Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

Espace Créole, n°1, 1976, pp. 59-65, Revue du GEREC,
Groupe d’Etudes et de Recheches de la Créolophonie
publiée par le Centre Universitaire Antilles Guyane

En guise d'explication sur le conte

Tonm

Dans notre recherche sur le créole et les sociétés qu'il sous-tend, nous portons un intérêt très grand au conte. On pourrait nous reprocher de privilégier ce genre d'expression; on pourrait nous dire que le conte comporte des aspects sclérosés, qu'il véhicule de nombreuses données archaïques, voire réactionnaires, en ce sens qu'il inciterait à se réfugier dans l'opium du rêve, conduirait à une manière d'infantilisme, en un mot, amènerait à accepter le monde tel qu'il est, plutôt que d'en favoriser la transformation.

Cela est en partie vrai, mais ne résiste pas à une étude quelque peu approfondie de la tradition orale créole. En effet, les contes ne sont pas faits tout d'une pièce: possédant de nombreuses «bwanch» ou variantes, ils constituent en quelque sorte des textes à choix multiples, porteurs des visions du monde les plus variées. A celui qui veut faire œuvre de pédagogue d'écarter ou au contraire de retenir telle ou telle variante, en fonction des possibilités critiques de ses élèves. Et pourquoi n'amènerait-il pas ces derniers à remettre en cause le contenu idéologique et mythologique du conte à partir du conte lui-même?1

D'autre part, le conte est, dans une certaine mesure, un modèle linguistique contraignant: le narrateur essaie en effet, de restituer la langue telle qu'il l'a reçue; cette dernière s'en trouve souvent préservée des ravages de la francisation tant sur le plan de la syntaxe que sur celui du vocabulaire. Tel qui dans la vie courante, subit l'influence du système linguistique du français, tend à retrouver, lorsqu'il dit un conte, une langue créole marquée par la déviance et que par là même, l'on est tenté de qualifier d'authentique. En ce sens, la tradition orale est une véritable réserve, une sorte «d'encaisse métallique» garantissant la «pureté» de l'idiome.

Enfin, comme le conte est une production essentiellement rurale (servile tout d'abord, puis paysanne), en l'utilisant, nous nous situons à la racine socio-historique et linguistique du phénomène de la créolisation.

Mais, dira-t-on, si telles sont les vertus du conte, pourquoi chercher à le transformer par un travail littéraire? En un mot, pourquoi le réécrire?

Disons tout de suite que toute écriture comme toute réécriture est affaire d'idéologie. Il importe donc dans un premier temps, de vérifier le contenu et la finalité du conte ainsi que sa stratégie. Le droit de réécriture dont nous usons, après lecture du texte, loin d'être contradictoire avec la tradition orale paysanne retrouve le principe même de la «bwanch» ou variante. Nous proposons donc, en fait, à partir d'un canevas ancien, un sens nouveau2.

Il n'y a chez nous aucune coquetterie qui nous pousse à rechercher le mot rare, au goût d'exotisme. Mais dès qu'il existe plusieurs termes pour désigner la même réalité, nous choisissons le plus déviant par rapport au français3. Nous y insistons: le créole ne pourra conserver son statut de langue, c'est-à-dire, survivre, que s'il se démarque le plus possible du français. En outre, dans une perspective pédagogique (perspective naturelle et première, quand il s'agit d'une langue) cela permettra d'éviter de nombreuses et fâcheuses interférences rendues possibles, en partie, par la contiguïté des deux langues. Dès lors, le bon voisinage des deux idiomes n'en sera que meilleur.

