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Annou voyé kreyòl douvan douvan

Je n'ai pas la mémoire courte

Eddy Toussaint Tontongi

(...) Et sur cette volée de réminiscences de l’horreur, je revois l’univers duvaliériste, le règne de Papa Doc, de Bébé Doc et de leurs valets. Je revois ce temps du mariage incroyable entre le froid sibérien et le feu prométhéen—cette époque qui paraît lointaine mais qui était vécue comme un présent éternel sous l’ombre omniprésente du tyran. Je revois la radio et les journaux qui prétendaient voir autre chose même si c’était leur chose, notre chose. Ce temps où la peur tous nous rongeait, où la contrainte nous taisait, où la misère nous ravageait et où les Duvalier régnaient. Je vous le jure, mes amis, ah! que c’était terrible! Des millions de parents, qui n’ont pas eu de rang, traversaient les faubourgs, les plaines et les montagnes dans le fol espoir vain de trouver du pain, ou simplement de la tranquillité. Sur nos pas débiles marchaient des légions de Macoutes, le terrible nom de guerre de ceux qui, par la peur, par le vol, par l’épée, gouvernaient Haïti. Nous pleurions de douleur et d’indignation quand nous voyions nos sœurs, nos femmes et nos filles vendre la séduction au marché de la prostitution pour seulement pouvoir vivre comme une personne humaine!

Je vous le jure, mes amis, c’était ainsi qu’on vivait—et qu’on vit encore, hélas!—dans notre belle Haïti; une nation qui vivait comme une mendiante maudite dans une foire de larrons, dans un environnement truffé de canailles qui n’avaient d’humain que la paresse et dans la place du cœur que l’emblème de la sécheresse! Et l’étranger, complice, nous riait au nez et se taisait alors même qu’il nous subjuguait, volait, opprimait. Même l’Histoire nous méprisait, nous reléguant au rang inférieur des proscrits oubliés. L’Occident hypocrite courtisait Duvalier comme un amant jaloux, c’est-à-dire à la fois sensible, coquin et cynique. Oui, je revois tout cela avec un sentiment de répulsion; et je me dis—comme un humble petit vœu—que les hommes et les femmes qui ont vécu toute cette tyrannie ne doivent jamais oublier, ni pardonner. Qu’ils passent à leurs enfants et à leurs petits enfants ces mots, riches d’une vigilance rédemptrice, des rescapés des pogromes d'Hitler:  Jamais! Plus jamais encore! (...)

Extrait de mon livre Poetica Agwe, 2011.

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