«Pawol Kreyol»

Gisèle PINEAU- un Papillon dans la tête

par Véronique LAROSE

 

Guadeloupe: Marchandes
Carte postale ancienne. © Collection Médiathèque Caraïbe. LAMECA

 

1. Une enfance voyageuse…

Gisèle PINEAU voit le jour à Paris, en 1956. Elle est fille de parents Guadeloupéens.

Voyages noirs :

Son père est militaire de carrière. Au gré de ses affectations, il conduit sa famille à travers le monde.

La famille PINEAU vit ainsi deux ans au Congo. Pour un congé de fin de campagne, le père a droit à trois mois dans son île, la Guadeloupe. La famille retrouve donc son île natale. Là, la grand-mère, Man Ya- Julia- les attend.

Gisèle a alors 5 ans, et s'émerveille de cette île, mais surtout des mots créoles de sa grand-mère. Cette «Ile Papillon» laissera une trace indélébile dans son imaginaire et dans son écriture, plus tard…

Voyages blancs :

A la fin de ce congé, le père militaire doit regagner la France. Il y emmène sa famille, mais aussi sa propre mère Man Ya . Il la soustrait ainsi à la violence de son époux.

De là naît la Plaie de l'Exil que vit Gisèle, à travers la nostalgie de sa grand-mère. L'enfant souffre surtout de ce regard qui pèse sur elle, regard lourd de préjugés, de sous-entendus méprisants qui lui crient «retourne chez toi, dans ton pays !». Elle, née à Paris, originaires d'un Territoire départementalisé d'Outre-mer ?!

Encagée dans cette geôle du Racisme, Gisèle trouve son baume de consolations dans les mots. Ceux créoles de sa chère Man Ya, mais aussi ceux qu'elle apprend en classe. Déjà, elle écrit des récits bien à elle, qui dessinent son monde de création littéraire, contre ce sentiment d'Exclusion…

Voyages noirs :

En 1970, l'Histoire de France rattrape celle de la famille PINEAU.

La France répond par un net refus au Référendum de De Gaulle sur la régionalisation et sur la Réforme du Sénat. Outré, le père de Gisèle voit là une haute trahison à l'encontre de ce héros militaire, « Papa De Gaulle » ! Il demande alors son affectation aux Antilles. Ce sera la Martinique, jusqu'à sa retraite, trois ans plus tard. La famille PINEAU finira par s'installer définitivement en Guadeloupe.

Voyages en noir et … blanc :

Bachelière, Gisèle est amoureuse des mots; elle nourrit le projet de les enseigner.

Elle part pour la France, en destination des Lettres Modernes. Voilà son Voyage de la Revanche sur la France…

Finalement, elle abandonne les Lettres par manque d'argent, mais surtout par découragement; l'approche universitaire de la littérature est dénuée de la chaleur qu'elle y recherche.

Elle se découvre une nouvelle vocation, tournée vers les autres: la Psychiatrie. Infirmière, elle apprend à accompagner des personnes fragilisées par un parcours de vie difficile.

Elle a exercé son métier une vingtaine d'années en Guadeloupe, et est, depuis, venue travailler en France.

Pour autant, elle n'a pas laissé les mots qui grondent au fond d'elle si loin. Elle écrit, parallèlement à sa vie active. Une écriture qui porte les marques de son Itin-errance .

2. Des mots contre l'Oubli : une écriture qui se lit, se dit, se crie.

Gisèle PINEAU inscrit son écriture dans le récit, pour deux publics: la jeunesse et les adultes. Elle s'exprime à travers le roman et la nouvelle.

Elle écrit les lettres d'un combat: la lutte contre la violence- physique et psychique-infligée aux femmes et aux enfants. Des mots contre l'Oubli. Heurter ce Silence du Tabou familial et social.

Les héroïnes de Gisèle PINEAU connaissent le Tourment des doutes et déroutes de la vie. Ce regret qui les hante face à cette existence et face à l'homme qu'elles n'ont pu contourner.

Insinuante cette écriture ? non, VIVANTE !

Parce qu'elle prend corps dans ces destinées de Femmes.

Parce qu'elle prend voix dans ces mots de Femmes.

Délier cette parole pour exhorter, et finalement dé-livrer .

