Travaux du GEREC-F

DICTIONNAIRE DES TITIM ET DES SIRANDANES

(Antilles-Guyane et Océan Indien)
JEUX DE LANGUE EN PAYS CREOLE

Ibis rouge

ISBN : 2-911390-37-7 | Ibis Rouge Ed. | 1998

1ère partie

par Raphael Confiant
(titim-Bwasek, Jédimo, zedmo, divinèt, kayanbouk, sirandàn, masak)
 

  

Texte général

 (en préparation)
 

 

1.

1.1

1.2

1.3

1.4

2.

 2.1

2.1.1

2.1.2

2.2

2.3

3.

3.1

3.2

4.

4.1

4.2

4.3

5.

5.1

5.2

6.

6.1

6.2

6.2.1

7.

7.1

INTRODUCTION

ORIGINE DES TITIM

ENTRE MYTHE ET HISTOIRE

UNE CIVILISATION CREOLE

LANGUE ET ORALITURE CREOLES

L’ETYMOLOGIE OBSCURE DU MOT TITIM

STRUCTURE DES DEVINETTES CREOLES

LES TITIM / SIRANDANES

LES ENIGMES A METAPHORE

LES ENIGMES A PARADOXE

LES JEUX DE MOTS

LES CHARADES

ORALITE ET ECRITURE DANS LES TITIM ET LES ZEDMO

L’ARCHI-ECRITURE CREOLE

LES TITIM ET JEUX DE MOTS COMME REVELATEURS DE L’ARCHI-ECRITURE CREOLE

CONDITIONS DE PROFERATION DES TITIM ET DES JEUX DE MOTS

LA VEILLEE DES MORTS

LA VEILLEE DES VIVANTS

UNE PAROLE DE NUIT

SIGNIFICATION DES TITIM ET DES JEUX DE MOTS

UNE APPROPRIATION SYMBOLIQUE DU REEL

DEVINETTE ET DIVINATION

CLASSIFICATION ET THEMATIQUE DES TITIM ET DES JEUX DE MOTS

CLASSIFICATION DES DEVINETTES CREOLES

THEMATIQUE DES DEVINETTES CREOLES

LES DEVINETTES A THEME UNIVERSEL

TITIM ET SIRANDANE DANS LA LITTERATURE CREOLE D’EXPRESSION FRANCAISE ET LA LITTERATURE CREOLE D’EXPRESSION CREOLE

LES DEVINETTES DANS LA LITTERATURE CREOLE D’EXPRESSION FRANCAISE

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

      

INTRODUCTION

De tous les éléments qui composent l’oraliture créole, les devinettes et les jeux de mots sont jusqu’à ce jour les moins étudiés. Contes, proverbes, comptines, berceuses et chants font, par contre, l’objet, et cela depuis le XIXè siècle, de recherches approfondies tant de la part de folkloristes amateurs (mais éclairés) comme Lafcadio Hearn (1885), qui arpenta la Louisiane et la Martinique, que de chercheurs usant de méthodes de collecte et d’analyse plus scientifiques comme l’Etasunienne Elsie Clews Parsons (1933), la Martiniquaise Ina Césaire (1977) ou le Guadeloupéen Alain Rutil (1983). Véritable misyé Liwa (roi) de l’oraliture, le conte a été l’objet d’un nombre impressionnant de recueils et d’études explicatives, immédiatement suivi par le proverbe et le chant, puis, mais d’assez loin, par la comptine et la berceuse. Le titim de la zone américaine et la sirandane/zedmo de l’Océan Indien sont donc bien les parents pauvres de cette vaste quête de la mémoire populaire créole. S’il existe un seul et unique recueil de zedmo pour les Seychelles1, les pays caraïbes en sont complètement dépourvus, même si des listes, peu exhaustives, de titim et de jédimo figurent parfois en annexe de certaines études grammaticales ou lexicales, de divers recueils de contes comme celui de la Martiniquaise Marie-Thérèse Lung-Fou (1979) ou encore de certains dictionnaires du créole.

Un tel manque d’intérêt est à mettre d’abord au compte de l’idée que l’on se fait généralement des devinettes : ces dernières sont avant tout perçues comme de simples jeux d’enfants2. Ensuite de la place même qu’elles occupent au sein de l’oraliture créole. Il semble, en effet, qu’il y ait lieu de distinguer deux espaces fort différents de profération des devinettes :

  • un espace public : elles servaient, en effet, au temps des veillées mortuaires, lieu de profération privilégié des contes, de support à ces derniers, d’intermède plus ou moins plaisant ou d’instrument phatique (selon l’expression de R. Jakobson) permettant au conteur de relancer l’intérêt des veilleurs menacés par la fatigue et souvent, l’abus du rhum. En général, les titim des veillées étaient les moins compliqués, ceux dont tout un chacun connaissait la réponse comme les fameux Dlo monté mòn ? et Dlo désann mòn ? Ils avaient essentiellement pour fonction de tester l’appartenance des participants au groupe et conséquemment de renforcer la cohésion de ce dernier. Enfin, il s’agissait là d’une profération exclusivement masculine puisque les femmes3, sans être formellement exclues du cercle des conteurs (il existe quelques conteuses célèbres en Haïti), n’osaient guère y faire entendre leur voix.
     
  • un espace privé : celui de la relation grand-mère-petit-enfant (plus rarement mère-enfant), comme le montre une étude effectuée par Nicole Rémion4 à travers la campagne de Josseaud (Rivière-Pilote, Martinique), au début des années 80. Là, autour de la case, ou sous la véranda, à l’abri du regard d’autrui, la grand-mère mettait en oeuvre, à une époque où la scolarisation était aléatoire, un véritable entreprise de pédagogie du réel tant social qu’environnemental, s’aventurant parfois sur le terrain du calcul mental. Dans ce cas, la devinette et le jeu de mots avaient une fonction à la fois ludique et didactique.

Contrairement à la veillée mortuaire dans laquelle un adulte (le conteur) interrogeait d’autres adultes et où chacun courait le risque de perdre la face en cas de réponse erronée, l’espace de la case et l’intimité qui en découlait ainsi que la relation filiale entre interrogateur et interrogé, permettaient la profération de devinettes beaucoup plus sophistiquées. S’agissant de la profération en veillée, Rolande Honorien-Rostal (1987 : 44) souligne, en effet, que :

Si l’on répond à còté, le conteur peut insulter l’assemblée : Erreur, crapaud à barbe, anoli à bretelles, jambe à crasse, nez à morve… (Bebel-Gisler, 1985 : 56)

Par contre, la profération hors veillée, outre son caractère privé, est donc le plus souvent féminine et quand on sait que le titim et surtout le jeu de mot sont des jeux de langue/sur la langue, cela permet de relativiser l’idée selon laquelle, après la seconde guerre mondiale la transmission de la langue créole a cessé progressivement d’être maternelle, les mères créoles préférant s’adresser dans un mauvais français à leurs enfants plutôt qu’en créole, dans l’espoir de favoriser l’acquisition par ces derniers d’un outil linguistique qui était le sésame de toute ascension sociale. S’il est vrai que, petit à petit, à partir de cette date, le créole à eu tendance à devenir davantage la langue des pères (le père biologique mais aussi le frère de la mère ou, plus rarement, celui du père, le parrain ou le plus proche voisin) et des pairs (membres d’une même classe d’âge), on ne peut pas pour autant minimiser le ròle des mères dans l’apprentissage de cette langue tant méprisée à l’époque qu’était le créole. Nous nous efforcerons de le démontrer plus avant à l’aide d’exemples précis, en accord sur ce point avec les analyses de Alex Louise Tessonneau (1985 : 66) qui note que :

...la devinette-énigme est l’un des supports de l’apprentissage linguistique...dans son apprentissage linguistique, l’enfant a besoin de bases pour organiser les traits acoustiques qu’il entend. Là encore, la devinette-énigme s’offre comme un terrain de choix. En effet dans ce genre, l’enfant peut, non seulement s’exercer mais de plus, dès qu’il s’en sent capable, il peut confronter son savoir à celui des autres membres du groupe.

La profération des devinettes dans les campagnes, jusqu’à la fin des années 70 dans les Petites-Antilles, en Guyane et dans les Mascareignes et des années 80-90 pour Haïti, devinettes le plus souvent en créole, même si certaines sont en français (macaronique5 d’ailleurs), a contribué à maintenir une certaine forme de transmission maternelle de l’idiome, chose valable également pour la comptine et surtout la berceuse. Il ne faut donc pas confondre, comme le fait grossièrement Christian March (1996), le discours des mères antillaises sur le créole, discours volontiers dépréciatif, et la réalité des échanges linguistiques au sein d’un type de famille largement matrifocale. Très significativement, le mot manman apparaît beaucoup plus fréquemment dans les titim que le mot papa.

1. ORIGINE DES TITIM

1.1 ENTRE MYTHE ET HISTOIRE

La civilisation créole qui s’est développée durant trois siècles (XVIIè, XVIIIè et XIXè), à la fois dans la Caraïbe et dans l’Océan Indien et dont le pivot fut longtemps la plantation de canne à sucre6, est née d’emblée dans l’Histoire, voire même dans la modernité (au sens européen du terme). C’est dire qu’elle n’a point connu l’époque du Mythe qui, partout, dans les sociétés ataviques de l’Ancien Monde- Europe, Afrique, Asie et Océanie- est censé avoir précédé le temps de l’Histoire. Mieux : elle n’a pas généré de mythes c’est-à-dire de discours expliquant sa genèse ou ses origines. La créolisation, dans sa brutalité de départ, provoque le gommage de toute trace des origines, surtout dans les ethnoclasses placées en situation de minoration (Amérindiens, Noirs, Coulis etc.). Il n’y a pas, par exemple, dans les centaines de contes créoles recensés à ce jour, la moindre mention du nom d’un chef caraïbe, d’un roi africain ou d’une région d’Afrique (ou de l’Inde). Le seul roi qui y figure est justement Béhanzin (dit Bèrzendannèf), roi rebelle du Dahomey, déporté à la Martinique en 1880, à une époque donc où les Antilles, avec la fin de la Traite et de l’Esclavage, n’entretiennent désormais plus aucun lien direct avec le continent noir, les travailleurs sous contrat congolais étant trop peu nombreux pour influencer sensiblement une culture déjà deux fois centenaire.
Or l’on sait que dans l’Ancien Monde, la devinette remonte aux temps les plus reculés et qu’elle est liée au Mythe (quoiqu’il s’agisse de deux phénomènes inversés, comme l’indique A. Jolles (1930), puisque le Mythe peut être défini comme une réponse comportant une question alors que la devinette est une question exigeant/comportant une réponse). Temps reculés, en effet, et tout un chacun connaît la fameuse énigme du Sphinx : Qui marche à quatre pattes le matin, sur deux pattes à midi et sur trois le soir ? Yves Vadé (1978 : 3) écrit à ce sujet :

...selon Plutarque, les Egyptiens mettaient des sphinx devant leurs temples pour marquer que leur religion était toute énigmatique. On voit à la Renaissance Pic de la Mirandole reprendre la même idée... Les platoniciens de Florence, pour qui l’obscurité est conçue comme une valeur essentielle, voient donc dans le sphinx le symbole de la tradition sacerdotale et de l’ésotérisme.

Dans le Nouveau Monde7, le lien entre devinette et mythe sera brisé et c’est pourquoi on n’y trouve pas l’un des types de devinettes les plus fréquents partout ailleurs, celle que les ethnographes qualifient de devinettes à solution cruciale. L’énigme du Sphinx de Thèbes en est une puisqu’il dévorait tous les voyageurs qui ne parvenaient pas à la déchiffrer. André Jolles (1972 : 108) indique aussi qu’: ...autrefois, aux Iles Hawaï, celui qui ne trouvait pas une devinette passait à la casserole et...ses ossements étaient conservés comme trophées. C’est pourquoi il existerait (encore) des familles qui refusent de résoudre les devinettes parce que leurs ancêtres auraient péri de cette manière-autant dire qu’ici la Geste et la devinette se rejoignent. C’est également la raison pour laquelle certains disent quand il s’agit de répondre à une devinette : Nous jouons notre tête.

Chez les Peaux-Rouges d’Amérique du nord, il n’en allait pas autrement, nous révèlent J. M. G. et J. Le Clézio (1990 : 11) :

Les nations indiennes en firent parfois un rituel, comme cela apparaît dans le questionnaire du langage Zuyua, transcrit par les fameux livres du Chilam-Balam des Mayas du Yucatan. La devinette est alors beaucoup plus qu’un jeu de mots; elle est une véritable épreuve par la parole, qui relie l’homme au secret de la création :

Fils est-il dit dans les livres du Chilam-Balam ...apporte-moi la luciole de la nuit. Son parfum se répandra au nord et à l’ouest. Apporte avec elle le coup de langue du jaguar. Celui qui n’aura pas compris qu’on lui parle des doigts de pied, et qu’on lui demande un cigare et du feu pour l’allumer, celui-là sera exclu de la communauté; il sera même parfois mis à mort. (souligné par nous)

Dans le monde créole, fondé sur une violence originaire sans précédent (extermination des Amérindiens, esclavage des Noirs, expulsion des délinquants européens vers les îles...), il n’a sans doute pas été nécessaire de passer par le truchement, somme toute feutré, de la devinette pour pouvoir exercer celle-ci.

1.1 UNE CIVILISATION CREOLE

Il convient avant toute chose de définir ce que nous entendons par le vocable civilisation créole et d’expliquer pourquoi nous avons réunis dans un seul et même volume titim des Caraïbes et sirandanes de l’Océan Indien. Si différents phénomènes de créolisation ont pu se produire au cours de l’histoire humaine en différents endroits du globe, nous croyons pouvoir affirmer qu’il existe quatre zones géographiques, toutes présentant des caractéristiques très semblables, où le processus de créolisation a connu (à partir du XVIIè siècle) un effet de maximisation tel qu’il a abouti à son point culminant à savoir la création d’une langue nouvelle dite créole. Ces quatre zones sont les suivantes :

  • Zone américaine :

a) créoles à base lexicale française (Haïti, Martinique, Sainte-Lucie, Guyane etc.)
b) créoles à base lexicale hispanique ou papiamento (Aruba-Bonaire-Curaçao)
c) créoles à base lexicale anglaise ou sranan-tongo et bushinenge (Surinam, Guyane française).

  • Zone africaine :

créole à base lexicale portugaise (Iles du Cap-Vert, Sao-Tome et Principe).

  • Zone océanindienne :

créole à base lexicale française (Les Mascareignes, les Seychelles).

  • Zone pacifique :

créole à base lexicale anglaise ou hawaïen (îles Hawaï) et beachlamar (Vanuatu, Nouvelle-Guinée).

Ailleurs, notamment en Amérique Latine, dans la Caraïbe anglophone, aux Philippines ou en Afrique du Sud, se sont produits certains phénomènes de créolisation mais ils n’ont jamais atteint l’intensité de ceux qui ont affectés les quatre zones ici mentionnées. Contrairement à une idée mensongèrement répandue, nous8 n’avons jamais réduit la Créolité aux seuls territoires ayant un créole à base lexicale française. Simplement- et le présent recueil de devinettes créoles à base lexicale française en est l’exemple- on ne peut rassembler ces zones que sur la base d’une relative intercompréhension. Or si cette dernière est totale entre les créoles des Petites Antilles, très importante entre ces derniers et celui d’Haïti et relativement large entre les créoles américains d’une part et les différents créoles mascarins d’autre part, elle est nulle avec les Surinamiens, les Cap Verdiens ou les Vanuatuans. On oublie d’ailleurs trop souvent qu’au XVIIIè siècle un nombre assez conséquent d’esclaves originaires de la còte ouest de l’Afrique ont été conduits dans les Mascareignes en tant qu’esclaves. Comme le souligne P. Baker (1988 : 47):

The West Africans taken to Mauritius in the 18th century came mainly from the Senegambia area, where Wolof, Peul and Mandinka are widely spoken, but there was also at least on major shipment from Ouidah (Bénin) where Fon is the dominant language.

D’autre part, comme le note I. Vintila-Radulescu (1975: 86) à propos du (/des) créole (s) à base lexicale française :

...c’est l’unité tout à fait remarquable qui existe entre les deux groupes principaux, en dépit de la distance qui les sépare et des circonstances particulières de leur évolution, qui a surpris les linguistes et qu’on a cherché à expliquer- d’autant plus que les autres créoles à vocabulaire européen sont beaucoup plus différencié. (souligné par nous)

Notre évaluation du taux d’intercompréhension entre les différents dialectes du créole ne repose pas sur une enquête scientifique mais sur notre propre expérience de locuteur créolophone ayant été en contact plus ou moins prolongé avec les variétés autre que le martiniquais (qui est notre langue co-maternelle) et de discussions sur le sujet avec maints créolistes. Il convient de noter toutefois que s’agissant des devinettes qui sont des énoncés très courts, des formulettes, cette intercompréhension doit être probablement encore plus élevée que celle que nous avons indiqué plus haut. Dans des énoncés courts, ce qui est l’une marque principale de l’oral justement, oral dans lequel nous ne faisons guère de phrases au sens où l’entendent les grammaires, ce qui est déterminant dans la compréhension, c’est le lexique et non la morphosyntaxe : le petit-nègre Moi vouloir toi venir avec moi est tout aussi compréhensible que Je voudrais que vous veniez avec moi. La morphosyntaxe ne joue qu’à l’écrit ou dans les énoncés oraux profondément marqués par la logique de l’écriture (l’écrit oralisé si l’on préfère). Si bien que la quasi-identité du lexique des différents dialectes du créole à base lexicale française, qu’ils soient d’Amérique ou de l’Océan Indien, fait que dans des énoncés courts tels que les devinettes, il n’y a guère de problèmes d’intercompréhension. Et, à cet égard, l’Anthologie de la nouvelle poésie créole (1984) était un pari beaucoup plus risqué que le présent Dictionnaire des titim et sirandanes puisque non seulement, il donnait à lire des textes multi-dialectaux écrits (la devinette, elle, est, au départ, orale) mais en plus des textes poétiques c’est-à-dire ceux dans lesquels le travail sur la langue est le plus prononcé et pour lesquels, même quand on reste à l’intérieur d’une seule et même langue, le lecteur, aussi cultivé soit-il, est confronté à d’indéniables problèmes de compréhension.

