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Haïti à travers les temps et les circonstances

Par Paul Sanon et Leslie Pétigny

Libération par Denise Mangones. © Carrie Art Collection

À la faveur du séisme du 12 janvier 2009, la république d’Haïti est tous les jours à la une de la presse parlée, écrite et télévisée du monde. L’ampleur des dégâts du tremblement de terre fait en effet couler beaucoup d’encre et de salive. Alors que des commentaires et des considérations flous s’égrainent de toute part, il nous parait opportun sinon utile de dresser, de ce coin de terre aujourd’hui ravagé, une autre image destinée à établir un minimum de netteté, à partir de cette chronique historique que nous introduisons aujourd’hui et que nous intitulons: Haïti à travers les temps et les circonstances.

Trop souvent on décrit Haïti comme le pays plus pauvre de l'hémisphère occidental. Mais on souligne guère qu’elle possède l’une des histoires les plus fascinantes du monde, une culture et un art des plus riches. Perçue par Anderson Cooper comme une terre de mythes, elle a toujours éveillé la curiosité des plus grands chercheurs en ethnographie et en sociologie. Le vodou, si fréquemment objet de critiques des uns et des autres, ne cesse d’aiguiser l’intérêt des spécialistes des sciences de la religion. En dépit de sa pauvreté matérielle que personne ne saurait relativiser voire banaliser, force est d’admettre que Haïti est détentrice d’un immense patrimoine culturel, artistique et historique que nos dirigeants n’ont jamais su exploiter.

Si pour des étrangers Haïti représente un îlot de cauchemar, pour nous Haïtiens elle a toujours été et est encore une terre de grands rêves et d’espoir. La situation catastrophique que vit notre peuple depuis le 12 janvier 2009 suffit à corroborer notre point de vue. Les images qui nous parviennent aujourd’hui montrent certes des gens aux abois. Les caméras du monde entier présentent des enfants qui vagissent amèrement, des femmes et des hommes à bout de souffle qui supplient les bras levés comme si le ciel était devenu sourd. Mais dans l’intervalle, nous ne pouvons nous empêcher de remarquer certains qui fouillent courageusement la terre à l’aide de précaires instruments tentant de sauver ce qui peut être sauvé, et d’autres qui mettent de coté les quelques briques indemnes attendant déjà une éventuelle relance. Des esprits obtus disent bien que le malheur est le meilleur compagnon du peuple haïtien. Mais ils ne peuvent point percer le goût à la vie de ces êtres qui approchent la calamité, l’insulte et l’oppression avec sérénité et une forme hors pair de stoïcisme. On dirait qu’ils mettent sous la même enseigne l’absurde de Camus et le surréalisme d’Aragon.

Pour inaugurer cette chronique évoquée plus haut, nous relaterons un fait marquant de l’histoire d’Haïti, le Bois-Caïman, qui met en évidence toute la force de caractère d’un peuple vaillant, puisant toujours dans ses propres ressources malgré les temps et les circonstances.

L’île d’Haïti fut d'abord habitée par les Indiens jusqu'à l'arrivée inopportune de Christophe Colomb en 1492. A la tête de cohortes impitoyables, le conquistador a asservi les paisibles Indigènes qui ont facilement succombé aux travaux forcés imposés par ces envahisseurs assoiffés d’or.

Pour remplacer les Indiens décimés et continuer l’exploitation outrancière des mines, les colons ont fait venir d’Afrique plus de 450.000 esclaves noirs arrachés par la force de leurs tribus natales. De leur sueur et de leur sang, ils ont arrosé la terre de St-Domingue métamorphosée en un véritable paradis qui a tout de suite suscité la convoitise des colons anglais, espagnols et français.

