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Ti Manno face à l'Haïti d'aujourd'hui

André Fouad

Publié le 2021-06-21 | Le Nouvelliste

Le 18 mai 2021 a ramené le 36 ème anniversaire de la mort du célèbre chanteur, compositeur, interprète gonaïvien, Antoine Rossini Jn-Baptiste, (Ti Manno) pour les intimes, qui a fait les délices des formations légendaires DP express et surtout le Gemini All stars au début des années quatre-vingts dans le paysage de la musique haïtienne.

L'harangeur qu'à été Ti Manno, a marqué en lettres indélébiles le monde de la musique en général, par son charisme, son dévouement, ses convictions profondes, son nationalisme, son engagement très poussé pour le respect des droits humains (''exploitation"), la dénonciation des mauvaises pratiques sociales (''korije''et "kanntè"), la quête de la solidarité humaine (''operasyon men kontre") et de l'excellence ("lajan").

La plupart de ses compositions, à mon humble avis, écrites dans un style direct, dépassent le cadre géographique de l'ile d'Haïti et atteignent le stade de l'universalisme.

''Lajan o
gad on gwo malediksyon
isiba  pa gen klas o
se lajan k konte
poukisa n pa wè sa."

                     (Lajan)

"Eksplwatasyon se sa k detwi lemond
nou refize respekte lwa Bondye mete
nou pito viv ak mechanste..."  

                   (Eksplwatasyon)

Tout comme l'auteur d'"Ainsi parla Zarathoustra, le philosophe allemand Frédérick Nietzsche dont je suis un lecteur passionné, il avait la foi incommensurable en l'homme. Il estimait que l'être humain est doté de toutes les capacités, des forces positives afin de surmonter  tous les monts d'Himalaya de l'histoire.

Dans le texte intitulé "lajan", l'un de ses hits majeurs, intemporels, il se mue en un vrai éducateur, conseiller par excellence pour la gent juvenile.

"sèl chimen pou nou kiltive
S al chita lekòl pran liv etidye
pou nou kapab ouvri bouch nou nan la sosyete...".

                                          (Lajan)

Mon adolescence à l'époque dans les quartiers de Port-au-Prince, tantôt à Nazon (Mondede), Carrefour-feuilles (impasse Gauthier) où il faisait bon de vivre sans crainte d'être attaqué par les bandits, était bercée par sa voix éclatante, lumineuse. On était loin du phénomène de l'insécurité, des cas de kidnapping, d'enlèvements en série qui font partie  pour l'instant de notre décor existentialiste.

A l'instar du prince du reggae Bob Marley de la Jamaïque, j'ai toujours décelé en lui, un messager, un djohu, un musicien choisi, un être exeptionnel bien sûr avec ses faiblesses et ses qualités, un artiste inspiré, conscient de ses tâches, de ses responsabilités dans une société comme la nôtre encore et encore sous le joug  des  inégalités sociales flagrantes, de l'exclusion, de la dictature et de l'apartheid.

Parmi la panoplie des chanteurs de son ère, il a pu arriver à sortir du lot en faisant la différence... oui, la différence dans ses approches, spécialement au niveau des lyriques que musicaux.

En ce sens, il représente le messager auhentique du konpa dirèk trop ancré depuis sa naissance dans les textes à l'eau de rose et vantardises.

Encore d'actualité, les chansons de l'incomparable Ti Manno, garderont toute leur fraicheur, leur sens, leur bien-fondé dans l'ile d'Haïti qui rime malheureusement avec le banditisme étatique, le malheur, l'acculturation, l'amnésie. Bref, le chaos collectif.

*

Viré monté