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Notice sur
M. François-Achille Marbot

Commissaire de la Marine
Ordonnateur de la Réunion

Le nom de l'auteur1 des Bambous n'a jamais été, à La Martinique, un mystère pour personne.

En attribuant à un vieux commandeur ces pittoresques récits du fabuliste, M. Marbot voulait simplement garder la couleur locale2. Il n'avait nullement l'intention de se cacher sous le voile très transparent d'une fausse modestie. Ce n'était pas, davantage l'étiquette des convenances administratives qui l'arrêtait: il ne pouvait à cette époque supputer le nombre de ses galons, et il avait d'ailleurs trop d'esprit pour croire à l'incompatibilité de la belle humeur avec les obligations sérieuses de la vie.

Cette dernière réflexion sera elle-même notre excuse vis-à-vis de ceux qui s'étonneront de voir figurer, en tête d'un élégant badinage, cette notice3 sur une existence des plus graves.

Nous répondons au désir de nos amis, en fixant ainsi des souvenirs qui nous sont chers. Et puisque des fleurs ne déparent point une tombe, nous n'avons pas à en détacher celles que la poésie fit éclore sous la plume spirituelle d'un enfant des tropiques.

M. François Marbot, décédé en 1866, Commissaire de la Marine et Ordonnateur de La Réunion, était né à La Martinique.

Son père, Pierre Marbot, qui appartenait au même Corps4 de la Marine, s'était fixé dans cette colonie au commencement du siècle. C'était un breton. Pour servir la France dans ses possessions d'outre-mer, il avait quitté Lorient, sa ville natale, et s'était arraché aux embrassements d'une famille nombreuse, issue de l'union bénie de Jean-François Marbot avec Perrine de Kerbara. - Loin des siens, il n'avait pu longtemps subir les rigueurs de l'isolement. Dieu lui avait prédestiné une vertueuse épouse en la personne d'Anne – Marie d'Aubert, fille de sieur d'Aubert des Barbeaux et de Dlle d'Albuquerque.

C'est de ce mariage que François Marbot naquit au Fort-Royal le 29 mai 1817.

Plusieurs se souviendront probablement que la société de cette époque était entraînée par un engouement inexplicable pour les noms à l'antique. Paris a toujours donné le ton à la mode; et celle-ci, comme les autres, traversa vite l'Océan. François Marbot dut à cette vogue l'adoption du nom d'Achille, bien que la déclaration officielle de sa naissance ne lui eût attribué que celui de son baptême. Achille finit même par prévaloir sur François dans l'usage familier.

Mais hâtons-nous de dire que le souvenir du bouillant héros d'Homère n'eut aucune influence sur ce client d'occasion. Le Saint du Paradis resta seul le modèle comme il était seul le patron.

Franchement la douceur de François ne valait-elle pas mieux que la colère d'Achille?

Avant tout, l'enfant fût donc élevé chrétiennement. El il reçut de bonne heure les solides principes dont nous constaterons plus tard les heureux effets. Ce fut l'œuvre capitale de ses parents, puissamment aidés dans cette tâche par la vénérable aïeule, Madame d'Aubert, dont le souvenir est longtemps resté vivant au Fort-Royal, où elle était connue et appréciée de tous.

Cette éducation fut la meilleure part que François-Achille recueillit des soins qui entourèrent son enfance; son instruction fut loin d'être aussi complète. En ce temps-là, dans nos colonies lointaines, le choix d'un établissement d'instruction secondaire n'était pas embarrassant: il n'y en avait aucun. Il fallait envoyer l'enfant faire ses études en France; c'était une bien grosse affaire. La dépense était considérable; et la séparation était plus dure, parce que les communications avec la mère-patrie étaient lentes et fort irrégulières. Déjà la famille Marbot avait vaincu ces difficultés, en faveur de deux de ses fils: (l'un mourut tout jeune encore, l'autre devint docteur en médecine et chirurgien de la marine). François-Achille, qui était le quatrième de cinq enfants, dut se résigner à limiter ses désirs aux ressources locales qui ne le conduisirent pas bien loin! - Ce détail ne manque pas d'intérêt, car il va augmenter le mérite de celui qui n'en paraîtra que mieux fils de ses propres œuvres.

