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COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE

sur la recherche
et l'enseignement du créole en Guadeloupe

28 mars 2007
Pointe-à-Pitre, IUFM Guadeloupe

Daniel BARRETEAU (IRD), Mirna BOLUS (UAG-IRD), Max DORVILLE (IUFM)

Dans ce compte rendu, nous présenterons le programme, tel qu'il s'est effectivement déroulé, le mercredi 28 mars 2007, dans l'amphithéâtre de l'IUFM de Guadeloupe. Nous reproduirons les messages délivrés dans les discours d'ouverture puis les résumés des communications, avant de conclure par une synthèse générale.

La table ronde a réuni une quarantaine de personnes (enseignants-chercheurs, conseillers pédagogiques, enseignants...).

Les publications de l'AREC-F ont été remises à l'IUFM, soit 24 documents déposés, plus précisément, au CRREF (Centre de recherches et de ressources en éducation et formation).

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Déroulement du programme

Table ronde sur l'enseignement créole en Guadeloupe
Table ronde sur l'enseignement créole en Guadeloupe.

Séance d'ouverture

  • Allocution de M. Max Dorville (Directeur de l’IUFM (Hôte de la manifestation)
  • Message de M. Roger Bambuck (Directeur de la Délégation à l'Outre-Mer de l'IRD)
  • Présentation et cadrage de la table ronde par M. Daniel Barreteau (Directeur de recherche de l'IRD, coordonnateur du projet AREC-F) et Mirna Bolus (Doctorante UAG-IRD)

Communications

  • Paulette Durizot Jno-Baptiste (Docteur en anthropologie de l'éducation, Département Culture et langages, CRREF, IUFM Guadeloupe)
    "Que signifie pour vous 'Enseigner en milieu créolophone' ? 
    La portée éducative des réponses des professeurs des écoles stagiaires"
     
  • Luciani Lanoir L'Etang (Docteur en anthropologie, membre du Département d'anthropologie du CERC)
    "L'enseignement de la LCR : quel impact sur les représentations identitaires des élèves ?"
  • Mirna Bolus (Doctorante UAG/IRD)
    "Enseigner le créole à l'école, oui, mais avec quels outils?"
     
  • Juliette Sainton (Docteur en linguiste, UAG-IUFM)
    "Les contraintes exercées par la langue orale sur les apprentissages en langue d'éducation. Une didactique des apprentissages. Le cas du contexte créole / français"
     
  • Marie-Hélène Jacoby-Koaly (Docteur en Sciences de l’Education, Membre du Département d’anthropologie du CERC, UAG)
    "La question du sens d’une réalité culturelle en milieu scolaire guadeloupéen"
     
  • Frédéric Anciaux (MCF IUFM)
     "Alternance codique en EPS dans la Caraïbe: Usages et effets de la langue créole au cours des pratiques physiques et sportives"
     
  • Lindy Ann Alexander (Komité Kwéyòl de Sainte-Lucie)
    "Etat de l'enseignement du créole et de la recherche à Sainte-Lucie"
     
  • Ophelia Marie (Membre du Comité d'études créoles de la Dominique)
    "L'enseignement du créole et la recherche à la Dominique"
     
  • Rodolf Etienne (Journaliste-écrivain. Coordinateur Caraïbe de l'Organisation Internationale des Peuples Créoles)
    "La notion de pan-créole: le rôle des grandes capitales"

Synthèse, discussions générales et conclusion

M. Daniel Barreteau, en sa qualité de coordonnateur du projet AREC-F, a effectué une brève synthèse des débats et a tiré les conclusions de la table ronde, en insistant particulièrement sur la nécessité de mettre en place et de coordonner des projets de recherche-action (dans chaque pays) et une plate-forme collaborative à l'échelle de la Caraïbe.

M. Max Dorville a annoncé que l'IUFM mettrait en place un séminaire de recherche-action pour les enseignants et un séminaire annuel de réflexion sur l'enseignement des LCR.

Melle Mirna Bolus a insisté sur la nécessité d'organiser une collaboration effective et durable entre les chercheurs et les enseignants afin d'obtenir des résultats significatifs en matière de didactique et de pédagogie de l'enseignement du créole et en créole.

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Discours d'ouverture par M. Max Dorville

Directeur de l'IUFM

Monsieur le Ministre,
Monsieur le Recteur,
Mesdames et Messieurs nos invité(e)s,
Mesdames et Messieurs les enseignants-chercheurs,
Mesdames, Messieurs,

J’ai mission, en ma qualité de Directeur de cette institution, de vous accueillir en vous disant: «Nou konten wè zot!», «You are welcome!», «Bienvenue à l’IUFM!»

Cette rencontre, proposée par l’AREC-F (Atelier de recherche sur l’enseignement du créole et du français dans l'espace américano-caraïbe), animé par l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement), l'UAG (Université des Antilles et de la Guyane) et l'UEH (Université d'Etat d'Haïti), ne pouvait laisser indifférent l’IUFM compte tenu de son objet. Je laisserai à Monsieur Daniel Barreteau le soin de vous en dévoiler les détails des contenus et objectifs fixés.

