Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

Le sens des recherches d'Obrillant

Propos recueillis par Dominique Batraville

Le Nouvelliste, le 17. juillet 2013

Obrillant Damus, chercheur et essayiste haïtien de premier plan, est détenteur d'un doctorat en sociologie obtenu à l'Université Paris VIII Damus a publié coup sur coup: ''Les pratiques médicales traditionnelles haïtiennes: les guérisseurs de la djòk'', ''Les rites de naissance en Haïti'' et ''Le français dans les Antilles'': études linguistiques (coauteur). Il accepte d'expliquer le sens de son travail au quotidien Le Nouvelliste.

Le Nouvelliste: Obrillant Damus, vous êtes docteur en sociologie et vous avez déjà publié trois ouvrages: «Les rites de naissance en Haïti», aux Editions l'Harmattan, «Les guérisseurs de la djòk» et «Le français dans les Antilles», écrit en collaboration avec André Thibault. Expliquez-nous les résultats de vos travaux.

Obrillant Damus: En 2007 et en 2008, j'ai effectué une enquête anthropologique sur la représentation étiologique et thérapeutique de la «djòk» à Léogâne, à Saint-Marc et à Jacmel. Treize guérisseurs ont été interviewés de façon semi-directive et non directive, selon le profil linguistique et psychologique de chacun. Un modèle étiologique exogène.

Qu'est-ce donc la djòk?

La djòk est une construction sociale et culturelle. Cette pathologie se fonde sur un modèle étiologique exogène. Les causes de la djòk sont toujours externes: elle peut être provoquée par la mère, la grand-mère, les loups-garous et les individus incarnant un mauvais esprit ou une mauvaise âme.

Cette pathologie est-elle guérissable?

Pour guérir la djòk, les guérisseurs combinent deux modèles thérapeutiques: le modèle allopathique (traitement par les contraires) et le modèle homéopathique (le traitement par les semblables). Les thérapies de la djòk ont une dimension spiritualiste et une dimension matérialiste, contrairement au monisme physique ou au matérialisme pur et dur caractérisant la démarche étiologique et thérapeutique de la médecine orthodoxe ou savante. La dimension objective de la djòk est mise en évidence par les «dedjocqueurs», même si cette maladie prend essentiellement sens dans le creuset des communautés et dans celui de la subjectivité des individus qui l'observent.

Est-ce rationnel cette manière d'aborder la djòk?

Il ne faut pas l'aborder à travers le prisme de la rationalité de la médecine biomédicale. En matière d'étiologie et de thérapie, il y a plusieurs rationalités. Donc, la djòk relève d'une rationalité qui lui est propre. Il en est de même du susto en Amérique du Sud. La pratique multiséculaire des matrones

Toujours dans la logique de rationalité, est-ce que cette rationalité-là n'a pas quelque chose à voir avec nos communautés rurales? Nos matrones pour illustrer.

Dans les communautés rurales d'Haïti, ce sont les matrones qui aident les femmes à accoucher. Elles réalisent des rites en faveur de l'enfant et de la mère. Leur pratique professionnelle s'inscrit dans une perspective d'évolution et de transformation. Lorsqu'elles font face à un cas d'accouchement difficile, elles demandent d'emmener la femme à l'hôpital. Ainsi, elles reconnaissent les limites de leur science. La pratique multiséculaire des matrones est reconnue par les membres de leur communauté. Le métier des matrones (sages-femmes traditionnelles) ne résulte pas d'un apprentissage formel ou institutionnel. Il relève plutôt d'un apprentissage informel (apprentissage vicarian: observation, mémorisation, reproduction). Certaines matrones disent que leur métier leur a été transmis par un défunt ou un esprit lors d'un rêve.

Avec les matrones dans les cas d'accouchement, c'est tout un rituel, n'est ce pa ?

Les matrones réalisent deux types de rituels de naissanc : les rites pré-obstétriques rites de facilitation de l'accouchement, rituels liés aux obstacles surnaturels de l'accouchement, rituel lié à la vérification directe de l'imminence de l'accouchement, rituel lié à la vérification indirecte de l'imminence de la naissance, etc.) et les rites postobstétriques rites de purification du bébé et de la mère, rites de protection contre les loups-garous, rites d'initiation précocissime du nouveau-né à la culture universelle, etc.). Contrairement à l'obstétrique moderne qui fragmente le corps de la femme, l'obstétrique traditionnelle respecte l'unité de son corps et de son esprit. La pratique des matrones se situe au carrefour de la religion, de la magie et de la médecine. Ces trois éléments sont à la fois antagonistes et complémentaires pour les matrones. Le français dans les Antilles

Abordons à présent votre livre «Le français dans les Antilles». Quelle a été votre contribution dans cet ouvrage coordonné par le professeur André Thibault?

«Le français dans les Antilles» est un ouvrage collectif qui a été coordonné par André Thibault, professeur de linguistique à l'Université Paris IV- Sorbonne. Ma contribution s'intitule: «De la collecte des données empiriques en Haïti à la construction linguistique de la réalité». Pour décrire certaines réalités en Haïti, il n'y a pas de mots français disponibles. Dans ce cas, le scientifique social, qui veut rendre justice à la réalité qui l'intéresse, est obligé d'intégrer dans ses écrits les catégories indigènes ou locales. Si l'on veut désubstantialiser la réalité, l'éponger, la vider de son sens, on pourra recourir à des mots français inappropriés ou impropres.

Que disent les puristes?

Les puristes n'ont pas encore trouvé, que je sache, des mots français qui peuvent remplacer des termes comme zombi, mambo, houngan, etc. Entre le créole et le français, il existe une relation osmotique. Chacune de ces langues contribue, du point de vue lexical, à l'enrichissement de l'autre. Tous les grands dictionnaires français ont intégré dans leur nomenclature le mot créole zombi.

Aujourd'hui, professeur Obrillant Damus, vous enseignez à l'Université Quisqueya. Quel est le sens de cette expérience professionnelle pour vous?

Je suis enseignant-chercheur à l'Université Quisqueya depuis le premier avril 2013. C'est le professeur Myrlande Manigat qui m'a présenté, à l'issue d'une discussion autour d'une enquête postdoctorale sur le viol (ma deuxième recherche postdoctorale porte sur le viol des sujets féminins), au doyen de la faculté des Sciences de l'éducation, monsieur Louis Délima Chéry. Celui-ci m'a proposé un cours et a effectué des démarches pour me faire nommer professeur-chercheur. J'enseigne l'épistémologie des sciences de l'éducation et formation. De même que la guérison d'une maladie dépend de la qualité de la relation clinico-thérapeutique, de même la réussite d'un cours est corrélative de la qualité de la relation pédagogique. Celle que j'entretiens avec mes étudiants et étudiantes est participative, démocratique.

Et encyclopédique?

J'évite de pratiquer une pédagogie encyclopédique ou asymétrique, qui angoisse les apprenants au lieu de les inciter à s'impliquer dans leur apprentissage. Il n'y a pas d'enseignement sans autoenseignement. Ainsi, si l'expérience professorale est intéressante, c'est parce qu'elle nous permet de continuer à nous construire intellectuellement en nous inscrivant dans un processus d'autoéducation tout au long de la vie. J'aime partager ce que j'ai appris. J'ai déjà prononcé plusieurs conférences en France et aux USA. Les professeurs d'université m'invitent à faire des conférences pour des étudiants en licence, en master et en doctorat.

boule

 Viré monté