C'est dans ces conditions que l'administration de la Marine le reçut en 1829, à titre de Commis temporaire. - Il n'avait que douze ans.

Il prit place dans les bureaux de son père. Et dès lors il contracta l'habitude, qu'il garda toute sa vie, d'employer ses loisirs à donner à son esprit la culture que les circonstances avaient refusée à son jeune âge.

Aussi arrivera-t-il de la sorte à ne rester étranger ni aux sciences, ni à la linguistique, ni aux difficultés de la philosophie, voire même de la théologie. - Il nous semble que cette indication suffit pour louer du même trait et sa puissance intellectuelle et sa force de volonté.

La plus grande partie de sa carrière s'écoula à la Martinique. Il n'en bougea point jusqu'en 1854, si l'on excepte ses deux ans d'embarquement sur La Toulonnaise, qui appartenait d'ailleurs à la station des Antilles. Il parcourut ainsi, nommé toujours au choix, presque tous les grades de son Corps: commis d'administration en 1838; commis de marine en 1840; commis principal le 6 décembre 1845; sous - commissaire le, 23 décembre 1847; commissaire-adjoint le 31 mars 1853.

Officier supérieur depuis un an à peine, il est appelé en 1854 à servir à La Guadeloupe.

Pendant les quatre ans de ce premier séjour à la Basse-Terre, il remplit quelque temps les fonctions intérimaires de Contrôleur colonial.

Nommé titulaire de cette charge à La Guyane, en 1858, il revient au même titre à La Guadeloupe au mois d'octobre de la même année. Et durant ce nouveau séjour de cinq ans à la Basse-Terre il fut plusieurs fois Ordonnateur par intérim. La Guadeloupe ne l'a pas oublié.

Il était Commissaire de la marine depuis le 11 février 1860, quand un décret du 23 décembre 1863 l'appela aux hautes fonctions d'Ordonnateur de La Réunion.

En arrivant à sa nouvelle résidence, il commença par être Gouverneur intérimaire de la colonie. Et ce n'est qu'en remettant les rênes du pouvoir à M. Dupré, qu'il prit au second rang la place dont il était titulaire.

C'est là que la mort est venue le surprendre. Il était à son poste. Et sur 49 ans d'âge, il en comptait 37 de bons et loyaux services rendus à son pays.

Cette trop courte carrière a été si bien remplie que l'Administration de la Marine a pu considérer sa fin comme une déplorable perte, et en témoigner de légitimes regrets par la voix de ses premiers chefs, comme par le suffrage de ses plus humbles officiers.

Parmi ceux qui l'ont connu de près, ou qui ont grandi sous son égide bienveillante, il y en a bien peu, , croyons-nous, qui n'aient considéré M. Marbot comme un modèle d'administrateur intelligent et intègre.

Le goût de l'étude, merveilleusement soutenu par ce que nous appellerons le goût du métier, avait promptement développé ses qualités natives; et ses mérites avaient été de bonne heure remarqués par le Gouvernement colonial. Tels officiers généraux ou supérieurs d'aujourd'hui raconteraient comment, sur un mot de l'Ordonnateur, il improvisait, après quelques minutes de réflexion, un discours au bord de la tombe d'un collègue, récemment arrivé de France et peu connu. Ils rappelleraient les services que des aptitudes spéciales lui permirent de rendre aux finances du pays. Ils expliqueraient aussi pourquoi plus d'une fois le gouverneur de la Martinique l'appelait à son hôtel ou à «Bellevue»; et ils diraient l'auteur de tels et tels rapports précis et concluants, rapidement élaborés et adressés au Ministère. Le Ministre de la Marine de cette époque ne l'ignora point. Et avant l'âge de trente ans, avant d'être sous commissaire, M. Marbot était Chevalier de la Légion d'Honneur.

Doué d'un esprit aussi juste que clairvoyant, M. Marbot possédait à un degré peu commun le sens administratif. Il n'était pas une seule question de sa compétence qu'il ne connût à fond.