Cette nouvelle rencontre qui intervient quasiment deux mois après un précédent séminaire sur l’enseignement des LCR dans l’académie de la Guadeloupe, n’est pas un remake de ce dernier. Le séminaire de janvier initié par Monsieur le Recteur de l’académie a été une journée qui a permis d’analyser la situation de l’enseignement des LCR dans l’académie, son orientation a été avant tout pédagogique. Celle d’aujourd’hui s’intéresse à la recherche. Tous ces sujets, qu’ils soient d’ordre pédagogique ou qu’ils relèvent de la recherche, sont dans le champ des préoccupations de l’IUFM. La pédagogie nous intéresse parce que l’institution est en charge de la formation des enseignants dans l’académie. L’IUFM qui est un établissement universitaire, est partie prenante de la recherche en éducation et en formation. L’intégration de l’institut à l’UAG, dont on parle beaucoup en ce moment, ne devrait rien modifier car l’IUFM, devenant une École intégrée à l’université, verra ses missions confirmées.
S’agissant de l’enseignement, l’IUFM de Guadeloupe développe un enseignement du créole intégré à l’option LCR tant au niveau de la préparation du concours des Professeurs des Ecoles (PE), que dans la formation des Professeurs des Écoles stagiaires.

La carte des formations des maîtres dans les Antilles et la Guyane, co-gérée par les trois IUFM au travers du RIAG (Réseau des IUFM des Antilles et de la Guyane) consent à la Martinique l’exclusivité de la préparation du CAPES créole et de la formation des certifiés, mais cela n’empêche pas les autres IUFM du réseau de s’impliquer au titre de la formation continue dans la préparation du CAPES. Notre institution, qui a longtemps eu en charge la maîtrise d’œuvre de la formation continue des enseignants dans l’académie, a toujours proposé au Recteur que soient consacrés des moyens importants à ce secteur eu égard au poids de ce champ disciplinaire.

La politique actuelle de recrutement des enseignants de l’IUFM lui a permis de renforcer ses compétences disponibles en linguistique et en créole. Des efforts devront être poursuivis dans cette direction afin d’aboutir à terme à l’émergence en Guadeloupe d’un centre de ressources en enseignement des LCR et du créole  qui soit incontournable!

L’enseignement du créole et l’utilisation du créole dans les stratégies d’apprentissage sont aujourd’hui des points qui devraient permettre aux pays créolophones de la Caraïbe de travailler ensemble, de partager leurs expériences en formation et en éducation et d’ouvrir la voie à une coopération éducative et interculturelle. La création de ce centre de ressources, cité plus haut, me semble en ce sens un outil au service d’une politique de coopération entre des pays de la Caraïbe. 

Enfin un tel centre, travaillant en étroite collaboration avec des structures académiques mieux ancrées sur le terrain d’exercice de la pédagogie, aurait le mérite d’être un espace où il serait possible de faire le lien entre la politique éducative, la politique culturelle et la politique de coopération.

S’agissant de la recherche, l’IUFM de Guadeloupe a inauguré en mai 2004, le CRREF (Centre de ressources et de recherche en éducation et en formation). Ce centre a pour vocation de réunir les formateurs de l'IUFM ou ceux hors IUFM mais impliqués en formation des maîtres intéressés par la recherche en éducation en vue d’initier une démarche scientifique structurée au sein de l’établissement. Les initiateurs du projet ont voulu que ces recherches soient contextualisées, en permettant de répondre de façon concrète aux problèmes rencontrés par les acteurs de l’enseignement en Guadeloupe, et par extension aux Antilles et en Guyane.

De façon précise, le CRREF s'est donné trois objectifs :

  • l'aide aux personnes en favorisant,
  • le développement de l'activité de recherche collective au sein de l'établissement,
  • la valorisation d’actions de recherche et de recherches-actions conduites par les membres de l'IUFM (séminaire, projet de revue).

Il est important de souligner ici q’une attention particulière est portée sur les thèmes de recherche permettant de tenir compte des environnements géographiques et culturels de l’institut et notamment à la dimension multiculturelle (créolophone et francophone) de l'archipel. La coopération avec les IUFM du Réseau des IUFM des Antilles et de la Guyane est encouragée ainsi qu'avec l'UAG.

Le CRREF regroupe, actuellement, trois pôles de recherche:

  • Cultures et langages (2 MCF / 3 docteurs),
  • Analyse de pratiques professionnelles (1 MCF),
  •  Didactiques des sciences (1 PR & 2 MCF participent, 1 doctorant, 5 étudiants en "master" recherche).

Je ne donnerai ici que quelques éléments concernant le groupe "Cultures et langages".

Les recherches menées au sein de ce pôle ont pour objectif de répondre aux difficultés d’exercices rencontrées à l’école en Guadeloupe de par le contexte particulier, sur les plans socioculturel et sociolinguistique. L’efficacité de l’enseignement passe par la prise en compte des contraintes que ce contexte impose à la pratique enseignante:

  • la connaissance des élèves sur le plan de leurs compétences communicatives et langagières,
  • les problèmes liés à la gestion des langues créole et français dans l’enseignement,
  • le poids des pratiques socioculturelles et langagières sur les représentations des élèves et des enseignants et leur influence sur les apprentissages.

Le pôle "Cultures et langages" décline ses actions en trois axes :

  • les apprentissages du langage oral et écrit, les incidences du contexte diglossique,
  • l’enseignement des langues et cultures régionales créoles dans le contexte guadeloupéen,
  • l’analyse des représentations au sein des pratiques et chez les enseignants.

Voilà, Mesdames et Messieurs, une présentation succincte de notre établissement. Ces journées s’inscrivent bien dans nos préoccupations et nous avons accepté sans difficulté de nous y associer.

Je souhaite donc que ceux qui ont répondu à notre invitation puissent tirer de cette journée matière à poursuivre leurs réflexions. Que cette journée vous permette de nouer ici de fructueux contacts pour l’avenir de la recherche-action. Et, comme le souhaite celui qui est à l’initiative de cette rencontre, Monsieur Daniel Barreteau, que la Caraïbe se transforme en espace de recherche en créole pour la naissance "d’une créolophonie" caraïbe.