S’agissant donc des devinettes qui nous occupent, qui contestera l’extraordinaire proximité de :

  • Martinique : Dlo doubout ?
  • Maurice : Dilo dibout ?
  • Seychelles : Delo debout ?
  • Sainte-Lucie : Glo doubout ?

(Toutes ayant la même réponse : Kann/canne à sucre.)

Ou bien :

  • Martinique : An kay asou an sèl poto ?
  • Maurice : Mo lakaz ena belbel kouvertir, me en poto mem ki tini li ?

(Même réponse : Parapli/Parasol.)

Ou encore :

  • Seychelles : Mon manman i malad. I anvoy mwan apel per. Avan ki mwan mon’n arive, per li in fini arive ?
  • Haïti : Manman voyé mwen chèche dòktè, dòktè rivé avan-m ?

(Même réponse : Koko.)

D’autre part, nombreux sont les créolistes qui, s’agissant de la langue, refusent de parler du créole et préfèrent l’expression des/les créoles. Jamais, il ne diraient les arabes ou les chinois, pourtant, ils savent pertinemment qu’un Marocain ne comprend pas un Irakien et qu’un Cantonais n’entend guère un Pékinois. Sans compter qu’un Français moyen a toutes les peines du monde à comprendre un Québecquois moyen (comme on en a régulièrement l’exemple à travers les films qui nous viennent du Canada francophone). Dire le chinois, l’arabe ou le français d’un côté et les créoles de l’autre relève d’une forme de racisme culturel, sans doute inconscient, chez ceux qui pratiquent ce distinguo. Nous croyons en deviner la raison: puisque le chinois, l’arabe et le français sont des langues de vieille tradition écrite et que le créole n’a pas encore réussi à franchir complètement l’étape de l’écrit, les premiers sont donc des langues uniques, en tout cas sont désignées comme telles tandis que les secondes ne seraient que des dialectes éparpillés sans grand lien entre eux, quand bien même ils partagent la même base lexicale et de nombreuses similitudes morphosyntaxiques. Mais à bien regarder, l’écriture n’est pas vraiment en cause puisque jusqu’à tout récemment ni le peul ni le malinké n’étaient des langues écrites et pourtant, ces langues qui présentent une variation dialectale aussi grande que le créole, n’étaient jamais désignées comme étant les peuls ou les malinké. Sans doute est-ce alors l’absence d’atavisme (ou d’ancestralité) du créole qui est en cause. Bien que non écrites, le peul et le malinké sont, en effet, des langues qui remontent à des temps immémoriaux. Mais, en fait, comme pour l’ absence d’écriture, ce n’est pas vraiment l’ancestralité qui est en cause, mais sans doute la mixité trop visible du créole (si toutes les langues du monde sont mélangées à des degrés divers, elles ont digéré, naturalisé leurs emprunts). Cependant là encore, nous ne sommes pas sur la bonne piste puisqu’une langue comme le swahili exhibe une mixité tout aussi spectaculaire (près de la moitié de son lexique est arabe) que le créole et pourtant, malgré son extrême dispersion dialectale, aucun linguiste n’a jamais écrit les swahilis.

Quelle est donc la vraie raison qui pousse maints linguistes à parler des créoles à base lexicale française et non du créole si, comme nous venons de le voir, ni l’absence d’écriture, ni l’absence d’ancestralité, ni la mixité ne sont vraiment en cause ? Nous croyons pouvoir avancer que c’est le caractère d’ancienne langue servile attaché au créole qui en est la cause. Le créole porte une marque d’infamie, celle de l’esclavage, de la bâtardise, et ne saurait vraiment, même aux yeux de gens qui se parent des habits de la scientificité, être l’égal du français, de l’arabe, du chinois, du peul ou même du swahili. Ces linguistes ont beau proclamer le caractère de langue à part entière de ce qu’ils appelle les créoles, la simple fait de pluraliser la dénomination de cette langue, trahit chez eux une certaine forme de condescendance envers l’idiome de la Plantation esclavagiste. Quand tout un chacun acceptera qu’il existe des chinois et non pas le chinois, des arabes et non l’arabe, nous accepterons plus aisément, pour notre part, de dire les créoles pour désigner les créoles à base lexicale française. Pour l’heure, nous nous en tenons à l’expression le créole9.

D’autre part, nous, les auteurs de l’Eloge de la Créolité (1989) n’avons jamais réduit la créolisation (et son vécu, la créolité) à un phénomène américain. Nous avons clairement distingué américanisation de créolisation, le premier phénomène indiquant la simple adaptation à un nouvel environnement géographique de populations venues librement de l’Ancien Monde. Les WASP (White Anglo-Saxon Protestants) de la Nouvelle-Angleterre sont des américains mais ne sont pas des créoles. La langue et la culture de l’Ancienne Angleterre se sont adaptées à la Nouvelle-Angleterre mais il s’agit toujours globalement de la même langue et de la même culture tandis que la langue et la culture haïtiennes ne sont ni la langue et la culture françaises simplement américanisées ni une quelconque langue et culture ouest-africaine elles aussi américanisées. Parce qu’en plus de l’américanisation (qui affecte toute population venue s’installer - de gré ou de force- dans le Nouveau Monde), il y a eu créolisation en Haïti. La créolisation et la créolité n’ont donc absolument rien de géographiquement situé puisque, nous venons de le voir, ils ont affecté quatre continents différents.

Aujourd’hui, par le biais de ce miracle de tous les instants qu’est Internet, les 20000 km de distance séparant le créole à base lexicale française des Amériques et son cousin de l’Océan Indien, sont désormais abolis. Il existe là une chance exceptionnelle pour qu’ils s’épaulent et surtout s’enrichissent mutuellement. Mais il est bon de rappeler que deux belles expériences pan-créoles avaient déjà marqué les années 80 :

  • l’Anthologie de la nouvelle poésie créole (1984) qui rassemble poètes caribéens et poètes mascarins et dont nous avons été, personnellement, à l’origine.
  • Kourilèt (1987), numéro spécial du Courrier de l’UNESCO dont chacun des articles est traduit dans l’une des variétés du créole à base lexicale française des Caraïbes et de l’Océan Indien.

Le présent Dictionnaire des titim et sirandanes s’inscrit exactement dans la même perspective. Le lexique inter-créole qu’il comporte a pour but d’inciter les lecteurs créolophones des différentes zones à se plonger dans les variétés qui diffèrent des leurs au lieu d’avoir directement recours à la traduction (placée en fin d’ouvrage) que nous destinons, en principe, aux lecteurs non-créolophones.

1.3 LANGUE ET ORALITURE CREOLES

Lorsqu’on examine les devinettes créoles, on constate qu’un nombre assez respectable d’entre elles ont leur équivalent presque exact en Afrique de l’Ouest (pour les Caraïbes) et de l’Est (pour les Mascareignes) alors que la chose est beaucoup moins fréquente quand on les compare aux devinettes européennes10. C’est qu’il convient de dissocier la naissance de la langue créole de celle de l’oraliture créole. La première, dont les conditions éruptives (Ralph Ludwig, 1989) de naissance sont aujourd’hui unanimement admises- une cinquantaine d’années entre 1625, date de l’établissement des Français à l’île de Saint-Christophe (aujourd’hui Saint-Kitts) et 1670-80, moment où le commerce du sucre de canne prend son essor- fut la création commune des Blancs et des Noirs à une époque où existait un relatif équilibre démographique entre les deux groupes et où l’esclavage plantationnaire ne s’était pas encore développé. A une époque aussi où les maîtres français, contrairement à leurs homologues espagnols, portugais ou anglais, ne disposaient pas d’une langue unifiée et normalisée qu’ils pouvaient facilement imposer à ceux qu’ils dominaient (très significativement, c’est l’année même, 1635, au cours de laquelle les Français prennent symboliquement possession de la Guadeloupe et de la Martinique, qu’en France, le Cardinal Richelieu créé l’Académie française dont l’un des objectifs premiers fut de mettre bon ordre à l’espèce d’anarchie orthographique qui régnait jusque là).

Le créole peut donc être métaphoriquement défini comme un mulâtre linguistique, même si la vieille rengaine le définissant comme une langue à vocabulaire français et à syntaxe africaine est désormais invalidée. L’oraliture, par contre, n’a pu se former qu’une fois la langue constituée, à partir des années 70-80 du XVIIè siècle donc, au moment où les Blancs s’instituent en Béké c’est-à-dire en Blancs créoles propriétaires de grandes plantations et où il font venir d’Afrique des bateaux négriers de deux-cent esclaves ou plus. Le nombre des Noirs deviendra désormais considérablement plus important que celui des Blancs et surtout ceux-ci n’auront plus qu’une seule possibilité, celle de s’investir à fond dans le créole pour s’adapter au plus vite à l’univers de la plantation (alors que les Békés, désormais enrichis, pouvaient grâce à des précepteurs venus de France ou à des voyages dans ce pays, entamer une sorte de re-francisation linguistique). Il en résultera une africanisation ou une négrification profonde de la langue et surtout de la culture créoles et donc de son élément principal (à còté de la musique) à savoir l’oraliture.

En fait, s’agissant de la langue créole elle-même, on distingue généralement deux grandes étapes11 :

  • celle des 50 premières années de la colonisation déjà mentionnées au cours desquelles l’outillage, l’appareillage linguistique est mis sur pied conjointement par les Caraïbes, les Blancs et les Noirs. (S’agissant des Caraïbes, Guy Hazaël-Massieux (1996 : 73) nous dit :
     
    ...nous sommes tentés de conclure que les Caraïbes usaient du même jargon que les Noirs ou que les Blancs des îles. Le témoignage de Th. de Chanvallon, dans la deuxième moitié du XVIIIè siècle confortera cette impression : pour accabler le créole, il donne l’exemple des propos d’un Caraïbe.
     
    Par appareillage linguistique nous entendons essentiellement le lexique et la morphosyntaxe. Mais cela ne suffit pas encore à fabriquer une langue de plein exercice. On en reste au niveau d’une sorte pidgin dans lequel la fonction dénotative (ou référentielle) domine ou bien est la seule présente. D’ailleurs, les Noirs introduits dans les îles fraîchement occupées par les Français étaient d’origine trop hétéroclite pour avoir eu une influence déterminante sur cet outillage linguistique : esclaves achetés aux Portugais, capturés des mains des Espagnols, échangés ou brocantés avec les Anglais etc. C’est sans doute pourquoi toutes les tentatives visant à repérer une quelconque africanité du créole à ce niveau se sont révélées vaines ou fort limitées (si l’on écarte la théorie controversée, quoique séduisante, de la relexification qui voit dans le créole une langue éwé à lexique français). Au niveau lexical : quelques termes relevant du magico-religieux aux Petites Antilles et en Guyane ; le vocabulaire du Vaudou en Haïti. Au niveau morphosyntaxique : à peine trois ou quatre structures- tels que les verbes sériels- dont on est à peu près sûr qu’elles ne proviennent pas du français avancé. L’africanité du créole ne doit donc pas être recherchée au niveau de l’outillage linguistique du créole.
     
  • une deuxième étape : celle qui commence à partir des années 1670-80, au moment du succès du commerce du sucre de canne et de l’arrivée massive d’esclaves africains directement des comptoirs ouest-africains contrôlés par les Français. Certains contingents sont tellement homogènes (culturellement et linguistiquement) qu’ils représentent un véritable danger pour la Plantation : d’où le souci à la fois des négriers et des planteurs de séparer les esclaves qu’ils jugeaient faire partie de la même ethnie ou parler la même langue. Souci souvent vain à cause de l’existence depuis toujours de langues véhiculaires intra-africaines. C’est donc à ce moment-là que le créole accède au statut de langue à part entière, élargissant ses capacités expressives au connotatif et au non référentiel. On touche ici au niveau de la sémantique de la langue et c’est là qu’il convient d’identifier ce que Gabriel Manessy appelle une sémantaxe qui serait largement (mais pas exclusivement) d’origine ouest-africaine. Un certain nombre de procédés cognitifs, plus largement une manière de découper le réel, une vision du monde, à l’œuvre dans le créole ne relèvent pas, à l’évidence, des rhizomes amérindien et français mais du rhizome12 éwé, fon, yorouba ou bantou. Nul étonnement donc à ce que Philip Baker (1988 : 49), au terme d’une étude sur les origines des Mauritian riddles, trouve une influence beaucoup plus considérable du français sur le lexique du créole que sur les devinettes mauriciennes :
     
    This suggests a French : non French origin ranging from 27:/ 12 to 28 : 22. Both ratios suggest that French played a less dominant role in this particuliar area of Mauritian folklore than in the lexicon of Mauritian creole (of which at least 85% is French derivation). (souligné par nous. )

G. Manessy (1995 : 18), africaniste de son état, écrit dans le même ordre d’idée :

Les tentatives effectuées pour établir un parallélisme entre les structures créoles et celles des langues de l’Afrique, elles-mêmes infiniment diverses, sont demeurées jusqu’ici étrangement ambiguës. Un certain nombre d’observations sur les créoles eux-mêmes, sur ce que les langues négro-africaines peuvent avoir de commun et sur les particularités actuelles des langues européennes implantées en Afrique nous portent à penser que le problème a été ainsi mal posé. Sur le plan linguistique, le principe de créolité doit être cherché, non dans un remaniement plus ou moins accentué des mécanismes grammaticaux de la langue source, mais dans l’expression, à travers ces dispositifs mêmes ou par d’autres moyens, de catégories sémantiques sous-jacentes à l’exercice du langage et propres à l’univers culturel des populations concernées. (souligné par nous)

Ce principe de créolité dont parle Manessy relève pour une grande part d’un principe d’africanité premier que l’on n’a pas encore réussi à mettre en lumière pour la simple raison que l’immense majorité des créolistes sont, à ce jour, des romanistes. Nul étonnement donc à les voir tranquillement classer les créoles parmi les langues néo-romanes à la suite du philologue haïtien Jules Faine (1936). Cette question ne pourra être étudiée sérieusement que lorsqu’apparaîtra une génération de créolistes-africanistes.

Ainsi donc, à compter du XVIIIè siècle, même si le créole continue d’être la langue quotidienne principale des Blancs comme en témoigne les observations de Girod de Chantrans13, il devient tant au plan linguistique qu’au plan idéologique fortement connotée nègre. D’où sans doute l’étrange définition de l’entrée créole dans la plupart des dictionnaires français avant 1980 : Créole. 1. Blanc de pure race né aux Antilles françaises. 2. Patois parlé par les Noirs des Antilles françaises et des Mascareignes. On se serait logiquement attendu à ce que la seconde définition parlât de patois parlé par les Blancs !

Si la grande majorité des Blancs des débuts de la colonisation, de ces fameuses cinquante premières années que J. Petit Jean-Roget qualifie à juste titre de période du défrichage, était d’extraction rurale et ne savait ni lire ni écrire (sans compter qu’elle parlait les dialectes du nord-ouest de la France tels que le Normand ou le Poitevin et non le Francien, dialecte de l’Ile-de-France qui finira par s’imposer et devenir le français que nous connaissons aujourd’hui), il n’en va plus de même à partir du XVIIIè siècle, moment où disposant de moyens financiers importants, le groupe blanc va pouvoir donner un minimum d’éducation scolaire à ses rejetons. S’investissant de plus en plus dans l’univers de l’écrit (même si cet écrit relève davantage de la scription que de l’écriture proprement dite comme en témoigne les registres d’habitation), les Blancs, ne vivant plus en contact intime avec les Noirs à cause des prescriptions drastiques du Code Noir (1685), vont laisser le champ de l’oralité créole, et donc de l’oraliture, aux Noirs. Le conteur créole, personnage singulier et secret, va naître et il ne sera ni blanc ni mulâtre mais bel et bien nègre. Les contes, les proverbes, les devinettes ou les chants de travail seront créés par les Noirs lesquels subissent, dans le même temps, un processus d’acculturation forcé au monde blanc, par le biais de l’enseignement religieux en particulier. Jacqueline Rosemain (1987 : 15) fait remarquer à cet égard que :

Français et latin sont pratiqués quotidiennement, matin et soir, pour les prières faites en commun sous la conduite de la maîtresse de l’habitation ou d’un esclave créole baptisé, et aussi pour le catéchisme.

Si donc mélange il y a entre la culture européenne et les cultures africaines, il est, à partir de la fin du XVIIè siècle en tout cas, essentiellement le fait des Noirs. Ceux-ci vont donc être engagés dans un double processus relevant d’une part de la re-création, ou plus exactement du re-façonnage14 des éléments culturels africains que l’Habitation s’emploie à faire disparaître- n’oublions pas que les nègres bossales c’est-à-dire nés en Afrique étaient confiés, à leur arrivée aux Antilles, avant d’être employés au travail des champs, à des nègres créoles c’est-à-dire nés en Amérique, qui étaient chargés de les civiliser- d’autre part d’appropriation sauvage de la culture du Maître. De ce balancement constant, de cet aller-venir culturel naîtra peu à peu une culture créole originale (sur un fond de rémanences amérindiennes) qui s’illustrera dans tous les domaines de la réalité, depuis la cuisine jusqu’à l’architecture en passant par la petite agriculture, le vêtement, la joaillerie, l’ébénisterie et bien entendu la littérature orale. Ce qu’indique Marie-Christine Hazaël-Massieux (1987 : 34) à propos des comptines peut tout à fait s’appliquer aux titim :

On peut penser que les premiers colons ont transporté avec eux nombre de chansons populaires de leurs Provinces françaises; mais il ne serait sans doute pas raisonnable de croire que ce sont les colons qui ont appris aux esclaves venus d’Afrique à bercer les enfants, ou à les balancer au rythme de la respiration.