S'il en fallait des preuves, nous n'aurions qu'à citer certain manuscrit intitulé: Etudes sur l'Administration de la Marine5, études qu'un bon nombre de nos administrateurs actuels ont pu apprécier et dans lesquelles plusieurs ont puisé des enseignements sûrs et lucides pour leur préparation au concours d'aide-commissaire. Erudit et sérieux dans la théorie, il n'était pas moins remarquable dans la pratique des affaires. La Martinique, la Guyane, la Guadeloupe et la Réunion l'ont vu à l'œuvre; et partout ce même témoignage lui a été rendu. Aussi personne ne put s'étonner s'il atteignit, jeune encore, le grade de Commissaire de Marine.

S'il y avait en lui quelque chose de supérieur à son intelligence, c'était son cœur. C'est que ce cœur, en effet, était d'une remarquable délicatesse. Là était le secret de l'union d'une fermeté sans raideur et d'une bonté sans faiblesse. Caractère toujours droit et toujours franc, M. Marbot tenait énergiquement aux principes de son administration; mais il savait le faire avec une amabilité et une condescendance qui ne manquaient jamais de lui concilier tous les esprits. Cette habileté dans l'art si difficile de commander, il l'avait apprise en commençant par obéir lui-même. Un seul trait de sa vie peut en donner une idée.

Un dimanche, - il était alors sous-commissaire, - après avoir accompli ses devoirs religieux, il se trouvait encore à l'église, en petite tenue, au moment où un nouveau Gouverneur y entrait   avec son état-major pour la messe militaire. A peine, arrivé, le Gouverneur l'aperçoit,- et s'imaginant qu'il est de sa suite, il envoie un officier d'ordonnance lui commander trois jours d'arrêt pour l'avoir accompagné en petite tenue. L'excuse serait facile; M. Marbot n'y pense même pas. Il quitte aussitôt sa place et va prendre ses arrêts. Cet ordre et son exécution si prompte furent remarqués. Des explications furent données au Gouverneur, qui s'empressa de mander M. Marbot et de le féliciter hautement de la déférence dont il avait fait preuve.
Savoir ainsi respecter l'autorité, n'est-ce pas apprendre à la représenter dignement?

lotus

Le fait que l'on vient de lire dévoile le plus beau côté de cette existence. Si M. Marbot s'était trouvé à l'église au moment où le Gouverneur y entrait, c'est qu'il faisait son action de grâces, car il venait de s'approcher de la table sainte.

Cet administrateur si intelligent et d'un si haut mérite était le chrétien le plus fervent. C'était un homme d'une foi robuste et vive, foi qui dominait toutes ses actions et toutes ses affections.

Il se peint dans ces ligues écrites à l'un de ceux qu'il aimait le plus sur la terre: «Sache que j'aimerais mieux apprendre ta mort que ton infidélité à Dieu, à son Christ et à son Eglise.» - Mais avec une foi si ardente il savait rendre sa piété, aimable à tous. Sa dévotion était aussi simple que solide et franche, sans affectation comme sans contrainte.

Il avait une prédilection pour le livre «de l'Imitation de Jésus-Christ»; et il récitait fidèlement son chapelet. «Que d'autres, disait-il un jour, se moquent de ces exercices de piété! Je ne les leur imposerais certainement pas. Pour moi, je m'en suis bien trouvé. Non - seulement je ne crois point perdre le temps qu'ils me prennent; mais je déclare qu'ils m'ont appris à remplir avec plus d'exactitude toutes mes autres obligations publiques et privées.»

C'est qu'en effet les saintes pratiques de la religion, et plus particulièrement la sainte Eucharistie, qu'il recevait fréquemment, entretenaient en lui cette douceur et cette bienveillance que tout le monde lui reconnaissait.

Elles lui donnaient surtout les vertus du foyer domestique. Car là était pour lui la meilleure joie de ce monde. Et si nous exceptons les jouissances qu'il savait trouver dans, l'étude et la lecture de livres choisis, voire même dans quelques compositions pleines de verve et d'esprit, qui donnèrent les Bambous6 à La Martinique, nous pouvons affirmer qu'il ne cherchait jamais d'autres récréations que celles de cet intérieur, plein de charmes, où régnaient l'union la plus étroite et l'affection la plus indissoluble.

