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Annou voyé kreyòl douvan douvan

3ème édition du Festival du conte pour enfants:
La Parole aux conteurs

Texte et photos Leïla Hamitouche

ANTILLA, l'hebdo de la Martinique - 31 janvier 2007

Abdon Fortuné Khomba Kaaf
Abdon Fortuné Khomba Kaaf (Afrique)

Huit conteurs, quatre régions du monde étaient invités à ce troisième festival du conte organisé par les services du Conseil Général de la Martinique.

Les conteurs du festival :

  • Abdon Fo rtuné Khomba Kaaf (Afrique)
  • Mado Lagoutte (France)
  • Raphaël Annerose «Fayo» (Guadeloupe)
  • Marie-Monique Jean-Gilles «La Reine Soleil» (Haïti)
  • Caroline Castelli (France)
  • Valer Egouy (Martinique)
  • Dédé Duguet (Martinique)
  • Mélisdjane Sézer (Moyen-Orient)

Du 1er au 15 décembre 2006, ils ont parcouru l’île pour raconter leurs histoires, nous offrant un répertoire riche à l’image de leurs origines diverses. Un festival de qualité qui permet de pérenniser la tradition du conte, et de participer à son évolution. Outre les prestations des conteurs, un séminaire «Conte, mondialité et imaginaire» était organisé à la Bibliothèque Schœlcher.
Lors de ce séminaire les conteurs ont ouvert la réflexion sur le du rôle du conteur, sa formation et son statut professionnel. La profession «Conteur» n’existe pas encore officiellement, il entre dans la catégorie du comédien. Le conte est dans une phase d’évolution, étape nécessaire à sa survie. Si les formes ne sont pas les mêmes qu’il y a des dizaines d’années, en Martinique notamment, la parole n’en subsiste pas moins. Elle suscite de plus en plus d’intérêt de toutes parts. Quatre des conteurs présents nous livrent leur expérience.

Mado Lagoutte

Mado Lagoutte, Conte pour les tout-petits

Mado Lagoutte conte pour les enfants. Les enfants à venir qui sont encore bien au chaud dans le ventre de leur maman et les plus grands.

Un moment de conte qui s’écoute et se regarde. Jeux de mains, jeux de pieds ou comptines amusantes. Très proche de son public elle comprend leur propre langage et sait capter leur attention.

Comment vous est venue l’idée de conter pour les bébés?

Ce sont eux qui sont venus vers moi. J’aime le silence. J’écoute le silence et j’attends
beaucoup. Le fait d’être très silencieux permet aux autres de parler. En écoutant les bébés je me suis aperçue qu’ils attendaient de moi que je dise des choses. Je suis d’une famille où le conte est une tradition, mais aussi le chant et la peinture. Je me suis lancée. J’ai vu alors qu’il y avait quelque chose de magique qui se passait et j’ai continué. J’ai commencé à conter pour les bébés, je conte néanmoins pour les adultes aussi.

«JE TRANSMETS DEL’IMAGINAIRE AU  ENFANTS»

Que leur racontez-vou s?

Je leur raconte de vrais contes. Des contes de vie, de mort, des contes de naissance. J’aborde tout ce qui peut questionner les bébés. Je raconte des histoires que j’aime. Il ne faut pas que ce soit très long . Mais ça m’arrive aussi de conter à des bébés qui sont tellement à l’écoute que cela peut durer pendant une heure et demi. Je crois qu’on peut tout conter à des tout-petits.

Lors du séminaire avec les conteurs il a beaucoup été question du rôle pédagogique ou éducatif du conteur. Quelle est votre position à ce sujet?

Quand je conte je ne suis pas du tout éducateur. Je suis éducateur de mes enfants, j’ai deux filles. En tant que conteuse pour les tout-petits, je n’ai pas le droit d’éduquer à la place des parents, c’est leur rôle et pas celui du conteur. Je transmets de l’imaginaire aux enfants.

C’est la vie dite autrement. En rassurant. Le bébé a besoin d’être rassuré. D’abord parce qu’il se sépare de sa mère, et aussi parce qu’il est en attente de quelque chose. Il attend d’être nourri, tenu, il est toujours en attente.

N’est-ce pas difficile pour les jeunes enfants de rester concentrés pendant le conte?

Les tout-petits sont concentrés. Cela m’importe qu’ils écoutent à leur manière. Ils peuvent écouter en me tournant le dos ou en faisant autre chose. Mais ils sont toujours avec moi. Quand on observe, on se rend compte que leurs oreilles sont toujours grandes ouvertes. I l s reproduisent ce qu’ils me voient faire ou dire. Ils écoutent avec leur corps ce qu’ils diront plus tard avec des mots.

