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L'œuvre de Joël Des Rosiers, de Métropolis opéra
à Vétiver un seul livre sur plusieurs titres

Jean Armoce DUGÉ

Paysan haïtien

Haïti 1983. Photo F.& F. Biaggi.

Il n'a pas oublié – peut-être, n'oubliera-t-il jamais: il est écrit/il l'a réécrite – son histoire qui est celle de sa ville, qui est celle de son île, qui est celle de la Caraïbe, de la traversée des Africains, de leur survivance dans les colonies d'Amérique et de leur errance à travers les mégapoles. Joël Des Rosiers, comment et où le situer?

Écrivain d'une autre forme de négritude, de Métropolis opéra (1987) à Vétiver (grand prix de Montréal, 1999), le Cayen Des Rosiers nous livre une poésie de la mémoire et de la nostalgie dans laquelle est décrite la douleur des origines. Cette douleur, le poète la transporte partout avec lui. En soufre. Avec et pour les siens. Ses recueils sont de vastes étendues, espaces visibles et imaginaires où il la cache.

Chez Des Rosiers, espace est devenu thème récurrent et prétexte. Espace, où depuis Métropolis opéra, selon «la dictée de la mémoire» (p. 23) le poète nous invite à regarder «par-delà / le mystère l'origine de la douleur» (p. 26). Pour nous dire qu'à travers les grandes villes qu'il traverse, il y a «l'enclos du souvenir» sans quoi «l'amère mémoire s'évanouit» (p.55). Tout est musique : le regard qui «annonce la montée de la nuit (p. 26)/le murmure des prières» des villes «de vastitude comme de désertitude» (p.32). Et même, pour évoquer l'amère mémoire, dans «cette possession maudite (où)/un enfant accompagne/une cargaison d'ancêtres terrassés» (p.32), sans oublier «le fracas des rosiers/douceâtre ressouvenir» (p.66). D'où : Métropolis opéra.

Tribu (1990), faux titre pour continuer à poétiser sur les villes, ces espaces qui remplissent le poète de souvenirs. Pas souvent heureux. Souvenirs hantés de négritude. Souvenirs coloniaux aussi enracinés dans le quotidien : l'«esclave pieds coupés» (p. 37) (le poète) de la bouche duquel émane le conte de la tribu en péril. Souvenirs de l'île natale dont le dépérissement devient vertu (p.24).

«J'ai rêvé mes livres et en particulier Savanes comme une traversée des origines», dit Des Rosiers dans Théories caraïbes (p. 188). Savanes (1993) nous présente l'origine du monde «d'où vient la terre d'où vient le paradis» (p.16). Donc le plus bel espace, «lieu absolu pour la beauté/du drame» (p.61). Mais le poète nous parle avec douleur de cette terre inconnue, cette savane, cette île - la sienne - où débarqua «Colomb/lent amiral aux lombes de Maria/aux champs d'amour jonchés de prières infâmes» (p.11). Et depuis, «le stupre de la mort coule» (p. 38) des trompes des femmes: «il est odieux de ne pas pleurer», dit le poète (p. 35).

Théories caraïbes (1996) : un intermède. Du moins, un regard critique pour situer le lecteur hésitant. Pour que l'écrivain se situe, lui aussi. Il parle, entre autres, de la «multiplicité des cultures». Ses œuvres en portent les empreintes. Et précise: «Je suis métis, je suis Africain, Européen, Amérindien.» (p.187). Il dira dans Vétiver: «Notre poème est très vieux.» (p.29). Y prennent donc place toutes les mythologies et toutes les histoires anciennes- modernes aussi - des peuples. Son œuvre en étant un seul morceau à plusieurs gammes, Théories caraïbes annonçaient déjà, Vétiver, la dernière note de cette partition à quatre temps de Des Rosiers : «Les écrivains, avoue-t-il dans Théories caraïbes, n'offrent qu'une histoire personnelle au lecteur, dévoreur d'autrui, un entêtement à être là pour dire la mémoire et la mort.» (p.72).

Vétiver (1999), œuvre récompensée – et bien méritée – par le jury du Grand prix de Montréal, histoire personnelle de l'auteur, se déroule comme un récit. Le poème- récit reprend toutes les thématiques des trois précédents recueils: l'errance , la quête de l'identité et des origines , la nostalgie, la douleur de la mémoire, la description des espaces (visibles et imaginaires)... Il faut parler dans ce chef-d'œuvre de préférence de la phrase desrosienne. Au sens musical du terme surtout. «La poésie des enfants et des champs, aussi est-elle à rechercher de plus en plus dans la prose, dit le poète, dans les sonorités belles et étranges que nous ont léguées nos prédécesseurs.» (p. 29). Des Rosiers désarticule le binaire prose/vers. Voilà l'originalité de l'œuvre du chantre des espaces. Beauté inouïe. Heureux hommage à la terre natale, les Cayes, cette presqu'île, terre des huiles essentielles, évoquées (la ville natale ainsi que l'herbe) par le poète depuis Métropolis opéra, reprises à travers Tribu et Savanes pour l'achever à la grandeur de l'amour du beau dans l'intitulé Vétiver.

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