mais sitôt franchi le seuil de la porte, tu dois parler créole».

Un des derniers messages que Wyclef a donnés en créole est «Van vire». Qu’est-ce que cela signifie et pourquoi avoir donné ce titre à ta méringue carnavalesque à ce moment précis de la conjoncture? (N.D.L.R: A la veille des élections du 7 février 2006)

C’était personnel.

J’étais en Haïti au moment des bases «Cameroun», etc., de «l’Opération Bagdad». J’étais dans tous les ghettos et il m’a semblé que le peuple avait besoin d’une inspiration.

J’écoute beaucoup les aînés et je parle avec tout le monde… Même si je donne l’impression de tout faire, des fois, on m’arrête: «non, tu ne peux pas faire cela» et j’écoute.

Roro Nelson m’a appris que Sweet Micky avait, un jour sur Eastern Parkway, fait danser sur une musique «Van vire». Cela m’est revenu pendant que j’enregistrais la méringue. Je me suis demandé ce que cela voudrait dire en Haïti. Quand je dis Van Vire en Haïti, cela a un autre sens qu’à New York.

Van vire signifie que tous les mystères, tout ce qui est caché, tous les secrets seront connus du peuple quand le vent tournera.

Avec Van vire, je mets le peuple au courant que les choses changent.

Le vent souffle dans toutes les directions: il faut des écoles. Il faut des cantines populaires. Il ne doit plus avoir de kidnapping. Il faut la paix.

Pour que tout ceci arrive, le vent doit tourner. Fò van an vire!!!

Van vire c’est aussi un changement au niveau de la communication. Le président Préval doit livrer un discours toutes les 3 semaines pour parler à son peuple, lui faire savoir exactement ce qui se passe, lui dire où on en est.

Il faut que l’on communique l’un avec l’autre.

Si tu vis quelque part et que tu ne peux pas aller dans certaines zones, le vent n’a pas tourné pour toi.

Si tu habites en Haïti, si tu vis en Haïti, il ne doit pas avoir de moun anwo, moun anba.

Aujourd’hui, on peut comprendre Haïti comme un seul ghetto. Si tu ne peux pas aller dans certaines zones, tu es prisonnier.

Van Vire, ce n’est pas quelque chose qu’on doit dire seulement avec la bouche. Les Haïtiens aiment surtout parler. Fò van an vire!!!

Van vire, c’est une rupture? Est-ce cette philosophie que tu veux prôner?

J’ai grandi avec des enfants haïtiens aux USA qui n’avaient que des modèles américains. A l’école, on nous disait que les Haïtiens sentent mauvais et qu’ils ont le sida. Yo te toujou ap fè frekan avek nou.

Je m’étais dit comment faire pour répliquer à cela.

J’ai pris le terme «réfugiés», utilisé pour nous dénigrer, et je l’ai choisi pour nous désigner. J’ai pris un terme négatif pour le muter en un slogan positif. Sa a tou se yon van vire.

On a cru que j’étais fou. A l’époque, je n’avais encore vendu aucun CD. On m’a demandé comment j’allais faire. On m’a demandé autour de moi comment j’allais m’y prendre parce qu’aucun Haïtien n’avait vraiment réussi dans le business de la musique en revendiquant qu’il est Haïtien. Aucun Haïtien n’était passé sur une grande chaîne de télévision américaine en tant qu’Haïtien.

J’avais deux choix pour devenir un Haïtien célèbre: Prendre mon arme et commencer à tirer sur mes condisciples de classe qui m’ennuyaient pour faire respecter les Haïtiens. J’aurais passé toute ma vie en prison, mais je serais un héros pour les gens de la rue, c’était l’un des choix…

L’autre c’était de faire de la musique.

Wyclef parle tout le temps du ghetto. C’est à New York que tu as rencontré le ghetto, les gangs pour la première fois?

Je parle du ghetto sur l’album «Carnival» (1997) sur lequel je chante «Ki ayisyen ki mache New York san fizi».

A New York, j’avais été élevé dans un «project». Dans un ghetto à Brooklyn. Semblable aux ghettos en Haïti.