Cette prégnance de l’élément nègre dans la culture créole semble plus marqué aux Amériques que dans l’Océan Indien et il n’y a pas lieu d’appliquer mécaniquement à la première zone le modèle de créolisation15 élaboré par Robert Chaudenson (1974) pour la seconde, même si, et nous l’avons vu, il y existe une base de départ assez similaire. Une théorie de la créolisation propre à la zone antillo-guyanaise reste à construire quoique d’importants jalons aient déjà été posés notamment par Edouard Glissant, Jacques Petit Jean-Roget et Jean Bernabé. Insistons à nouveau sur le fait que cette théorie de la créolisation gagnerait beaucoup à s’appuyer sur l’africanistique et par là, nous n’entendons pas uniquement cette branche de la linguistique qui s’occupe des langues vernaculaires (ou nationales) d’Afrique noire mais aussi de celle qui traite des faits d’appropriation et de vernacularisation du français sur ce continent. En bref, le français populaire de Côte d’Ivoire ou français-Moussa a autant à nous apprendre sur la genèse et le fonctionnement du créole que le fon, l’éwé ou le bété.

En outre, à l’intérieur même de ces deux grandes zones historiques de créolisation (Caraïbe et Océan Indien), il conviendrait de définir des sous-zones et la place des devinettes ainsi que le rôle qu’elles jouent dans chaque territoire, leur mode de profération etc. est si diversifié que leur étude est presqu’une invite à s’engager sur une telle voie. On peut par conséquent légitimement avancer, s’agissant de la genèse des titim/sirandane, que ces derniers entretiennent une relation de continuum-discontinuum avec les devinettes de l’Ancien Monde (Europe et principalement Afrique) mais que, dans le même temps, elles relèvent aussi de cette pulsion questionnante qui semble bio-programmée chez l’être humain. Car si elles ont l’apparence d’un jeu, elles dissimulent, comme nous le verrons plus avant, une véritable entreprise de description et d’appropriation symbolique de la réalité sociale et physique. Le titim/sirandane est non seulement une question sur le monde mais aussi sur un univers culturel particulier qui vise à vérifier chez l’interrogé sa bonne connaissance de ce même univers culturel et donc son appartenance à celui-ci.

1.4 L’ETYMOLOGIE OBSCURE DU MOT TITIM

Le mot titim ou timtim n’a pas laissé d’intriguer les chercheurs comme ce fut le cas pour Krik ! Krak ! Si l’on retrouve dans l’ouest de la France cette dernière formule16, il n’a pas été possible à ce jour d’assigner une origine quelconque au premier. D’aucuns sont donc tentés d’y voir un mot ouest-africain mais aucune des langues utilisées par les esclaves (Fon, Ewé, Ibo etc.) ne contient un tel terme. Alex-Louise Tessonneau (1984) avance une hypothèse séduisante, mais point totalement convaincante, selon laquelle titim se décomposerait en deux morphèmes ti et tim. S’appuyant sur le fait que titim est le mot qui souvent, dans les veillées mortuaires, ouvrait la profération des contes, elle veut y voir un petit conte, une sorte résumé de conte qui précéderait les grands contes (d’autant qu’en créole haïtien, le mot kont désigne autant les contes proprement dit que les devinettes-énigmes). Mais si ti signifie bien petit en créole, le mot tim y est parfaitement inconnu et rien ne vient étayer l’idée selon laquelle il signifierait "conte". Il semble plus prudent d’y voir, surtout quand on examine la variante timtim, une sorte d’idéophone qui se serait lexicalisé jusqu’à signifier "devinette".

2. STRUCTURE DES DEVINETTES CREOLES

D’emblée, deux grandes catégories s’imposent, celle des devinettes proprement dites ou titim qui sont des énigmes et celles des jeux de mots qui sont des jeux de langue, même si le discours populaire les englobe, le plus souvent, sous le nom générique de titim aux Amériques et de Zedmo ou sirandane dans l’Océan Indien. Notons, toutefois, que dans de nombreux cas, il n’est guère facile d’opérer une nette distinction entre ces deux formes et qu’il en existe qui relèvent des deux à la fois. Une troisième catégorie, sans doute apparue au XXè siècle, est la charade qui est d’ailleurs principalement en français et qui ne diffère de son modèle européen que par les réalités évoquées.

2.1. LES TITIM / SIRANDANES

Le titim/sirandane, presque toujours en créole, est une énigme que le questionné est sommé de déchiffrer. Mais pour ce faire, il faut que le texte de celle-ci soit au préalable chiffré ou codé. Ce chiffrage ne fonctionne pas à partir d’un quelconque lexique savant ou ésotérique, contrairement à d’autres codes secrets (langue secrète des prêtres des religions africaines, argot des pays européens etc.) mais bel et bien à partir de la langue de tous les jours et de son vocabulaire le plus usuel. Il existe différents degrés de chiffrage et donc des énigmes dont l’énoncé (mais non la résolvabilité) est plus simple que d’autres. Dans ce cas de figure, tout un chacun comprend - au sens purement linguistique du terme - l’énoncé de l’énigme, énoncé qui se présente souvent sous la forme la plus anodine possible. Prenons l’exemple du titim guadeloupéen suivant :

  • Ki biten ou pé koupé men ou pé pa fann ? (Quelle chose peut-on couper mais qu’on ne peut pas fendre ?)

Il n’y a rien, dans la formulation de la question, qui diffère d’un énoncé de la langue quotidienne, ni au plan lexical, ni au plan morphosyntaxique17. Pourtant, une réponse immédiate est difficile parce que le chiffrage fonctionne sur deux termes koupé et fann dont l’utilisation touche quasiment tous les domaines de la réalité. On peut, en effet, koupé bwa (couper du bois), koupé vyann (couper de la viande), koupé twèl (couper du tissu), koupé kòd (couper de la corde) etc. et il en va de même pour fann (fendre). Mais il ne suffit pas d’identifier la chose (biten dit l’énoncé) que l’on coupe, encore faut-il la mettre en rapport avec le fait qu’on ne peut pas la fendre. L’énoncé de ce titim comporte en réalité deux devinettes :

a) devinette d’un objet qu’on peut couper
b) devinette d’un objet qu’on peut couper mais qu’on ne peut pas fendre.

La réponse, chivé (cheveu), parait évidente, une fois donnée, mais elle ne l’est pas tant que cela pour la simple raison qu’il ne serait jamais venu à l’idée de personne de tenter de fendre un cheveu. On voit donc où réside ici le mécanisme de chiffrage : c’est la mise en rapport d’une action normale, koupé chivé (couper les cheveux) et d’une action insolite ou aberrante, éséyé fann chivé (tenter de fendre un cheveu).

Il existe bien d’autres types de chiffrage qu’il est impossible de passer intégralement en revue dans le cadre de cette présentation générale. Notons simplement que le plus fréquent, partout dans le monde d’ailleurs, est celui qui fonctionne sur le mode de l’analogie (avec usage de procédés métaphoriques et métonymiques) et qu’ A. Jolles (1972 : 113), qui préfère parler de langue spéciale, explique ainsi :

Si on nous dit :

Il y a un arbre sur toute la terre qui porte vingt-cinq nids, dans chaque nid sept petits, et aucun n’a de langue.

Nous savons d’emblée que l’arbre, le nid et les petits ne doivent pas être pris ici dans leur sens habituel et que nous devons les apprécier autrement. Et si on prend la devinette du sphinx :

Qui marche à quatre pattes le matin, sur deux pattes à midi et sur trois le soir ?

on sait que, là encore, le matin, le midi et le soir ne veulent pas obligatoirement désigner des moments de la journée, et que les jambes ne peuvent se réduire à une partie du corps.

La devinette créole ne déroge pas à ce principe universel que l’on trouve aussi bien dans les devinettes européennes, africaines, arabes ou indiennes. Prenons l’exemple du titim martiniquais suivant :

  • An kay asou an sèl poto ? (Une maison qui tient sur un seul poteau).

Il est clair que l’interrogé ne doit pas prendre les mots kay et poto dans leurs acceptions habituelles (nous insistons sur le pluriel car on peut s’armer d’un dictionnaire créole et passer en revues toutes les significations de ces deux mots sans pour autant réussir à déchiffrer la devinette). Kay et poto sont donc mis en lieu et place de deux choses (physiques ou immatérielles, on ne le sait pas encore) qui entretiennent un rapport de connotation18 avec eux. Ce type de rapport relève de l’analogie puisque la réponse à ce titim est parapli (parapluie). Analogie fondée sur une métaphore parce que kay est mis à la place de la voilure du parapluie qui possède effectivement la forme d’un toit et qui, tout comme le toit, protège de la pluie et du soleil. Jakobson (1956), on le sait, définissait la métaphore comme un rapport de similarité entre deux termes par opposition à la métonymie dans laquelle il y a un rapport de contiguïté; métaphore encore parce que poto est mis à la place du manche du parapluie. Mais l’analogie de la devinette est fondée, dans le même temps, sur un procédé métonymique à savoir la relation de contiguïté qui relie, au sein de la question, kay à poto.

La difficulté de résolution de ce type d’énigme résulte, là encore, de l’étendue, très vaste, des significations métaphoriques possibles des termes kay d’une part et poto de l’autre ainsi que des significations métonymiques unissant ces deux termes entre eux. Nous y reviendrons en détail plus avant mais, on peut déjà constater que dans notre recueil, le seul kay ou lakaz renvoie, au plan métaphorique, par exemple, à :

  1. Nasse : Man ni an kay tou an pèsyenn ? (M.) Nas.
  2. Casier : Mon annan mon lakaz i annan zis en sèl laport, plen lafinèt. Ki li ? (Sey.) Kazye.
  3. Bambou : Mon annan mon lakaz, i annan en kantité létaz ? (Sey.) Banbou.
  4. Papaye : Mon annan mon lakaz. Letan mon penn li ver, tou dimoun blan ki reste ladan. Letan mon penn li zonn, zis dimoun nwanr ki reste ? (Sey.) Papay etc…
  5. Tête : Mwen nana kaz, zamé mwen la kapab vwar sak nana déryer ? (R.)

Cela fait aussi, qu’à l’inverse, un seul et même titim peut avoir deux réponses complètement différentes, parfois dans le même dialecte mais le plus souvent dans des dialectes différents. Ainsi nous avons :

  • Guadeloupe :

An pa ni wa ni rèn, an ka pòté an kouwòn ?

  • Martinique :

Mwen pa ni wa ni rèn, mwen pòté lakouwòn kòm wa ?
(Je ne suis ni roi ni reine, pourtant je porte une couronne?)

Réponse :

  • Guadeloupe : Grinad (Grenade).
  • Martinique : Kòk (Coq).

A propos des réponses aux devinettes, nous partageons entièrement la position qu’affirme vigoureusement l’anthropologue finnoise E. K. Maranda (1969 : 7) :

...je dois m’opposer à cette pratique généralisée parmi les spécialistes des énigmes (Taylor, 1951; Christiansen, 1958; Virtanen, 1960; Georges and Dundes, 1963 etc.) qui consiste à analyser seulement l’image de l’énigme, à faire abstraction de la réponse. Ma décision initiale la plus importante fut d’étudier la relation réciproque entre les deux parties d’une énigme, l’image et sa réponse. L’une et l’autre sont en effet pré-établies et codées, et le fait qu’une même image puisse recevoir plusieurs réponses ne signifie pas que la réponse puisse être arbitraire. Une relation spécifique existe entre images et réponses de même qu’entre des réponses alternatives à une même image. (souligné par nous)

Pour mettre à jour le fonctionnement interne de la devinette-énigme créole, on peut partir de l’analyse que A. J. Greimas (1970) fait de l’écriture cruciverbiste. En effet, rien n’est plus proche de la devinette que le mot-croisé sauf que le premier s’épanouit dans l’oralité alors que le second ne peut exister que dans l’ écriture. Tous deux sont composés, en effet, de deux éléments distincts :

  • une Définition (df).
  • une Dénomination (dn).

Et dans les deux cas, contrairement au dictionnaire (Greimas parle de dictionnaire à l’envers), il faut partir de la définition pour pouvoir arriver à la dénomination. Bien plus, on a affaire non seulement à un dictionnaire à l’envers mais aussi et surtout à un dictionnaire pervers puisque la définition est formulée sciemment de telle manière à dérouter, désorienter celui qui l’entend (devinette) ou celui qui la lit (mot-croisé) et, en fin de compte, pour brouiller l’accès au sens. Cette perversion, que nous appelions plus haut chiffrage, rapproche la df de la devinette et celle du mot-croisé de certains procédés utilisés par la littérature (plus particulièrement la poésie), notamment des tropes lesquels masquent aussi l’accès au dn c’est-à-dire au sens. Mais le chiffrage joue aussi sur les procédés de la litote, de l’allusion et de l’ironie qui sont tous, eux aussi, des procédés de dissimulation du sens.

A partir de là, on peut se référer au modèle structural d’analyse des énigmes finnoises mis au point par E. K. Maranda laquelle distingue entre :

  • les énigmes à métaphore.
  • les énigmes à paradoxe.

2.1.1 LES ENIGMES A METAPHORE

Ces énigmes comportent un signans qui est le noyau de l’image contenue dans celles-ci et un signatum qui en est la réponse. E. K. Maranda (1969 : 12) précise à ce sujet :

Ce sont des métaphores conditionnelles, et l’image de l’énigme spécifie la condition sous laquelle la métaphore est vraie. Cette condition est, d’un point de vue logique, la prémisse vraie donnée dans l’image de l’énigme.

L’auteur propose de réécrire la structure élémentaire de l’énigme sous forme d’une proposition logique constituée de 5 éléments :

  • un terme donné.
  • un terme caché.
  • une prémisse vraie.
  • une prémisse fausse.
  • une réponse.

Si l’on prend, par exemple, la devinette créole Abiyé san sòti ? (M.) dont la réponse est Kabann, on peut en présenter la structure sous la forme suivante :

  • Le terme donné (qui est le signans de la métaphore, le noyau de l’image de l’énigme) est : 0. On notera que cette formulation est peut fréquente car le plus souvent, le terme donné désigne clairement un être humain, un animal ou un objet, et est rarement implicite. Dans le cas présent, la formulation la plus courante serait : An bagay ka abiyé san sòti ? (une chose qui s’habille sans sortir ?) ou bien An moun ka abiyé san sòti? (une personne s’habille sans sortir ?). L’ellipse est motivée par le fait que la devinette doit donner le moins d’indices possibles sur la nature de l’entité qui s’habille. Dire bagay ou moun guiderait, en effet, le répondeur en lui indiquant qu’il s’agit soit d’une chose soit d’un être humain et non pas d’une créature animale, par exemple.
     
  • La prémisse constante laquelle est vraie aussi bien pour le signans que pour le signatum (réponse) est : Abiyé. Lorsque l’on fait un lit, il a l’air aussi habillé qu’un être humain qui s’apprête à sortir.
     
  • La variable cachée est : An (un). Par définition dit Maranda (ibidem : 14) cet élément n’est jamais rendu explicite, et ainsi, en termes d’énoncé exprimé, il apparaît toujours comme zéro. Ici, nous pouvons le noter An (Un) puisqu’il ne peut s’agir que d’un être humain, d’un animal ou d’une chose.
     
  • La variable donnée est : san sòti (qui ne sort pas). Celle-ci sert à désigner le sens de la réponse. C’est sous cette condition que la métaphore est vraie. (Maranda, ibidem). En effet, un lit ne se déplace pas, ne sort pas et c’est à cette condition qu’il peut être métaphoriquement comparé à un humain.
     
  • Le signatum est kabann (lit).

Cette méthode d’analyse structurale semble convenir parfaitement aux énigmes à métaphore créoles et l’on peut en conclure que cette sous-catégorie des titim/sirandane obéit à un schéma universel. Simplement, la spécificité créole se marquera au niveau des différentes combinaisons de signans et de signata ce qui revient à mettre à jour les juxtapositions les plus fréquentes. Dans le présent corpus, les ensembles utilisés sont les suivants :

Image Réponse

Humain Plante domestique
(L’humain le plus fréquemment nommé dans la devinette créole est manman (mère) et la plante domestique mise en rapport avec elle est jiwomon/joumou/ziwomon (citrouille), tant dans les Amériques que dans l’Océan Indien.)

Humain Objet culturel
(L’humain est ici encore manman et l’objet culturel appartient aux activités domestiques telles que la couture (Dé/dé à coudre ; sizo/ciseaux; Zéjui/aiguille etc.) ou la cuisine.)

Objet culturel Objet naturel
(L’objet culturel le plus fréquemment nommé est kay/kaz/lakaz /mézon/lanmézon (maison) et l’objet naturel mis en rapport avec lui est très divers et peut être banbou (banbou), papay (papaye) ou dizef (œuf).

Animal domestique Plante domestique
(L’animal le plus fréquemment utilisé est le bèf (bœuf) et la plante domestique avec laquelle il est mis en rapport est souvent le jiwomon (citrouille).