Un leader esclave du nom de Boukman, conscient de l’inhumanité de l’esclavage, imprégné de l’inaltérabilité du droit à la liberté, sonne le glas de l’exploitation de l’homme par l’homme. Par une soirée de 1791, au cours d’une mémorable réunion à Bois-Caïman, il harangue les esclaves timorés faisant ressortir la nécessité de changer la course des choses. Alliant le geste à la parole, il prit un couteau, poignarda un porc et en distribua le sang à ses frères. Galvanisés, ils gagnèrent les rues à la recherche de leurs oppresseurs pour se venger des offenses qu’ils ont subies. Malheureusement ils ont été tous massacrés par leurs maîtres résolus à perpétuer le règne de la terreur.

Cette réunion est enregistrée dans l’histoire d’Haïti comme une cérémonie vaudouesque avec une connotation diabolique. Mais plusieurs historiens avertis voient plutôt une rencontre politique visant à motiver les esclaves et surmonter leur peur. Un extrait du discours véhément prononcé par Boukman à cette occasion traduit bien les lamentations d’une âme souffrante mais déterminée à ne pas se laisser dépasser par les temps et les circonstances:

«Dieu, vous qui avez créé la terre et le soleil qui nous donne la lumière. Vous qui détenez l'océan, qui faites rugir le tonnerre. Vous qui avez des oreilles pour écouter, qui êtes caché dans les nuages, qui nous regardez d'où vous êtes. Vous voyez tout ce que le blanc nous a fait souffrir. Le dieu de l'homme blanc lui demande de commettre des crimes. Mais vous, vous voulez notre bien...

Notre Dieu, qui est si bon, ordonne la vengeance pour nos torts. C'est lui qui va diriger nos armes et nous apportera la victoire, c'est lui qui va nous aider. Nous devons tous jeter l'image de l'homme blanc et leur dieu si impitoyable. Écoutez la voix de la liberté qui parle dans l'ensemble de nos cœurs».

Deux cent dix neuf ans après, ce message pourrait encore trouver écho dans le cœur de certains Haïtiens et inspirer un grand nombre.

Après la mort de Boukman, la nature ayant l’horreur du vide, d’autres leaders par la suite ont émergé. Ils ont à leur façon contribué à l’histoire haïtienne, qualifiée parfois d’épopée. Des figures charismatiques lointaines et contemporaines se sont révélées. Par ces moments tristes de la vie nationale, si vous vous sentez interpellés, faites nous part de certains thèmes, anecdotes, évènements, exploits ou faits saillants qui vous ont marqués, et qui ont permis à Haïti de rester debout malgré les temps et les circonstances. Ils offriront grâce à vous une autre perception de ce pays trop décrié.

Le débat est lancé. À tantôt.

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Haiti Trough Times and Circumstances

By Paul Sanon and Leslie Pétigny
  Edited by karen Thompson

In the aftermath of January 12, 2010 Haiti’s earthquake, the republic became the world’s focal point. Considering the magnitude of physical damage, human suffering and loss, the international media, suddenly became infatuated with our depressing and agonizing conditions. As Haitians throughout the globe were in a state of shock and disbelief, many corrupt minds seized the opportunity to vilify us and turn myths and legends, into facts. As we are burying our brothers and sisters, despite all of our tribulations, we feel the moral obligation to present a fairer picture of this devastated, misunderstood and mistreated part of the globe, Haiti. Our new Chronicle entitled, “Haiti through Times and Circumstances” is specifically intended to shine light into darkness with the hope that our insight will enlighten your path.

So often, Haiti is described as the poorest country in the Western Hemisphere. Rarely, it was mentioned that she also possesses a fascinating history. Her rich culture and arts are breathtaking. Hailed by Anderson Cooper as a land of myths, Haiti has always been a puzzle for the world’s greatest ethnographers, anthropologists and sociologists.

Voodoo, one of her religious manifestations, so often vilified, is still a hot field of research for many intellectuals throughout the globe. Despite rampant poverty, they all were amazed by the immensity of her cultural heritage, our artistic predisposition, and our historical prowess. It is unfortunate that our leaders never capitalize on those particular elements.

