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Communautarisme dans l’outre-mer:
le cas de la Martinique, de Césaire à Confiant

Gyssels Kathleen

Bull.Séanc.Acad.R.Sci.Outre-Mer Meded.Zitt.K.Acad.OverzeeseWet. 59 (2-4–2013): 229-242

Communication présentée à la séance académique d’ouverture tenue le 13 octobre 2012.

MOTS-CLES. — Communautarisme; Négritude; Antillanité; Créolité; Sectarisme et manifeste politico-littéraire; Fracture coloniale; Aimé Césaire; Léon-Gontran Damas; Edouard Glissant; Patrick Chamoiseau; Dilemme racial/religieux; Pluralisme; Multiculturalisme.

RESUME. — La nation française, fondée sur le modèle républicain du respect de la laïcité et de la diversité communautaire, peut être découpée en petites tranches selon que les identités ethniques et religieuses se chevauchent. Or les «Filles de France» (Martinique, Guadeloupe et Guyane française) ont prétendu offrir un modèle de cohabitation harmonieuse au monde entier. Pour les poètes de la négritude (Césaire, Damas, Senghor), l’égalité républicaine se traduit par la fin de la discrimination des Noirs, des autres individus de couleur (originaires des ex-colonies françaises, les «coolies» et les Vietnamiens, entre autres) et aussi des juifs. L’«antillanité» (Glissant) propose la fin de la balkanisation des DOM et un détachement des communautés caribéennes de leurs ex-mères patries, indépendamment de leur statut politique. Enfin, la créolité se réjouit d’offrir au monde le concert de six peuples et d’autant de langues et de religions. Pourtant, en réalité, «noir» et «blanc», ou encore musulman et juif (par exemple), sont desétiquettes qui continuent de s’opposer dans le quotidien antillais avec les effets ravageurs que l’on peut facilement imaginer. En littérature, en dépit de quelques cas célèbres de conversion (Fanon, Confiant), la cohésion communautaire est loin d’être un fait, et un certain malaise se manifeste lorsqu’on voit des auteurs comme Confiant «prédiquer» un antisémitisme virulent. L’escalade des revendications identitaires est finalement une preuve de l’ancienne logique identitaire où s’affrontent les prétendues communautés. Dans la théorie des «manifestes», les différentes composantes démographiques, qui ontété forcées de vivre sur les territoires d’outre-mer, n’ont pas encore fusionné et la critique antillaise elle-même se montre coupable de discrimination selon des critères de «race» (voir l’écrivain André Schwarz-Bart).

Introduction

A la veille des élections communales, il m’a semblé opportun de mener une réflexion sur le «communautarisme dans l’outre-mer». Si le concept de communautarisme appelle tout de suite en Belgique les rivalités linguistiques et les agendas politiques (nationalistes, fédéralistes, …), force est de préciser qu’aux Antilles, ces «vieilles colonies françaises», ces Filles de France, le communautarisme couvre les «lignes» ou barrières entre des groupes ethniques (voire ethnoreligieux comme on le verra) différents: en effet, depuis 1635, début de l’implantation française, la Martinique et la Guadeloupe ont connu des «immigrations» massives, notamment africaines (phénomène de l’esclavage), à plus petite échelle, indienne (phénomène des indenturedlaborers après l’abolition de l’esclavage de 1848), syrolibanaise et chinoise (pour le petit import-export), voire juive (davantage au Surinam et dans les îles ABC). En «métropole», le terme de communautarisme recouvre un ensemble de phénomènes réels ou supposés dont certains liés à des revendications fondées sur des différences culturelles ou religieuses, dans l’espace public.

La présente communication a pour objet de montrer que depuis la première génération d’une littérature postcoloniale (la négritude), des poètes-politiciens ont encouragé l’abolition de ces frontières communautaires, mais qu’avec l’antillanité de la deuxième, voire la créolité de la troisième génération postcoloniale, il n’y a pas véritablement eu de progrès dans la«dé-ghettoïsation» et le décloisonnement des communautés qui peuplent l’archipel caribéen. En dépit des manifestes utopistes, force est de constater un enlisement (ce que Taguieff a également diagnostiqué en 2005 dans son essai «La République enlisée»).

 

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