Spécificité donc de ce classement quand on le compare à des classements de devinettes relevant d’autres cultures mais l’universalité- que nous préférons appeler Diversalité (cf. Eloge de la Créolité, 1989) - revient à bride abattue puisque comme partout ailleurs, les humains ne sont presque jamais comparés aux humains ni les animaux à d’autres animaux. Seuls les objets peuvent être comparés entre eux, encore que cela soit plutôt rare comme dans l’exemple suivant :

  • So rob mo granmanman azout azoute bout an bout ? (la robe de ma grand-mère est composée de morceaux mis bout à bout ?) Letwa bardo. (Ma.) (un toit en bardeaux)

2.1.2 LES ENIGMES A PARADOXE

E. K. Maranda définit la métaphore de l’énigme comme l’union de deux ensembles et le paradoxe comme l’intersection de deux ensembles. On peut prendre la devinette créole suivante pour expliciter ce distinguo :

  • Mi port en kouròn, mwen lé pa la renn, mwen lé pa lo rwa ? (Je porte une couronne, je ne suis ni reine ni roi ?)
    Grénad. (R.) (Grenade)

Si la métaphore est une comparaison entre deux choses différentes mais similaires en structure ou en forme (ceinture vs. mer ; salle vs. bouche; maison vs. parapluie etc.), le paradoxe est, au contraire, la comparaison de deux choses similaires seulement quant à une fonction commune. (E.K. Maranda). Dans l’exemple que nous venons de donner, il y a donc intersection entre deux ensembles :

  • l’ensemble créature qui porte une couronne.
  • l’ensemble qui n’est ni reine ni roi.

Dans le corpus des devinettes créoles présenté ici, notons pour conclure sur les titim/sirandane, que les énigmes à paradoxe sont nettement moins nombreuses que les énigmes à métaphore dans la proportion de 1 contre 20 environ.

2.2. LES JEUX DE MOTS

Contrairement au titim, le jédimo de la Caraïbe ou le zedmo de l’Océan Indien, est d’abord un jeu sur la langue, une manipulation de celle-ci, et de ce fait, s’écarte, parfois de beaucoup du langage quotidien. En fait, davantage qu’un jeu sur la langue, il s’agit, dans le contexte de la diglossie créole/français, d’un jeu sur les langues, ou plus exactement sur les quatre principaux registres de langue qui y existent : c’est pourquoi si l’on trouve beaucoup de jeux de mots en créole basilectal, il y en a un nombre conséquent en créole francisé, en français standard et, plus rarement, en français créolisé.

Cette variation lectale complique le déchiffrement des jeux de mots créoles. Ainsi le jeu de mot martiniquais suivant est-il incompréhensible lorsqu’il est proféré à débit normal, tout en demeurant partiellement énigmatique lorsqu’il est proféré à voix lente :

  • Rata pasa monta kraza divè sita ?

L’interrogé, quand le jeu de mot est proféré en débit normal, repère immédiatement le procédé qui consiste à répéter la voyelle a à intervalles réguliers mais il est incapable de découper la chaîne parlée, même s’il devine que ce même a établit des frontières entre les différents composants de cette même chaîne. A voix lente, il identifie les racines de pasa, monta et kraza mais demeure perplexe devant rata (il hésitera entre rapprocher ce mot de rat ou de rater) et surtout divè sita qui est prononcé d’une traite chez tous les conteurs qui connaissaient ce jeu de mots. (Profitons-en pour souligner que la compétence des conteurs créoles est une compétence à trous, pour reprendre une expression de Jean Bernabé (1983) qui l’applique à la connaissance qu’à le locuteur créolophone moyen du lexique du créole.

Ainsi nous est-il arrivé à maintes reprises d’étonner tel et tel conteur en lui posant un titim ou un jeu de mot que nous avait donné l’un de ses confrères habitant souvent le même quartier de campagne que lui. La réponse était invariablement : Man pa janmen tann bagay tala ! (Je n’ai jamais entendu une telle chose). Il est vrai que les conteurs martiniquais, avant que nous ne créions, en 1982, l’association Kontè Sanblé (Conteurs réunis), ne formaient pas du tout une confrérie, n’avaient absolument pas le sentiment d’appartenir à un seul et même corps de maîtres de la parole.

A l’inverse de leurs alter ego de l’Afrique traditionnelle, nous avons eu la surprise de constater que les conteurs étaient des êtres solitaires, renfermés et extrêmement méfiants envers les autres conteurs des environs, acceptant un peu mieux ceux qui venaient de plus loin.

Plus d’une fois, certains conteurs refusèrent de participer aux nuits du conte créole qu’organisait régulièrement l’association sous prétexte que tel conteur serait là et qu’il ne manquerait pas de leur voler un conte qu’ils venaient d’inventer. En réalité, lorsqu’il nous était donné d’entendre le conte en question, nous nous rendions compte qu’il n’était absolument pas nouveau ni inventé mais qu’il représentait une variation, certes fort originale, de quelque conte faisant partie du corpus traditionnel de l’oraliture créole.)

Pour en revenir à Ratamonta pasa kraza divè sita, nous croyons que posée à l’enfant par la grand-mère (ou la mère), ce genre de jeu de mot jette les bases d’un apprentissage phonétique et phonologique comme l’écrit A. L. Tessonneau (1985 : 66) qui ajoute :

Dans cette situation de joute, l’acquisition des phonétismes est favorisée parce que les séquences sont relativement courtes pour que l’enfant puisse s’initier à la manipulation des mots et des assonances propres à la langue... Ainsi un mot comme /Ratata/ permet, par exemple, de s’entraîner à prononcer un /R/ qui à aucun moment ne peut être confondu avec un /W/ dans la mesure où il est beaucoup plus facile de dire très vite /Ratata/ que /Watata/; en outre, on sait depuis Jakobson que les oppositions existant dans toutes les langues sont aussi celles qui sont acquises en premier lieu par l’enfant : pa/ta/ma/na et que les oppositions p///t/m//n/ forment les consonantismes minimum des langues vivantes...

En effet, si l’on considère le titim martiniquais suivant, on se rend compte qu’il met en œuvre une véritable pédagogie de la distinction phonétique :

Si sé pa té mini minèt, pandi, pandèt, vini vinèt, sé manjé domi dominèt ?

On retrouve, dans le vieux pays d’Anjou, des procédés du même type. Ainsi A.J. Verrier et R. Ornillon (rééd 1970 : 486) notent-ils :

Pour embarrasser les gens qui prétendent savoir le latin, on leur dit :

  • Raviroti rotantara ramipataro rabrulapatra ?
    Réponse : Un rat vit un ròti, le ròti tenta le rat, le rat mit la patte au ròti, le ròti brûla la patte au rat.

Du Rata monta pasa kraza divè sita créole au Raviroti rotantara ramipataro rabrulapatra angevin, on pousse l’écoutant (le répondeur) à réfléchir sur quelque chose qui jusque là lui semblait être parfaitement naturel et ne poser aucun problème à savoir la chaîne parlée et son découpage en unités distinctes. Et sans doute le mystérieux titim martiniquais Gani gani pwend kouti, dont la réponse est Mayi, relève-t-il du même procédé. En Anjou encore, on trouve :

  • Abiscouti grainsemonti ?
    Habit se coud-t-il, grain se moud-il ?

2.3 LES CHARADES

Apparues plus tardivement que les titim et les jeux de mots, les charades sont quasiment toutes en français, souvent créolisé, et fonctionnent sur le même modèle que leurs homologues français (mon premier est ceci..., mon deuxième est cela..., mon troisième est cela… , mon tout est...). Il semble que ce soit la pénétration de la presse écrite dans les milieux populaires après la deuxième guerre mondiale qui ait favorisé l’intégration des charades à l’oraliture créole. La scolarisation des filles y étant plus poussée que celle des garçons (très vite happés par le travail agricole ou autre), ce sont encore les femmes, au cours des veillées de vivants, qui vont proférer des charades. Ces dernières sont absolument inconnues dans les veillées mortuaires.

La charade créole, comme la devinette ou le jeu de mot, est lancinée par l’écrit, selon une métaphore glissantienne que nous expliciterons plus avant. On y mesure, en effet, le profond désir des Créoles d’accéder à cet univers qui leur fut longtemps interdit par les lois esclavagistes, puis simplement entrouvert après l’abolition et cela jusqu’à la fin des années 60 du XXè siècle. Là encore, les jeux phonétiques sont légion. Telle la charade suivante :

  • Le premier mot, c’est premier lettre alphabétique. Le deuxième mot, c’est un mot impropre. Le troisième mot, c’est un bête féroce ?
    Réponse : Calalou (K, a, loup)

3. ORALITE ET ECRITURE DANS LES TITIM ET LES ZEDMO

3.1 L’ARCHI-ECRITURE CREOLE

L’existence de devinettes créoles (et de contes) en langue française, même si c’est de manière très minoritaire, nous impose de réexaminer la dichotomie trop facilement admise qui renvoie le créole à la seule oralité et le français à l’écriture. Il y existe bel et bien une oralité francophone au sein même de la culture créole et les chanté noèl (cantiques de Noël), presqu’exclusivement en français, en sont la manifestation la plus éclatante19. De même, il y a eu très tôt des textes à vocation littéraire écrits en créole- dès 1754 avec la célèbre chanson-poème du Blanc créole de Saint-Domingue, Lisette quitté la plaine - et cela de manière continue tout au long de l’histoire des différentes aires créolophones : 40 proclamations en créole signées de la propre main de Napoléon Bonaparte alors Premier Consul entre 1801 et 1803; catéchisme en langue nègre de l’Abbé Goux (1842); diverses traduction des Fables de La Fontaine (François Marbot pour la Martinique, en 1844, Charles Baissac pour l’île Maurice en 1880, Rodolphine Young pour les Seychelles en 1860, Georges Sylvain pour Haïti en 1901); premier roman en langue créole, Atipa, d’Alfred Parépou en 1885; articles en créole du journal Le Peuple écrits par le leader socialiste guadeloupéen Hegésippe Légitimus en cette même fin du XIXè siècle; textes de l’ACRA (Académie Créole Antillaise) de la Guadeloupe dans la première moitié du XXè siècle etc.

Si, en dépit de la quantité respectable d’écrits en créole publiés en trois siècles, la langue créole n’est pas encore parvenue à la souveraineté scripturale, il faut se garder de la considérer comme une langue orale au vrai sens du terme. L’oralité du créole n’a rien à voir avec l’oralité du wolof, du tahitien ou du quechua, langues qui ont vécu des siècles durant en dehors de tout contact avec l’écriture jusqu’aux colonisations européenne et arabe. Edouard Glissant (1981 : 22) précise remarquablement cette différence en définissant les Antilles comme :

...une communauté dont la langue orale porte la marque secrète, impossible et irrepérable de l’écrit.

A notre sens, cette marque secrète n’est pas du tout irrepérable et il convient pour la dévoiler de se référer au concept d’archi-écriture de Jacques Derrida. Remettant en cause ce qu’il appelle le logocentrisme ou métaphysique de l’écriture phonétique (par exemple de l’alphabet) qui n’a été en son fond... que l’ethnocentrisme le plus original (1967 : 11), Derrida oppose d’une part une conception vulgaire de l’écriture qui veut que celle-ci ne soit qu’une simple transcription de l’oral, à l’archi-écriture ou à la trace, de l’autre. Si la première (l’écriture) est, chronologiquement postérieure à la parole, la seconde (l’archi-écriture) ne l’est pas dans le sens où elle est déjà inscrite en toute parole. La langue impliquant nécessairement espacement et ponctuation est toujours déjà à cet égard une écriture, si bien que les productions écrites révèlent, manifestent d’une certaine façon la nature même de la langue au lieu de la pervertir. C’est la recherche de cette archi-écriture qui a toujours hanté les poètes, notamment Saint-John Perse qui écrit dans Exils :

...voici que j’ai dessein d’errer parmi les plus vieilles couches du langage, parmi les plus hautes tranches phonétiques : jusqu’à des langues très lointaines, jusqu’à des langues très entières et très parcimonieuses, comme ces langues dravidiennes qui n’eurent pas de mots distincts pour hier et pour demain. Venez, et nous suivez, qui n’avons mots à dire: nous remontons ce pur délice sans graphie où court l’antique phrase humaine; nous nous mouvons parmi de claires élisions, des résidus d’anciens préfixes ayant perdu leur initiale, et devançant les beaux travaux de linguistique, nous nous frayons nos voies nouvelles jusqu’à ces locutions inouïes, où l’aspiration recule au-delà des voyelles et la modulation du souffle se propage, au gré de telles labiales mi-sonores en quête de pures finales vocaliques. (souligné par nous)

Par des voies opposées et dans des formulations très dissemblables, le grammatologue Derrida et le poète Perse, qui ici fait sans doute allusion au créole, récusent l’équation habituelle écriture: graphie. L’antique phrase humaine qui hante la poésie de Perse trouve son écho dans la trace ou l’archi-écriture de Derrida. De plus, l’écriture a toujours été pensée comme extérieure à la parole à cause d’une conception du signe (signifiant/signifié) qui repose sur la distinction, là encore profondément métaphysique, du sensible (ce qui a trait au signifiant) et de l’intelligible (ce qui a trait au signifié). Derrida (ibidem : 26) note :

L’extériorité du signifiant est l’extériorité de l’écriture en général et nous tenterons de montrer plus loin qu’il n’y a pas de signe linguistique avant l’écriture. Sans cette extériorité l’idée de signe tombe en ruine.

C’est sans doute cette conception du signe qui fait que Saussure, en dépit de sa réflexion extrêmement moderne sur les anagrammes, retombe dans une vision logocentriste de l’écriture. Comme le souligne T. Aron (1970 / 59) :

Autrement dit, Saussure conçoit bien que le texte soit transgressé par un autre texte sous-jacent, mais ce deuxième texte, une fois reconstitués les mots qui le composent, reste un langage fait de signes clairement identifiables, à double face (signifiante et signifiée), à sens univoque, un langage tenu en mains et mis en œuvre par un sujet conscient de ses voies et de ses moyens.

3. 2 LES TITIM ET JEUX DE MOTS COMME REVELATEURS DE L’ARCHI-ECRITURE CREOLE

A còté de la quête, en français, du poète Perse d’une écriture sans graphie, on peut déceler, dans le créole et singulièrement dans son oraliture, une présence réelle de la trace que nous préférerions nommer, pour notre part, la scripture. En effet, il suffit de considérer les titim-bwa-sèk pour s’en convaincre. Comme le note N. Rémion (1987 : 14) :

Les titim-bwachèch ont donc, dès leur apparition, un intérêt pédagogique car à travers elles, jeunes et adultes exercent leur mémoire, leur rapidité de compréhension mais surtout un intérêt éducatif qui porte à la fois sur la morale religieuse, sociale, sur la connaissance du milieu naturel et sur la langue.

C’est ce dernier aspect qui retiendra toute notre attention puisqu’on sait que les devinettes créoles étaient proférées dans un milieu rural totalement dépourvu d’écriture20, par des gens qui étaient souvent des créolophones uniglottes. Dans le corpus, forcément incomplet, que nous livrons dans le présent recueil, nous retiendrons, parmi d’autres, les titim et jeux de mots suivants dont certains sont en français :

  1. Rata pasa monta kraza divè sita.
  2. K asou K.
  3. Sans moi Paris sera pris.
  4. Analyser le mot nègre.
  5. Ki diférans ou ka fè ant an klòch épi an Y ?
  6. Mont ou sou kouch ou bouk ou tou.
  7. Twa é twa fon konmen ?
  8. La ou ka touvé plis zo zo ranjé ?
  9. Quand est-ce que mes chaussettes me coûteront vingt-cinq francs?
  10. Dé nonm malad kouché lopital, yo ka palé di an péyi, ki péyi ?
  11. Qu’est-ce que l’essentiel ?

On remarquera d’abord que certains énoncés sont fondés sur un jeu phonétique à l’aide des voyelles : 1, 3 et 6. La première, Rata pasa kraza monta divè sita est décryptée comme Rat pa sa monté, i krazé dis vè, sis tas (Le rat ne sait pas grimper, il a cassé dix verres et six tasses). Le troisième, en français, Sans moi Paris sera pris, travaille sur le mot Paris qui, lorsqu’on lui ôte la voyelle a, devient effectivement pris. Le cinquième, Mont ou sou kouch ou bouk ou tou, prononcée d’une traite peut sembler étrange et pas du tout créole mais le jeu sur le ou masque une phrase parfaitement grammaticale qui signifie Ta montre est sur la couche, ta boucle aussi. D’autres, comme le deuxième, K asou K, opèrent sur la syllabe Ka qu’elle singularise et découpe à l’initiale de deux mots, le jeu de mot étant interprété comme Kabouré asou kasi (Un tombereau sur un cassis).

Mais le fait le plus intéressant, c’est que si certains titim et jeux de mots sont en français et d’autres en créole, d’une part beaucoup sont en français créolisé ou en créole francisé, d’autre part la compétence des deux langues est nécessaire pour pouvoir les décrypter (une connaissance passive à tout le moins qui relève de ce que l’on pourrait appeler un ludisme diglossique). La devinette/jeu de mots qui suit (on a ici un exemple où l’énoncé relève de ces deux formes à la fois) le démontre de façon éclatante puisque la réponse à Ki diférans ou ka fè ant an klòch épi an Y (quelle différence faites-vous entre une cloche et un Y?) est Y sé an vwayèl, klòch la sé an konsòn (Y est une voyelle, la cloche c’est la qu’on sonne/c’est la consonne). Le jeu sur Konsòn/Qu’on sonne est mésolectal et prouve que depuis fort longtemps, et cela dans des couches sociales réputées peu cultivées, on avait conscience du frottement des deux langues et des possibilités expressives qu’on pouvait en tirer. La devinette 7, Twa é twa ka fè konmen, est exemplaire à cet égard car en créole, Twa équivaut à Trois en français, ce qui induit le répondeur en erreur et le pousse à répondre Sis (Six). Or, justement, la devinette joue sur l’homophonie du Twa créole et du Toi français- il faut donc entendre Toi et Toi ka fè konmen ?, énoncé mi-français mi-créole qui s’énonce faussement comme entièrement créole. Si bien que la bonne réponse n’est pas Sis mais Dé (Deux c’est-à-dire Toi + Toi). La devinette 10 relève du même jeu sur le créole et le français puisqu’à la question Dé nonm kouché lopital, yo ka palé di an péyi, ki péyi ? (Deux hommes sont couchés à l’hôpital, ils parlent d’un pays, de quel pays s’agit-il ?), la réponse est, en créole, Litali (L’Italie), mais le jeu de mots sous-jacent est du français c’est-à-dire Lit à lit. En créole, le mot li n’est employé que depuis peu- à la place de kabann ou de kouch- à cause de l’extraordinaire phénomène de décréolisation lexicale qui affecte le créole depuis une trentaine d’années et, de toutes façons, eut-il été créole qu’il n’aurait pas pu permettre le jeu de mots puisque la liaison qui donne Litali n’est possible que par la conjonction de la prononciation et de la graphie françaises (en créole, on aurait prononcé, en effet, Liali). Or, cette graphie est théoriquement inconnue, en tout cas mal connue, des locuteurs uniglottes et illettrés qui sont les proférateurs principaux des titim. Trois derniers exemples :

  • Konmen fimèl ki ka viv ansanm nan an kay ?
    (Combien de femelles vivent ensemble dans la même maison ?).
    Réponse : Twa : lapòt, laklé, séri (Trois : la porte, la clef, la serrure).