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Message adressé par M. Roger Bambuck

Ancien ministre de la Jeunesse et des Sports
Directeur de la Délégation à l'Outre-mer de l'IRD

Je vous prie d’excuser mon absence à cette table ronde. Je le regrette très sincèrement, avec la conscience de rater un événement d’importance pour notre pays. J’ai confiance en vous. Je suis certain que vous ferez du bon travail.

M. Daniel Barreteau, coordonnateur du projet AREC-F, se fera mon porte-parole pour vous dire ce que j’aurais aimé vous communiquer à l’occasion de cette table ronde.

Lors de précédentes rencontres, vous avez eu l’occasion de faire l’historique de l’introduction du créole dans la formation des jeunes au sein de l’éducation nationale. Ce fait est attesté; il s’inscrit désormais dans l’histoire de nos pays; il nécessite maintenant d'être étendu de manière à répondre à la demande sociale. Il demande à être rendu plus performant, à s’adapter à l’évolution du monde, et du monde caraïbe en particulier. Cette zone caraïbe retient plus particulièrement notre attention pour des raisons de choix théoriques et pratiques de l'atelier et en raison de la localisation géographique de cette table ronde.

Au sortir d’une période de méfiance, voire de défiance vis-à-vis du créole, l’ensemble des acteurs chargés de l’éducation des générations actuelles et futures a besoin de reprendre son souffle, de faire le point pour valoriser, puis repartir à la conquête de nouveaux défis, en prenant en compte les réalités du monde.

Dans ce monde concurrentiel, globalisé, qui tend à l’homogénéisation, la question identitaire est au cœur de nos responsabilités. Construire son identité implique que l'on prenne en compte l’ensemble des éléments qui sont mis à notre disposition : une histoire, un territoire, une ambition, une culture. A l’intérieur de tout cela se trouvent les langues et les langages. Le créole, pour nous, est incontestablement un point fort dans cette construction identitaire. Les Guadeloupéens ne s’y sont pas trompés : une fois sortis de la revendication politicienne, à courte vue, d'une indépendance vis-à-vis de la France, la réalité a repris sa place, faisant du créole, un outil de prise de conscience de soi et des autres, de sa sphère géographique, des besoins d’échanges culturels enrichissants, de préférence à ceux du passés fondés sur le monolinguisme et la subordination.

Dans la construction identitaire, le créole peut être perçu comme une "langue régionale", une "langue maternelle", une "langue première", la langue "fondamentale". C'est une langue que l'on entend, que l'on apprend et que l'on pratique; c’est une langue vivante et bien vivace, parlée dans les différentes strates de la société. Mais ces différents aspects du créole n’ont pas la même valeur, n’ont pas la même signification, n’ont pas le même poids pour celui qui a vocation d’éduquer, c'est-à-dire d'amener les uns et les autres à s’autoriser à agir après avoir mobilisé l’ensemble de ses facultés. Il s'agit d'entrer dans l'intimité de la langue et de la culture créoles pour partager, avec les autres, un projet de société et un projet humain. C’est là un des enjeux de l’apprentissage du créole à l’école: permettre à chacun d’exercer sa complète liberté pour apporter à la communauté humaine le meilleur de lui, pour partager un destin qu’il veut commun et respectueux des uns et des autres.

En ces périodes où le développement durable est à la mode, où la redécouverte de l’environnement naturel est dans l’actualité, il est nécessaire de disposer au travers de la maîtrise de la langue créole d’un outil performant, adapté et évolutif, mis à disposition de tous. C’est l’objet de la table ronde à laquelle vous avez accepté de participer, pour forger des outils scientifiques à mettre à la disposition du plus grand nombre afin de contribuer à l’œuvre éducative.

Pour cela il est besoin de techniciens du plus haut niveau possible; ils nous permettront d'entrer dans la connaissance du créole, pour mieux le décortiquer, pour savoir comment il fonctionne, pour le comparer, le décrire et le reconstruire, et pour construire les outils pédagogiques nécessaires à son apprentissage. Sans cette approche technique et scientifique, il est très difficile de disposer des moyens de formation en direction du plus grand nombre. Il est certes possible d’apprendre le créole par imprégnation, par contact, mais si nous voulons réellement en assurer la pérennité et le développement, il est nécessaire de passer par une phase d’apprentissage, maîtrisée.

Pour cela, les spécialistes ont adopté la méthode de l’échange entre ceux qui ont une expérience de terrain locale qu’ils feront partager à ceux qui ont une vision plus large, fondée sur un vécu hors de l’espace américano-caraïbe. Cette manière de faire donnera lieu à une confrontation féconde, puisque basée sur le respect mutuel des savoirs des uns et des autres. Le spécialiste scientifique apporte sa contribution sous forme de savoirs et de techniques éprouvées, reconnues, qu’il peut mettre en perspective avec le vécu des praticiens. De cet enrichissement mutuel sortiront des outils utilisables par le plus grand nombre.
Le souhait particulier que je formule c'est que l'on puisse promouvoir des outils adaptables aux situations diverses rencontrées sur le terrain, quelles que soient leurs diversités et leur finalités. En procédant de la sorte, nous ouvrons une opportunité originale, visant à autoriser tout un chacun à s’approprier les pédagogies, à les enrichir, à les rendre plus opérationnelles.

Autre atout de cette méthode, le fait de donner cette possibilité à tous, aura comme effet de bien populariser le créole, dans ses dimensions traditionnelles et dans sa capacité à évoluer grâce aux contacts avec les autres langues et langages. En un mot faire du créole, une langue vivante, assurée dans ses règles, prête à se lancer à l’assaut du monde. 
C’est cela qu’attendent de nous tous ceux qui respectent le créole.