Dieu lui avait choisi une compagne digne de son noble cœur. En 1842, il avait épousé Mlle Caroline Labatut, d'une famille de Provence établie à La Martinique. La bénédiction des patriarches avait fécondé cette union. Quinze enfants avaient successivement souri à ces parents chrétiens. Et bien que le ciel y eût moissonné quelques anges, les rejetons chantés par le Roi-prophète étaient restés assez nombreux autour de la table paternelle, pour que la multiplication de la joie de chacun par la joie de tous compensât largement encore la multiplicité dés soucis.

Quand après une journée de labeurs M. Marbot se laissait entourer de sa couronne d'enfants, ses amis le savaient vraiment heureux! La famille, c'était le bonheur de sa vie! Et de tous ceux qui lui étaient liés par le sang, il n'en est aucun qui n'ait pu expérimenter jusqu'où pouvait aller son dévouement.

Ajoutons enfin que la règle suprême de toute sa vie fut une confiance en Dieu inébranlable et une soumission parfaite à la volonté divine. Dans sa dernière maladie il répétait à Mme Marbot: «Notre trésor, c'est la Providence. Jusqu'à présent elle ne nous a laissé manquer de rien. J'en ai la douce confiance, elle me conservera tout le temps que je vous serai nécessaire.» - Il écrivait encore quelque temps avant sa mort: «Nous parlons souvent de la France. Nous espérons la revoir sous peu… Ce sont peut-être là de beaux rêves. A Dieu seul il appartient de les réaliser.»

Ces rêves, il n'entrait pas dans les desseins adorables de la divine providence de les réaliser!

Les travaux d'une laborieuse carrière avaient rapidement ruiné la santé de M. Marbot. On le vit s'affaiblir de jour en jour. Et malgré les soins dévoués dont il fut l'objet, malgré le repos et le bon air que Bourbon, lui offrit dans ses hauteurs de Salazie, il en fut bientôt à sa dernière heure.

Bien n'est édifiant comme les derniers instants qu'il passa sur cette terre. La veille de sa mort, il disait au curé de Saint-Henri qui l'assistait: «Monsieur le Curé, est-ce que je vais mourir? - Votre vie et la mienne, répondit le prêtre, sont entre les mains de Dieu. - Si je fais cette question, ajouta-t-il, ce n'est pas que j'aie peur de la mort. Je n'ai jamais passé un jour sans demander ses conseils. Je suis prêt à laisser ma famille entre les mains de la très-sainte Vierge et de saint Joseph. Ma femme et mes enfants n'y perdront rien.»

Il reçut les derniers sacrements dans les sentiments de la plus vive piété. Ses lèvres remuaient toujours. On voyait qu'il s'unissait aux prières du prêtre et de l'assistance. Enfin, après être resté quelque temps sans répondre aux questions qu'on lui adressait, il sembla sortir de son assoupissement et, d'une voix accentuée qui surprit tout le monde, il dit: «Je crois tout ce que l'Eglise croit, je condamne tout ce qu'elle condamne, j'aime tout ce qu'elle aime, j'espère tout ce qu'elle espère.» - Ce furent ses dernières paroles. Il rendit doucement son âme à Dieu, le mercredi 31 octobre 1866, à dix heures du matin. - Il n'avait que quarante-neuf ans!

La nouvelle de cette mort causa une vive émotion à Saint-Denis et eut un douloureux écho dans la colonie tout entière. L'estime et l'affection de tous se sont alors traduites d'une façon peu équivoque. Pour le dire, nous ne croyons pouvoir mieux faire que de reproduire la page écrite, sous le coup même de cette émotion, dans le Moniteur de La Réunion (n° du 3 novembre 1866):

«Presque au même moment où nous nous faisions l'écho, dans notre dernier numéro, des mauvaises nouvelles qui étaient arrivées de Salazie, relativement à l'état alarmant de M. Marbot, ce fonctionnaire honorable et estimé expirait, malgré les soins dévoués de la science, malgré la tendre et affectueuse sollicitude de sa digne épouse accourue à son chevet, malgré enfin les souhaits ardents que ses parents, que ses amis, que la population elle-même, affligée d'un si grand malheur, faisaient pour la conservation des jours de ce membre distingué de l'administration, de ce père exemplaire, de cet excellent citoyen.

