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«Pawol Kreyol»

Tony DELSHAM - Chroniques de la Martinique

par Véronique LAROSE

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Pawol Kreyol

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Vieil homme
Portrait d'un vieil homme dans sa case. © P. Giraud.

1. Attaches martiniquaises

André PETRICIEN, plus connu sous le nom de Tony DELSHAM, naît en 1946 à Fort-de-France, en Martinique.

Passionné par le journalisme et l'édition, il connaît un parcours professionnel riche, qui concilie ces deux centres d'intérêt. Ses qualités d'analyse lui permettent d'assumer de hautes responsabilités, en tant que Directeur de publication ou encore en tant que Rédacteur en chef. De là, il se focalise sur les rouages sociaux martiniquais.

Depuis 1988, Tony DELSHAM est Rédacteur en chef de l'hebdomadaire Antilla – dont l'un des membres fondateurs n'est autre qu'un certain Raphaël CONFIANT…

En chroniqueur régulier de la Martinique, Tony DELSHAM a naturellement ressenti une impulsion d'écriture-peinture de son île.

2. Une écriture de l'Immersion

Tony DELSHAM porte un regard de chroniqueur-auteur sur la Martinique, depuis plus d'une vingtaine d'années.

Prolifique, son œuvre exprime la diversité bigarrée de la société qui l'inspire et l'intrigue :

  • des modes d'expression littéraire différents: le roman, le théâtre et même le texte de bande déssinée.
     
  • une implication littéraire forte, débordante, bouillonnante: les thématiques de Tony DELSHAM tracent les différents contours martiniquais.

L'écriture de Tony DELSHAM se fait alors Immersion-Impression.

2.1 Immersion sociale

(D)écrire les remous sociaux, économiques et politiques de la Martinique. Voilà l'engagement scriptural et pictural de Tony DELSHAM.

Un regard lucide, et lourd d'amertume, face aux revers d'une modernité - essentiellement touristique et d'une départementalisation inadaptées :

  • les effets du BUMIDOM (Bureau des Migrations de l'Outre-Mer): cet organisme, crée à Paris en 1963, affichait une vocation sociale en faveur des ressortissants d'Outre-mer… Pour combler des besoins de main-d'œuvre en région parisienne, des milliers d'Antillais occupèrent des postes «réservés» pour eux, essentiellement dans les services des transports, de la Poste et des hôpitaux.

Xavier, le Drame d'un Emigré Antillais  (1981):  «des histoires peu flatteuses se propageaient et on disait que ceux qui acceptaient l'aide de cet organisme se retrouvaient soit dans la prostitution, soit occupant les emplois subalternes et délaissés par les Français» - «on avait tous un numéro, comme des bêtes»

  • le sentiment déchirant de l'Identité: la sensation de ne plus être soi-même quand, en Métropole, on vous somme de rentrer chez vous, en sale «émigré» que vous êtes (!)… La sensation de ne plus être chez soi quand, aux Antilles, on vous nomme «Négropolitain»… Une véritable crise intérieure qui frise la schizophrénie identitaire !

Ces déchirures de l'Identité sont analysées dans Xavier, le Drame d'un Emigré Antillais (1981) et dans Négropolitains et Euro-blacks (2000).

  • la crise économique: une ruine qui n'épargne personne, pas même le brillant homme d'affaires de Kout Fè (1995). Chacun semble destiné à «pren' fè», à connaître la déveine et la débrouille économiques…
     
  • les valeurs familiales ébranlées par la Désillusion : chômage, drogue et alcool- trois maux qui heurtent des familles. Les rapports hommes-femmes ne s'en trouvent que plus fragilisés, déstabilisés. Le Tribunal des Femmes bafouées et Papa, est-ce que je peux venir mourir à la maison ? (1997) sont les plus représentatifs de ces problématiques de familles exsangues.

