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Ayiti

Arrêtons l’invasion des fourmis du nord

Jean Erich René

Formica rufa
Formica rufa, en train d'asperger de l'acide formique. © Riccardo Oggioni

La plus gigantesque armée débarquée en Haïti est constituée de bestioles méchantes appartenant à l’ordre des hyménoptères. Ces soldats aguerris manifestaient leur présence pour la première fois à Plaisance en décembre 2006. A la faveur de la saison des pluies ils ont observé un repli stratégique et en ont profité pour creuser leurs tunnels dans le sol et dans le tronc des arbres afin d’y déposer leurs larves et augmenter leur effectif. Au solstice d’été 2007, une super colonie sauvage surgit et met en émoi la population du Nord. Les dégâts matériels sont assez lourds. Leurs itinéraires de parcours sont indéterminés.

Comment comprendre et résoudre cette invasion de fourmis à Plaisance?

Cette horde de fourmis destructrices ne se cantonne pas seulement à Plaisance. Elle étend son empire en se déplaçant progressivement d’une part vers Chatard, Pilate, Ravine Trompette. D’autre part elle continue sa marche imperturbable vers Limbé, L’Acul du Nord, Dondon, St Raphael, Grande Rivière du Nord, Baron, Ranquite, La Victoire, Marmelade sans oublier, Ravine Desroches, Petit Bourg de Port Margot, Port Margot. La Rivière Bayeux les empêchera d’atteindre l’autre rive pour toucher Petit Bourg du Borgne, Nan Cacao, le Borgne, Nan Glacis et traverser dans le Nord Ouest par Grand Mantaigu, Ti Montaigu, Morne Vent, St Louis du Nord etc... Grâce à l’effet de fœhn provoquant une différence de température entre les versants au vent et sous le vent, Puilboreau constitue un obstacle infranchissable pour ces anarchiques prédateurs afin de conquérir l’Artibonite et le Plateau Central en passant par Ennery, Marchand et St Michel de l’Attalaye. Dieu soit loué!

D’où viennent ces méchantes fourmis?

Ces fourmis ne sont pas haïtiennes. A bien considérer leur comportement social, elles n’ont aucun point commun avec le mode de vie de nos fourmis communes. Notre argument scientifique massue, c’est leur regroupement en super colonie. Il existe une discrimination sociale entre les fourmis qui se regroupent par familles. A chaque bande sa butte ou sa galerie. Chaque horde de fourmis pour se distinguer des autres tribus dégage un parfum spécial dénommé phéromone. Souvent différentes bandes de fourmis sont en conflit de territoire. Elles s’affrontent et s’entretuent dans l’espace de 15 secondes. Le struggle for life limite la prolifération des fourmis en empêchant leur invasion massive comme c’est le cas actuellement dans le Nord d’Haïti.

La singularité du comportement des fourmis dévastatrices de Plaisance trahit leur origine complètement exotique. Au lieu de s’affronter, elles forment une coalition pour constituer une armée puissante et imbattable par les moyens biologiques ou naturels courants qui assurent l’équilibre de l’écosystème. Elles provoquent la rupture de la chaîne biologique courante. De tout temps et à l’insu du commun des mortels, les fourmis s’intègrent dans le biotope. Elles aèrent le sol et assurent d’autres fonctions importantes telles que nettoyage, dissémination des semences, démariage des plantules, pollinisation des fleurs et leur fécondation etc. Leur utilité incommensurable n’a pas de prix. L’extermination des fourmis indigènes va avoir des répercussions incalculables sur l’environnement national.

Pourquoi elles ont choisi Plaisance?

Selon la littérature scientifique, la fréquence des fourmis est généralement motivée par la présence de produits sucrés tels que: la déjection de certains parasites, pucerons etc. A ce compte l’entomologie, cette science qui étudie le comportement social des insectes, leur style de vie, leur mode de reproduction et leur habitat, associe la fréquence des fourmis sur certaines plantes à la présence des aphides couramment appelés pichons dans notre savoureux créole. Ils secrètent une substance sucrée appelée miellat dont raffolent les fourmis. Aussi les entomologistes identifient les aphides, de couleur blanchâtre, comme les vaches laitières des fourmis piquantes. Donc si on veut détruire les fourmis qui nous effraient dans nos jardins, il faut s’attaquer d’abord aux aphides.

Qu’en est-il de l’avalasse de fourmis qui sèment la panique dans le Nord d’Haïti?

Donnons écho aux déclarations des paysans de Plaisance qui ont apporté leurs propres explications aux origines de ces fourmis qui causent autant de dégâts dans leur localité. Au cours de ces 15 dernières années les assoiffés du pouvoir ont pris la mauvaise habitude, selon l’oracle de leurs lwa ou mystères, d’arroser le sol national de sirop afin de calmer le peuple. Sous le Gouvernement de Prosper Avril, non seulement des tonnes de sirop sûr furent vidées dans tous les carrefours à 4 chemins d’Haïti mais encore les locaux des Partis Politiques qui réclamaient les élections furent bardés d’excréments. Sous l’empire de son chwal Ogou Ballendjo, le Petit Prêtre des Pauvres, selon les témoignages des habitants de Raboteau, a fait verser par hélicoptère du sirop sur la ville des Gonaives. Les paysans de Plaisance expliquent cette invasion massive de fourmis par l’enterrement dans le sol de Plaisance, de plusieurs barils de sirop miel, à la période de surchauffe politique qui a précédé la chute de son Gouvernement.