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Présentation et cadrage de l'atelier et de la table ronde

Daniel Barreteau & Mirna Bolus

Daniel Barreteau
Daniel Barreteau (Directeur de recherche de l'IRD, coordonnateur du projet AREC-F)

1. Présentation générale de l’AREC-F

Le projet d'Atelier de recherche sur l'enseignement du créole et du français dans l'espace américano-caraïbe est animé par:

  • l'Institut de recherche pour le développement (IRD)
  • l'Université des Antilles et de la Guyane (UAG)
  • l'Université d'Etat d'Haïti.

L'objectif de l’AREC-F est:

  • de favoriser les échanges dans l'espace américano-caraïbe autour des questions d'enseignement du créole et du français,
  • de développer et de valoriser des recherches dans ce domaine.

Des journées d'études sont organisées dans les différents pays, la présente table ronde concernant particulièrement la Guadeloupe. 

Des résultats et des informations sont diffusés sur des sites web, dont le site web de l’IRD Martinique. Rechercher, sur les moteurs de recherche, les pages "AREC-F".

Cinq principes essentiels prévalent à l'organisation de l'AREC-F:

  • il s'agit d'un atelier de recherches pluridisciplinaires, considérant de manière équilibrée les études sur la langue et la culture, les recherches et expériences sur l'enseignement du créole et du français;
  • l'atelier est ouvert aux enseignants-chercheurs et aux étudiants, mais également aux professionnels et aux responsables de l'éducation, aux "praticiens";
  •  les visées sont à la fois théoriques et pratiques;
  •  c'est un atelier de réflexion à vocation internationale;
  • sans être un groupe "militant", l'atelier veillera à ce que les résultats de recherche puissent aboutir à des applications pratiques pour une meilleure prise en compte de la diversité culturelle et le développement harmonieux des systèmes éducatifs.

Dans chacun des pays, autour d'un groupe de coordination, une concertation s’établit de manière à dégager des thèmes de réflexion et à retenir une période pour la tenue d'une réunion.

Les responsables des ateliers:

Haïti Pierre Vernet – Daniel Barreteau – Pierre Dumont
Guadeloupe Daniel Barreteau – Mirna Bolus – Max Dorville
Dominique Daniel Barreteau – Stella Cambrone
Martinique Daniel Barreteau – Jean Bernabé
Sainte-Lucie Lindy Ann Alexander – Stella Cambrone
Guyane Michel Launey – Inga Sabine

2. Présentation de la table ronde sur la recherche et l’enseignement du créole en Guadeloupe

Depuis 1999, les effectifs n’ont cessé d’augmenter en Guadeloupe : enseignants et élèves sont de plus en plus nombreux à s’intéresser à la langue et la culture créoles. Au vu de cet engouement, il convient d'examiner où en est la Recherche en ce qui concerne l'enseignement du créole dans le département, la recherche étant, dans tout pays, un puissant moteur de développement.

Dans le cadre de l'AREC-F et en collaboration avec l'IUFM de la Guadeloupe, nous avons souhaité organiser une table ronde, en Guadeloupe, afin d'échanger avec les enseignants, les chercheurs et les étudiants sur la question du développement des recherches sur et pour l’enseignement du créole à l’école.

Comme le veut l'esprit de l'AREC-F, cette table ronde tentera de regrouper des spécialistes de divers domaines (anthropologie, linguistique, sociolinguistique...). À terme, il s'agira de déterminer dans quelle mesure et à quels niveaux la Recherche peut contribuer à aider les enseignants de créole à améliorer leurs pratiques. Au cours de cette rencontre, chacun, selon son champ d'étude, est invité à faire part de ses travaux.

Depuis plusieurs années, la Recherche relative au créole a fait de grands progrès. Des avancées qui visent, entre autres, à offrir aux générations à venir un enseignement mieux adapté à l’environnement, aussi bien linguistique que culturel, dans lequel elles seront amenées à évoluer et qu’elles feront, d’ailleurs, évoluer à leur tour.

3. Recherche-action et plate-forme collaborative

Dans chacun des pays créolophones de la zone américano-caraïbe, il nous paraîtrait extrêmement important de lancer et/ou de coordonner des programmes de recherche-action de manière à capitaliser les acquis sur l'enseignement du créole et sur des méthodes rénovées d'enseignement du français. Nous allons essayer d'analyser en quoi des "recherches-actions", bien conduites, pourraient donner des résultats fort intéressants pour la mise en place d'un système éducatif bilingue.

  • La recherche-action vise à mener des expériences avec des protocoles bien établis, et les rôles de chacun bien arrêtés, sans qu'il s'agisse d'une réforme toute tracée, où tous les termes sont fixés à l'avance.
  • L'expérience se veut évolutive dans le temps. Nécessairement limitées au départ, les modalités de l'expérience vont évoluer au fur et à mesure à partir d'évaluations successives.
  • C'est une expérience collective où les différents partenaires ont leur mot à dire: responsables du système éducatif, conseillers pédagogiques, chercheurs et coordonnateurs du projet,  enseignants, élèves, parents...
  • C'est une recherche interactive, orientée vers l'action mais où les différentes opérations sont menées et analysées de manière à les adapter et à les améliorer progressivement. Tout n'est donc pas établi dès le départ et les principaux acteurs de l'expérience, les enseignants, ont un rôle essentiel à jouer.
  • Cela suppose qu'un groupe de coordination du programme fonctionne avec des réunions régulières de concertation.
  • Les évaluations sont menées par le groupe de coordination du projet qui établira des rapports d'étape. Au terme de ces évaluations successives et tenant compte aussi d'évaluations extérieures, de nouvelles orientations seront proposées collégialement.
  • Il s'agit donc d'une expérimentation limitée sur le plan quantitatif encore qu'il faille donner d'emblée au projet une certaine consistance de sorte que l'expérimentation ne se joue pas uniquement sur des cas trop personnalisés. Avant toute extension du projet, on veillera à ce que les conditions nouvelles créées par le processus d'extension ne nuise pas à la qualité même de l'expérience.
  • Si l'on vise une certaine extension du projet (sans parler de généralisation), il faudra effectivement s'assurer que les pertes de qualité causées par le changement d'échelle ne soient pas substantiellement dommageables au projet (formation des formateurs, formation initiale des enseignants, mise à disposition de matériel pédagogique, suivi et encadrement, organisation de réunions de concertation, évaluations...).