3.Trois romans de Gisèle PINEAU à l'étude :

L'écriture de Gisèle PINEAU porte le sceau de son expérience :

  • personnelle du voyage, mais aussi du racisme
  • professionnelle de l'écoute, capacité humaine de comprendre la souffrance d'autrui.

L'Espérance-Macadam  (1995) : Prix RFO 1996

Savane, quartier-maudit de Guadeloupe. Les habitantes y connaissent les pires coups du Sort au nom d'un même mâle/mal: Amour…

Seules deux femmes semblent épargnées par cette déferlance du vice et de la déveine : Eliette et Rosette. Elles marchent droites. Dans leur vie du dehors, car en dedans…

Malgré elles, leur destin est scellé par l'ombre noire et terrifiante d'une Bête. Une Bête qui rôde, qui taraude.

Pour Eliette, cette Bête prend forme du Passé. Au tréfonds de son ventre, Eliette porte une blessure qu'elle doit au cyclone de 1928. Blessure qui a achevé de rendre folle sa pauvre manman Séraphine. Une mère voltigée dans la ravine Folie !

Pour Rosette, cette Bête prend forme de Présent. Elle vit dans l'Utopie Jah. Croit trouver consolation dans le No Woman No Cry de Bob Marley. Cette voix la porte si loin, si loin de Savane qu'elle ne voit pas la Bête logée dans sa propre maison… Son mari, Rosan, n'est-il pas la Perfection faite Homme ?

Mais, leur fille aînée, Angéla, révélera son Secret. Ce secret qui la fouille et la souille depuis le fond de son enfance. Elle, le petit « ange » de son père…

L'Exil selon Julia (1996) : Prix Terre de France 1996 - Prix Rotary 1997

Ce roman est celui de l'Exil vécu. Gisèle PINEAU n'a pas oublié…

Sa Grand-mère Man Ya est au cœur de ce récit, dans la France de l'Intolérance. La famille PINEAU s'y installe.

Mais, imperturbable, Man Ya revit sa vie de femme. Nostalgique, elle enjolive l'existence qu'elle a laissée derrière elle. En Guadeloupe, au moins, elle était chez elle ! Malgré l'illettrisme, malgré les coups de son mari, elle donnerait tout pour retrouver cette vie-là !

Elle attend son retour au pays. Cette attente se heurte à Paris, ses rues et ses refus.

Son exil, Man Ya le colore et le réchauffe dans les mots qu'elle confie à la petite Gisèle, avide. Des histoires et une Histoire noires. Man Ya garde en bouche la saveur du créole. L'enfant le goûte avec bonheur.

En retour, Gisèle veut apprendre les mots-France , ceux qui la consolent. Elle est persuadée qu'ils donneront une lueur nouvelle à sa grand-mère. Mais, l'âge a raison de cette motivation:

« I ja twota sé ti moun la ! An ja two vyé ! »

Finalement, Man Ya sera exaucée pour vivre sa paix en Guadeloupe.

Chair Piment (2002) :

Mina, jeune femme Guadeloupéenne, a quitté son île pour la France. Ella a fui le Passé, la tragédie familiale. Une malédiction sans nom qui s'est abattue, mortellement, sur les siens.

Inlassablement, des chiffres martèlent la tête de Mina : les dates, de naissance et de mort, de ceux qu'elle a perdus là-bas, en Guadeloupe. Sa mère d'abord, son père ensuite, et sa chère sœur, Rosalia. Rosalia, la mal- aimée parce qu'elle est née ababa … Seule Mina lui a donné tendresses et soins.

Un terrible incendie les a séparées aux yeux des vivants. Car, en réalité, le fantôme de feu de Rosalia suit chaque pas de Mina…

Hantée par Rosalia, malgré sa venue en France, Mina veut oublier. Elle a un remède qui, un temps, lui donne l'illusion que tout ça n'existe pas. Elle se donne à tous ces hommes sans âge et sans visage. Elle leur donne son corps, encore et encore.

Mais l'un deux, Victor, est différent. Lui aussi est habité par un lourd secret familial. Une angoisse qui l'a conduit à l'hôpital psychiatrique…Là, une gadèdzafè guadeloupéenne lui assure que, seul un voyage, là-bas, le réconciliera avec lui-même.

Ensemble, Mina et Victor feront ce voyage, pour enfin lever ces ombres funestes de leur vie.