2.2 Immersion historique

Tony DELSHAM écrit une Histoire noire et métisse. Un projet de grande envergure, qui nécessite une forme narrative aussi vaste et dense: la saga familiale, édifice romanesque en plusieurs tomes. Pour étudier les visages du Temps au sein d'une famille: des ascendances et des descendances fouillées dans leur choix de vie.

Ce mode de narration exige des qualités non seulement narratives, mais surtout documentaires. Il s'agit de « rendre» à une époque sa couleur d'authenticité. Un projet digne du Naturalisme de Zola, de ce perfectionnisme du détail.

La première saga de Tony DELSHAM s'intitule «le Siècle» et compte cinq tomes. L'itinéraire d'une «Fanm Doubout», Ida Robinel, se trace à travers le XXè siècle, de 1900 à nos jours. Elle est ainsi au cœur des mouvances sociales et conjugales de la Martinique.

T.1 Fanm Déwo (1993)

T.2 An Tan Robè (1994)

T.3 Lycée Schoelcher (1995)

T.4 Choc (1996)

T.5 Dérives (1999)

Tony DELSHAM vient d'amorcer une nouvelle saga familiale, «Filiation». Ce chapeau précise davantage la vocation historique et identitaire de l'auteur. Savoir d'où l'on vient et tenter d'anticiper où l'on va.

Regarder en arrière le sillage tracé par d'autres – désormais dans l'ombre.

Regarder devant soit les pas à marquer, en ayant fait la lumière sur ce passé.

M'man Lélène (2004) correspond au premier tome de cette «Filiation». Félix, jeune bourgeois martiniquais, se cherche dans sa quête de la filiation, reniée par l'abandon de sa mère Elaine.

2.3 Immersion psychologique

Les personnages de Tony DELSHAM connaissent les errements du déracinement, de l'exclusion. Confrontés à des réalités implacables, ils sont contraints de construire - avec les moyens immédiats - le cheminement de leurs réalisations sociales, familiales et identitaires.

Tony DELSHAM donne une voix à ces héros et héroïnes de la «Martinique du dedans». Ce travail littéraire se façonne en conciliant deux focalisations, deux points de vue:

  • une focalisation externe du narrateur-témoin: les faits, les événements appuient le parcours des personnages et de la société qui choisit de les inclure ou de les exclure.
     
  • une focalisation interne du témoignage: les mots des personnages, face à eux-mêmes et en eux-mêmes.

3. La parole créole de Tony DELSHAM

Cette parole se revendique créole, sans choisir un camp littéraire et identitaire entre la Négritude (CESAIRE) et la Créolité (R. CONFIANT, P. CHAMOISEAU et J. BARNABE).

Le positionnement de Tony DELSHAM est celui de la conciliation des mutations martiniquaises. Pour lui, la réponse identitaire des Antillais est «sans doute ailleurs». Il se place face à un constat, confié en 2002 au Nouvel Observateur pour l'article «Antilles, le Temps du Renouveau». La Martinique est acculée au mur des conciliations entre trois pôles liés :

  • un lourd passé esclavagiste, sous-jacent dans les rapports sociaux
  • une volonté d'autonomie à définir
  • une multi-ethnicité à mûrir

Ces rouages s'instaurent, selon Tony DELSHAM, confiant en l'avenir, car «nous sommes toujours un peuple en formation».

Il entame ainsi une démarche en faveur de «l'enracinement» créole avec une littérature sans fadeur et sans pleurs. Au-delà de la victimisation, un Défi antillais.

4. Trois œuvres de Tony DELSHAM à l' étude

  • Xavier, le Drame d'un Emigré Antillais (1981)

Les années 1960. Voici la chronique sociale de Xavier NOGARTIN, jeune homme martiniquais. Il se distingue par sa docilité du silence face à un beau-père violent. Contraint d'abandonner les bancs de l'école, il vagabonde sans but, défiguré par sa seule compagne Misère.