Mais mon ghetto avait débuté bien avant à «Lasè» à la Croix-des-Bouquets. Quand je me rendais à l’école sur un âne!

A Brooklyn, j’habitais un quartier appelé «Marlborough Project». Dans l’album «Carnival», je parle de tout ce que j’ai subi. Je ne cache jamais quoi que ce soit au public. Si quelqu’un veut parler de moi, dire des sottises, c’est son choix! J’ai tout dit de moi, tout chanter de ma vie.

On peut écouter «24 è d tan», écouter «Lavi New York», écouter «San fizi»… Mwen pa jam pran pòz mwen se yon nèg ki pa jam fe bagay mal. Mais, grâce à ma mère et à mon père, j’ai changé. Et je le dis à tous: vous pouvez changer.

La raison pour laquelle on me respecte partout, c’est parce que dans les ghettos on sait d’où je sors, ils savent que nous sommes pareils. Ils comprennent ce que je dis. Ma relation avec les ghettos a commencé depuis ma naissance.

Ce que je chante, ils le vivent.

La réalité des ghettos d’ici (USA) est différente de ceux d’Haïti. Les ghettos d’ici, quand tu réussis, tu reviens dans le ghetto, tu apportes du champagne pour les vieux, des livres et des cahiers pour les enfants. Tu organises un barbecue tous les ans. Tu laisses entrer tous les enfants dans ta voiture. Tu donnes des bourses d’études aux enfants. Ils diront «si celui-ci, qui vient du ghetto, a réussi. Nous aussi, nous le pouvons».

C’est cette projection que les rappeurs offrent aux jeunes qui vivent dans les ghettos américains. C’est ce que j’y vois.

Dans les ghettos en Haïti, quand l’un a réussi, on ne veut pas qu’il entre dans le ghetto pour apporter l’inspiration aux autres. Par exemple, si je rentre en Bentley, en Ferrari à Cité Soleil, on dira que je suis fou. Par contre, ici (USA), je peux rentrer avec mes belles voitures dans les pires ghettos qui sont comparables à Cité Soleil. On me dira: «Yo, merci d’être venus, les enfants changeront maintenant».

Dans les ghettos aux Etats-Unis, je peux m’y rendre et m’asseoir et parler avec ceux que l’on considère comme les plus grands chefs des plus grands gangs.

En Californie, j’ai eu des conversations avec les Bloods, les Crips, les Latins Kings, etc.. Partout, j’ai rencontré les plus grands gangs qui existent aux Etat-Unis. J’ai visité les prisons. Je leur apporte le même message «si j’ai pu changer, tout le monde peut changer».

On ne peut pas faire cela en Haïti, quand on le fait, bien vite, on est taxé de complice. On m’accuse de supporter les gangs.

L’idéologie doit changer. Ce que tu vois de tes yeux, je ne peux pas le voir. Si on veut que les choses changent, ça doit commencer par un vrai changement. Vrai changement dans le sens qu’à chaque fois qu’un gouvernement monte au pouvoir, tu l’écrases. Un nouveau arrive, tu l’écrases et ainsi de suite. Tu veux que tout le monde parte avec le gouvernement qui part. Tu tues tout le monde, tu commences avec une guerre civile. Cette guerre civile qu’on subit périodiquement, quand s’arrêtera-t-elle? Quand s’arrêtera-t-elle pour que nous puissions dire «Vivons ensemble»?

Tout le monde sait que pendant les périodes de guerre, il faut se nouer la ceinture. Moi qui te parle, on a tué mon cousin d’une balle à la tête, c’était pendant une guerre à l’école, sur Flatbush, à New York. Quand mon cousin a été tué, mes amis et moi, on s’est noué la ceinture et on a continué, parce qu’on savait qu’on était en guerre.

Haïti vit une guerre civile qui dure depuis trop longtemps. Il est temps qu’elle cesse. La seule façon d’y mettre fin est de dire que ce qui est fait est fait. Si on ne recommence pas à vivre en paix, pour sauver les enfants, Haïti périra.

