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Maurice Sixto, peintre de nos mœurs

André Fouad

Le Nouvelliste | 2020-05-21

 

Le 23 mai ramène l’anniversaire de Maurice Alfredo Sixto. Ce lodyanseur, professeur de littérature, conteur et humoriste continue de fasciner les esprits. Quand un poète parle de ce griot, des accents lyriques dansent sur ses lignes mélodiques qui renvoient à la bande sonore de son enfance.

J'ai toujours vu en Maurice Sixto le profil d'un djeli, d'un griot africain issu des empires malinkes, mandingues, yoruba, témoin du temps, témoin  d'un temps qui a su résister aux assauts répétés de la nuit profonde et des secousses du grand vent du nord.

Dès l'âge de 17 ans dans le quartier de Carrefour-feuilles, plus précisément à la rue Rigaud, grâce à mon feu père Gaston André, j'ai pris goût à écouter à la maison familiale les oeuvres intemporelles de cet historien, de ce journaliste-sociologue qu'a été Maurice Sixto. Un ami ethnologue (Clifford Joseph) m'a fait remarquer que l'auteur de "Gwo moso" est l'un des plus grands sociologues que notre pays ait connu jusqu'à présent  sans jamais étudier la sociologie.

Pure vérité! je ne me baigne jamais dans le fleuve de l'ennui en savourant chacune de ces pièces, les unes plus accrochantes, plus captivantes, plus croustillantes que d'autres. Toute cette palette de tableaux que peint ce lodyanseur traduit nos moeurs, nos usages et coutumes, nos petitesses, nos maladresses, nos égos, nos vices cachés, notre mal-être en tant que peuple ayant tracé avec bravoure, avec dignité les sentiers ardus de la  liberté.

Mes pièces  coups de cœurs que je réécoute restent et demeurent l'incontournable "Sentaniz" et "Depestre". Quel magicien du verbe! Sixto a su développer son propre style, son propre débit et un humour inégalable. Il maitrise comme nul autre les lieux, les faits, les personnages étoffés d’une psychologie qui déteint sur leur manière d’être et le ton de leur voix qui renvoie aux personnages qu’ils jouent dans la société. Manifestement, le registre vocal de Sixto s’imprègne du langage, du parler, des gestes de chacun de ses personnages  dépendamment de son niveau intellectuel et du milieu dans lequel il évolue.  

Dans "Sentaniz" il pose la problématique de la domesticité en Haïti dans tous ses états à travers un style direct, cru, sans fioritures. Il se met dans la peau de cette pauvre fillette, maltraitée, abusée sexuellement, humiliée, vilipendée. Il pose le problème des classes sociales, des préjugées  à travers le dialogue fort significatif chantoutou /sentaniz. Quel talent de narrateur, de créateur, de conteur  de la part de Maurice.

“Ki moun ki wè ti Sentaniz nan gwo liv la".

Quant à la pièce intitulée Depestre, il m'interpelle au quotidien, il met a nu cet intellectuel, l'air prétentieux, pointilleux, méticuleux revenant de la France. Musicien-flutiste de son état, il voulait rendre un hommage au grand compositeur et chef d'orchestre Occide Jeanty. Malheureusement, il n'a pas pu concrétiser son projet. Après avoir vécu pendant longtemps à l'étranger, il  n'a pas su comprendre et s'adapter à son nouvel environnement différent de la France de Charles Trenet.

À bien regarder le tableau sociologique d’Haïti de l’époque, Depestre a été victime de l'ignorance crasse du peuple, des préjugés de gens victimes d’une sécheresse culturelle, car étant coupé du patrimoine de la musique classique d’Haïti. N’est-ce pas que les talentueux musiciens classiques haïtiens sont méconnus même dans les milieux aisés de la république. On ne connait pas les compostion de Ludovic Lamothe (1882-1953), Werner Jaegerhuber (1900-1953), Justin Elie (1883-1931),  pour ne citer que ceux-là. Pour peu, on aurait lyncher le pauvre Depestre.

Pour une large diffusion de Sixto

Autres temps, autres mœurs. Les présidents  se succèdent et se ressemblent. On a l'impression que le temps d’Haïti reste figé dans une éternité immuable. On continue de se répéter et de commettre les mêmes erreurs du passé. En ce sens, les histoires de Maurice Sixto gardent toute leur fraicheur. Aussi ces lodyans méritent-elles une plus large diffusion à travers tous les supports de la diffusion : articles de presse, études, documentaires, adaptations théâtrales, cinéma. 

Définitivement, Maurice Sixto est une affaire nationale. Pas question que ce patrimoine se confine dans une châsse bien gardée. Sixto, c’est l’affaire du ministère de la Culture  et de la Communication, elle est celle du ministère de l'Éducation nationale et de la Formation professionnelle. C’est l’affaire de la société civile. C’est l’affaire de chaque Haïtien au service du patrimoine culturel d’Haïti.

Maurice Sixto est comme du bon vin. Plus les années passent, plus le cru est millésimé.  Sixto s’adaptera à toutes les recettes. On le consonnera sous forme de bandes dessinées, d’albums et pourquoi ne pas déployer nos talents pour le faire vivre dans l’imagination des enfants qui sont l’avenir de notre pays.

En Floride où j’ai pris ancrage, j’écoute Maurice Sixto. Quand je rêve d’Haïti, j’écoute Sixto. Sa voix, c’est la bande son de ma jeunesse. 


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 Viré monté