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Tremblement

Louis-Philippe Dalembert

Pascale Monnin, Port-au-Prince, Untitled; © Collection Galerie Monnin.

Je suis en Haïti, mon pays natal, depuis le 4 janvier. En principe pour participer à la deuxième édition du festival littéraire Étonnants Voyageurs qui devait se tenir du 14 au 17 janvier. J'en ai profité pour arriver plus tôt. Je devais aussi repartir plus tard, quelques jours après la fin de la manifestation.

L'après-midi du tremblement de terre, je me trouve chez mon frère qui m'héberge chaque fois que je suis en Haïti. Ce jour-la, je suis dans la cour en train de travailler. Un quart d'heure plus tôt, j'y passais. D'ordinaire, je travaille sur un coin de la table de la salle à manger, attenante à un meuble en acajou où sont gardés les assiettes, les verres et des bouteilles d’alcool. Vers 16h30-16h40, je me lève pour sortir dans la cour. Il fait trop chaud à l'intérieur. Quand j'ai entendu les premiers bruits et le sol trembler, j'ai d’abord pensé au passage d’un camion citerne. Quand les bruits sont devenus assourdissants, j’ai cru à la chute d'un avion. La maison de mon frère est située à moins d'un kilomètre de l'aéroport Toussaint Louverture. Puis je vois le sol se soulever, et les arbres autour de moi, deux énormes manguiers et un avocatier, se mettre à bouger dans tous les sens. Les pierres de la clôture extérieure ont commencé à s’égrainer C’est alors que j’ai réalisé ce qui se passait. Je me suis levé d’un bond. Mais je n’ai pas pris la direction de la porte adjacente pour passer par l’intérieur de la maison. Simple réflexe, j’ai séjourné dans les Abruzzes peu de temps après le tremblement de terre du mois d’avril 2009. C’est ce qui m’a sauvé. Le meuble s’est étalé de tout son long sur la table, juste à l’endroit où je travaillais un quart d’heure auparavant.

Sur le moment, je pense à la belle-mère impotente de mon frère qui se trouve à l’intérieur, dans son lit. Je saute par-dessus la petite barrière de la cour. N’étant pas Sotomayor, le champion du monde cubain de saut en hauteur, je me retrouve par terre, le tibia en sang et la main égratignée. Je me relève en appelant la femme de ménage, et mon frère, qui sortait en même temps de sa chambre. Nous fonçons tous les deux vers la chambre de sa belle-mère. La vieille femme ne se rend pas compte, malgré la commode renversée, le miroir brisé, les tableaux décrochés du mur et l’eau qui a jailli du sol, de ce qui se passe. Tout ça, on le constatera a posteriori. Elle refuse de sortir pieds nus et réclame ses sandales. Paniqués, nous la soulevons par les aisselles et la transportons à l’extérieur sans autre forme de procès. Autour de nous, les objets volent. Nous nous retrouvons tous les quatre dans la cour avant de ressentir deux autres secousses moins violentes. La femme de ménage, en état de choc, fond en larmes. Je la prends dans mes bras. Mon frère tente d’expliquer à sa belle-mère ce qu’elle est en train de vivre. Tous les voisins sont dehors. De loin, dans les rues et les cours environnantes, on entend des cris et des exclamations «Jésus ! Jésus !» tandis que le ciel se couvre d’un nuage de poussière. Plus tard, on saura, grâce à la seule radio qui émet à ce sujet, que la première secousse était d’une amplitude de 7.3 et avait duré entre 45 secondes et une minute, et les deux autres 5.9, puis 5.5.

Mon frère essaie alors d’appeler sa femme, et ses deux enfants qui se trouvent à l’école. Par chance, les communications, défaillantes quelques minutes plus tard, ont pu être établies tout de suite. Mes neveu et nièce sont à une extrémité de la ville, et leur mère à l’autre. Les enfants, ma nièce en pleurs, sont les premiers à arriver, puis ma belle-sœur. Chacun commence à raconter son expérience de ce qu’on venait de vivre. Ce qu’il a vu dans les rues en venant. On commence à réaliser alors la portée du phénomène. Au bout de quelques minutes on pénètre à l’intérieur de la maison pour constater l’ampleur des dégâts. Il y a de l’eau partout, des meubles se sont déplacés dans tous les sens, les tableaux sont par terre, la vaisselle en miettes, les lits au travers de la porte. Les murs se sont affaissés autour du pâté de maisons.

Commencent alors la valse des appels des proches et des rumeurs. La plupart des bâtiments publics se seraient écroulés, en particulier le Palais présidentiel appelé ici palais national. Untel serait mort. Celui-ci aurait envoyé un message de sous les décombres. Deux de nos voisins ne reviendront jamais de leur bureau. Trois autres sont revenus avec des blessures diverses et variées, après avoir marché trois heures à travers les rues sinistrées de la ville. Barack Obama, selon des Haïtiens installés aux États-Unis, aurait adressé une allocution à la télévision. Nicolas Sarkozy aussi serait intervenu. On attendra jusqu’au lendemain dans l’après-midi une intervention du Président haïtien.

En attendant, il faut s’organiser au niveau du voisinage pour la nuit. Qui apporte le riz et les haricots, qui d’autre la viande. Qui un lit de camp, qui d’autre une natte. On sait qu’on va passer la nuit voire plusieurs à la belle étoile. De toute façon, les nuits sont belles à Port-au-Prince. Réunis comme pour une veillée, on se rassure, pleure et rit à la fois. On essaie de dormir, sans vraiment y arriver, attentifs à la moindre secousse. La nuit sera longue. De fait, la terre ne cessera de trembler.

Le lendemain dès six heures, avec mon frère, on sort faire un tour dans la ville, histoire de se rendre compte de la situation. Ce qu’on voit dépasse les images internet de la veille. Toute la population est dehors, allant comme sans but dans un sens et dans l’autre. Certains traînent une valise derrière eux. D’autres transportent des blessés à dos d’homme, dans une brouette, sur un brancard improvisé. Les visages sont hagards. Des centaines de cadavres jonchent les rues. La plupart des bâtiments publics n’ont effectivement pas résisté au passage du séisme. La petite école de management de mon frère est réduite en un amas de gravats. Juché au-dessus, le gardien retire des dossiers, sauvetage dérisoire, des décombres. La veille, avec d’autres, ils en avaient sorti à mains nues une dizaine de corps. Il nous apprend plus tard que son propre fils n’y a pas survécu. Le jour d’après, on verra d’autres personnes armées d’une simple pelle et de leur propre initiative tenter de nettoyer les rues. Ça se passe souvent ainsi dans les moments de catastrophe en Haïti: le petit peuple est toujours le premier à réagir. À y penser, on se sent insignifiant. J’ai donc choisi de rester encore un peu, malgré l’offre généreuse de l’ambassade de France de me ramener à Paris.

Louis-Philippe Dalembert
Port-au-Prince, 16 janvier

séisme 2010

Ruines. Photo Garry Jean, source metrololehaiti.com.

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