Dans le cas de "l'espace américano-caraïbe", il serait d'autant plus nécessaire de mettre en place des groupes de recherche-action dans chaque pays que les situations et les attentes sont différentes selon les pays, que les moyens sont toujours limités en matière de langues et cultures régionales et que les enseignants attendent beaucoup de la formation continue.

A l'échelle de la Caraïbe, il serait extrêmement utile et enrichissant de pouvoir lancer une plate-forme collaborative, sur un site web, où des représentants de chaque pays (et région) pourraient entrer des données, fournir des informations et participer aux débats.

Résumé des communications

  • Paulette Durizot Jno-Baptiste (Docteur en anthropologie de l'éducation, Département Culture et langages, CRREF, IUFM Guadeloupe)
    «Que signifie pour vous "Enseigner en milieu créolophone" ? 
    La portée éducative des réponses des professeurs des écoles stagiaires»
     
    Résumé: En formation initiale, le module "Enseigner en milieu créolophone" interpelle les professeurs des écoles stagiaires au plus profond de leur identité. Il leur importe d'interroger la valeur intrinsèque de l'objet enseigné. C'est à travers leurs représentations de la notion de langue maternelle que leurs interrogations font sens. Ce sont précisément ces interrogations, qui portent sur la pertinence, l'utilité, l'intérêt, la valeur éducative ou culturelle du créole guadeloupéen en situation d'apprentissage scolaire, qui nous intéresseront dans le cadre de cette communication.
     
  • Luciani Lanoir L'Etang (Docteur en anthropologie, membre du Département d'anthropologie du CERC)
    «L'enseignement de la LCR : quel impact sur les représentations identitaires des élèves?»
     
    Résumé: A la question: "Qu'est-ce que c'est pour vous un Guadeloupéen?", il est demandé aux élèves de deux classes de terminale de dire ce qui leur vient à l'esprit. Ces deux classes font partie d'un lycée de Basse-Terre, l'une reçoit l'enseignement de l'option LCR, l'autre pas. L'objectif de l'analyse des représentations recueillies est d'appréhender les traces laissées par l'enseignement de cette option, le degré plus ou moins fort d'imprégnation des marqueurs culturels. Cette recherche n'est qu'embryonnaire, et donc les réponses seulement partielles et ne pourront pour l'instant donner lieu qu'à des pistes de recherche.
     
  • Mirna Bolus (Doctorante UAG-IRD)
    «Enseigner le créole à l'école, oui, mais avec quels outils?»
     
    Résumé: Dans le cadre de notre thèse de Doctorat en langues et cultures régionales option créole, nous nous sommes intéressée à la question des outils pédagogiques destinés à l'enseignement du créole. Nous avons limité notre recherche à l'école primaire et avons tâché de découvrir quels étaient les supports dont se servaient généralement les enseignants habilités en créole et quels étaient ceux dont ils voudraient disposer pour améliorer leurs enseignements. C'est à partir des propos de nos témoins et d'observations effectuées en classe de créole que nous faisons quelques propositions en ce sens dans le dernier chapitre de notre étude. Nous espérons, en effet, que ces propositions permettront d'envisager quelques pistes à suivre quant à l'élaboration des futurs outils pédagogiques indispensables à l'enseignement du créole dans le premier degré.
     
  • Juliette Sainton (linguiste, UAG-IUFM)
    «Les contraintes exercées par la langue orale sur les apprentissages en langue d'éducation. Une didactique des apprentissages. Le cas du contexte créole/français»
     
    Résumé: En situation de multilinguisme, le contact étroit entre les langues d'un individu se pose en des termes qui pour l'Ecole nécessite la "didactisation" des contraintes imposées par le déjà-là de la langue orale de l'Environnement. La conscience phonologique précédant l'apprentissage de la lecture chez les petits Antillais passera entre autres, par une prise de conscience par les enseignants du contraste phonologique "créole/français" (structures syllabiques, système phonématique, morphologie, règles de phonétique articulatoire) et par une stratégie originale d'enseignement de la conscience phonologique.
     
  • Frédéric Anciaux (MCF IUFM)
    «Alternance codique en EPS dans la Caraïbe: Usages et effets de la langues créole au cours des pratiques physiques et sportives»
     
    Résumé: Cette intervention portera sur les usages et les effets des langues au cours des apprentissages moteurs. L'objectif est de présenter, d'une part, les pratiques sociolinguistiques au cours des pratiques physiques et sportives en Guadeloupe et en Haïti, et, d'autre part, les effets de la langue de présentation des consignes sur la valeur d'imagerie des mots, les capacités mnésiques et les performances motrices et verbales chez des bilingues français/créole.
     
  • Marie-Hélène Jacoby-Koaly  (Docteur en Sciences de l’Education, Membre du Département d’anthropologie du CERC, UAG)
    «Le traitement des croyances : La question du sens d’une réalité culturelle en milieu scolaire guadeloupéen»
     
    Résumé: L’intérêt de cet exposé est lié à la place et au sens qu’occupent la pensée et certaines formes de pratiques culturelles d’acteurs en milieu scolaire guadeloupéen. Face au problème de l’échec scolaire, de nombreux témoignages (élèves, parents, enseignants) montrent  que les explications et tentatives de solution sont quelquefois abordées selon une réalité culturelle qui relève de croyances particulières exprimées selon un code langagier spécifique (diglossie, charabia…). Le sens des valeurs éducatives transmises dans les familles et à l’école, même quant elles concernent les croyances, pourrait être pris en considération dans une approche politico-culturelle de la formation des enseignants.
     
