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"Tribilasyon" de Boukman Eksperyans,
un classique de la musique haïtienne

André Fouad

Publié le 2020-10-22 | Le Nouvelliste

Je bois toutes les paroles de cette chanson comme du thé à la citronnelle pour retrouver mon sourire d’antan, mon sourire de jeunesse.

Je bois toutes les paroles afin de peindre un autre univers, moins assombri par les notes du racisme, des conflits sociaux, de l’exil, de la nostalgie.

Au compte-gouttes, je bois les paroles de cette chanson fétiche pour me refaire une santé quand tout va mal, quand la vie quelquefois arrête de me sourire.

En effet, "Tribilasyon" coule à flots dans mes veines et suscite en moi tant de souvenirs lugubres parmi lesquels, la disparition de mon père Gaston André dans un accident de la route le 03 février 1995, la mort de ma grand-mère Henriette Duverne, l’assassinat de mes amis poètes, Jacques Roche, Willhems Édouard, et plus proche de nous, celui de Farah Martine Lhérisson.

« L’homme est un éternel apprenti. Nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert », affirmait le poète français Alfred de Musset. Il faut  apprendre  à souffrir pour connaître la douleur atroce de son frère, les désillusions, les tribulations de son voisin, de sa  voisine sur cette planète qui semble être invivable, inhabitable. Ainsi va la vie. Ainsi va le monde. Ainsi vont les êtres et les choses.

"Tribilasyon", chanson gravée sur le c.d "vaudou adjae" (Island Records, 1991) de la formation adoptant le rythme racine, Boukman Eksperyans, nominée au grammy awards dans la catégorie world beat en 1992, m’interpelle au quotidien de par son orchestration, sa couleur, son approche, sa texture ballade-rock et aussi par la profondeur, le message universel spirituel véhiculé, interprétée avec tant de sensibilité par Daddy Beaubrun.

"Remèt mizè w bay moun ki renmen w
Sila ki te bay lavi l pou l te sove w 
Fòk ou ka wè se nan li nou ka sove…",

ou encore 

"Li kapab delivre w nan tout tribilasyon
s Sa k pi enpòtan se pou w kwè nan li
O gad on lavi
Mwen ta viv tout tan…"

Ce chef-d’œuvre est une réalisation d’Eddy François (côté musical), du talentueux bassiste Hugo Valcin (côté lyrique), féru du jazz, co-responsable du site Haïti Legends sur Facebook avec Sandra Gabriel. La version originale est interprétée par le samba Eddy François qui faisait partie du groupe les compagnons de Saint-Gérard à Carrefour-Feuilles avec Hugo Vacin, le trompettiste Eddy Brisseaux et Nesmy Manigat, ancien ministre de l’Éducation nationale en Haïti.

Il m’arrive d’écouter cinq à huit fois cette chanson sur le playlist de mon ordi, j’éprouve toujours la même sensation comme auparavant: de fortes sensations qui me conduisent sur les routes de l’imaginaire, de la réflexion qui porte à croire que notre terre est dirigée par un être suprême (peu importe le nom qu’on peut lui attribuer) et des forces cosmiques qu’il faut constamment remercier et psalmodier pour leurs bienfaits…

"Si ou gade nan lavi w
ou wè gen fènwa
Vire fas bay limyè a
Sila ki te kreye w."

Je bois toutes ces paroles, certes, écrites en créole, mais qui dépassent le temps et l’espace géographique de l’île d’Haïti. À cœur joie je savoure chaque strophe de ce texte intemporel ainsi que ce solo magique à la guitare signé de l’incontournable Daddy Beaubrun.

 

*

Viré monté