Si on ne le fait pas, on aura toujours les kidnappings, la peur de descendre dans certains quartiers, les divisions entre gens d’en haut et ceux d’en bas.

Quand je dis «Van vire», ce n’est pas une parole en l’air, on le démontre aussi. La paix revient.

Le Nouvelliste et Ticket peuvent témoigner de mon action parce qu’ils me suivent depuis ma première venue en Haïti. Dès la première fois que je me suis rendu à Cité Soleil, la presse me suivait et vous étiez là.

Personne ne peut dire que Wyclef ne s’est rendu qu’à Cité Soleil, ne parle qu’avec les habitants de Cité Soleil. Si on veut mettre mes photos dans les journaux, il y en a. Mais on doit commencer par mes visites à Cité Soleil et au Bel-Air, aux bases Cameroun et Bagdad. Ensuite, montrer celles prises au cours de mes conversations avec Latortue, Guy Philippe, Ravix, etc… J’ai même vu Préval et je lui ai parlé. Si on veut montrer des photos, il y en a beaucoup. J’en ai des tas. Je peux en donner où je suis en conversation avec toute sorte de gens. Demande-leur ce que Wyclef leur dit. Wyclef est quelqu’un qui prêche la paix. Il veut qu’Haïti change.

Si je faisais ces choses en cachette, cela voudrait dire que j’ai des objectifs politiques. Si je m’étais rendu à Cité Soleil ou au Bel-Air en secret, il y aurait des raisons de se méfier de moi. Parce que l’on ne saurait pas ce que je fais ou ce que je dis.

Mais, si pour tout ce que je fais, les magazines, la télé sont là, si je le fais en clair, on doit se dire que cet homme, comme Bob Marley pour son pays, veut faire quelque chose pour les siens. Quand il est à l’étranger, il représente le pays à 100%.

Cela dit, je suis prêt à répondre à toutes les interrogations.

Le message que tu veux envoyer à tout le monde, c’est que si Wyclef a changé, tout le monde peut changer. On doit apporter de l’espoir aux autres pour qu’ils aient envie de faire autre chose?

Oui.

Je ne veux pas que l’on pense que je suis un ange ou un saint. Tout ce que j’ai fait dans ma vie est chanté dans mes musiques. Il suffit de relire les textes. Mes chansons me racontent. Mais j’ai changé.

Grâce à une suggestion de mon père et de ma mère, j’ai changé. Ils m’avaient fait comprendre que si je persévérais dans la voie dans laquelle j’étais, j’allais mourir.

Ils m’avaient fait comprendre qu’il valait mieux être une source d’inspiration qu’une source de division.

Quand je leur ai dit que mon rêve, en me battant à l’école, était de faire respecter les Haïtiens, mon père m’a dit que pour me faire respecter, la musique était ma première arme et ma meilleure arme. Depuis, je fais de la musique.

Si on ne veut pas que je parle avec certaines personnes en Haïti, c’est le signe qu’il y a un problème. Si on prend des photos et que je ne dois pas prendre de photo avec quelqu’un qui veut être photographié à mes cotés, c’est signe de problème, que j’ai des choses à cacher, que je mente sur mes objectifs.

Moi, je n’ai pas honte de ce que je fais. La raison, tout ce que je fais, je le fais avec honnêteté. Tout ce que j’ai, j’ai travaillé honnêtement pour l’avoir. Rien de ce que je possède ne me vient de ma mère ni de mon père. Je ne vis pas de la fortune héritée de mes parents. Je vis de l’inspiration que le ghetto m’a insufflée et qui fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Comment peux-tu ne pas vouloir que je rentre dans le ghetto et que je parle à ceux qui y habitent? Les gens des ghettos ont plus besoin de mes paroles que quiconque. Si tu ne veux pas que j’y entre, qui leur parlera? Il y en a qui parlent de la paix, moi je la prêche et la pratique.