Bien qu'attendue, la nouvelle de la mort de M. l'Ordonnateur a causé dans notre cité une douloureuse surprise, qui aura été ressentie dans la colonie tout entière.

C'est que M. Marbot avait, dans son court séjour parmi nous, acquis plus d'un titre à notre respectueuse sympathie. Faut-il rappeler qu'en abordant nos rivages il eut l'honneur de tenir les rênes de notre gouvernement et que, quoique de peu de durée, son administration sage et paternelle, méritera d'avoir une place dans notre modeste histoire?

En descendant du premier rang où l'avait appelé la retraite du précédent chef de la colonie, pour occuper les fonctions d'Ordonnateur à la Réunion, M. Marbot sut, dans ce poste encore élevé, continuer à servir le pays avec le dévouement que l'on pouvait attendre d'un des enfants d'une colonie française comme la nôtre. Dans les conseils du gouvernement, il apporta toujours le tribut d'une vaste et solide intelligence; de rares aptitudes administratives, de connaissances variées et surtout d'une droiture à toute épreuve.

Les obsèques de M. Marbot ont été un triomphe pour sa mémoire et ont prouvé que, dans le pays, on n'est ni indifférent pour le vrai mérite, ni ingrat pour les services rendus.

Décédé à Hell-Bourg mercredi matin, M. Marbot a été embaumé et transporté à Saint-Denis.

Ses funérailles ont eu lieu ce matin avec toute la pompe et toute la solennité que comportaient le caractère et le rang du défunt.

Le convoi est parti, à sept heures précises, de l'hôtel de l'Ordonnateur, rue de Paris. Un demi bataillon d'infanterie de marine, commandé par M. le colonel Duchesne, formait la double haie. Tous les officiers des ordres civils et militaires composaient, autour du char, un cortège imposant, auquel s'était jointe une grande partie de la population.

Les coins du poêle étaient portés par MM. le Directeur de l'intérieur, le Contrôleur colonial, le Maire de Saint-Denis, le Procureur général, le Président de la Cour impériale et Edouard Bailly, commissaire adjoint de la marine.

Mgr l'Evêque de Saint-Denis avait voulu donner au défunt un gage de sa haute estime en présidant la cérémonie funèbre. Un nombreux clergé s'empressait autour de Sa Grandeur. En tête du convoi la fanfare militaire exécutait des airs graves et appropriés à la circonstance.

Cet appareil à la fois religieux et militaire avait un éclat saisissant. Tout le long de la rue de Paris et aux abords de l'église, la foule était compacte. La cathédrale était pleine comme aux jours des grandes fêtes de la religion.
Le service des morts a été célébré en grande pompe et entendu avec un pieux recueillement. M. le Gouverneur et sa famille y assistaient.

Le cortège s'est ensuite dirigé, vers le cimetière avec le même cérémonial. Mgr l'Evêque, assisté de plusieurs prêtres, l'a accompagné à pied et a dit sur le bord de la tombe les dernières prières.

A l'instant de la séparation, M. Charles Gandin de Lagrange, Directeur de l'intérieur, un des amis et des anciens collaborateurs de M. Marbot, a adressé, devant ses collègues et devant toute l'assistance émue, un de ces adieux touchants qui ont le privilège d'arracher des larmes aux plus indifférents. Nous reproduisons ces belles et nobles paroles, dont l'accent restera dans le souvenir de tous ceux qui les ont entendues.

Pendant les funérailles de M. Marbot, tous les navires sur rade, et le mât du port avaient leurs pavillons en berne. C'était le dernier hommage rendu à celui qui avait été le chef du service de la marine.

M. Marbot, commissaire de la marine, Ordonnateur à la Réunion, était entré très jeune dans la carrière administrative. Doué d'une brillante intelligence et guidé par une vocation sérieuse, le brillant créole de La Martinique parcourut rapidement tous les échelons hiérarchiques du commissariat et arriva, à un âge exceptionnel, à l'un des premiers grades du Corps auquel il appartenait. La rosette d'Officier de la Légion-d'Honneur, qui décorait sa poitrine, attestait qu'il était digne de sa haute position.

