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Réhabiliter nos forts, un devoir de mémoire et de dignité

Jacques Pierre
Duke University

Citadelle La Ferrière, 1983. Photo Fabio & Franco Biaggi.

 

L’état de délabrement dans lequel se trouvent nos forts devrait interpeller la conscience de nos dirigeants au plus haut point. Nos différents forts, quoique en piteux état, ne cessent de surprendre les touristes locaux et étrangers par le génie architectural et militaire de nos ancêtres qui nous les ont légués au prix de leur vie. Malheureusement, aucun plan, que je sache, de réhabilitation de nos forts n’a jamais fait l’objet d’un débat sérieux dans le cadre de la reconstruction du pays. À voir nos forts et sites touristiques dans un tel état de décrépitude, ce n’est pas exagéré de dire que nous continuons à souiller la mémoire de nos ancêtres. 

Il est temps que nos dirigeants se montrent à la hauteur du passé glorieux de ce pays. Dans la plupart des universités américaines, les historiens ne s’arrêtent pas de commenter sur la révolution haïtienne, et ceci en des termes élogieux. Certes, il y a plein de détracteurs de la révolution haïtienne. Qu’ils continuent à noircir du papier, car cela fait le beurre des maisons d’éditions. On peut tout dire de notre pays mais, qu’on le veuille ou non, il reste et demeure le seul qui ait mis un frein au système esclavagiste, système auquel on peut attribuer toutes sortes d’épithètes: sanguinaire, tyrannique, barbare, et j’en passe. Malgré tout, certains n’hésitent pas à en faire l’apologie. À cela, je réponds par cette phrase lapidaire “Il faut de tout pour faire un monde”, mais pas des esclaves. Sans prétendre être devin; j’essaie de voyager dans l’imaginaire de quelques-uns qui, sans ambages, m’adressent la question suivante: qu’avez-vous fait après 1804?

A cette question qui, sans doute, est tout à fait judicieuse, voire pertinente, je demande à ces gens de se renseigner sur l’attitude affichée par la communauté internationale à notre égard au lendemain de l’indépendance. Isolement, indemnité, occupations, coups d’états fabriqués furent les réponses des pays qui ne cessent de manifester un dédain royal à notre égard, pour avoir sonné le glas du système esclavagiste. En revanche, l’échec de notre pays dépend d’un bon nombre de nos “compatriotes” qui préfèrent s’allier à la communauté internationale au détriment de tout ce que représente Haïti. Tout cela est dû au fait que l’on n’a pas encore jeté les bases d’une École dont la mission serait de nous rapprocher de notre culture, d’appréhender notre histoire, sans pour autant être renfermé sur nous-mêmes. Comment peut-on être ouvert aux autres quand on n’est pas soi-même?

Le moment est venu pour que les Haïtiennes et les Haïtiens conséquents sortent de leur trou pour prendre part aux affaires politiques du pays afin de construire un État digne de son passé historique. La construction de nos forts ne fut pas le fruit du hasard. Nos ancêtres voulaient doter le pays des infrastructures militaires les plus sophistiquées de l’époque pour faire face à tout éventuel retour des Français. Réhabiliter nos forts, c’est faire preuve de respect à l’égard de nos ancêtres, honorer leur mémoire. En d’autres termes, prouver aux yeux du monde entier que nous avons pris la mesure de notre révolution. Un peuple qui n’assume pas son histoire est condamné à mettre sa fierté dans sa poche, et son pays ne deviendra autre chose qu’un récipient de charité où chacun (du plus jeune au plus vieux) vient faire ses premières armes de volontariat. Dans ces conditions, n’importe qui, venu de nulle part, viendra lui tenir un discours autoritaire et le traiter comme des moins que rien. Il est temps que nos forts cessent de faire les frais de la loi des plus forts de chez nous, qui d’habitude, ne font jamais cas de l’intérêt du pays. J’en appelle à toutes les Haïtiennes et à tous les Haïtiens qui comptent œuvrer à la mise en place d’un État moderne de faire de ce proverbe  “moun ki swe pou wou, se pou li ou chanje chemiz“ leur credo de bataille.

Jacques Pierre
Janvier 2014

boule

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