Ce n’est pas de moi que tu dois avoir peur. Crains plutôt ceux qui ne veulent pas qu’on les prenne en photo, qui se cachent pour parler avec les habitants des ghettos. Tout ce que Wyclef fait, il le fait au vu et au su du public à 100%.

Tu parles en Haïti à tout le monde. Aux hommes politiques comme aux détenteurs de capitaux. Qu’est-ce que ces derniers te demandent de rapporter aux habitants des ghettos? Envoient-ils des messages à travers toi, cherchent-ils à comprendre?

La confusion vient du fait que tout le monde affirme vouloir la paix et le changement. Tout le monde recherche la cause des maux, des divisions entre riches et pauvres. Ces divisions existent parce que les pauvres pensent que les riches ne le respectent pas. Quand ils écoutent la radio, ils sentent qu’on les présentent comme des animaux. Ensuite, ils affirment que les riches ne viennent jamais avec leurs voitures dans leurs zones. Personne ne leur envoie jamais 100 voitures, ne dit jamais: «voici comment on va nourrir le peuple». Le ghetto dit qu’il y a beaucoup d’argent dans le pays. Mais eux n’y ont pas droit. Les autres répondent que c’est faux. Qu’ils ne peuvent pas aider, quand il y a des kidnappings, de la drogue; qu’ils ne peuvent pas envoyer de voitures quand eux ne peuvent pas se rendre au volant des leurs dans ces endroits!

Je suis au milieu.

Je dis que cette affaire de couleur, cette affaire entre riches et pauvres, si tu veux en sortir, tu ne doit pas avoir peur de te rendre à Cité Soleil, au Bel-Air. Pourquoi dois-je parler à ta place? Vas-y toi-même. Parle. Si les gens d‘en haut ne peuvent pas parler aux gens d’en bas, il y aura toujours ces frustrations. Ils n’ont pas besoin de moi pour ça.

Pourquoi n’organisent-ils pas une «marche» disant qu’on ne veut pas de la question de couleur. Les gens d’en haut donneraient la main aux gens d’en bas et défileraient dans les rues de Cité Soleil, de Gran Ravin, etc. Martin Luther King l’avait fait, pourquoi pas nous aussi.

Quand je commence un travail, pourquoi ne cherche-t-on pas à le poursuivre? On préfère se demander qu’est-ce que je faisais là.

Tu recherches une solution, mais la veux-tu vraiment? C’est ce que tu dois te demander. Si oui, tu dois t’utiliser comme exemple et dire «ce que Wyclef fait est bon! Je vais le poursuivre».

Certaines gens sont frustrées et disent que je suis avec des gens qui ont kidnappé ou tué des membres de leur famille. «Si tu es avec eux, tu es notre ennemi», disent-elles.

Je ne suis l’ennemi de personne. Si nous voulons que les choses changent, il doit y avoir quelqu’un pour parler aux gens. Et l’on doit respecter les gens pour ce qu’ils sont.

Quand je suis parti d’Haïti dernièrement après la visite à Cité Soleil avec T-Vice et les autres artistes, y a-t-il quelqu’un qui a entrepris une marche, un mouvement et qui s’est dit «Wyclef a commencé quelque chose, poursuivons-la. Envoyons 100.000 sacs de riz à Cité Soleil, 4 voitures au Bel-Air. Descendons en bas et voyons ce que les enfants mangent à l’école. Commençons à communiquer avec eux»? Non!

Ce n’est pas ce qu’on dit. On se demande qu’est-ce que Wyclef est allé faire là-bas. «Il a amené T-Vice au Bel-Air. Il est avec les gangs maintenant».

Ce n’est pas cela mon message. Mon message est «si tu dis que tu veux que le pays change, et que tu ne veux pas t’entendre avec l’autre, mieux vaut laisser le pays».

Parce que si tu ne veux pas vivre comme un prisonnier dans ton pays, il faut commencer à parler avec l’autre. Il faut que tu descendes dans les quartiers difficiles, que tu vois de tes yeux ce qui s’y passe.