Caroline Castelli

Caroline Castelli : Contes de l’Afrique et de l’esclavage

Caroline Castelli a la volonté de transmettre une histoire méconnu et niée. Avec son spectacle «La calebasse brisée», cette conteuse de Seine-Saint-Denis, nous parle de l’Afrique et de l’esclavage.

L'histoire de l'esclavage vous tient à cœur, pourquoi?

Il y a dix-sept ans je suis venue en Martiinique. C'est là que j'ai découvert l'atrocité de l'esclavage. En métropole on en parle mais ça paraît lointain. Ici, j'ai eu l'occasion de parler à des anciens et j'ai compris à quel point il ne fallait pas oublier l'esclavage. Quand on oublie une atrocité commise on peut la recommencer. J'ai aussi découvert l'histoire de Chico rei, ce Roi d’Afrique qui a été capturé et a sauvé son peuple de l’esclavage par sa très fine intelligence.

«IL EST IMPORTANT DE RACONTER DES HISTOIRES QUI FONT RÉFLÉCHIR ET MÉDITER.»

Avec ce spectacle «La calebasse brisée», le Conte raconte l’Histoire. Ces contes ont une forte portée pédagogique, il faut que les enfants connaissent cette histoire. Dans mon spectacle, je laisse les enfants libres de comprendre. Il n’est pas question de leur asséner des paroles. Je n’aime pas l’injustice. Si je peux par mes histoires parler des injustices pour qu’elles ne se reproduisent pas, je le fais avec grand plaisir.

Comment ce spectacle est accueilli par le jeune public? Ces contes sur l’esclavage je les ai d’abords racontés en métropole. Là - bas c’est accueilli avec tendresse. Tout à-coup les enfants prennent conscience de ce qu’a été l’esclavag e.

En Martinique, quand je les ai racontés pour la première fois j’ai été très impressionnée. Je ne savais pas du tout comment le public allait réagir. Ce qui m’a fait plaisir, c’est que ça a permis aux enfants de se poser des questions. Il est intéressant de raconter des histoires qui font rire car ça fait du bien.

Il est aussi important de raconter des histoires qui font réfléchir et méditer. En Martinique ce spectacle «La calebasse brisée» s’est enrichi et je repars avec un nouveau spectacle grâce aux rencontres que j’ai pu faire.

Sezer

Mélisdjane Sézer : Conte et danse orientale

Mélisdjane Sézer, d’origine libano-turque, raconte en parole et en danse depuis plus de vingt ans. Un souffle venu d’Orient empreint de subtilité et de fraîcheur. Face au public, son plaisir d’être là est frappant et communicatif. Ajoutez à cela l’univers féerique des Mille et une nuits…

Irrésistible! Avez-vous d’abord été conteuse ou danseuse?

J’ai commencé à danser vers 5 ans. A cette époque je proclamais que je deviendrais danseuse. Dans les pays d’Orient, une fillette qui danse cela ne pose pas de problème mais devenir danseuse orientale professionnelle ce n’est pas bien accepté.

Du coup j’ai poursuivi des études de droit en France et je suis devenue avocate. Cependant, je n’ai jamais arrêté de danser, j’ai appris les danses traditionnelles de différents pays du Moyen-Orient. Je savais qu’un jour j’irai plus loin que la pratique en amateur.

Après un moment, j’ai fait un choix entre le barreau et la danse: j’ai choisi la danse. J’ai commencé à donner des cours, à présenter des spectacles. Ce n’était pas facile. Une personne, avec laquelle je travaillais, liée au monde de l’oralité m’a fait remarquer que mes danses disaient beaucoup de choses. Pour elle, et d’autres me l’avaient fait remarquer aussi, mes danses ne correspondaient pas aux clichés que l’on peut avoir sur la danseuse orientale, forcément dans la sensualité et le côté "aguicheur". Il y avait bel et bien une histoire dans quand je dansais. Elle m’a alors suggéré de devenir conteuse. C’est une chose à laquelle je n’avais jamais pensé avant. C’était à l’époque du mouvement du renouveau du conte en Europe vers 1975-1980.

J’ai suivi cette personne pour écouter des conteurs. Plume d’aigle flottante, un conteur amérindien, est l’un des premiers que j’ai entendu. C’est comme ça que j’ai découvert en moi un appétit, une envie et une capacité au conte. Je le trouvais très complémentaire avec la danse. Depuis 1985 je conte et je danse de façon professionnelle. J’apprends toujours auprès des autres, je m’enrichi. Je continue toujours à me former et si possible en allant vers l’ailleurs.