  • Lindy-Ann Alexander (Komité Kwéyòl de Sainte-Lucie)
    «Etat de l'enseignement du créole et de la recherche à Sainte-Lucie»
     
    Résumé: La langue kwéyòl se pratique à grande échelle à Sainte-Lucie mais elle se limite à la communication orale: rares sont les créolophones qui demandent à apprendre à lire et à écrire le kwéyòl. Si, pour les jeunes élèves créolophones, le kwéyòl est facile et passionnant à lire et à écrire, ce qui les aide à mieux réussir leur scolarisation en anglais, en revanche, les adultes analphabètes sont peu motivés pour suivre une alphabétisation en kwéyòl. Actuellement, aucun projet national ou officiel n’existe à Sainte-Lucie pour enseigner le kwéyòl à l’école ou pour l’utiliser comme langue d’enseignement. Pourtant des expériences menées  par des chercheurs et des éducateurs sainte-luciens montrent que l'on aurait tout à gagner si l’on pratiquait une alphabétisation précoce dans les deux langues, quel que soit le niveau.
     
  • Ophelia Marie (Membre du Comité d'études créoles)
    «L'enseignement du créole et la recherche à la Dominique»
     
    Résumé: La Dominique, petit pays de 70.000 habitants, situé entre la Guadeloupe et la Martinique, se caractérise par une situation assez complexe sur le plan linguistique. Trois "variétés" d'anglais: anglais standard, anglais dominicais et kokoy (un créole à base lexicale anglaise); et deux "variétés" de français: le français standard (enseigné de manière prioritaire dans l'enseignement secondaire mais très peu pratiqué bien que la Dominique fasse partie de la Francophonie) et le kwéyol (créole à base lexicale française). Le kwéyol (ou "patwa") est la langue "traditionnelle" de la Dominique, pays qui est passé à plusieurs reprises de la domination française à la domination anglaise, avant de devenir indépendant en 1978. Bien que le kwéyol soit en phase de régression (notamment dans la capitale) face au développement de l'anglais, qui est la langue officielle du pays, il n'en demeure pas moins la langue maternelle, la langue fondamentale, la langue de la culture et de l'histoire.
     
  • Rodolf Etienne (Journaliste-écrivain. Coordinateur Caraïbe de l'Organisation Internationale des Peuples Créoles)
    «La notion de pan-créole: le rôle des grandes capitales»
     
    Résumé: Les grandes capitales apparaissent aujourd'hui comme de grands centres de rencontres créoles. Plusieurs communautés distinctes évoluent à Paris, Montréal, Sydney, Londres ou New-York offrant ainsi de nouvelles perspectives d'échange à l'identité créole internationale. Cet exposé est une présentation succincte des nouveaux enjeux que nous suggère cette nouvelle force créole autour de la notion de pan-créolité.
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Synthèse et conclusion de la table ronde

M. Daniel Barreteau a rappelé que le créole est bien vivant en Guadeloupe et que son enseignement a pris une certaine ampleur depuis quelques années. Il y a un engouement certain de la part des élèves et des acteurs de l'éducation (sur le terrain) et ce dynamisme est relativement bien soutenu par les autorités et par la recherche.

L'enseignement des langues et cultures régionales oblige toutefois à "bricoler" constamment, du fait d'insuffisances dans tous les secteurs (formation initiale et formation continue, matériels didactiques, méthodes d'évaluation...). Les enseignants sont, de fait, des personnes souvent très "engagées".

Des questions se posent néanmoins: faut-il enseigner le créole ou enseigner en créole ? Comment aborder les questions relatives aux croyances magico-religieuses? Comment aborder la complémentarité des systèmes (créole et français) ? Comment assurer effectivement une bonne continuité dans les cursus scolaires? Si certains souhaiteraient s'orienter vers un véritable bilinguisme scolaire, tout le monde s'accorde à penser qu'il faut, en tout état de cause, disposer de moyens suffisants pour fonctionner correctement dans cette matière, comme dans les autres, et qu'il faut avancer pas à pas, en préservant la qualité de l'enseignement.

La Guadeloupe constitue un modèle du fait de son dynamisme. La législation est bien établie. Les autorités soutiennent l'enseignement de la LCR créole à tous les niveaux. Les services de formation existent. Des outils pédagogiques sont disponibles.

Toutefois, il y aurait nécessité à mettre en place, mais surtout à coordonner des projets de recherche-action de manière à mieux gérer collectivement l'enseignement du créole, en répondant à des questionnements, en capitalisant les acquis, en diffusant les résultats, en rendant compte des expériences menées par les uns et les autres (enseignants-chercheurs et enseignants), le tout permettant de contribuer à la formation permanente des enseignants et à la sensibilisation de la population.

A l'échelle de la Caraïbe, une plate-forme collaborative pourrait être mise en place, sur un site web (l'IRD Martinique pourrait assurer le démarrage du système), de sorte que l'on puisse échanger des questionnements, des informations, de la documentation...  Bien que les situations soient singulières dans chacun des pays créolophones, il y aurait, évidemment, tout à gagner  en organisant et en généralisant les échanges.