Moi qui ai laissé le pays depuis l’âge de 10 ans, comment se fait-il que je connaisse des endroits que toi qui y vis n’as jamais visités? Je sais, par exemple, qu’il y a à Cité Soleil quelque part où la mer est d’un beau bleu.

Comme dans les examens de mathématiques, il faut commencer par les opérations les plus difficiles avant de résoudre les plus simples. Comment veux-tu que j’aille en Haïti et que je reste à l’Hôtel Montana à déguster de la soupe au giraumon à longueur de journée? Je dois aller là où se situent les problèmes, à Gran Ravin, par exemple. Si l’on veut des résultats, il faut aller là où les choses vont mal. C’est à Port-au-Prince, dans les quartiers difficiles de Port-au-Prince qu’il faut commencer à résoudre les problèmes. There is violence in Port-au-Prince.

C’est pour cela que tu vas dans ces quartiers difficiles? Tu commences par le plus difficile?

Si on ne commence pas par le plus difficile, on ne fait rien. Si tu parles de paix, et que tu ne peux pas aller dans les quartiers difficiles, c’est à une fausse paix que tu rêves.

Tu auras toujours des frustrations, si tu ne peux pas aller dans les zones frustrées pour mettre de l’éducation, pour donner à manger, pour dialoguer; et on aura toujours des problèmes en Haïti, sans cela.

Une des questions que les gens se posent, avec tes nombreuses visites à Cité Soleil, c’est qu’est-ce que Wyclef a en tête?

Avant de répondre, je voudrais poser des questions à tous ceux qui s’interrogent: Qu’est-ce que Bob Marley avait en tête quand il a organisé le concert de la paix dans son pays quand les choses allaient mal en Jamaïque? Qu’est-ce que Sammy Sossa avait en tête quand il a bâti un village dans son pays? Qu’est-ce que Mutubmbo avait en tête quand il fait du bien? Qu’est-ce que Shakira a en tête quand elle fait de même? Qu’est-ce que Usher a en tête lorsqu’il met sur pied une maison de bienfaisance pour aider les enfants défavorisés à Atlanta? Qu’est-ce que Bono, de U2, qui se rend partout en Afrique pour aider au développement, a en tête? Qu’est-ce que Angelina Jolie a en tête? Si on peut répondre à ces questions on saura ce que Wyclef a en tête.

En fait, ce que Wyclef a en tête est simple, je veux être une inspiration pour tous les enfants frustrés, pour qu’un jour à ma mort, il y ait 50 autres Wyclef qui aident à faire avancer le pays.

Si l’on essaie de saboter ma campagne pour 2011, c’est inutile. Ma campagne est déjà faite pour 2011. Si Wyclef veut être président, il l’est déjà. Le président que je veux être, c’est un président qui peut aider, un président qui obtient des résultats.

Pour qu’un pays fonctionne, il doit y avoir président, Premier ministre, etc.. Il faut aussi des gens pour dire «Oh, il n’y a pas de corruption en Haïti, ceux qui dirigent savent ce qu’ils font et le font bien, vous pouvez envoyer de l’argent à Haïti».

On dit qu’il n’y a pas un Haïtien sur la terre qui veuille l’avancement de son pays sans cacher un agenda politique. On m’en prête un.

Cela fait longtemps que l’on annonce que je veux être candidat à la présidence. Quand on a vu que mon nom ne figurait pas sur les bulletins de vote, on a pensé: «il est intelligent, il travaille pour 2011 ».

Ce que je veux demander aux gens: que pouvez-vous m’offrir en tant que président que je n’ai pas déjà? Quelle folie m’animerait pour vouloir être président?

Une des raisons qu’on avance est que le peuple me réclame. Le peuple dit que Wyclef est son président pour 2011. Le peuple parle ainsi parce qu’il est frustré. Parce que ce que je fais, c’est ce qu’il espérait. Pourtant, je n’ai pas besoin d’être président pour faire ce que je fais. Ce que je fais, je le ferai jusqu’à ma mort.

Ce que j’ai derrière la tête? On peut toujours poser la question à l’infini.