M. Marbot n'était pas seulement un administrateur éminent. Dans ses loisirs, rares mais féconds, il cultivait les muses, et il lègue à sa patrie des vers créoles (entre autres une imitation des fables de La Fontaine) qui ont obtenu de son vivant un légitime succès et qui lui survivront certainement.

M. Marbot était jeune encore, puisqu'il n'avait que quarante-neuf ans. Ses compatriotes, ses nombreux amis déploreront le sort fatal qui l'a enlevé, au milieu de l'épanouissement de sa virilité et de son talent.

Thomy LAHUPPE

Citons maintenant les paroles que M. le Directeur de l'intérieur prononça sur cette tombe si prématurément ouverte:

«MESSIEURS,

«Le chrétien qui vient de quitter ce monde demande aux amis qui accompagnent sa dépouille mortelle à sa demeure dernière, non des louanges mais des prières, car la vie humainement la plus pure l'est-elle jamais au tribunal de Dieu?

Or, Messieurs, vous le savez tous, Marbot fut un véritable et fervent chrétien; et je ne démentirai pas la foi de toute sa vie, en venant faire ici sur sa tombe l'éloge pourtant si mérité de ses rares talents et de ses touchantes vertus.

Mais je crois être en ce moment l'organe du sentiment général, en vous disant le vif et profond regret que nous cause à tous sa fin prématurée.

J'ai besoin aussi d'adresser un témoignage de sympathie publique à l'intéressante famille qu'il laisse après lui ; à cette famille dont il était la joie, hélas! et le soutien, et qui, on peut le dire, aurait tout perdu en le perdant, si la bonté de Dieu ne tenait toujours en réserve, pour ses enfants, la seconde paternité de sa Providence. Nous nous associons tous, qu'elle le sache bien, à son inexprimable douleur. C'est, depuis que la fatale nouvelle est arrivée, l'objet de la. préoccupation universelle. Tout le monde en parle, et en parle avec l'accent le plus ému.
Certes, si la pensée de l'intérêt qu'ils inspirent peut être un adoucissement pour la plaie saignante de ces pauvres cœurs brisés, ils doivent être un peu consolés. Jamais intérêt ne fut plus complet et plus sincère.

Adieu! Marbot, adieu mon camarade et mon ami! Nous sommes de ceux qui savent qu'ils doivent se retrouver un jour! Mais en attendant cette réunion suprême, qu'il soit donné à ton âme de savoir que ton souvenir restera vivant parmi nous, et qu'il planera comme une ombre tutélaire sur les êtres chéris que tu as légués à notre affection et à nos sollicitudes!»

lotus

Nous arrêtons cette courte notice sur les paroles émues que l'on vient de lire, et où domine si bien la note du cœur. Il nous plaît de ne rien ajouter, qui puisse troubler des vibrations si touchantes, répondant avec tant de justesse au caractère de celui dont toute l'ambition fut d'être fidèle à Dieu et à son pays, à sa famille et à ses amis.

Notes

  1. Une délicatesse de coeur, servie par un beau talent, a placé, à côté de cette notice le portrait de l'auteur. Nos amis en loueront et en remercieront avec nous M. Jules de Magallon, membre de l'Académie d'Aix.
     
  2. On appelait commandeur autrefois sur les habitations, celui qui avait la charge de surveiller et de diriger les travailleurs nègres.
     
  3. Nous ne faisons guère que reproduire une petite notice qui fut adressée à quelques amis au moment de la mort de M. Marbot. Nous la complétons seulement par des souvenirs personnels et par des documents que nous fournissent les journaux de cette môme époque et l'almanach religieux de l'Ile Bourbon.
     
  4. Il était sous-commissaire de la Marine, quand, au cours d'un congé, il mourut à Paris, le 25 décembre 1840.
     
  5. Ce travail a surtout été fait à une époque où il n'avait point de similaire. Tant de changements sont survenus depuis, que l'impression de ces études n'aurait plus sa raison d'être. Nous nous contentons d'en donner un aperçu par le sommaire des chapitres. (Suit un sommaire qui s'étale sur plusieurs pages et que tu retrouveras dans la photocopie. Daniel LAURET).
     
  6. Voir plus loin l'avant-propos de cet ouvrage.

lotus

Viré monté