M. Max Dorville a souligné que l'enseignement des LCR est désormais une réalité bien ancrée dans le système éducatif en Guadeloupe. Cela grâce aux nombreux travaux de pionniers qui, à l'époque, devaient souvent susciter des doutes voire de l'hostilité. Parmi ceux qui ont joué un rôle dans le développement des LCR à l’école, il faut citer le Recteur Bertème Juminer et l’instituteur Gérard Lauriette. Grâce aussi à l'implication de tous les partenaires du système éducatif.

Le créole doit être une discipline transversale. Certes, il y a bien le contenu linguistique à enseigner, mais le créole est aussi un vecteur pour l'acquisition de connaissances multiples (milieu végétal et animal, histoire, musique...).

Le Directeur de l'IUFM a émis le voeu que le créole devienne aussi un vecteur de coopération avec nos amis de la Caraïbe.
Pour donner suite à cette table ronde, l'IUFM a décidé de mettre en place:

  • Un séminaire de recherche-action pour les enseignants de l’académie, l’idée étant d’offrir à tous ceux qui réfléchissent sur l’enseignement et le créole un lieu d’écoute, d’échanges et de partage.
  • Un séminaire annuel de réflexion sur l'enseignement des LCR d’un niveau scientifique correspondant aux exigences de la recherche. Ce sera là l’occasion de rencontres institutionnalisées avec les formateurs de la Caraïbe.

Melle Mirna Bolus a insisté sur le besoin d'organiser une collaboration effective et durable entre les chercheurs et les enseignants. Cette collaboration, qui devrait être pérenne, aurait pour principal objectif d'allier la recherche scientifique et l'expérience de terrain pour obtenir les résultats les plus significatifs en matière de didactique et de pédagogie de l'enseignement du créole et en créole.

Mme Lindy-Ann Alexander a souligné l'importance des échanges d'une île à l'autre et a félicité les organisateurs pour l'heureuse initiative de cette table ronde. Revenant sur la communication de Marie-Hélène Jacoby-Koaly (qui avait suscité beaucoup de débats), elle soutient le point de vue selon lequel il ne faut pas éluder les questions sur le magico-religieux à l'école, qui conditionnent souvent les comportements des élèves.

Mme Paulette Durizot Jno-Baptiste souhaite que les enseignants-chercheurs et les enseignants prennent toute leur responsabilité dans le développement d'un enseignement en milieu multilingue. Comme disait le recteur B. Juminer: "Nou pa ni pétwòl, mé nou ni lidé!"

Les intervenants à cette table ronde ont été invités à remettre assez rapidement leurs articles à M. Daniel Barreteau de sorte que l'on puisse les consulter sur le site web de l'IRD Martinique.

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Annexe: Liste des participants

ALEXANDER Lindy-Ann
ANCIAUX Frédéric
BARRETEAU Daniel
BIRMAN Lucien
BLONDEAU Catherine
BOGAT Huguette
BOLUS Mirna
CITADELLE Augustin Christian
CLODINE-FLORENT Murielle
COCO Rouny
DORVILLE Alain
DORVILLE Max
DURIZOT JNO-BAPTISTE Paulette
ETIENNE Rodolphe
GALLERON Jean
GAYDU Annick
GERMAIN Christelle
GUENGANT Gwenaëlle
IGKAENGA M'kuyu
JACOBY-KOALY Marie-Hélène
JAN Alen
JEANNOT-FOUCAUD Béatrice
JULAN Sylvie
KISSOUN Chantal
LAURIETTE Geobby
L'ETANG Luciani
MARIE Ophelia
M'BITAKO
MIRVAL Olivier
NAPRI Sylviane
NICOLAS Gaston
RAUZDUEL-LAMBOURDIERE Nicole
RUTIL Alain
SAINTON Juliette
THOMAS Esther

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AREC-F
Atelier de recherche sur l'enseignement du créole et du français dans l'espace américano-caraïbe
Présentation

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L’enseignement du créole en débat…

Le 28 mars 2007, en collaboration avec l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres de Guadeloupe, une table ronde sur l’enseignement du créole en Guadeloupe était organisée par l’Atelier de recherche sur l’enseignement du créole et du français dans l’espace américano-caraïbe.

Daniel Barreteau, responsable de l’AREC-F, Mirna Bolus, doctorante (Université Antilles Guyane) et Max Dorville, directeur de l’IUFM Guadeloupe, en organisant cette rencontre ont permis aux différents intervenants de porter un éclairage nouveau sur les questions liés aux enjeux de l’enseignement du créole. Chercheurs, enseignants, étudiants et écrivains, ils étaient une dizaine à présenter le résultat de leurs recherches ou de leurs expériences pédagogiques.

Où en est l’enseignement du créole et la recherche en matière de langues et cultures régionales? Cette question capitale pour toutes les sociétés créoles, placée dans le contexte guadeloupéen, semble résonner plus claire encore. L’île, compte tenu de ses singularités culturelles et du dynamisme affiché en matière d’enseignement et de recherche dans le domaine des LCR, semble un laboratoire parfait pour l’analyse. De fait, nombreux étaient les exposés qui, mis en perspective à travers des procédés liés à l’enseignement et s’appuyant sur des expériences de terrain, une analyse concrète de l’existant, abordaient des thématiques clairement attachées aux singularités de l’île. Dans le droit fil de cette affirmation, la présentation de Marie-Hélène Jakoby-Koaly: «Eduquer aux croyances», était très remarquable et, stigmatisant la forte implication des pratiques magico-religieuses dans la culture guadeloupéenne, elle posait la question de l’engagement de l’enseignant en LCR. Une analyse qui n’a pas manqué de susciter le débat. Dès lors, dans ce cas particulier, comme dans d’autres, quels outils employer pour « coller aux réalités insulaires»?