En fait, j’ai des millions et des millions de dollars et deux choix : investir mon argent en Jamaïque, en République Dominicaine, ou commencer à l’investir en Haïti. En bâtissant des hôtels, pour attirer les touristes en Haïti, pour faire rentrer de l’argent au pays et dans ma poche.

Rappelez-vous cette règle simple: si on veut faire des actes de bienfaisance, il faut avoir de l’argent. On ne peut pas faire de la charité en étant pauvre, je le sais.

Dans une interview au magazine ELLE, il y a de cela quelques années, tu as dit deux choses: 1- Wyclef a un passeport haïtien, il est Haïtien. 2- tu ne pouvais être candidat à la présidence parce que tu n’avais pas 35 ans.

Ceux qui me connaissent savent que je tourne toujours à la blague les propos les plus sérieux.

Tout le monde parle de cette affaire de président, attends-toi à ce que j’en dise quelque chose de différent toutes les deux semaines. Oui, je voyage avec un passeport haïtien. Oui, j’ai maintenant 35 ans. J’avais fait une blague qui voulait dire que je n’étais pas assez mature pour être président. Je n’ai pas l’expérience requise pour être président. J’aime la façon dont je vis. J’aime la musique, j’aime m’amuser. Mais si on fait tout ça sans aider…

Cependant, on naît bébé, on devient homme. Le Wyclef à 19 ans n’est pas le même qu’aujourd’hui. La façon dont j’évolue fait penser aux autres qu’il ne me reste qu’à être président pour m’accomplir. La pression qu’ils exercent, je la prends et j’en fais des blagues. C’est une de mes chansons «si yo di w Wyclef vle prezidan, mwen pa vle prezidan».

Wyclef a investi en Haïti. Un des investissements dont on a le plus parlé est l’acquisition de Télémax. Peux-tu, nous en dire plus?

Pour tout arranger à Télémax, cela nous prendra un an et demi.

J’avais 2 choix d’investissements. La Jamaïque voulait que j’achète une télé locale. Les Jamaïcains m’ont adopté comme un des leurs. Je me suis dit, la Jamaïque est déjà construite. Si je devais investir, ça n’aurait pas de sens que je le fasse ailleurs que dans mon pays, en Haïti.

Moi, je ne fais pas que parler d’investissement en Haïti, comme d’autres. Quand on a acheté la télé, j’ai envoyé un signal. On a dit: «piti sa yo rèd, yo gen tèt avè yo».

Notre objectif avec Télémax est simple. Comme il existe BET, on veut faire un Télémax professionnel, une chaîne haïtienne que l’on respecte et dont on ne pourra médire et qui sera présente partout: à Miami, à Montréal…

C’est un investissement important, pas dans le sens qu’on y gagnera de l’argent, dans le sens que je ne veux pas qu’on en dise «Ah, c’est une télévision haïtienne, c’est pourquoi c’est aussi mauvais».

En affaire, chaque deal que je fais, avec mon cousin Gérard Duplessis, si je ne peux pas en tirer 25.000.000, je ne fais pas l’investissement.

«M pa manje anyen frèt New York City ». Je ne suis pas venu pour ça.

Une station de télé comme Télémax, on ne l’achète pas pour faire de l’argent. Mais elle peut aider à montrer notre culture. De plus, il y a beaucoup de jeunes qui font du rap en Haïti, et il n’y a personne pour les montrer au public. Parce que beaucoup de gens ne comprennent pas le rap. C’est comme mon père, quand j’ai débuté.

Il faut, selon moi, une chaîne de télévision qui montre au monde le meilleur d’Haïti. Si une belle chose se passe en Haïti, on doit pouvoir la suivre à Miami, à Brooklyn.

A New York, les latinos ont Telemundo et peuvent suivre en direct les festivités de leur pays. Pourquoi pas nous? Pourquoi quand on est aux USA, il n’y a pas une chaîne haïtienne que l’on puisse regarder et dont on puisse être fier?

Bref, c’est un network que tu veux monter?

Oui, pour le monde entier, mais dont la base serait en Haïti. Si on veut représenter Haïti, on ne peut faire quelque chose sans commencer par Haïti.

