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Violence en Haïti:
nouveau regard sur les vraies causes

par Nicolas André
nickandre@gmail.com

Source de la photo Le Nouvelliste

La violence et la frustration font bon ménage, celle-ci étant entraînée par celle-là!

Je ne peux m’empêcher de faire un rapport entre les émeutes de ces derniers jours chez nous en Haïti, particulièrement à Port-au-Prince, et celles qui ont été enregistrées quelque trois jours auparavant en France, particulièrement à Nantes. Et là, mon esprit s’en va librement errer dans le temps, remontant à l’Histoire et plus particulièrement à une certaine histoire, un peu plus de deux siècles auparavant.

L’année est 1789. On se souvient tous de la fameuse révolution française qui a transformé la royauté de la France en République française! Suivra moins de vingt ans plus tard la révolution haïtienne, unique, incroyable et impensable! L’ironie de l’époque, c’est que l’on ira jusqu’à qualifier les intrépides révolutionnaires haïtiens (femmes et hommes) de barbares et de sauvages – c’est à dire de créatures sans humanité. Cependant, une simple analyse de la situation qui a entraîné cette grande révolte à Saint-Domingue mettra en lumière une vérité non moins évidente. Ces fils d’esclaves, arrachés contre leur gré de leur Afrique natale et vendus comme des animaux aux enchères en Amérique, iront jusqu’à subir les plus inhumains des traitements qui puissent exister aux mains d’étrangers qui se sont érigés en tout-puissants avec droit de vie et de mort sur ces pauvres bougres assujettis par la puissance militaires des pays colonisateurs et abasourdis par la plus abjecte trahison de la part de leurs compatriotes avides et haineux. Ces esclaves sont arrivés en état de choc, ayant survécu à une traversée meurtrière à bord d’impitoyables négriers emmenant inexorablement les survivants vers une aventure douloureuse pour le moins, et humiliante pour rester en-dessous de la vérité.

Voilà la situation ou mieux l’état d’esprit dans lequel se trouvaient les rebelles marrons, à la veille de l’ultime bataille qui débouchera sur la proclamation d’indépendance d’un groupe de nègres après avoir pris le dessus sur leurs adversaires, des inconnus qui, au nom de la religion et de la civilisation, les ont maintenus dans les chaînes de la servitude pendant près de trois siècles, en comptant les colonisateurs espagnols et français, et à un moindre degré – dans le cas d’Haïti – les oppresseurs anglais. En tenant compte de tous ces faits tirés de l’histoire des nègres d’Haïti1, il est impossible de les considérer avec dédain, un fait assez bien documenté par l’Histoire, lors de la bataille de Vertières. En effet, le grand François Capois – surnommé à la suite de son héroïsme Capois-La-Mort – a suscité l’admiration de ses adversaires au point que ces derniers ont arrêté le combat pour vivement applaudir ce général trompe-la-mort qui a pu galvaniser son régiment au péril de sa vie, ayant survécu à la fois à son chapeau et à son cheval tous deux succombés sous les boulettes rageuses des canons de Rochambeau et sa troupe.

Il est toutefois à noter que la grande révolte des esclaves de Saint-Domingue, ces futurs premiers Haïtiens de l’ère post coloniale, contre les Français colonialistes, a émergé deux décennies après la révolution française qui n’a été qu’une révolte de Français de France contre Français de France. Ceci dit, toute ressemblance entre ces deux révolutions s’arrête juste au terme “révolution”. Cette vérité, aussi cruelle qu’elle le parait, devrait forcer les observateurs, les historiens et analystes à considérer les actions de l’un et l’autre de ce ces deux groupes révolutionnaires sous de nouveaux angles.

D’un côté, nous avons des esclaves noirs – et mulâtres – qui se libèrent du joug pesant, criminel, voire inhumain de colonisateurs blancs, les deux groupes (opprimés et oppresseurs) arrivant de continents différents, l’un assujetti à l’autre. Ces anciens esclaves, dans un élan de vengeance assez justifié, quoique condamnable, font périr ceux qui les ont fait périr pendant environ deux siècles.

D’un autre côté, nous voyons des Français révolutionnaires qui se libèrent de la royauté (appelée parfois monarchie) et de tout ce qui s’y rattache, en faisant périr d’autres Français, dans un élan de je-ne-sais-comment-le-qualifier!

L’Histoire demeure, mais les différentes interprétations qu’on en a fait jusque-là devraient être repensées pour rester plus près de la vérité.

Bref! Revenons à aujourd’hui.

L’année est 2018. Nouvelle ère, différents problèmes, nouvelles stratégies: barricades, pneus enflammés, saccage et même tueries deviennent le modus operandi de manifestants, pour la plupart affamés et acculés mais surtout exploités à fond par les factions politiques de toutes parts et de toutes tendances – du moment qu’elles n’appartiennent pas au pouvoir en place. Il semblerait que chez nous en Haïti le dialogue national constitue le dernier recours – jamais exploité, cependant – en temps de troubles sociaux et d’égarement politique. Probablement du fait que les parties au pouvoir (de tout temps chez nous) restent et demeurent toujours sourdes, ou même sourdes-muettes, dès qu’elles accèdent au pouvoir!