Le travail (de nature forcément littéraire) opéré sur la langue du conte constitue selon nous, un moyen rationnel et systématique de développer les vertus de déviance linguistique spontanées, en germe dans la tradition orale. Nous tentons de réactiver certains mots, tours et images qui ont pratiquement disparu du créole de la ville. On pourra s'étonner de trouver dans TONM recueilli, transformé littérairement et traduit par Donald Colat-Jolivière, des unités martiniquaises ou dominicaines, voire haïtiennes sur un fond guadeloupéen. Là encore, nous restons fidèles à nos principes: si un terme guadeloupéen (ou autre) ne nous semble pas assez marqué sur le plan du signifiant, nous puisons dans les dialectes voisins. Il importe, pour la survie même de la langue, de ne pas s'enfermer dans le «micro-créolisme». C'est que nous croyons, par de là la diversité des créoles, à leur unité et à leur pouvoir de communication. Toutefois, si nous sommes partisans de la circulation lexicale, toutes barrières douanières levées, nous restons très prudents en matière d'intégration syntaxique, ne nous estimant pas encore suffisamment armés, sur le plan théorique de la description des divers dialectes, pour nous engager sur ce terrain. L'éclectisme au goût d'arbitraire et d'aventurisme, en un mot, le syncrétisme ne s'appuyant pas sur une base théorique et une pratique socio-historique conséquente, ne figure pas dans notre projet. Nous respectons néanmoins, ceux que l'on peut appeler des «découvreurs de langage», ceux qui à travers une création non directement assujétie au canevas du conte (noyau narratif initial) écrivent, dans une syntaxe «mutante», une sorte de trans-créole individuel: leur parole et leur pratique, même si elle ne débouchent pas sur une communication immédiatement rentable, ont en elles-mêmes leur valeur. Nous ne saurions juguler leur énonciation.4 Mais une clarification s'impose: nous ne sommes pas une maison d'édition, un organisme à vocation commerciale. Nous sommes conscients de l'enjeu qu'implique la nécessaire promotion du créole qui, comme toute langue, peut être un instrument aussi bien de vérité que de mensonge, de libération que d'aliénation.

Certes, nous cherchons à accroître les pouvoirs de la poésie créole «belle comme l'oxygène naissant», mais nous nous refusons à favoriser les mystifications auxquelles peuvent donner lieu et la magie du verbe et le vertige des formes.

C'est pourquoi, chaque fois qu'il s'agira d'œuvres (écriture ou art plastique) d'auteurs qui ne participent pas de l'intérieur au mouvement dialectique et à la quête de cohérence propres à la vie de notre groupe, nous en situerons, dans un encart critique, les formes et les contenus idéologiques, par rapport à nos perspectives. Nous sommes d'ailleurs persuadés que c'est en refusant l'éclectisme, source d'arbitraire (parce que dénué de fondement socio-historique conséquent) et en nous engageant dans la voie ardue de la rigueur critique que nous parviendrons le mieux à étendre notre groupe initial, y adjoignant, sur des bases non équivoques, des collaborateurs nouveaux.

Notre démarche, pour prudente et réaliste qu'elle veuille être, peut apparaître tout de même à certains comme artificielle et volontariste. A cela, nous répondrons qu'elle est militante et qu'à ce titre, elle doit se donner les moyens de son succès : imagination, rigueur théorique et ténacité. Ces qualités nous semblent à la mesure de la promotion réelle du créole et des sociétés créolophones.

Le G.E.R.E.C.

  1. Dans le cadre de cette revue, nous aurons ultérieurement l’occasion de présenter des exemples vécus d’une pédagogie rénovée par la tradition orale assumée et dépassée.
     
  2. Nous gardons, pour l'histoire, dans nos archives, l'attestation fidèle du conte tel que nous l'avons reçu de la bouche du conteur.
     
  3. Nous ne négligeons pas pour autant les problèmes que pose la configuration des champs sémantiques, d'un dialecte à l'autre. Notre pratique n'est en effet pas spontanéiste, mais repose sur un véritable travail théorique.
     
  4. Nous nous proposons d'ailleurs de consacrer un numéro entier de notre revue aux recherches d'écriture nouvelle en langue créole. Déjà, dans le cadre du présent numéro, nous favorisons la prise de parole de Raphaël Confiant (Biyé lantèman, Tandé) et de José Legrand (dessins représentant des travailleurs de la terre et de la mer). Nous souhaitons voir se multiplier, à l'avenir, les envois à insérer sous la rubrique de la création littéraire et artistique.

Viré monté