Un espoir se dessine dans ce sombre horizon: partir pour Paris. Comme les héros balzaciens, Xavier croit pouvoir lancer un défi: «Paris à nous deux».

Refusant l'aide douteuse du BUMIDOM, il use de moyens peu glorieux pour financer son billet. Hélas, ce sésame, en apparence social sera carcéral.

Xavier se heurte à un Paris agité par les mouvements étudiants de 1968, par les relents écoeurants du racisme. Xavier ne comprend plus, ne se situe plus:

«un émigré, moi, fils d'un département qui, depuis toujours chante les louanges de la mère-patrie !»

Défiant le destin, Xavier entreprend de brillantes études, et s'ouvre ainsi les portes de l'administration, puis de l'édition. Novateur, il crée un pôle pour la littérature ultramarine. Les convictions littéraires de Tony DELSHAM se superposent à celles de son héros: Tony DELSHAM a lui-même dirigé une jeune maison d'édition dans les années 1970, M.G.G. (Martinique Guadeloupe Guyane), toujours active aujourd'hui.

Pourtant, Xavier demeure la proie du destin. Il perd, injustemen, ce bonheur palpable, durement gagné. Son drame connaît un dénouement meurtrier. Tragédie d'un Incompris…

  • La Po Farine   (1984)

1947. Léon Justor se cherche dans cette Martinique d'après-guerre qui le rejette.

Sa laideur et ses habitudes repoussantes en font un paria monstrueux. Malgré tout, il lit une crainte dans ces yeux qui le scrutent. Il croit exister. Pour se maintenir dans ce regard de la répugnance, il s'invente un personnage, «La Po Farine», en s'enduisant d'argile blanche.

«Chaque fois qu'il descendait dans un lieu habité, sans aucun doute par un ultime défi, comme s'il avait voulu prouver à la nature qu'il pouvait être encore plus laid qu'elle ne l'avait fait, il se recouvrait d'argile de la tête aux pieds. L'effet était terrifiant.»

Il se forge ainsi une épaisse carapace d'homme des bois à serpents et mangoustes. Il se dit préservé de tout, car sous la haute protection du fameux Saint Michel, terrassant le Dragon.

Mais, la découverte d'une petite chabine aux yeux verts, abandonnée dans les bois, fait craquer cette carapace. Sandrine, dès lors, illuminera sa vie. Pour elle, «La Po Farine» se fera Léon Justor, respectable dans son commerce, son foyer et son instruction. Sans elle, «La Po Farine» réapparaîtra, tragiquement

  • Papa, est-ce que je peux venir mourir à la maison ? (1997)

Une histoire vraie.

Ce roman a un nœud tragique: celui de la drogue qui meurtrit, aliène et tue.

Juliana, une avocate reconnue pour son professionnalisme, tombe dans ce gouffre, poussée par un ami. Elle vit la déchéance physique et morale pour sa consommation régulière. Son père tente de la délivrer de ce mal infernal qui la dépersonnalise, la déshumanise.

«Si tu savais jusqu'où je suis allée pour avoir ma dose…Un jour j'ai subi le délire sexuel de six types sales, puant la vase, plus laids que laids, voilà ce qu'elle est devenue ta fille, Papa…»

Pourtant, seule Juliana décidera de son issue de vie…

Ce roman a connu trois retentissements médiatiques :

  • une adaptation théâtrale: par une jeune troupe antillaise dont le talent a permis la sortie en VHS de leur prestation.
     
  • l'animation d'un débat, dans le cadre de l'opération «Non à la Drogue !» en 2000.
     
  • une adaptation télévisée : par le réalisateur Christian Lara, pour un téléfilm coproduit en 2001 par RFO.

Véronique LAROSE

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  • Pour en savoir plus sur cet auteur : consultez son site, sous le parrainage de la maison d'édition M.G.G. (Martinique Guadeloupe Guyane).
     
  • Cénesthésie

Viré monté