La réponse n’est compréhensible qu’en faisant référence à la langue française dans laquelle les trois mots, porte, clef et serrure, sont au genre féminin car la distinction féminin/masculin n’est pratiquement pas marquée en créole21.

  • Albè ni douz bèf. I menné yo brè. Men, anlè douz la ni yenki kat ki brè ?
    (Albert possède douze bœufs. Il les emmène s’abreuver mais sur les douze, seuls quatre boivent ?)
    Réponse : Sèptanm brè, òktòb brè, novanm brè, désanm brè.

Une fois de plus le recours à l’orthographe française est indispensable pour comprendre la réponse. Il y a un jeu, extrêmement sophistiqué, sur la ressemblance entre le créole brè (boire) et une certaine prononciation humoristique de la terminaison, bre, des quatre derniers mois de l’année en français.

  • Ekri mwen zatrap rat an kat lèt ?
    (Ecrivez-moi le nom du piège à rat en quatre lettres ?)
    Réponse : Chat (Chat).

Pour les gens qui posent cette devinette, le créole ne s’écrit pas. Seul le français a, à leurs yeux, le statut de langue écrite. Ils s’attendent donc à une réponse en français à une devinette posée... en créole.

C’est donc pourquoi si Jean Bernabé (1996 : 29) a raison de souligner que l’oralité et l’écriture appartiennent véritablement à des instances cognitives différentes, il nous semble, dans le cas du créole, qu’il faille relativiser quelque peu cette opposition à cause de la transcendance archi-scripturale qui est à l’œuvre dans cette langue (transcendance exhibée par Litali/Lit à lit par exemple) depuis la naissance de cette dernière. De même, l’hypothèse de Laënnec Hurbon (1987 : 121) selon laquelle, aux Antilles, l’oralité est à considérer comme un paradigme du système culturel tandis que l’écriture relève du paradigme de la modernité, nous semble friser le poncif indigéniste. En Guadeloupe, on trouve des exemples similaires à ceux de la Martinique que nous venons d’examiner. Ce sont les fameuses mitoloji que R. Honorien-Rostal a étudiées en détail et à propos desquelles elle écrit (1987 : 47) :

Les mitoloji sont des jeux de mots tirés de l’Histoire de la Bible ou de la mythologie gréco-romaine...mes informateurs sont formels : mitoloji ni plis grad ki divinèt, les mythologies ont plus de grades que les devinettes. Elles ont été élaborées à partir du dictionnaire : si ou pa li an liv ou pé pa réponn mitoloji la. Sé adan diksyonnè ou ka touvé’y, si tu ne lis pas le livre, tu ne peux pas trouver la réponse. C’est dans un dictionnaire que tu les trouveras. (souligné par nous)

Ces quelques exemples où l’on voit des locuteurs, le plus souvent placés en position sous-ordonnée (J. Bernabé, 1983) sur l’échelle du continuum-discontinuum qui structure la diglossie antillo-guyanaise et océanindienne, faire soit référence à l’écrit soit usage d’un texte écrit, nous montrent l’existence d’une archi-écriture au sens derridien du terme au sein de la langue et de la culture créoles. Ils nous prouvent aussi que l’imbrication du français et du créole et le fait que le premier se soit imposé à l’écrit, à la fin du XVIIè siècle, au moment où les colons deviennent des Béké et entament un réinvestissement dans cette langue qu’ils avaient d’abord parlé sous des formes largement dialectales, n’a pas suffi à rejeter du même coup le créole dans la stricte oralité

3. 3. LA LANGUE DES DEVINETTES CREOLES

titim, Sirandane, Kayanbouk, masak et autres jédimo/zedmo sont en grande majorité en créole mais tous ne sont pas en créole basilectal; de même que s’il y a des devinettes en français, loin s’en faut qu’elles soient toutes en français standard. En fait, on retrouve dans le corpus des devinettes créoles, les quatre principaux niveaux de langue qui structurent les échanges communicatifs au sein des sociétés créoles, et cela dans des proportions qui sont les suivantes, en tenant compte du fait que notre corpus n’est pas exhaustif, chose qui donne à nos statistiques une valeur surtout indicative :

  • Créole basilectal : environ 66%.
    Question : Mwen malpwòp pasé ayen èk man ka bo Liwa an mitan bouch ?
     
  • Créole francisé : environ 14%.
    Question : Twa kavalyé pasé, twa pòm pandant, chaken pwan yonn ?
  • Français standard : environ 12%.
    Question : Je t’ai vu où jamais tu ne fus, où jamais tu ne seras, où tu ne peux pas être ?
     
  • Français créolisé : environ 8%.
    Question : J’ai couché cabaret sans souper ?

Les énoncés mixtes (dans lesquels ceux qui sont en français créolisé sont minoritaires) constituent 22% de notre total, ce qui est une proportion assez remarquable et qui nous montre que depuis toujours, depuis la formation de la langue créole probablement, ces quatre niveaux ont toujours cœxisté. Ceux qui donc, aujourd’hui, semblent découvrir à grand fracas un interlecte ou une prétendue macro-langue, qui est censée remplacer progressivement le créole et devenir la langue maternelle de nos populations, enfoncent des portes ouvertes: le registre mésolectal fait depuis longtemps partie de la compétence linguistique des créolophones (y compris en Haïti où le français n’a pourtant pas eu le temps de s’enraciner durablement dans la masse de la population).

Ce qui a changé depuis une vingtaine d’années, c’est simplement les différents pourcentages d’utilisation des quatre variétés de langues en question. En effet, si de nos jours, le créole francisé et le français créolisé tendent à prendre le pas sur le créole basilectal d’une part et le français standard de l’autre, cela ne signifie pas qu’il s’agisse d’une situation irréversible.

Le combat qui est mené en faveur du créole depuis le début des années 70, la multiplication des livres publiés dans cette langue, la création d’une Licence de Langues et Cultures Créoles à l’Université des Antilles et de la Guyane, l’introduction du créole comme LV3 (Langue vivante 3 ) dans certains lycées22, ce qui lui permet d’être présenté au baccalauréat comme matière optionnelle, tout cela contribue à freiner l’avancée du créole francisé et peut-être à inverser le processus de décréolisation.

De même la scolarisation de plus en plus précoce (on met les enfants en jardin d’enfants dès l’âge de deux ou trois ans), la multiplication des chaînes de télévision, la facilité et la fréquence des voyages vers la France, l’augmentation conséquente du nombre de Métropolitains installés aux Antilles-Guyane et à la Réunion, Métropolitains souvent mariés à des Créoles, tout cela contribue à faire reculer le français créolisé et à rapprocher le français insulaire de celui de l’Hexagone. Ainsi donc, l’existence d’une soi-disant macro-langue qui effacerait toutes les autres de notre paysage linguistique est, pour l’heure en tout cas, un pur fantasme d’apprenti-(socio-)linguiste.

Evidemment, la devinette étant aussi un jeu sur la langue, et donc chez nous sur les langues, on trouvera maints énoncés en français macaronique ou français-banane tel que le suivant :

  • Il faudra ouvè ma vant pour touvé ma boyo ?

Notons qu’il s’agit là d’une déformation volontaire à usage ludique, non d’un quelconque niveau lectal attesté sur l’échelle de la diglossie (quadri-polaire) créole/français.

4. CONDITIONS DE PROFERATION DES TITIM ET DES JEUX DE MOTS

4.1 LA VEILLEE DES MORTS

La veillée mortuaire, nous l’avons déjà signalé fut le lieu privilégié de profération des devinettes et des jeux de mots. Ces derniers servaient, en effet, d’introduction aux contes23, le conteur antillais ouvrant la séance par un retentissant :

titim ?

Formule énigmatique à laquelle l’assemblée répondait par un nom moins énigmatique :

Bwa sèk ! (Bois sec !)

Souvent, cette question et cette réponse étaient répétées plusieurs fois d’affilée avant que le conteur ne pose la première devinette, sans doute dans le but de créer une atmosphère propice à l’expression d’une parole qui interrompait le deuil, une parole ludique qui se gaussait de la mort (et parfois du mort lui-même). En Guyane, selon Auxence Contout (1987), les formules sont quelque peu différentes :

Les massaks sont nos devinettes créoles. Le conteur qui pose les devinettes demande toujours l’autorisation à son auditoire en criant: Massak-Massak? Si l’auditoire accepte, il répond: Kam !. D’autres conteurs demandent: Kini-Kini ? Et l’auditoire autorise en répondant : Boi sèk !

A la Réunion, le conteur commence toujours par Kosa en soz ?

Au cours des observations que nous avons pu faire en 1982 et 84, à Morne-des-Esses (Commune de Sainte-Marie, Martinique) et à La Carrière (commune du Vauclin, Martinique), nous nous sommes rendus compte que les devinettes qui ouvraient les veillées n’avaient qu’une fonction rituelle. C’étaient toujours les mêmes et surtout elles étaient les plus simples, celles auxquelles l’assemblée des veilleurs pouvait répondre en chœur. Par exemple :

  • Dlo monté mòn ? (Eau qui grimpe la colline ?)
    Koko ! (Noix de coco)
     
  • Dlo désann mòn ? (Eau qui descend la colline ?)
    Kann ! (Canne à sucre)

En fait, la plupart du temps, le conteur n’attend pas la réponse à ces devinettes et passe soit la récitation d’un conte soit, ce qui est moins fréquent, à d’autres devinettes plus compliquées. En Anjou, A. J. Verrier et R. Ornillon (rééd. 1970) notent la même attitude :

Le jeu débute toujours par la formule consacrée :

Devine, devinaille
Qui pond sur la paille ?

Puis, sans attendre une réponse trop facile, on passe à quelqu’une des énigmes suivantes... (souligné par nous)

Et dans l’Océan Indien, à Maurice, Charles Baissac (rééd. 1970) remarquait en 1885 :

Sirandane ? disait le vieillard. Sampèque, répondaient les petits tout d’une voix, et le jeu commençait. D’abord, une série de questions, invariablement les mêmes, et les réponses suivaient à l’instant: Dileau diboute ? Canne. Dileau en pendant ? Coco. Piti bat manman ? Laklos etc...

Au cours des veillées mortuaires auxquelles nous avons participé, nous n’avons vu qu’une seule fois un conteur interloquer l’assistance en posant d’emblée une devinette difficile, ce qui provoqua une gêne et faillit gâcher la cérémonie, n’eut été l’arrivée d’un participant qui connaissait la réponse. Renseignements pris, il nous fut confié qu’il s’agissait là d’une sorte de vengeance exercée par le conteur en question à l’endroit des gens du quartier (Savane Romanette, à Morne-des-Esses) lesquels, au cours d’une veillée précédente, lui avait préféré un autre conteur venu de très loin.

Un point qui a retenu notre attention, c’est le fait que l’énoncé de la devinette n’était jamais à la forme interrogative mais toujours à la forme affirmative. Le conteur dit :

  • Nas anba dlo ! et non Nas anba dlo ?

Cela se retrouve aussi en Afrique nous révèle G. Meyer (1978 : 6) :

Dans les devinettes bambara, la question apparaît toujours sous une forme affirmative.

On peut considérer cela comme une volonté de la part du conteur de défier cet adversaire qu’est le public des répondeurs. La devinette posée sur un ton affirmatif réaffirme que le conteur dispose d’un savoir dont il est le seul maître et surtout pour laquelle il n’accepte qu’une seule et unique réponse. Un ton interrogatif installerait une sorte d’égalité entre conteur et répondeur et surtout ouvrirait la voie à une pluralité de réponses, chose difficilement compatible avec l’autoritarisme régnant dans des sociétés rurales, qu’elles soient du Nouveau ou de l’Ancien Monde.

Normalement, les devinettes d’ouverture ont donc une fonction rituelle, les vraies énigmes, celles qui obligent l’assistance non plus à communier mais à, chacun pour soi, essayer de trouver une réponse, sont lancées à intervalles réguliers, tout au long de la veillée, entrecoupant ainsi la récitation des contes. Lorsque personne dans l’assistance ne trouve la réponse, le conteur la répète à plusieurs reprises en prenant à chaque reprise une voix de plus en plus chantée et moqueuse. S’il y a des réponses erronées, il tourne en dérision le ou les répondeur (s) en cause ou, plus rarement, les insulte, là encore de manière rituelle. A la Réunion nous dit Patrice, Treuthardt (1991 : 90) :

On raille celui qui cherche trop longtemps par cette formule :
Devin devinay ! (Devine devinette !)
ou
Né lé dan la tay.
(Ton nez dans la merde)

Toutefois, il peut arriver que certains conteurs en profitent pour régler des comptes personnels avec des gens de leur quartier ou de bourgs voisins. Dans ce cas, ils peuvent modifier légèrement la formulation de telle devinette ou de tel jeu de mot de manière à viser un individu précis. Ou il leur arrive aussi d’en inventer de toutes pièces et, l’assistance étant prise en défaut, de donner eux-mêmes la réponse, égratignant au passage, de manière toujours masquée, celui auquel ils en veulent. Cet aspect de la profération des devinettes, nous rappelle que l’oraliture, loin d’être un ensemble de formules et de textes définitivement figés que le conteur se contenterait de répéter à l’infini, fut très longtemps (jusqu’à la fin des années 70 du XXè siècle) quelque chose de vivant, de malléable, d’imprévisible même parfois. A chaque profération, le conteur ne transmettait pas simplement une parole séculaire, il la recréait, la réinventait, y apportant sa touche personnelle ou se laissant aller à son humeur du moment. Comme le souligne Jean Bernabé (1996 : 5) :

Dans la perspective de l’oraliture, la parole ancestrale n’est pas figée dans un passé immémorial : les ancêtres naissent, en effet, chaque jour.

Mais ce còté non-figé de l’oraliture à sa contrepartie négative : autant certains de ses éléments sont vivants (et même vivaces), autant d’autres dépérissent jusqu’à disparaître à tout jamais. Ou bien leur sens devient totalement obscur. Ainsi, aucun des vieux conteurs martiniquais que nous avons pu interroger ne connaissait la signification du mot gani dans le titim :

  • Gani gani pwend kouti ?
    An mayi.

De même, nous demeurera à jamais incompréhensible (puisque le créole trinidadien est moribond), cette devinette du pays de John Jacob Thomas24 à l’intitulé si poétique :

  • Si pa té pou pen panèt, vini vinèt, té ké manjé dòmi donnèt ?
    Si pa té pou yon kowosòl, tij-la té ké manjé kochon.

Ainsi donc, autant la réponse aux devinettes d’ouverture est collective, autant celles des vraies énigmes, lancées au beau mitan de la veillée, est individuelle. C’est un spectacle assez fascinant que d’entendre fuser les réponses de la bouche d’hommes, de femmes, d’enfants ou de vieillards, de voir le conteur virevolter et se tourner vers chaque répondeur pour lui rabattre le caquet et le traiter de couillon à chaque réponse erronée. Lorsqu’une énigme n’était pas résolue, le conteur n’avait pas l’obligation (d’après nos observations en tout cas) de donner la réponse à l’assistance, même s’il le faisait le plus souvent.

Il nous a été donné de constater (en 1984) que le même titim insoluble fut posé dans trois veillées successives, sur une période de quatre-cinq mois, par le même conteur, devant à peu près la même assistance dans les quartiers limitrophes de Fonds des Basses et Pérou (commune du Marin, Martinique) et Beaujolais (commune du Vauclin, Martinique). Le conteur ne livra la solution à une assemblée, de plus en plus démangée par l’envie de savoir, qu’à la dernière veillée. Entre temps, bouch té ka bat (Lit. les bouches battaient) c’est-à-dire que les hypothèses avaient succédé aux hypothèses, cela en dehors du cadre de la veillée, reliant ainsi la profération de l’oraliture au monde de tous les jours, l’univers de la nuit à celui du jour.

Enfin, si tout un chacun peut constater que la profération des devinettes créoles précèdent celle des contes, nul ne s’est encore demandé si les premières entretenaient un quelconque rapport (thématique ou autre) avec les secondes. En termes clairs : est-ce que le conteur lance n’importe quel titim à l’ouverture de n’importe quel conte ou si, au contraire, à tel conte ou telle catégorie de contes correspond la profération de telle devinette ou telle catégorie de devinettes ?

Nos observations au cours des veillées mortuaires (Morne-des-Esses, Vauclin), à la fin des années 80, nous ont permis de remarquer que les conteurs les plus âgés (septuagénaires et octogénaires) lançaient le plus souvent des devinettes dont les réponses entretenaient une relation étroite avec le thème du conte qu’ils s’apprêtaient à réciter. Ainsi avant la récitation du fameux conte dans lequel compère Lapin va déféquer nuitamment dans la belle eau cristalline de l’étang de monsieur le Roi, les conteurs proposaient des titim dont la réponse était ma (mare), lasous (source) ou larivyè (rivière).