As foreigners, you may see Haiti as an island of nightmares. Nevertheless, as Haitians, we still see her as a land of big dreams and hope. As a point of fact, the January 12, 2010’s earthquake, as seen on television, is a vivid example of our resiliency and hope. The images, taken in those darkest times, show out- of-breath men and women, with their bare hands searching for their love ones as they plead with heaven for a brighter future. They kept soldiering on despite hopeless conditions.

Certain people, on the name of Christian love, claim that the nation has been cursed. Yes, misfortune seems to be a frequent visitor. Nevertheless, we never see ourselves as God’s stepchildren. Our passion for life, and our unbreakable spirit are supreme manifestation of divine blessings. We are one of the most faithful people of the world.

Wrapped in a serenity that borders stoicism, heartless beings are dumbfounded by the way we react to calamity, insult and deprivation. We have once again proved that Camus’ absurd and Aragon’s surrealism are simply mirror images of each other.

It is important to start our chronicle “Haiti through Time and Circumstances” with Bois-Caiman”. This historical event is a milestone in our history and can be used as a starting point to understand our strength, our resilience and our bravery in dire time irrespective of our resources.

Haiti was originally inhabited by the Indians until Christopher Columbus’ unfortunate arrival, in 1492. Columbus and his ruthless cohorts, in search of gold, enslaved the peaceful natives. To replace the decimated Indian population and continue their outrageous exploitation of mines, the settlers brought stronger human beings from Africa. Their sweat and blood watered the land and transformed it into a paradise. Then, the French, Spanish and English fought mercilessly to gain or maintain possession of this sacred part of the globe.

Around 1791, a slave named Bookman, aware of slavery’s inhumanity felt a divine need to change the course of things. One evening, during a meeting at Bois-Caiman, he incited his nonchalant brothers of misfortune to stand up against oppression. He backed up his words by symbolically grabbing a knife, stabbing a pig and distributing the blood to his sisters and brothers. Mobilized and well psyched, his followers went out to avenge the wrongs they had suffered from their white masters. Swiftly, the colonial army counter attacked, squashed the rebellion and massacred all of them. Given the time and circumstances, this rebellion of epic proportion, was unimaginable. In retrospect, maybe, knowingly, Bookman sacrificed his life to teach to the other slaves about conviction, self-actualization, unity, determination, sacrifice, and freedom .
Perhaps, metaphysically, he and his comrades were winners and have transcended death.

Ironically, this meeting is recorded in the mind of many detractors as a voodoo ceremony with diabolic connotations. But several renowned historians describe it as a political meeting: A motivational meeting designed to help the subjugated slaves overcome their own fears. This is the same technique and tactic that great sports coaches like Phil Jackson, and Bill Parcels use to motivate their players before a decisive game. Bookman, apparently, knew that only an extraordinary action could stimulate those zombified beings. An excerpt of the speech vehemently delivered by Bookman simultaneously reflects the cries of an angry man and the lamentations of a suffering soul, but determined not to be overtaken by time and circumstances:

“Dear God,
Architect of the earth, and the sun
A sun, which brings us light to our existence.
Oh God, creator of the ocean, and thunder.
Our God has ears to hear
Hidden in the clouds but still is looking after us.
You must see all that we have endured from the white man.
For many years, we have suffered.
Unlike the white men’s god with his wicked ways
Our God is one of kindness and love.
Our God of justice has ordered us to get even.
He will guide us and bring us victory
He will take our hands and assist us
We all should tear up the wicked white man’s god image
We should listen to liberty voice echoing in all our hearts”.

Two hundred and nineteen years later, this message could still echo in the heart of some Haitians and still can inspire many throughout the globe.

Nature is afraid of emptiness. And subsequently, , other leaders have emerged after Bookman’s death. They have brought their own contribution to Haitian history, some epic - others disgraceful. In these sad moments of our national life, please feel free to share with us certain memorable themes, stories, events, achievements or highlights that kept us soldiering as a nation, despites time and circumstances. They will provide the rest of the world with a different perception of Haiti, portion of the global village so much victimized by ignorance, wickedness and incomprehension.

We Will Overcome.

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