Justement, concernant les outils à disposition des enseignants, Mirna Bolus (doctorante à l’Université des Antilles et de la Guyane), proposait un aperçu éloquent, mettant en exergue le manque caractérisé de supports pédagogiques et les difficultés auxquelles sont confrontées les enseignants au quotidien. Dans sa conclusion, elle réaffirmait la nécessité de la production «tous azimuts» d’œuvres en créole et du développement d’outils pédagogiques adaptés.

A mesure des présentations, on s’en rendait compte, les débats tournaient subrepticement autour de l’analyse de «concepts culturels et identitaires, voire politiques». Le champ d’investigation s’étendait donc à d’autres domaines de l’enseignement. De manière fort subtile, était abordé, plus généralement, la situation et la place du créole dans l’ensemble de la société guadeloupéenne. Cette formule, lancée par Max Dorville, directeur de l’IUFM est, en ce sens, très éloquente: «Fodé pa nou anni rété la ek di sé LCR ki ka’y tiré nou-la» (Il ne faut pas s’attendre à ce que ce soit l’enseignement des LCR qui règle tous nos problèmes). La poursuite des débats, autour de la notion de «handicaps culturels», était très explicite également.

LCR et Culture Régionale

Comment envisager le rapport de l’enseignement des LCR dans le champ culturel général? On est forcé de constater qu’il existe en Guadeloupe une pratique de l’enseignement spécifique, qui ne peut se défaire de l’impact de la langue vernaculaire. Frédéric Anciaux (MCF IUFM), dans une analyse pertinente, s’intéressant à l’enseignement du sport en Guadeloupe et en Haïti, tirait des conclusions très instructives. Intitulée «Alternance codique en EPS dans la Caraïbe : usages et effets de la langue créole au cours des pratiques physiques et sportives», sa présentation illuminait le rapport intime et particulier qu’entretenait les imaginaires créole et français. Il stigmatisait ainsi les relations entre la valeur d’imagerie des mots, les capacités mnésiques et les performances motrices et verbales chez des bilingues français / créole.  Alternant français et créole, son enseignement du sport, répondait, selon lui, à une nécessité qu’il avait ressenti chez ces élèves, convaincus qu’ils étaient de mieux assimiler les différentes techniques sportives enseignées par le médium de la langue vernaculaire.

Paulette Durizot Jean-Baptiste (IUFM), pour sa part, avec «Que signifie pour vous "Enseigner en milieu créolophone"?  La portée éducative des réponses des professeurs des écoles stagiaires», mettait le doigt sur l’essentiel de la démarche de l’enseignement en milieu créolophone. Elle prouvait que les professeurs stagiaires étaient très tôt confrontés à ce rapport entre les deux imaginaires, et qu’à travers le module «Enseigner en milieu créolophone», ils estimaient être interpellé au plus profond de leur être, forcé invariablement de s’interroger sur la valeur intrinsèque de l’objet enseigné. Renforçant cette affirmation, la linguiste Juliette Sainton, avec «Les contraintes exercées par la langue orale sur les apprentissages en langue d’éducation. Une didactique des apprentissages. Le cas du contexte créole / français», traitant de la conscience phonologique rendait compte du contraste qui existait entre la phonologique créole et française, concluant sur la nécessité d’élaboration, pour les enseignants stagiaires, d’une «méthode particulière de l’enseignement en milieu créolophone».

A Sainte-Lucie et à la Dominique aussi…

Hors du cadre strict de l’enseignement et de la recherche en Guadeloupe, Lindy Ann Alexander (Komité Kréyol de Sainte-Lucie) et Ophélia Marie (Membre du Comité d’études créoles de la Dominique), apportaient un éclairage en ce qui concerne leur pays respectifs. Il semblerait que pour ces deux îles, même s’il reste encore beaucoup à faire, on assiste à un regain d’intérêt pour la langue vernaculaire qui se manifeste par une augmentation des classes où est enseigné le créole. Mais, là encore, les carences sont nombreuses. Et, seul le talent des enseignants pallie un manque, qui, s’il n’est pas pris en compte rapidement par les autorités compétentes, s’avérera préjudiciable pour l’ensemble de la communauté créole caribéenne.

A la clôture des débats, un grand nombre des questions soulevées trouvaient des réponses justes, permettant, à terme, d’envisager un plan d’actions précises. Daniel Barreteau, membre fondateur de l’AREC-F, et cheville ouvrière de cette rencontre, affirmait en matière de conclusion de la table ronde: «Si depuis 1999, élèves et enseignants n’ont cessé d’augmenter les effectifs des classes de LCR, il apparaissait nécessaire d’examiner où en était la recherche concernant l’enseignement du créole dans le département, la recherche étant un puissant moteur de développement». Il est évident que la recherche relative à l’enseignement du créole a fait de grands progrès. Des avancées qui permettent de considérer plus sereinement l’avenir et de prétendre offrir aux générations futures un enseignement mieux adapté à l’environnement linguistique et culturel. Outre ces avancées et l’engouement que l’on peut percevoir, de nombreuses questions se posent néanmoins: faut-il enseigner le créole ou enseigner en créole? Comment aborder la complémentarité des systèmes (créole et français)? Comment assurer effectivement une bonne continuité dans les cursus scolaires? Comme champ d’investigation, la Guadeloupe, il n’est pas vain de le répéter est un modèle. La législation est bien établie et les autorités politiques soutiennent l’enseignement des LCR à tous les niveaux. Daniel Barreteau précisait toutefois qu’il y avait urgence à coordonner des projets de recherche-action de manière à mieux gérer collectivement l’enseignement du créole, en répondant à des questionnements, en capitalisant les acquis, en diffusant les résultats, en rendant compte des expériences menées par les uns et les autres.

Rodolf Etienne
coordinateur Caraïbe de l’Organisation Internationale des Peuples Créoles.

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