Patrick Chamoiseau (1997 : 184) a eu l’intuition de cette relation entre thème du conte et thème de la devinette lorsqu’il écrit :

Cela claque. Cela résonne. Cela brille. Cela déroute. Cela étonne. Cela revit. Cela règle nos passions, éclaire nos tragédies, arpente notre drame en droite lucidité. On en retrouve les principes dans ces devinettes que sont les titimes avec lesquels le Conteur et les Das25 profilaient leurs histoires. (souligné par nous)

Il s’agit bien de cela : traditionnellement, la devinette met en perspective, profile le conte qui va suivre. Mais, signe du délitement progressif de notre oraliture, les plus jeunes d’entre les conteurs (trentenaires et quadragénaires) de l’association Kontè Sanblé semblaient ignorer totalement cette règle, doutant même de son existence lorsque nous l’évoquions avec eux. Nous n’avons pas pu mener d’enquête sur ce sujet mais il semblerait également que les vieux conteurs ne récitaient pas n’importe quel conte dans n’importe quelle veillée mais bien qu’à chaque veillée particulière, selon l’identité du défunt et surtout les circonstances de sa mort, ils choisissaient de privilégier soit des contes animaliers soit la geste de Ti Jean soit des contes humoristiques ou alors des contes érotiques. C’est, en tout cas, ce que nous ont affirmé deux grands conteurs, Tintin Défrel et Honorat Gros-Désir, qui figurent dans notre ouvrage Les maîtres de la parole créole (1995).

Aux Seychelles, le recueil Zistwar ek zedmo Sesel (1983 : 18) souligne à propos des devinettes :

En fait l’usage de ces formules dépend beaucoup de l’ambiance du moment.

4.2 LA VEILLEE DES VIVANTS

Si la veillée mortuaire était le cadre privilégié du titim, le jeu de mot, par contre, était davantage utilisé lors des lavéyé vivan ou veillées de vivants, rassemblant pour le plaisir des gens d’une même famille ou d’un même quartier. Autant le conteur masculin était le roi de la veillée mortuaire, autant la grand-mère (ou plus rarement la mère) était la reine des lavéyé vivan. Il ne nous a malheureusement pas été possible d’assister à l’une des ces dernières car il semblerait qu’elles aient disparu beaucoup plus tôt que les premières.

S’il est encore possible, en cette veille de l’an 2000, d’assister, ici et là, de manière épisodique, au fin fond des campagnes antillaises, à quelque veillée mortuaire, la veillée des vivants a, elle, totalement disparu. La cause de cette disparition est probablement la diffusion massive du transistor à partir des années 50, puis celle de la télévision une vingtaine d’années après, sans compter les effets d’une scolarisation de plus en plus précoce qui s’accompagnait d’un discours virulemment négatif à l’endroit de la langue et de la culture créoles. Cependant, l’Ecole, la Radio et la presse écrite ont, un temps, accompagné la profération des devinettes: le fameux Jeu des mille francs, très écouté aussi bien en France qu’aux Antilles, a relancé l’intérêt pour la résolution des énigmes.

De même que les charades que l’on trouvait dans la page-divertissement des journaux religieux également très diffusés en ce milieu du XXè siècle. Et tant qu’il n’existait pas d’écoles maternelles (elles apparurent à la fin des années 60) et que les grands-mères (ou les mères) s’occupaient des enfants jusqu’à l’âge de 6-7 ans, le titim et le jeu de mot ont pu se greffer sur l’enseignement au moment où l’enfant entrait en classe (au Cours Préparatoire donc). L’exemple de ce titim guadeloupéen le démontre aisément :

  • Ki il ou pé travèsé a pyé ? Lil dè Frans.
    (Quelle île peut-on traverser à pied ? L’île-de-France.)

Ile-de-France qui figurait bien sûr dans les livres de géographie des enfants et en aucune façon dans un quelconque savoir traditionnel. Cela permet presque d’ailleurs dater les tout derniers titim spontanément créés autour du milieu des années 70. En effet, la résolution du titim guadeloupéen suivant suppose qu’on ait au préalable connaissance d’une graphie du créole en rupture avec celle du français (la fameuse graphie-GEREC proposée par Jean Bernabé aujourd’hui universellement acceptée):

  • Ki prénon ki ka ba’w 4 an chif women lè ou mété’y an kréyòl ?
    Réponse : Iv (IV).

L’oraliture traditionnelle ne connaissait bien entendu pas les chiffres romains d’une part et d’autre part les locuteurs d’avant les années 70 auraient écrit le prénom "Yves" en créole exactement comme en français puisqu’à l’époque, hormis peut-être en Haïti, c’est la graphie étymologisante qui prévalait partout.

4.3 UNE PAROLE DE NUIT

Tant pour les veillées des morts que pour les veillées des vivants, la profération des devinettes et jeux des mots, tout comme celle des contes, est une parole exclusivement nocturne. Il existe une interdiction absolue, un véritable tabou quant à la profération diurne: en Haïti, qui s’y risquerait serait immédiatement transformé en panier; en Martinique, en bouteille. Formes creuses ou vides, le panier et la bouteille symbolisent ici la parole vide de sens ou, plus exactement vidée de son sens (cf. Jean Bernabé, 1996).

L’origine de ce tabou est à la fois africaine et créole:

  • africaine parce que partout dans l’Afrique de l’Ouest traditionnelle, on distinguait deux types de paroles: celle historique, hagiographique plutôt, des griots, caste au service des rois dont elle vante les hauts faits; celle ludique des conteurs et de toute personne douée pour la profération de contes ou de devinettes. Palau Marti (1960 : 15) note ceci:
     
    La littérature yorouba peut être classée en deux grandes rubriques:
     
    a) littérature d’inspiration historico-mythique.
    b) littérature d’imagination (contes, devinettes, etc.)
     
    Ce classement correspond, par ailleurs, à une division dans le temps: les genres que l’on classe en a se racontent pendant le jour, ceux qui rentrent en b ne se récitent que le soleil tombé.
     
    Les griots et la littérature historico-mythique n’ont pu continuer à exister aux Amériques car la traite et l’esclavage les frappaient d’inanité. Enchaîné à fond de cale aux còtés des charpentiers, des forgerons, des guerriers, voire de ses propres captifs, le roi africain est nu. La hiérarchie traditionnelle s’effondre dans la cale du bateau négrier et désormais, il n’y a plus nul besoin de chanter ses ancêtres et sa propre gloire. Le griot, et sa parole diurne, deviennent inutiles. Ne survit que la parole nocturne, celle des contes et des devinettes.
  • créole : l’esclave de plantation travaillait du lever du soleil (5h30 aux Antilles) à la fin de l’après-midi, sans possibilité de communiquer autrement que par le chant avec ses frères de misère. Le soir (et le dimanche) était son seul moment de liberté, celui où l’œil du commandeur et du maître ne le surveillait plus. Les conteurs en profitaient pour dérouler la magie de leurs contes et de leurs devinettes, procurant aux esclaves une forme de libération par l’imaginaire.

 
Notons, au passage, qu’à l’instar de la devinette qui pouvaient, dans certaines sociétés pré-modernes, entraîner la mort de celui qui ne parvenait à en trouver la solution, en Afrique noire, la violation du tabou de la profération diurne des contes avait des conséquences tout aussi redoutables comme l’indique Geneviève Calame-Griaule (1970 : 27):

Divers malheurs menacent celui qui transgresse la règle. Ainsi le coupable peut provoquer la mort de ses parents (Bozo), du père de famille (Ngbaka, renseignement de J. Thomas), de sa mère ou d’une personne de sa propre famille maternelle (Malinké, Bambara, renseignement de Y. Cissé), sa propre mort (par noyade : Dogon).

Paroles de nuit, le conte et la devinette sont du même coup nimbés des mystères que celle-ci sécrète. Interrogeant pendant des années de vieux conteurs martiniquais26, nous avons pu relever que tous considéraient que les grands conteurs étaient ceux ki pa té ni lavwa klè (qui n’avaient pas la voix claire), qui avaient la voix obscure. C’est-à-dire ceux qui contaient avec une telle rapidité qu’il était presqu’impossible de suivre le détail des leurs récits. Edouard Glissant (1981) note que la langue créole produit des paroles en rafales. Cela provient sans doute du phrasé en staccato des maîtres de la parole créole. Pour sa part, Raymond Relouzat (1989 : 145) fait la remarque suivante:

...et ce n’est pas par hasard que le débit du conteur se porte toujours à la limite de l’intelligibilité de ce qu’il dit, comme si la parole, ivre d’elle-même (ce qui, métalinguistiquement, est vrai) ne souhaitait donner à entendre que la pure subjectivité de ses sonorités comme perfection de la signification.

Cette parole rafalée tient donc l’auditoire sous une emprise quasi-hypnotique que favorise l’obscurité environnante, la massive nuit tropicale qui enserre la minuscule cour de terre battue ou la véranda où se déroule la veillée mortuaire. Lieux éclairés par des sèbi (flambeaux en bambou) ou des lampes à pétrole qui sont impuissants à dissiper les menaces de l’alentour. C’est pourquoi le conteur est fréquemment un séansyé (devin), un tjenbwazè (sorcier) ou est perçu comme tel (ou bien encore un fonséyè /fossoyeur). Sa parole, qui feint d’être anodine et ludique, se tient du còté du sacré, reliant par un cordon ombilical secret la Plantation américaine au village africain.

5. SIGNIFICATION DES TITIM ET DES JEUX DE MOTS

Nous avons signalé plus haut la ressemblance frappante entre maints jeux de mots créoles et africains27 mais il faut se garder d’en déduire une identité de signification entre elles. De l’Afrique au monde créole, les jeux de mots (comme les contes ou les chants) s’insèrent dans des réalités culturelles et surtout sociales profondément différentes. Le traumatisme de la Traite, puis le maësltrom de la créolisation vont contraindre l’homme noir à se réinventer aux Amériques et dans l’Océan Indien. De nouvelles significations liées à la société de plantation vont émerger peu à peu. L’exemple le plus frappant est celui du personnage de Compère Lapin28 qu’il faut se garder de confondre totalement avec Leuk-le-lièvre du Sénégal par exemple. Compère Lapin développe un comportement individualiste à la limite de l’antisocial, sa principale préoccupation étant de couillonner tout le monde autour de lui : du gros béké ou de misyé Liwa à compère Zamba ou à compère Mulet en passant par Ma-Commère Tortue. Il n’a qu’un seul et unique objectif : sauver sa peau à n’importe quel prix. Multipliant ruses, flatteries, traîtrises ou pures méchancetés, il symbolise le nègre de maison29 qui vit dans la Grand Case du maître, ou bien le mulâtre, par opposition au nègre de houe qui s’échine dans les champs de canne à sucre. Ignorant superbement les notions de justice, d’équité ou de pitié, il n’a aucune envie de changer le monde dans lequel il vit et contre lequel il est pourtant en révolte permanente. Sa philosophie, si l’on peut dire, est faite d’un mélange de fatalisme et d’égocentrisme forcené qui se reflète d’ailleurs dans maintes expressions créoles:

  • Chak bètafé ka kléré pou nanm li : (Lit. Chaque luciole n’éclaire que pour sa propre âme) chacun pour soi.
  • Zavè tjou mèl ki pwan plon : (Lit. Tant pis pour les merles qui reçoivent des plombs de fusil) honnis soient les perdants.
  • Konplo nèg sé konplo chen : (Lit. Complot de nègres égal complot de chiens).
  • Bèf douvan bwè dlo klè : (Lit. Les bœufs placés en tête du troupeau sont les seuls à boire une eau limpide)
  • Débouya pa péché : (Lit. Faire montre de débrouillardise n’est point commettre un péché) etc...

Soungoula, le cousin seychellois du Compère Lapin antillo-guyanais ou du Brother Rabbit du sud des Etats-Unis, n’est guère différent de ces derniers, ce qui renforce l’idée qu’il existe bien, en dépit de l’énormité des distances, une civilisation créole, certes multiforme, mais unique. Soungoula est décrit ainsi dans l’introduction au recueil de contes et devinettes des Seychelles cité plus haut:

Dans les contes seychellois, on est tout de suite frappé par la fréquence de Soungoula, un personnage mythique, mi-homme mi-animal. Soungoula est présenté souvent comme une véritable peste publique, incarnant la ruse, la duperie, la fourberie et qui, malgré tout, vient généralement à bout et sort indemne des situations les plus périlleuses et les plus désespérées. C’est d’ailleurs ce triomphe quasi-éternel du mal qui pourrait faire douter de la portée éducative de nombres de contes seychellois. (souligné par nous)

5. 1. UNE APPROPRIATION SYMBOLIQUE DU REEL

Pour en revenir aux devinettes et aux jeux de mots, si l’on n’a pas affaire, tout au contraire, au même message individualiste et antisocial que dans une grande partie des contes créoles, on peut, là aussi, mesurer l’écart considérable qui sépare ceux qui étaient proférés en Afrique de ceux qui l’étaient dans la Plantation américaine. L’exemple de la devinette bambara est très éclairant à cet égard. Il n’y a pas lieu de s’étonner de nous voir choisir un peuple relativement éloigné des côtes du golfe du Bénin où se pratiquait, aux XVII et XVIIIè siècles le commerce des esclaves. Habitants de l’actuel Mali, les Bambaras faisaient l’objet, en effet, d’intenses razzias et étaient convoyés sur des milliers de kilomètres jusqu’aux entrepôts et autres comptoirs négriers. A tel point qu’aujourd’hui encore, dans maintes traditions orales ouest-africaines, les Noirs des Amériques sont appelés par dérision Bambara gedj c’est-à-dire Bambaras du rivage ou Bambaras de la mer, par opposition aux vrais, aux authentiques Bambaras qui vivaient, et continuent à vivre, dans un environnement sahélien, quasi-désertique, où la mer est absente, voire inconnue. C’est dire que beaucoup de nègres créoles doivent avoir des Bambaras parmi leurs ancêtres. Analysant les devinettes en usage dans ce peuple, Dominique Zahan (1963 : 106) avance l’explication suivante:

Les acteurs de ces jeux de cache-cache sont normalement les enfants entre eux ou bien les enfants et leurs grands-parents. Ce choix nous donne une indication sur la signification attribuée à ce genre de productions par les Bambaras.

On considère, en général, les devinettes comme des divertissements où celui qui pose les n’dêde, prend un malin plaisir à éprouver l’intelligence de son interlocuteur lequel, à son tour, nargue ses questions. L’exercice ressemble beaucoup, il est vrai, à un jeu, mais encore faut-il expliquer la raison de ce jeu et, surtout, pourquoi il s’accomplit entre grands-parents et petits-enfants... Les Bambaras comparent le grand-père et son petit-fils à un arbre et son gui. Le petit-fils est comme le végétal épiphyte qui vit aux dépens de l’arbre sur lequel il s’installe. Ainsi, quand un grand-père commence à avoir des petits-fils, il doit, pensent-ils, se préparer à la mort. Les petits-enfants sont, en quelque sorte, la cause de la mort des aïeuls... Dans ces conditions, quel peut être l’état d’âme normal de l’aïeul à l’égard de son petit-fils ? D’une façon inavouée et inconsciente, il va le fuir, il essayera d’esquiver sa rencontre. Les devinettes traduisent exactement, disent les Bambaras, la fuite du grand-père devant son petit-fils. Le premier se cache dans les questions, le second essaie de le retrouver par ses réponses. (souligné par nous)

Une telle conception de la devinette en fait beaucoup plus qu’un simple jeu ou une joute verbale sans autre enjeu que d’éprouver la perspicacité de l’interrogé. Elle renvoie à tout un système de pensée dans lequel relations de parenté et filiation sont étroitement liés à une philosophie de la Vie et de la Mort grâce, entre autres, à la profération des devinettes. En effet, ajoute D. Zahan, le grand-père craint le petit-fils qui trouve toujours la solution aux questions qu’il lui pose car à ce moment, il se sent découvert et la plante épiphyte (qu’est symboliquement son petit-fils) va se mettre à dévorer l’arbre c’est-à-dire à précipiter la fin de la vie terrestre dudit grand-père.

Aux Amériques, semblable conception ne pouvait ni perdurer ni même être transposée. D’abord parce que ce ne sont pas des grands-pères, des adultes, qui étaient convoyés là-bas comme esclaves mais des enfants. A une époque où l’espérance-vie ne dépassait guère trente ans en Afrique, les razzieurs africains et les négriers européens privilégiaient les jeunes captifs et l’âge moyen de ces derniers tournait autour de 15-16 ans. Installés sur la Plantation, ils avaient ensuite peu de chances de devenir un jour des grands-pères puisque, outre l’utilisation d’étalons (esclaves que leur aspect robuste désignait, aux yeux des maîtres, comme de bons reproducteurs), la promiscuité sexuelle régnant pendant l’esclavage et l’absence de famille noire constituée30 rendaient difficile l’assignation en paternité des mâles. Ils étaient des géniteurs mais n’avaient pas le statut de père en l’absence de toute lignée clairement identifiée.

C’est d’ailleurs pourquoi, nos diverses enquêtes ne nous ont pas livré un seul cas où, comme en Afrique, un grand-père (ou un père) posait des devinettes à son petit-fils. C’est toujours exclusivement la grand-mère, et plus rarement la mère, qui tient un tel rôle. On revient donc à la famille matrifocale qui n’existait pas en Afrique et qu’il faut se garder de confondre avec la famille matrilinéaire. Dans cette dernière, le père biologique n’est, en effet, absolument pas absent, même si la figure paternelle est dédoublée (le frère de la mère ou le grand-père partageant l’autorité paternelle avec le père biologique).