Raphaël Annerose

Raphaël Annerose dit «Fayo», conteur guadeloupéen: «le conte est un moment pour promouvoir le créole et notre culture.»

«A L’OPPOSÉ DES CULTURES DE LA CARAÏBE, IL Y A DES PUBLICS QUI NE PARTICIPENT QUE PAR LEUR SILENCE…»

Comment fonctionne le moulin à vent? Quelles sont les étapes dans la fabrication du sucre de canne? A travers ses histoires, Fayo invite les enfants à découvrir leur patrimoine culturel. Le public se retrouve acteur de l’histoire dans une totale interactivité. Tambour, Flûte et chant ajoutent encore du jeu et du rythme à son spectacle.

Quel est votre rapport au public?

La relation avec le public peut être très différente d’une fois à l’autre. Il y à diverses façons d’entrer en relation avec le public. Sa façon de participer n’est pas seulement dans le verbal ou le gestuel mais parfois simplement dans l’écoute. A l’opposé des cultures de la Caraïbe, il y a des publics qui ne participent que par leur silence, signe d’écoute, d’observation et d’extrême attention. Il existe des contextes, tels qu’en Syrie, où des cafés ont encore leur conteur attitré qui vient raconter pour un public masculin. C’est cette diversité qui me nourrit.

Ce n’est jamais pour imiter, ça m’est impossible. Par exemple, j’apprends des contes et des histoires en Martinique que je pourrais raconter ailleurs. Mais je ne vais pas imiter la façon de raconter. Je vais raconter à ma façon des histoires mart iniquaises. L’important c’est de se sentir bien dans ce que l’on fait. On ne peut pas leurrer le public.

Vous contez pour quelle tranche d’âge?

Je raconte pour tout public. Traditionnellement, on ne dit pas des contes pour un public qui serait d’une même tranche d’âge. Tout le monde se retrouvait dans le même contexte, avec un ancien qui racontait. Les bébés s’endormaient dans les bras des mamans, les petits pleuraient où riaient.Chacun grandissait et entendait les mêmes histoires d’une autre façon, et les comprenait différemment. Aujourd’hui on nous demande quelque chose de très spécifique. Au début ça m’a déroutée qu’on me demande des contes pour des âges précis. J’ai travaillé pour m’adapter. C’est un nouveau métier où naissent des besoins nouveaux . On reçoit des commandes de contes à thèmes pour des évènements. La notion de formation devient alors plus importante.

Par vos contes vous militez pour le créole?

Pour moi qui ai fait du théâtre et de la déclamation de poésie, le conte est un moment pour promouvoir le créole et notre culture.C’est un devoir de le faire. Dans l’école ce n’est que récemment que le créole a été reconnu. S’il y a dans le public des personnes qui ne comprennent pas le créole, je traduis ensuite en français. C’est un vrai plaisir de voir les enfants mimer avec moi la coupe de la canne, apprendre comment fonctionne le moulin à vent.

«C’EST UN VRAI PLAISIR DE VOIR LES ENFANTS MIMER AV EC MOI LA COUPE DE LA CANNE»

Votre parcours? J’ai d’abord fait du théâtre vers 1978, avec la troupe «Théâtre volcan» en Guadeloupe. Ensuite est ve nue pour moi la poésie. Je me suis alors rendu compte qu’il y a avait une forme de parole que je ne maîtrisais pas: le conte. Je suis allé à la reherche de contes, à l’écoute des conteurs et dans des rencontres. En re spectant les spécificités du conte, l’expérience du théâtre apporte une plus grande maîtrise technique quant à la gestion de la voix et du corps dans l’espace.

Comment a évolué le conte en Guadeloupe?

Le conte en Guadeloupe, comme toutes les parts de notre patrimoine, a été dénigré à partir des années soixante. Les veillées mortuaires, où officie le conteur, ont peu à peu disparu. Les conteurs comme les joueurs de Gwo Ka, étaient considérés comme des vieux nègres. Sylviane Telchid a été de ceux qui ont travaillé à revaloriser le conte, tout comme une nouvelle génération de conteurs. Nous ne sommes pas nombreux, chacun a son registre et son style. Les écoles et les acteurs culturels intègrent de plus en plus les conteurs dans leurs projets aujourd’hui. Je fais parti d’une association «Lizin a Kont» , nous i ntervenons aussi bien dans les fêtes d’anniversaires, les arbres de noël que dans les écoles. Le conte se développe.

Viré monté