Nous l’avons toujours constaté depuis au moins 1986, que les sorties de crise en Haïti doivent être toujours «forcées» (par les manifestations populaires teintées de violence gratuite et de destruction de biens inutile). Ces «sorties de crise» ne sont jamais calculées autour de chita pale entre différents secteurs de la vie nationale, ce qui éviterait les kraze brize si caractéristiques de la grogne populaire manifestée en descente dans les rues et attaques contre tout ce qui bouge et tout ce qui ne bouge pas mais qui se trouve sur le passage des émeutiers. Ces derniers se trouvent souvent parmi ces pauvres gens, au chômage toute leur vie, considérés par plus d’un comme des parias, véritables rejets de la société, mais exploités quand même par les politiciens qui se fichent pas mal d’Haïti, du moment qu’ils arrivent à accomplir la mission pour laquelle ils sont venus au monde: créer et alimenter le chaos politique comme un pyromane devant un feu dévastateur qu’il a allumé. Nous sommes par conséquent en face d’un problème complexe dans le pays. Le politique véreux et malavisé ne se rend pas compte de son déguisement en ange destructeur et exterminateur des vies et des biens. Il cherche à accéder au pouvoir et est prêt à tout pour y parvenir. Il accède au pouvoir et est prêt à tout pour le maintenir.

Le peuple dans tout ça? Eh bien, il en a marre de souffrir! Il sort dans les rues quand on veut lui imposer des conditions de vie impossibles, quand on sait que ces conditions sont déjà inhumaines. Le peuple pran beton an. Mais le politicien-véreux-et-malavisé y voit là un moyen de tirer son épingle du jeu. Ici, il s’agit du politicien-véreux-et-malavisé qui cherche à accéder au pouvoir. Il arme une faction de ce peuple, celle-là qui n’a absolument rien à perdre: adolescent des rues qui ne va pas à l’école et qui doit survivre comme un animal dans la jungle. Il méprise la vie. Il abhorre la propriété d’autrui. Il est payé pour casser tout ce qui est cassable, mettre le feu même à ce qui est inflammable. Et pendant ce temps, que fait le politicien-véreux-et-malavisé qui est au pouvoir? Mais c’est lui la cause des actions déplorables et regrettables commanditées par le politicien-véreux-et-malavisé qui cherche à accéder au pouvoir!

Comment donc cautériser la plaie sociale que consiste la complexité de la situation de notre pays? D’un côté nous avons la farouche lutte pour le pouvoir entre les politiciens dont l’éradication de la pauvreté dans le pays et l’éducation du peuple sont le cadet de leur souci (ils cherchent à s’enrichir ou à grossir leur richesse). D’un autre côté, le peuple en face d’eux qui leur sert de tremplin pour sauter dans la piscine de l’enrichissement, du luxe, de la luxure que seul peut leur procurer le pouvoir politique. Ce peuple-tremplin considéré comme un strapontin n’a aucun droit de toucher à l’eau de cette piscine génératrice de tant de bonnes choses qui font aimer la vie. Ce peuple-tremplin n’a même pas droit au minimum requis pour «vivoter». Tout lui est refusé, au mépris même des lois de l’existence: le droit à l’éducation qui passe par la libération linguistique, le droit au travail qui le rendrait indépendant et moins malléable par les politiciens avides et assoiffés de chaos, le droit à la sécurité et à la santé... Bref! le droit de vivre comme des êtres humains.

Alors, quand le peuple est ignoré, méprisé et acculé, tout qui lui reste c’est une apparente humanité dénuée de raisons d’être. Sa passivité excessive prend un regain de couleur et devient agressivité accrue, tout comme lors des événements qui ont précédé les émeutes de Port-au-Prince à Nantes, événements survenus à la suite du meurtre d’un jeune par un policier français. Au contraire de ce qu’on lit à propos des manifestants nantais, la plupart des commentaires des uns et des autres à la suite des événements en Haïti sous-entendent que le «peuple haïtien» est un peuple destructeur, violent et haineux. Certaines personnes s’en donnent à cœur joie dans les réseaux sociaux! On y reçoit des textes et des vidéos pas vraiment récentes pour la plupart qui sous-entendent une lutte de classe qui opposent les personnes économiquement très fortes et celles qui vivent dans la pauvreté, avec au milieu celles qui aspirent à une stabilité économique. Le problème a été déplacé pour masquer la vérité. Le jeu politique cherche clairement à cacher l’enjeu politique qui se joue dans le pays.

Il serait bon toutefois de comprendre que le peuple haïtien attend toujours que des leaders consciencieux, nourrissant un amour inconditionnel pour le pays et ne cherchant pas à s’enrichir aux dépens de ce peuple résilient, arrivent à réconcilier la nation avec elle-même et à travailler au développement social et économique d’Haïti. Il doit y avoir des femmes et des hommes qui possèdent ces qualités. Les ailes de l’espoir ne doivent pas perdre ses plumes.

Nicolas André est écrivain professeur de langues à l’université internationale de Floride (Florida International University) à Miami.

Note

  1. J’entends par nègres, tous nos pères fondateurs de la nation haïtiennes, sans aucune différence, qu’il s’agisse de noirs nés en Afrique ou à Saint-Domingue de parents africains ou de parents français (ou anglais ou espagnols) et africains. Ceux-là nés des relations (voulues ou forcées) entre un parent africain (noir) et un parent européen (blanc) sont communément appelés mulâtres, une distinction qu’on a tendance à accentuer de nos jours pour maintenir la nation haïtienne divisée et déchirée. J’en appelle à l’intelligence de mes compatriotes et les exhorte à remonter au temps de la guerre de l’indépendance pour se rendre compte que ce pays d’Haïti est né des sacrifices et de l’intérêt commun de ces deux groupes. Cette différence de classe (ou de caste) exploitée à fond pour détruire ou amoindrir les efforts de nos pères constitue un danger qui menace l’existence même de notre nation et compromet les acquis de liberté et d’indépendance qui font de nous un peuple redouté et haï tant nous suscitons l’admiration.

 Viré monté