En fait, le titim, s’il se présente sous la forme d’un jeu, jeu d’esprit et jeu sur la langue, s’il déclenche souvent l’hilarité de l’assistance lorsque la solution est trouvée, est chargé de significations bien plus profondes. On peut légitimement se demander s’il relève vraiment du jeu, au sens où l’on entend ordinairement ce mot, car contrairement à la plupart des pays du monde, il ne se profère jamais entre enfants31.

Ainsi en pays bambara, Gérard Meyer (1978 : 5) remarque :

C’est tout à fait par hasard que nous ont été révélées les devinettes en Afrique : un soir, alors que se déroulait le grand ruban des contes, des jeunes garçons se mirent à rivaliser entre eux en récitant des devinettes entre deux contes, comme pour interrompre ou barioler le discours de ces derniers. Ainsi, dès l’abord, ce sont les enfants qui se sont montrés les plus connaisseurs et les plus friands de devinettes. Il existe même de véritables soirées-devinettes organisées par des enfants.

La devinette créole, au contraire, est le plus souvent une question posée par un adulte soit à d’autres adultes soit à un (des) enfant (s). D’ailleurs, on voit mal où la classer parmi les 4 catégories universelles de jeu recensées par René Caillois32: l’agòn pour le jeu de compétition, l’alea pour le jeu de hasard, la mimicry pour le jeu de simulacre ou de faire-semblant et l’ilinx pour le jeu comprenant la recherche du vertige. La devinette ne relève pas de l’agòn parce que celui qui la pose et celui qui y répond ne sont pas placés au départ sur un pied d’égalité: au contraire, il y a d’un côté, celui qui sait, qui possède un savoir c’est-à-dire le conteur et de l’autre celui qui ne sait pas ou qui est souvent incapable de répondre. Il s’agit presque là d’une relation de maître à élève. La devinette n’entre pas non plus dans les catégories de l’alea et de l’ilinx. Reste celle de la mimicry où l’on pourrait à la rigueur la placer puisqu’y figure, par exemple, le théâtre. La veillée mortuaire créole, sur bien des points, ressemble, en effet, à un spectacle théâtral c’est à dire à une manifestation où l’on joue sérieusement.

En fait, à notre sens, la devinette créole incarne le processus même d’autochtonisation, de nativisation des Africains en Amérique et dans les Mascareignes dans la mesure où elle s’appuie sur une sorte d’appropriation symbolique de la flore et de la faune du nouveau pays; qu’elle passe en revue différentes pratiques culturales, culinaires ou vestimentaires en usage dans la Plantation; qu’elle tient un discours, que l’on jugera sans doute machiste aujourd’hui, sur les relations homme-femme etc. Le titim force le Nègre a dire le pays, à le nommer, à le décrire et ce faisant, à se l’approprier. Quoi de plus symbolique à cet égard que la devinette suivante relevée par Elsie Clews Parsons (1943 : 387):

  • Je me suis né dans la savanne, créolisé (civilisé) dans la maison ?
    Réponse : Un balai.

Devinette extrêmement parlante à plusieurs niveaux: d’abord parce qu’elle est en français créolisé, ce qui montre que non seulement au départ mais encore pendant fort longtemps au cours de l’histoire antillaise, la cible de l’apprenant nègre a été bien le français; ensuite par que créoliser y signifie civiliser, ce qui renvoie au fait que les bois d’ébène sont passé lentement de l’état de meubles ou de bêtes de somme à celui d’êtres humains à part entière; enfin parce qu’il déclare je me suis né, ce qui entérine l’idée d’une naissance sui generis à l’intérieur du grand trou noir33 de la Traite et de l’esclavage, renvoyant ainsi au néant ces arrière-mondes que sont l’Afrique et l’Europe.

D’autre part, le zedmo/jédimo oblige à réfléchir sur le langage et notamment sur les relations d’hostilité-complicité qu’ont toujours entretenues le français et le créole. Davantage que le conte (qui divertit ou hypnotise), que le proverbe (qui assène une vérité) ou le chant (qui envoûte ou incite à se trémousser), la devinette sollicite la perspicacité, voire l’intelligence. Elle sait ironiser, par exemple, sur la négrophobie qui a longtemps régné au sein du monde créole car il faut se garder de prendre au pied de la lettre les deux titim suivants (d’ailleurs proférés en français ):

  • Quel est l’animal le plus proche de l’homme ?
    Le nègre.
  • Analyser le mot nègre ?
    Nom commun masculin singulier signifie mauvaise race.

Ensuite, elle s’inscrit, comme le conte, dans une conception de la vie et de la mort en rupture avec l’enseignement chrétien. Lancée dans les veillées mortuaires, elle incite à la discussion, au rire, à l’étonnement et écarte la tristesse qui règne autour du défunt. En Guyane, note Sonia Francius (1989 : 31):

Hors de la chambre mortuaire, l’ambiance est toute différente. Des tables et des chaises sont installées pour les contes et les jeux de société. Les hommes jouent à la belote et aux dominos dans un vacarme qui contraste avec la solennité de la salle mortuaire. Les dominos frappent les tables dans une ambiance joyeuse ou passionnée... Les conteurs, essentiellement des hommes, invitent l’assembler à réveiller le récit souvent très long... Les femmes, elles, ont la charge du service. Un repas est offert à tous, qu’ils soient membres de la famille, amis ou étrangers. (souligné par nous)

On n’a pas suffisamment souligné à quel point la mort aux Antilles et en Guyane a longtemps été dédoublée: d’abord prise en charge par ce que certains anciens appelaient lantèman nèg (enterrement nègre), par la veillée où l’on boit, l’on rit, l’on chante, l’on raconte des histoires grivoises, relayant ainsi une conception ouest-africaine dans laquelle la mort n’est pas une tragédie définitive mais un voyage, un passage vers le monde des ancêtres; puis, prise en charge par lantèman krétyen (enterrement chrétien) une fois que le glas sonne, que le cercueil arrive à l’église, que la messe se déroule et que le corps est conduit au cimetière.

La veillée mortuaire, quoique tolérée par l’église catholique, a longtemps été considérée comme une sorte de sacrilège, de bagay vyé nèg/biten a vyé nèg (habitude de mauvais nègres) et n’a été que très rarement pratiquée dans les couches mulâtre et békée. Une fois, les églises protestantes installées, après la seconde guerre mondiale, elle fut même interdite dans les milieux populaires qui adhéraient à celles-ci. La niche écologique du conte et de la devinette commença dès lors à se rétrécir comme une peau de chagrin. Alain Armand et Gérard Chopinet (1983 : 185) en font le constat pour l’île de la Réunion:

Comme pour le conte, les jeux de mots ne peuvent plus compter sur des moments et des lieux d’énonciation privilégiés comme les veillées mortuaires et les veillées familiales.

5. 2. DEVINETTE ET DIVINATION

Dans certaines sociétés d’Afrique de l’Ouest, les devinettes représentaient un substitut à la divination laquelle était interdite à certains moments de l’année (hivernage notamment). On s’adressait donc ainsi aux dieux de manière détournée, faussement ludique, mais l’interrogation fondamentale demeurait la même: Que fait l’homme sur terre? Où va-t-il? La devinette, contrairement à la divination, n’apporte pas des réponses mais des questions et en dévoilant les possibilités analogiques et métaphoriques du langage34, elle se pose comme une sorte de réflexion pré-philosophique (ou para-philosophique). En interrogeant, et donc en inventoriant, la totalité du réel qui entoure l’homme, la devinette amène l’homme à se distancier de celui-ci, à sortir encore plus de l’état de nature pour entrer dans l’état de culture.

Il n’est pas surprenant que les rares fois où le mot créole/créoliser apparaît dans les devinettes, c’est pour signifier, comme nous venons de le voir, le passage du Nègre de l’état de nègre bossale (ou d’eau salée), à celui de nègre des champs (ou nègre-savane), et enfin à celui de nègre de maison (ou nègre créole). La maison ici ne renvoie pas forcément à la grande demeure coloniale du maître Blanc mais au l’interaction permanente entre le Nègre et le Blanc sur la Plantation esclavagiste et à l’apparition d’un nouveau mode de vie, d’une nouvelle culture.

6. CLASSIFICATION ET THEMATIQUE DES TITIM ET DES JEUX DE MOTS

6.1 CLASSIFICATION DES DEVINETTES CREOLES

Le problème de la classification et de la thématique des devinettes renvoie au vieux (et interminable) problème du recueil et de l’analyse des différentes variantes des genres oraux. En général, cette question est traitée en premier lieu par les spécialistes du folklore et les ethnologues et si, pour notre part, nous la plaçons à la fin de notre étude, c’est pour indiquer qu’elle nous parait non pas secondaire mais seconde. L’analyse structurale de l’énigme a, nous semble-t-il, davantage à nous apprendre sur la nature et le fonctionnement de celle-ci que la classification et l’identification thématique, nécessaires elles aussi, répétons-le.

En général, les spécialistes de l’énigme divisent celle-ci en trois catégories fonctionnelles: les énigmes émotionnelles, les énigmes intellectuelles et les énigmes d’information. Les titim/sirandanes obéissent à cette classification universelle comme le montre les exemples ci-contre:

  • Enigmes émotionnelles : elles concernent le sexe, ou plus exactement consistent à évoquer une atmosphère teintée d’érotisme en offrant des images dont le but est de provoquer des réponses sexuelles erronées (E. K. Maranda, 1969 : 11):
    • An ti bolonm épi an ti fanm ka sali an dra? Pòtplim épi lank.
      (Un petit bonhomme et une fille salissent un drap? Le porte-plume et l’encre)
       
    • Qu’est-ce qui est dur et long et quand ça rentre, ça ressort mou avec une goutte d’eau au bout? An bisui chanpay.
      (Un biscuit à champagne)

Jean Bernabé (1982) a pu démontrer de manière convaincante que le noyau du lexique créole était structuré à partir du lexique de la sexualité et nous savons par ailleurs à quel point la domination esclavagiste au sein de l’Habitation était largement fondée sur la domination sexuelle du maître blanc sur la femme noire esclave. On est donc en droit de s’étonner que tant dans les recueils de devinettes créoles que nous avons utilisés ici (E. C. Parsons, 1943; A. Armand et G. Chopinet, 1983 etc.) qu’à travers celles que nous avons recueillies au cours de nos propres enquêtes en Martinique, en Guadeloupe et en Dominique, la part des énigmes émotionnelles soit si réduite. Réduite à la fois par rapport au reste de notre corpus et par rapport à la proportion qu’elles occupent dans des corpus de devinettes appartenant à d’autres cultures. Même dans une culture comme celle des Berbères censée (à cause de l’islam) être plus moralisante ou plus religieuse que la nôtre, on trouve davantage de devinettes à connotation sexuelle.

Faut-il mettre cela au compte de l’auto-censure des collecteurs ou alors de la rétention d’information (peut-être d’un sentiment de pudeur) de la part des informateurs créoles ? Il est certain que la présence au cours des veillées d’enquêteurs étrangers ou même autochtones mais relevant d’un autre milieu socioculturel, comme ce fut notre cas, est de nature à inhiber tant les questionneurs que les répondeurs car la devinette est sans doute l’unique genre de l’oraliture dans lequel il existe une participation aussi active de ces derniers. Le titim/sirandane est cent fois plus interactif, comme on dit aujourd’hui, que le conte, le chant ou la comptine.

  • Enigmes intellectuelles : ce sont les vraies énigmes disent la plupart des spécialistes car elles requièrent normalement un effort intellectuel pour trouver la réponse, quand la mémoire fait défaut (E. K. Maranda; 1969 : 11). Elles constituent la majorité des devinettes du présent recueil et on peut se contenter d’en citer une tout à fait remarquable:
    • Yo ka mété mwen an prizon, sé pa pou sa mwen fè, sé pou sa mwen ni lidé fè? An bal fizi.
      (On m’emprisonne non pour ce que j’ai fait mais pour ce que j’ai l’intention de faire? Une balle de fusil.

A ce propos, il convient de souligner que la résolution des énigmes nécessite, dans les sociétés où l’oraliture est encore vivace, la mobilisation de deux facultés différentes selon que l’on a affaire à des adultes ou à des enfants:

  • La mémoire chez les adultes parce que le corpus des énigmes est relativement fermé en dépit des nombreuses variantes que comporte telle ou telle énigme. Le participant régulier aux veillées mortuaires créoles finit par connaître la réponse à la plupart des titim/sirandanes et n’a plus tellement besoin de réfléchir. En général, les réponses fusent, jaillies davantage de sa mémoire que d’un quelconque effort intellectuel.
  • La réflexion chez les enfants et les adolescents qui se trouvent confrontés pour la (les) première (s) fois aux devinettes. Très significativement, quand un adulte ne trouve pas la réponse à une devinette, il avoue Man pa ka chonjé (Je ne m’en souviens pas) alors que l’enfant a plutôt tendance à répondre Man pa sav (Je ne sais pas).

Mais si les devinettes ont une réelle portée éducative, si elles constituent une sorte de technique de raisonnement, il convient de bien mesurer à quel niveau cette dernière se situe. E. K. Maranda (1969 : 10) note à cet égard:

...il ne faut pas perdre de vue que l’image aussi bien que la réponse y sont codifiées, et que le principal effort intellectuel dans une situation d’énigmes consiste à balayer rapidement les messages codifiés pour découvrir la réponse, plutôt que de faire l’effort intellectuel pour inventer une réponse originale.

  • Enigmes d’information : elles sont appelées devinettes du moine par les spécialistes et exigent une préconnaissance de la réponse. Dans les pays chrétiens et musulmans, elles ont souvent trait aux dogmes religieux. Ici encore, compte tenu de l’extrême religiosité du monde créole et de l’imposition très précoce du christianisme, on est en droit de s’étonner du peu de titim/sirandanes faisant référence au catéchisme ou à la Bible. Certes, la devinette d’ouverture des veillées antillaises est fréquemment Sa Bondyé mété o monn ? (Qu’est-ce que Dieu a mis au monde ?) dont la réponse est Tout chòz (Tout) et un certain nombre de devinettes comportent le mot Bondyé dans leur question mais jamais dans leur réponse.
     
    Or, nous l’avons vu, l’effort de résolution consiste justement à se débarrasser des termes codés de la question (de Dieu donc dans le cas présent) pour trouver la bonne réponse qui elle est tout à fait banale, voire triviale comme le montrent l’exemple ci-contre:
    • Tini on biten Bondyé mété asou latè, lajòl défonsé, prizonyé déwò? Soulyé déchiré.
      (Il y a quelque chose que Dieu a mis sur la terre: prison défoncée, prisonnier qui s’échappe? Souliers déchirés.)

On peut voir, derrière cette dérision, une forme de défiance, voire de rejet du Dieu chrétien auquel les Nègres créoles n ’ont jamais fait totalement allégeance, n’hésitant pas à pratiquer le vodou en Haïti ou à recourir à des pratiques magico-religieuses marquées par l’Afrique comme le quimbois des Petites Antilles et de la Guyane.

6.2. THEMATIQUE DES DEVINETTES CREOLES

Les devinettes créoles se divisent, au plan thématique, en deux catégories: les unes qui abordent des thèmes universels c’est-à-dire présents par toutes les devinettes du monde; les autres des thèmes spécifiques liés à l’univers culturel créole. Le thème concerne plus la réponse (Thème I) à la devinette que la question (Thème II) de celle-ci, même s’il ne faut pas négliger cette dernière.

6.2.1. LES DEVINETTES A THEME UNIVERSEL

Celles-ci évoquent le plus souvent des éléments naturels (le soleil, le ciel, le vent etc.), des animaux ou des insectes (serpent, fourmi etc.) des parties du corps humain (langue, oreille, nez etc.) ou encore des événements ou des pratiques sociales universels (naissance, mariage, mort etc.). Quelqu’un qui à l’habitude de résoudre ce genre d’énigmes dans sa propre culture, n’éprouve, en général, aucune difficulté à y répondre quelque soit la provenance géolinguistique de celles-ci, à condition évidemment que l’énoncé soit traduit dans une langue qu’il comprenne. Pour montrer l’étonnante proximité de cette catégorie de devinettes, comparons un titim martiniquais avec une devinette appartenant une culture avec laquelle la culture créole n’a jamais entretenu aucun lien: la culture berbère.

  • créole : Trois docteurs sont allés voir une femme, l’un d’eux est entré, les deux autres sont restés dehors ?
    La verge et les testicules.
  • bèrbère : L ’invité est entré sans ses bagages ?
    La verge.

On peut aussi comparer la devinette martiniquaise suivante à une devinette bambara avec laquelle les liens historico-culturels sont plus évidents :

  • créole : Un bâton verni est sur le sol, je ne peux pas le ramasser ?
    Le serpent.
  • bambara : Une belle chose est dans la brousse mais on ne la ramasse pas ?
    Le serpent.

La liste des principaux Thèmes 1 qui apparaissent dans les titim sont, par ordre croissant d’apparition :

  • Le giraumon ou citrouille.
  • La noix de coco.
  • Les étoiles.
  • Le ciel.
  • Les outils de couture (aiguille, fil, dé à coudre etc.).
  • Les parties du corps humain (bouche, dents, cheveux etc.)
  • Les fruits etc.

Les principaux Thèmes 2, ceux qui sont contenus dans les questions des devinettes, sont les suivants :

  • La mère.
  • La maison.
  • L’enfant.
  • Le bœuf etc.

6.2.2 LES DEVINETTES A THEME SPECIFIQUE

Un grand nombre de devinettes demeurent toutefois opaques à qui n’appartient pas à la culture d’où proviennent celles-ci et cela, quand bien même l’énoncé est traduit dans la langue de cet étranger. La première raison, c’est qu’elles évoquent des realia inconnus de ce dernier. Ainsi, un Créole ne pourra ni répondre à la devinette berbère suivante (même si elle est traduite en français ou en créole) ni même en comprendre la réponse :

  • berbère : Axdul bla sawl ? Dar ulym.
    (Galette sans farine ? La patte du chameau.)