Vox populi, vox dei! Dominer la population d’un pays, d’une ville ou d’une localité par des actes de sorcellerie est un pari impossible à gagner à long terme. L’envoûtement collectif est une initiative que redoutent même les Grands Maîtres à cause de la diversité des horizons humains. Le ciel est constellé d’étoiles on ne peut pas les embrasser toutes sans subir le choc en retour. L’esprit scientifique nous oblige à faire abstraction de cette connotation mystique de l’invasion des fourmis dévastatrices de Plaisance en la rangeant dans le folklore haïtien. Mais, attention! Toute science a comme point de départ l’observation. La répétitivité desévénements confirme ou infirme la validité des hypothèses posées. Selon la définition subjective de Max Weber: “L’action sociale tient compte du comportement des autres et en est affectée dans son cours.” (Weber, Max Theory of Social and Economic Organization page.88)

Les relations entre alter et ego sont interdépendantes. Anthony Giddens pour sa part considère la structure sociale comme: “le produit de la récurrence des interlocuteurs quotidiens… Les règles sont d’une part les prescriptions culturelles apprises et d’autre part une connaissance pratique de ce qui se passe dans la vie quotidienne.” (Giddens, Anthony, Central Problems in Sociological Theory, page 294)

En science le rationnel et le surnaturel ne font pas bon ménage. L’historiographie politique haïtienne fait coïncider l’arrivée de ces fourmis étrangères avec le débarquement en 2006 des colis des soldats de la MINUSTAH. Un argument en béton armé pour le prouver: le mode de distribution géographique des soldats de l’ONU en fonction de leurs nationalités. En effet, par leur comportement social ces fourmis rappellent la: “Linepitherma humile” de l’Amérique du Sud dont la patrie d’origine est l’Argentine. Elle a fait de violents ravages au Mexique et dans la Caraïbe où elle est connue sous le nom de “ Fourmi d’Argentine”. Quand la température dépasse 25°C, elles abandonnent leurs habitats et partent à la recherche du frais soit une température idéale de 10°C. Au cours de l’hiver elles hibernent, cachent leurs larves pour sortir en masse en été. Elles sont tellement nombreuses qu’on ne peut pas les détruire même avec un rouleau compresseur. Le feu les oblige à se déplacer en infestant leur parcours.

Que faire?

Le couloir écologique a ses avantages mais il faut aussi parer aux inconvénients. Le changement climatique a provoqué une certaine mutation des fourmis en changeant leur matériel génétique. Maintenant, elles ne secrètent plus au niveau de leur cuticule cette odeur discriminatoire. Ainsi elles détruisent les fourmis haïtiennes et nuisent sérieusement à notre biodiversité. Voici les solutions:

  • A l’échelle locale il convient d’assiéger cette horde anarchique de fourmis. Elle se déplace dans une direction déterminée à la recherche du frais. Il convient de les coincer au voisinage des berges d’une rivière.
    Une ceinture de feu en arc de cercle dont le rayon est tourné vers les berges de la rivière permettra de les circonscrire. Pris en sandwich dans l’aire qui leur est réservée, elles seront copieusement alimentées avec un mélange de mais moulu et de chlordane, bien connu en Haïti sous le nom de poudre fourmi, d ’autres insecticides comme l’Aldrine, le Dieldrine, le Toxophène sont aussi prometteurs. Les arbres déjà attaqués seront traités avec des insecticides endothérapiques comme le Demeton. (Coutoneau Maurice, Ingénieur Horticole, Encyclopédie des Jardins page 78)
  • A l’échelle familiale les pieds des lits, tables chaises etc. seront placés dans un baquet d’eau, soit une boite de conserve vide, une gamelle, un couietc. Des morceaux de citron pourri et des gousses d’ail seront placés sur le seuil des portes et dans chaque coin de la maison. Sur la cour et à une distance de 30 m on établira une ceinture de sécurité avec des feuilles de tabac ou encore avec des gousses d’ail ou encore des morceaux de citron pourri pour repousser les fourmis.
  • A l’échelle individuelle, qu’il s’agisse d’hommes ou d’animaux leurs pieds seront lavés avec des feuilles de tabac en décoction dans l’eau. La poudre de tabac généralement chiquée par nos paysans ou inhalée en prise pour décongestionner leurs narines est efficace pour chasser les fourmis. Un mélange de 80 à 120 grammes de poudre de tabac dans un hectolitre d’eau suffit pour asperger la cour à une distance de 30 mètres de la maison et expulser les fourmis qui ne sauraient résister à la toxicité de la nicotine.

Jean Erich René
août 2007

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