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Pour saluer la première mise en scène du texte Jesika

Par Renel Exentus

Novembre 2022

Invité d’honneur de la quatrième édition de festi-théâtre créole à Montréal, l’écrivain Faubert Bolivar a présenté et interprété sa pièce de théâtre Jesika le samedi 5 novembre 2022 dans la salle de spectacle du collège Ahuntsic. Accompagné du musicien David Bontemps, des comédiens Roc Edenne et Jeff Édouard Chéry, il a offert au public un spectacle à la fois sublime et entrainant. Écrite en 2009, cette pièce contenant 38 pages est jouée pour la première fois. C’est une œuvre inédite bien que la disposition typographique ait été mise à jour.

La pièce se compose de trois scènes, dont une scène principale et deux scènes secondaires. Tout se déroule dans un décor marqué par un clair-obscur. Dans la scène principale, Bolivar, dans le rôle de Bousiko, se livre à un monologue avec la mort comme toile de fond. Pendant près d’une heure, son verbe ensorcelant recrée tout sous le signe du deuil. Les éléments de la vie quotidienne ne prennent sens qu’en se convergeant dans le tourbillon de la mort.

Par ailleurs, le jeu musical de Bontemps amplifie l’aspect funèbre de la scène plongée dans une obscurité muette et tamisée par des miroitements lumineux. Vêtu d’un costume simple aux couleurs de deuil, Bolivar, par son gestuel, outrepasse la scène. En effet, les gestes du comédien semblent s’étendre au public au point que celui-ci devient partie prenante du jeu théâtral. Faisant corps avec les sonorités musicales, le public ajoute sa voix au discours rythmé du comédien. Il complète la typologie des cadavres et se prononce sur les causes occasionnant la mort. La mise en scène devient une opportunité de réécriture de l’œuvre à l’aide des voix venant de toutes parts.

Si le monologue occupe les trois quarts de la mise en scène, il se révèle insuffisant pour  décrire tous les méandres de ce fond mortuaire. L’obsession de la mort ne vient pas d’un simple choix esthétique: elle découle de l’histoire tragique de Jesika et de Bousiko qui ont fait l’expérience-limite de l’insécurité dans l’intimité de leurs corps et de leur maison. La tragédie vient avec le surgissement d’un zenglendo dans leur vie qui a non seulement emporté l’essentiel de leur fortune mais a aussi violé Jesika avant de l’exécuter.

Le récit se déploie dans un mouvement circulaire où la fin se trouve déjà dans le commencement. La deuxième scène se caractérise par l’entrée de Edenne Roc dans le rôle de Jesika. Elle présente un Bousiko protecteur cherchant à assurer la sécurité de son amante, Jesika. Entretemps, Jeff Edouard Chéry, dans la posture du zenglendo, surgit à la troisième scène qui livre les raisons pour lesquelles Bousiko sombre dans  la folie. Sous le choc de la violence extrême, il devient depuis lors un apôtre du néant. Tous les éléments de la vie quotidienne se transforment dans son esprit et prennent le visage insigne de la mort. La puanteur  funèbre et mortifère embaume tout: aussi bien les relations sociales  que les accoutrements individuels.

La pièce prend fin dans un dialogue de l’amant éprouvé avec le cadavre mutilé de Jesika. Ce deuil s’impose comme un incontournable. Le socle de l’existence du veuf semble désormais ébranlé. La froideur du corps ensanglanté pousse l’amant au délire au point qu’il égrène les mots à l’infini. Comme un pansement, la  parole débridée de Bousiko   devient une tentative désespérée d’une âme endolorie vacillant à la frontière entre la folie et la mort.  

La mise en scène de Jesika réussit le pari de scruter la psychologie d’un personnage qui a vécu la violence extrême. En tissant un lien entre l’individu et l’Homme, elle tente de jeter un nouvel éclairage sur les conséquences de la violence dans la vie sociale.

Renel Exentus
Diplômé en philosophie à l’ENS,
doctorant en études urbaines à l’Institut National Recherche Scientifique (INRS) 

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 Viré monté