4. «Femmes des Antilles - Traces et Voix : Cent cinquante ans après l'abolition de l'esclavage » (1998)

Travaux sous la direction de Gisèle PINEAU et Marie ABRAHAM - Editions STOCK

Un recueil de Voix

4.1. Les motivations de l'ouvrage

1998 célébrait intensément le devoir de mémoire des Antillais : mémoire de leur histoire, de leur douleur et de leur lutte. Une histoire d'union des espoirs tendus vers ce seul mot LI-BER-TE.

Conscientes que notre force identitaire tire ses racines de cette histoire, deux auteures ont pris l'initiative de marquer particulièrement la contribution des femmes dans cette histoire puissante. Histoire qui a broyé des rêves, tu des mots et donc laissé des traces.

Ce recueil féminin nous invite à écouter s'élever ces voix, à accueillir leurs maux, à supporter leur fardeau de larmes et, souvent, de sang. Sans se lamenter, mais pour dire et se souvenir : «pour savoir d'où l'on vient» rappelle Gisèle PINEAU.

Dédier un ouvrage à cette question de l'implication des femmes répond à un constat posé d'emblée, dès l'introduction :

« En ces temps troublés où la morale s'accommodait si aisément de l'horreur, beaucoup de ces femmes furent les solides guerrières de l'ombre et de la soumission toujours feinte. »

Ainsi, ce recueil se pose en allié féminin: «avec les femmes et au nom des Femmes» affirme Gisèle PINEAU. La femme esclave pouvait être blessée dans sa chair, mais demeurait obstinément «doubout» dans sa tête.

«Traces et Voix» se fait donc valeur de témoignage de cette ténacité, en plaçant la femme antillaise face à des réflexions tournées vers hier, mais aussi vers demain.

4.2. L'organisation thématique de l'ouvrage

«Traces et Voix» est concrètement construit de façon à alterner documents et récits. Deux aspects complémentaires traités en profondeur pour nous offrir une perception globale de la question :

  • L'aspect documentaire, comme témoignage historique :

Il est nourri de supports textuels et graphiques (gravures d'époque et photographies). La richesse des textes est significative d'une volonté non dissimulée des auteures de révéler une VERITE peu ou mal abordée dans les manuels scolaires.

  • L'aspect narratif, comme témoignage psychologique :

Les récits sont assumés par un «je» féminin. A chaque fois, sa voix se précise pour percer ce mur de l'oubli. La parole se fait vérité nue. Vérité d'un vécu et d'un ressenti qui fait mal à celle qui le dit et à celle qui le lit.

Voix d'un combat d'hier et d'aujourd'hui : le respect de l'intégrité de la femme. Respect de son être et de son corps, de sa pensée et de son intimité. Appel en quête d'un écho, d'une résonance vraie.

Chaque narratrice apparaît avec ses contradictions : ses ambitions et ses doutes, ses victoires et ses défaites, ses forces et ses faiblesses. Cependant, elle ne plie pas ni ne cède à la complainte facile de la victime.

4.3. La portée de ces témoignages :

Cette parole revêt un caractère particulièrement atemporel; elle porte la cause féminine antillaise des temps esclavagistes et des temps dits «modernes».

Les mots qui martèlent le propos précisent les traits et les plaies de la narratrice. Chaque femme qui parle s'exprime en son nom, mais notamment au nom de celles qui l'ont précédées et de celles qui vont lui succéder.

Cette parole ne s'ancre pas dans le temps, mais dans les sens et l'âme pour une prise de conscience.

Les engagements pour cette cause ne manquent pas. La diversité thématique de l'ouvrage est représentative de la pluralité de ces combats :

  • face aux violences masculines,
  • face aux discriminations de peaux aussi bien en France qu'aux Antilles-même,
  • face aux problèmes sociaux et politiques.

Cette combativité est alliée de l'identité indomptée et indomptable de la femme antillaise - tempérament de feu. Feu de joie et d'espoir.

4.4. Un Recueil de Voix entendues :

En 1999, le Prix Séverine des Femmes Journalistes a récompensé le travail de recherche que représente ce recueil.

Sorties de l'oubli et de la résignation, les ombres du passé esclavagiste et les figures du présent départementalisé investissent un espace littéraire. Tendons l'oreille vers ce murmure et ce cri.

Pour en savoir plus sur les auteures et cet ouvrage :

  Gisèle Pineau
 
  Femmes des Antilles
 
  Prix Séverine 1999