Autre chose qui peut faire que l’on remarque Wyclef en Haïti, c’est Yele Haïti. Qu’est-ce que c’est?

Il y a quelqu’un qui m’a inspiré à «Lasè». Il m’a dit un jour de pluie que je pouvais tout faire: «si tu veux toucher le ciel, tu le peux». Je n’oublierai jamais ces mots.

Inspiration. Espoir.

Yele Haïti c’est l’espoir, pour que Haïti recommence avec les jeunes.

On ne peut sauver tout le monde. Mais avec Yele Haïti, on espère avoir des médecins, des avocats, des musiciens... Yele Haïti c’est l’espoir pour les jeunes. Tous veulent y être. TICKET, qui était là au début, peut témoigner de l’évolution rapide du mouvement. Cela ne s’est jamais vu en Haïti.

C’est un mouvement de jeunes. On ne peut aider tout le monde.

Dans 2 ans, avec la communauté internationale, je veux faire des choses concrètes comme des écoles.

Je rêve d’entendre un enfant dire «j’abandonne les armes, je suis avec Yele Haïti. Que pouvez-vous faire pour moi».

Yele Haïti n’est pas qu’une œuvre de bienfaisance. C’est un mouvement positif qui peut aider les jeunes à changer leur vie.

Qui sont les partenaires de Yele Haïti?

Nous avons la Comcel qui nous supporte dans le projet d’éducation. Il y a la Brasserie la Couronne. Mais on cherche toujours d’autres....

Parlons en passant de quelque chose que les gens disent: «Wyclef a déboursé beaucoup d’argent pour le carnaval, alors que cet argent aurait pu servir à nourrir des gens».

Si Wyclef fait quelque chose, il doit le faire à 100%. Li pa ka fè bagay tèt chat. Je n’utilise pas Haïti comme un prétexte. Mwen se nèg Kwadèboukè tchak, trè frekan. Si je te demande de l’argent pour faire quelque chose et que tu ne m’en donnes pas, je me servirai du mien pour le faire. Nous devions amener le lion en Haïti, les enfants n’avaient jamais vu de lion. Quand on dit «Yele Haiti», j’en suis la preuve vivante. Il y a des choses que nous faisons que les autres pensaient impossible à réaliser. Faire l’impossible, c’est le cœur de Yele Haïti.

Le carnaval en Haïti, il était à New York, sur FOX, la plus grande chaîne de télé américaine: «Wyclef goes to the carnival in Haiti». Tu veux que le monde entier regarde et dise: «qu’est-ce que c’est que ce carnaval-là?» Si je fais quelque chose et qu’on ne peut pas le faire bien, vaut mieux ne pas le faire, car baisser ma tête, c’est rabaisser mon pays.

Wyclef, on t’a découvert en Haïti enveloppé avec notre drapeau quand on te remettait le Grammy Award. Comment t’es venue cette idée?

Tout petit, j’avais remarqué qu’à chaque fois qu’un artiste américain perce, il est fier d’affirmer ses origines, l’Etat d’où il vient. Je m’étais promis de m’envelopper dans un drapeau haïtien le jour où j’arriverai à leur niveau.

Tu connais cette histoire, mais tu ne sais pas que 3 minutes avant que je ne monte sur scène, j’ai demandé à avoir un drapeau haïtien, on m’a dit qu’il n’y en avait pas. J’ai demandé à ce qu’on me retire du show si on ne peut pas me trouver un drapeau haïtien. On a vite fait de m’en apporter un.

Quand il a vu ce qui s’était passé, Steve Marley, le fils de Bob, a exigé qu’on lui apporte un drapeau jamaïcain pour qu’il monte sur scène lui aussi ...

Interview recueillie par Frantz Duval
Miami, le 1 avril 2006
Email
Retranscrite par Karl-Foster Candio

anis

Wyclef's letter to "Concerned Haitian Diaspora"

Wyclef Jean ap chèche yon solisyon lapè pou Ayiti atravè dyalòg

 

Viré monté