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Ferguson City

Serge H. Moïse

L'assassinat crapuleux de Michaël Brown a soulevé l'ire de la communauté afro-américaine et suscité évidemment de vives réactions à travers plusieurs villes de la république étoilée et de multiples commentaires. Certains chargés d'émotions, charriant la rage des victimes, les justifications boiteuses des bourreaux et les propos insipides des indifférents qui jouent aux intellos mal avisés, sans oublier les «oreos» qui ont raté une occasion en or de se taire.

Trois noms résonnent inlassablement et de manière tellement lugubre: Trayvor Martin, Michaël Brown et Tamir Rice à Cleveland, ce dernier, un gamin âgé de douze ans à peine. Les plus récents d'une liste longue et intarissable. Et comme le ridicule ne tue pas, il s'avère qu'un autre gamin aurait écopé de vingt-trois ans d'internement pour avoir tué le chien d'un voisin.

Ricky Jackson dans l'Ohio vient d'obtenir sa remise en liberté après trente-neuf ans de prison ferme pour un crime qu'il n'avait pas commis. Dans son cas, un témoin à charge, un garçon de douze ans avait déclaré sous serment avoir vu Ricky commettre le crime. Il n'en fallait pas plus pour qu'il fût condamné à mort. Toutefois, des années après, ce garçon hanté par le remords finit par avouer qu'il avait été manipulé par les policiers et qu'il n'avait jamais vu Ricky Jackson commettre le crime qui lui était reproché.

Aurait-on déjà oublié la saga de cet immigrant haïtien qui a eu un traitement anal très particulier à New York. Le policier qui avait procédé à son arrestation trouvait qu'il avait l'air constipé et a introduit son bâton dans son anus, histoire de le soulager. Un bon samaritain somme toute, mais dans ce cas-ci, il semble que la victime a eu droit à un procès équitable et a été grassement dédommagé.

Ou encore, le sieur Éric Garner, père de six enfants, étranglé à mains nues par des policiers en crise de puissance et contre lesquels aucune accusation ne sera portée selon le grand jury de New York.

Même ceux qui veulent jouer à l'autruche doivent reconnaître qu'il ne s'agit pas de cas isolés attribuables à des accidents de parcours, mais d'une pratique perpétuée à travers des siècles et en particulier durant la période de l'esclavage où les tenants de l'église catholiques de France affirmaient «Dieu est trop bon pour mettre une âme dans un corps aussi noir».

Est-il besoin de remonter le cours de l'histoire et reprendre tout ce que les historiens honnêtes et objectifs ont mis à la disposition des lecteurs? Ce serait certes trop long et fastidieux. Rappelons tout simplement le code de 1685 régissant le statut des descendants africains, esclaves évidemment dans le nouveau monde et plus connu sous le nom de Code Noir.

Victor Hugo a bien déclaré avec toute sa candeur que l'Afrique était un cadeau fait à la France par nul autre que Dieu lui-même, dans sa bienveillance et sa sainte générosité. Et pour avoir apporté un démenti formel à ces assertions, Toussaint Louverture, Capois Lamort, Jean-Jacques Dessalines et tous nos vaillants va-nu-pieds l'ont payé fort cher. Leurs descendants en paient encore le prix sous forme d'acculturation qui frise souvent, l'aliénation pure et simple.

Quant au duc de Gobineau, il a fait école, établissant de manière plutôt savante que le nègre est un être intrinsèquement inférieur, destiné à la servitude jusqu'à ce que Anténor Firmin vienne lui faire la leçon, suivi avantageusement d'Anta Diop dont les découvertes demeurent plus ou moins occultées et pour cause.

Le profilage racial se pratique un peu partout en occident chrétien. Ce professeur d'université qui revenait de voyage et qui s'est retrouvé aux alentours d'une très belle maison dans un quartier huppé avait l'air d'un rôdeur pour la simple raison qu'il n'affichait pas la bonne couleur pour posséder une telle maison. Le président Obama s'est cru obligé d'inviter les protagonistes à la maison blanche, histoire de trinquer une bonne bière et calmer les esprits.

Les prévisions d'Albert Einstein se confirment à la lettre. Les découvertes scientifiques se multiplient mais sur le plan des valeurs cardinales on constate un nivellement pas le bas des plus inquiétants: racisme larvé, politique génocidaire, fabrication de virus en laboratoire, distribution de drogues meurtrières guerres de religions, le tout, en plein vingt et unième siècle.

Domination, enrichissement illicite, exploitation de l'homme par l'homme à travers des techniques qui se sont peaufinées au fil des siècles, ce qui confirme, si besoin était que «l'histoire est un perpétuel recommencement » ainsi que le triste constat des anciens « homo homini lupus est».

Tout en déplorant les dérapages qui surviennent au cours de certaines manifestations qui revendiquent le respect des droits et libertés individuels, il faut avoir une certaine hauteur pour comprendre qu'une foule n'est pas une addition mais une multiplication. A travers les défilés carnavalesques où la foule s'amuse et se défoule, on enregistre à Port-au-Prince, à Rio ou ailleurs des centaines d'accidents, de blessures et autres incidents regrettables. Que dire des éternelles victimes qui expriment leur désespoir et leur rage? Toute réaction est un symptôme et si on veut guérir un mal il faut s'attaquer à ses causes.

D'autres bonnes âmes parlent d'éducation comme la solution à tous les problèmes sans spécifier quel type d'éducation. Le dressage que nous avons eu jusqu'à nos jours et qui a fait de nous des acculturés diplômés, incapables de pratiquer la solidarité ou un apprentissage en adéquation avec notre histoire, notre véritable culture et les objectifs que nous devons poursuivre individuellement et collectivement pour les siècles à venir?

La situation risque fort de s'aggraver s'il est vrai que de récentes découvertes pourraient prolonger la vie humaine jusqu'à cent vingt-deux ans!

Il y en a qui ont perdu tout espoir et qui en sont déprimés. D'autres qui prennent leur rêve pour la réalité et qui se gargarisent de bonnes paroles sans s'engager autrement en remettant le tout entre les mains de leur créateur, ceux-là même qui vous disent «aide-toi et le ciel t'aidera» et que les mal parlant appellent les grenouilles de bénitier.

Il faut de tout pour faire un monde dit le vieil adage. Depuis la nuit des temps, il a existé sous d'autres noms des conzés, des oreos, des tokens faisant le jeu de l'oppresseur par leur couardise, leur soumission outrancière et leur individualisme lâche et révoltant. D'un autre côté des héros ont marqué leur passage sur cette terre par leurs luttes contre les injustices et atrocités érigées en système en ce bas monde. Ils sont fauchés les uns après les autres mais se reproduisent à chaque génération afin de poursuivre la lutte jusqu'à la victoire finale qui sera celle de l'humanité tout entière quand l'être humain cessera d'être un loup pour ses semblables.

Serge H. Moïse
avocat

 Viré monté