Le chameau étant un animal inconnu, du moins peu familier, aux gens de culture créole, ils seront incapables de faire le rapport entre le type de gâteau évoqué dans la question et la patte de l’animal qui apparaît dans la réponse. F. Bentolila (1986 : 87) en donne ainsi l’explication :

Axdul désigne une galette de pain cuite, non sur le buyrum (plat en terre cuite) mais directement sur les cendres, ce qui lui donne une consistance plus molle et un aspect bosselé comme le dessous de la patte d’un chameau; sawl désigne la farine dont on saupoudre la galette avant de la cuire.

La liste des principaux thèmes 1 spécifiques est, par ordre d’importance, le suivant :

  • Le moulin (à manioc, à canne etc.)
  • Le bâtiment (canot, barque etc.), creusé dans le tronc d’un arbre appelé gommier.
  • Le kannari ou fait-tout en terre cuite.
  • Le tafia ou rhum de mauvaise qualité etc.

Les thèmes II spécifiques (c’est-à-dire contenus dans les questions des devinettes) sont :

  • Le Nègre (pti nwar, mozanbik, ti nèg etc.)
  • Le tanbour.
  • Le carreau de terre (sorte de jardin créole) etc.

Il est intéressant de remarquer que les devinettes à thèmes spécifiques sont, dans la culture créole, nettement moins nombreux que les devinettes à thèmes universels.

7. TITIM ET SIRANDANE DANS LA LITTERATURE CREOLE D’EXPRESSION FRANCAISE ET LA LITTERATURE CREOLE D’EXPRESSION CREOLE

Nous avons déjà récusé35 ailleurs les différentes désignations attribuées à notre littérature: négro-africaine, afro-antillaise, franco-antillaise, antillaise de langue française etc. Pour nous, la civilisation créole a produit une littérature créole comme elle a produit une architecture créole ou un costume créole. Cette littérature créole s’écrit en deux langues : une langue dominante, le français, et une langue longtemps marginalisée, le créole. Nous parlerons donc de littérature créole d’expression française dans le premier cas et de littérature créole d’expression créole dans le second, exactement comme d’autres parlent, s’agissant du Maghreb, de littérature arabe d’expression française et de littérature arabe d’expression arabe.

7.1 LES DEVINETTES DANS LA LITTERATURE CREOLE D’EXPRESSION FRANCAISE

La littérature antillaise et mascarine de langue française n’a pas fait grand cas de l’oraliture créole (pas avant les années 60 du XXè siècle en tout cas) suivant en cela la voie du modèle qu’elle s’était donné ou qui lui était imposé à savoir la littérature française. Comme on sait, cette dernière a considérablement distendu ses relations, à partir de la Renaissance, avec les genres oraux (fabliaux, contes, pastourelles), préférant se ressourcer dans l’Antiquité gréco-latine, puis, progressivement, en engageant un dialogue permanent avec les autres grandes littératures européennes. Même les textes à vocation littéraire écrits en créole préféraient user de genres européens, le plus prisé étant celui de la fable sur le modèle de La Fontaine.

Si les romans haïtiens et martiniquais surtout (Frédéric Marcellin, Joseph Zobel) de la première moitié du XXè siècle montrent une pénétration conséquente de l’oralité créole dans le texte français, notamment au niveau des dialogues, aucun d’eux ne s’inspire de l’oraliture proprement dite, ni du modèle narratif développé à travers le conte créole. Dans le théâtre césairien lui-même, la présence d’une certaine oralité créole n’est pas négligeable mais là non plus, il n’y a pas de recours direct à la littérature orale.

Il a fallu attendre le milieu des années 60 et l’apparition d’Edouard Glissant pour que cette dernière soit revendiquée comme source de ce que l’auteur de La Lézarde (1965) appelle une poétique du créole. Dans le discontinu du texte glissantien, dans son ressassement, dans sa volonté de subvertir le français en profondeur (et non de le négrifier artificiellement selon le programme que s’étaient donnés les auteurs de la Négritude), on voit poindre un premier bouturage à la fois de l’oralité et de l’oraliture créoles36 sur la littérature antillaise en langue française, bouturage qui sera poursuivi par Simone Schwarz-Bart dans Pluie et vent sur Télumée Miracle (1972), puis approfondi et diversifié à travers les romans d’un Patrick Chamoiseau ou d’un Ernest Pépin une vingtaine d’années plus tard.

Mais Aimé Césaire, à la fin de sa vie littéraire, dans Moi, laminaire (1982) nous réserva une surprise de taille. Lilian Pestre de Almeida l’explique ainsi :

En effet, Césaire l’Africain s’américanise au soir de sa vi : les hommes/créateurs qu’il chante (Fanon, Damas, Asturias, Lam) sont tous des Antillais; la plupart des divinités qu’il invoque sortent des cultes syncrétiques du Nouveau Monde et non pas de l’Afrique, mère ancestral ; ses héros, populaires, sont ceux des contes créoles (l’oiseau magique, Ti-Jean l’Horizon); le paysage qu’il décrit (mangrove, volcan, mornes, cayes, récifs de corail) appartiennent à l’Amérique tropicale en général, aux Caraïbes en particulier, avec sa faune (piranha, couresse, pacarana, malfini, ravet) et sa flore (mangle, drago, mancenillier); c’est enfin dans moi, laminaire... que l’on trouve les poèmes les plus oraux de Césaire, non pas uniquement grâce au travail souterrain de la syntaxe créole, mais encore grâce à l’emploi des formes traditionnelles (conte, comptine, devinette, oriki etc.). (souligné par nous)

Dans son testament littéraire, l’inventeur de la Négritude (avec L. S. Senghor et L-G. Damas) annonce, en fait, l’arrivée de la Créolité, non pas comme dépassement de la première mais comme réalisation du programme qu’elle s’était donné et qui est resté, près d’un quart de siècle durant, lettre morte. La Négritude, en effet, ne pouvait et ne peut se réaliser qu’à travers des cultures concrètes- la wolof, la peule, la kongo ou la créole- et non à travers le fantasme d’un homme noir universel qui n’a jamais existé nulle part, sauf dans l’imagination de certains ethnologues européens, sans doute bien intentionnés mais qui auraient rejeté, dans le même temps avec horreur, l’idée d’un homme blanc universel si jamais on la leur avait proposée. La Négritude antillaise c’est donc purement et simplement la Créolité assumée au jour le jour, à travers tous les éléments et toutes les pratiques culturelles créoles. Et c’est de la difficulté de cette assomption qu’évoque ce poème-devinette de moi, laminaire... :

ça, le creux
ça ne se meuble pas
   c’est creux
ça ne s’arrache pas
   ce n’est pas une fleur
ça s’effilocherait plutòt
   étoupe pour étouffer les cris
   (s’avachissant ferme)
ça se traverse
   - pas forcément à toute vitesse-
   tunnel
ça se gravit aussi en montagne
   glu
   le plus souvent ça se rampe

Titim ? semble nous lancer au visage Césaire, même s’il n’emploie pas ce vocable. Qui est (ou quel est) ce ça ressassé tout au long du poème, comme dédaigneusement nommé mais qui est, en fait, le masque d’une affection furieuse. Bwa-sèk! La Créolité! Au soir de sa vie, le vieux lion la nomme enfin, sous la forme d’une énigme certes, se montrant encore réticent à l’assumer pleinement, exhibant une fois de plus combien il mal à elle mais enfin, il la nomme! Césaire est d’une génération qui ne pouvait endosser l’identité-mangrove, meuble, imprévisible, chaotique, maëlstromique, bâtarde qu’est la Créolité mais il sait reconnaître que c’est là le passage obligé vers ce qu’il nomme lui-même à la fois le tunnel et la montagne. Assumer en chaque Créole le bas et le haut, l’obscur et le clair, le Nègre et le Blanc. Tel est ce ça que, par delà Freud, par delà le Bien et le Mal, la Créolité s’efforce, difficultueusement, d’offrir comme alternative à un monde menacé par un nouveau et plus terrifiant règne de l’Un, celui de la mondialisation.

En Haïti, toute l’œuvre de Jacques Roumain est baignée par la culture orale de son peuple. S’agissant des devinettes, on trouve dans Gouverneurs de la rosée (1948) un très beau passage dans lequel nous est présentée une séance de devinettes: il s’agit de la veillée mortuaire du héros du roman, Manuel :

Il faut faire passer le temps dans les veillées. Les cartes, les cantiques, et le clairin ne suffisent pas. La nuit est longue. Près de la cuisine, Antoine, une tasse de café en main, pose des devinettes.Ce sont surtout les jeunes qui l’entourent... Antoine commence :

  • En entrant dans la maison, toutes les femmes enlèvent leurs robes?
    Les autres cherchent. Ils se creusent l’imagination. Ah, bah, ils ne trouvent pas.
  • Qu’est-ce que c’est, demande Anselme.
  • - Les goélettes carguent leurs voiles en entrant au port, explique Antoine.

Quant à Edouard Glissant, qui a fait de toute son œuvre une vaste quête d’une écriture créole, on peut trouver dans La case du commandeur (1981) une manière de titim non résolu par les protagonistes de l’œuvre à cause du gommage de la mémoire antillaise :

Et peut-être que nous portons en nous ce cataclysme du premier jour et que nous crions sans savoir : Odono ! Odono ! - jusqu’à ce qu’un seul (ou tous portés en pointe dans la cervelle dilatée d’un seul) arrête de crier, se concentre sur son corps et commence d’épeler la lettre de ce premier jour et de son cri ravagé. Alors viennent ceux qui veulent tout compter sur leurs doigts, qui n’acceptent pas cet épellement et qui même concluent que le mot déchiffré là ne peut rien avoir à faire avec leur tourment (si même ils savent ou devinent qu’ils sont debout dans un tourment). (P. 28-29)

Ce terme mystérieux d’Odono ! Odono ! devient comme le lancinement d’une l’Afrique volontairement oubliée mais qui se perpétue de génération en génération comme pour maintenir vivante la question non résolue des origines qui agite les sociétés créoles.

7.2 LES DEVINETTES DANS LA LITTERATURE CREOLE D’EXPRESSION CREOLE

Il est somme toute naturel que notre littérature créolophone se soit davantage branchée sur l’oraliture - et singulièrement les devinettes - que sa consœur francophone. En effet, en utilisant la même langue que celle de l’oraliture, notre littérature créolophone commence à combler ce fossé, cette béance qu’E. Glissant (1981) diagnostiquait entre notre littérature écrite en français et notre littérature orale proférée en créole.

Mieux, le recours à l’oralité et à l’oraliture est plus facile pour la branche créolophone de notre littérature que pour sa branche francophone à cause de cette continuité linguistique que nous venons d’évoquer. Pourtant, il faut remarquer que les tout premiers littérateurs créolophones, tous Blancs créoles ou assimilés (De la Mahautière à Saint-Domingue en 1754, Marbot en Martinique en 1844 ou Baudot en Guadeloupe en 1860) ont, tout comme ceux qui écrivaient en français, totalement ignoré notre oraliture. Ils rédigeaient de laborieux sonnets ronsardiens ou travestissaient des fables de La Fontaine en créole car leurs modèles d’écriture se trouvaient dans la littérature française et nulle part ailleurs.

Le tout premier à tenter une rupture avec un tel positionnement scriptural sera le Guyanais Alfred Parépou, auteur du premier roman en créole, Atipa, en 1885. Non seulement il s’efforcera de revaloriser l’image de la langue et de la culture créoles de son pays mais aura, en maints endroits de son texte, recours à des chansons populaires, à des dolo (proverbes), à des contes et, ce qui nous intéresse ici, à des devinettes. En voici un extrait significatif, dans la graphie de Parépou :

  • Massac-massac ? Cam !
    Pitit coulant, enbas pont ? Langue.
    Mo ici, mo là-bas ? Lai.
    Guiòle en guiòle ? Chen ké chougyè. etc...

Toutefois, le recours à l’oraliture créole s’effectue uniquement dans le cadre de la citation chez Parépou. Jamais, il ne s’en inspire pour tenter de modeler sa propre écriture ou pour en créer une qui soit propre à cette culture qu’il vénère tant. Son roman, qui n’en est pas vraiment un au sens occidental du terme, est une suite de dialogues entre le héros, Atipa, et divers amis qu’il entraîne à tour de rôle dans des bars de Cayenne.

Il a fallu donc attendre la deuxième moitié du XXè siècle, à la suite de ce qu’on peut appeler une véritable révolution créolisante, pour que les auteurs créolophones fassent un usage vraiment littéraire de l’oraliture. Les précurseurs en seront les poètes guadeloupéens Sony Rupaire dans Gran parad ti kou baton (1971) et Hector Poullet dans Pawòl an bouch (1982). Sony Rupaire intitule d’ailleurs l’un des textes de son recueil Tim-tim Bwasèk et il nous livre six devinettes sans que le lecteur moyen d’aujourd’hui, peu familier de ce genre oral, sache très bien si le poète reprend une partie du corpus oral réellement existant ou si, au contraire, il nous livre des créations personnelles. Il est vrai que l’illusion est complète tant Rupaire réutilise à merveille les procédés de chiffrage de l’énigme comme le montre l’exemple suivant :

  • Dépi jou wouvè lanm a janbèt sansès ka rantré é sòti ?
    Réponse : Zanndoli.

Ce lanm a janbèt ou lame de couteau représente de manière analogique la langue effilée du lézard antillais sans cesse à l’affût d’insectes et faisant jaillir celle-ci à tout instant pour tenter de s’emparer d’eux. L’illusion est complétée par les référents auxquels renvoient les réponses à ces neuf titim: l’anolis, le pou de bois, le lambi, le mensfenil, le crabe, le galet, le mancenillier, l’herbe-Guinée et l’herbe-à-marie-honte. Dans les devinettes traditionnelles également, le référent naturel (notamment la faune), est abondamment sollicité. Mais là où intervient la manipulation proprement artistique du titim, c’est lorsque Rupaire fait suivre la réponse à chacun d’eux d’une sorte de déclamation imprimée en lettres capitales italiques

  • JOU NOU KE METE AJOUNOU POKO VWE JOU !
    (Le jour où nous agenouillerons n’est pas encore venu !)

Ce slogan moderne (créé par les mouvements nationalistes guadeloupéens au début des années 70), directement branché sur le politique, a pour effet de dés-archaiser la devinette, de la réinsérer dans la quotidienneté d’un peuple en lutte pour son émancipation comme disaient à l’époque ces mêmes mouvements. Le passé créole et le présent se trouvent donc reliés par l’interaction entre le titim et le slogan politique, d’autant que l’illusion passée, on se rend compte que ces devinettes ne sont pas une simple reprise de l’oraliture mais des inventions fort poétiques de Sony Rupaire. Le texte oral est donc chez lui repris, remodelé par le texte écrit, chose qui donne au titim une nouvelle vigueur. Par exemple :

  • Dè siren a genbo a siren a pipirit
    san pèd tan i ka fouyé trap ?
    Réponse : Krab.

L’expression dè siren a genbo a siren a pipirit (de la rosée du crépuscule à la rosée de l’aube), expression inédite, non idiomatique, née de l’imagination poétique de Rupaire, greffe, et cela pour la première fois peut-être dans l’histoire de l’écrit créolophone, l’oralité sur l’écriture. Empruntèrent la même voie, les poètes Hector Poullet de la Guadeloupe et Monchoachi de la Martinique. Ce dernier, dans son recueil Bèl Bèl Zobèl (1980), a deux textes intitulés, l’un Titim, l’autre Bwa-sèk, qui s’inspirent étroitement des devinettes traditionnelles en les poétisant :

  • Chabin pitjant ren maré, tèt kalanndé ?
    Djèp.

Mais une fois de plus, le titim est habilement détourné pour faire passer un message politique révolutionnaire. L’illusion est parfaite tellement le poète parvient à couler son dire dans le moule stylistique de la tradition:

  • Dépi jou wouvè jik tan solèy kouché
    kouto a dé lanm ka raché kò travayè ?

    (Du lever du jour au coucher du soleil
    des traîtres exploitent férocement les travailleurs ?)
    Fèy kann. (feuilles de canne)

En Haïti, on trouve dans le recueil Konbèlann (1976) de Georges Castéra-fils des textes qui s’inspirent de la devinette et à propos desquels Georges-Henri Léotin (1994 : 29) écrit :

La forme originale (faisant songer aux haïku japonais, courts poèmes concis mais précis), le contenu philosophique et politique souvent, rappelle certains poèmes-tim-tim de Bèl Bèl Zobèl.

L’originalité de Castéra réside dans le fait que le titim est inversé. La réponse est le titre du poème tandis que la question est le poème lui-même comme dans le cas suivant :

  • LALIN
    Oun michan kout zong
    solèy kité lan do lannuit ?

    (LA LUNE
    Un méchant coup d’ongle
    que le soleil a infligé au dos de la lune)

En Martinique, Térèz Léotin, dans son recueil An ti zyédou kozé (1986), intitule un de ses poèmes titim et là, nous avons droit à une longue et énigmatique question sans réponse ou plutôt dont la réponse est laissée à la perspicacité du lecteur :

  • Titim
    titim...
    I ka ralé kalpat
    I ka tété manman
    Lonbrik poko koupé
    Lèspwa’y sé latjé krapolad
    …Brasèk
    Chèché sizo
    Lèspwa’y ké latjé zanndoli
    (titim...Il marche à quatre pattes, il tête sa mère, son cordon ombical n’est pas encore coupé, son espoir est de la taille d’une queue de crapaud...Bois sec, chercher des ciseaux, son espoir sera aussi longue que la queue du lézard).

Enfin, le poète guadeloupéen Max Rippon dans Agouba (1993) s’exerce à un talentueux (et presqu’intraduisible) jédmo:

  • JEDMO
    Frè ou ja pran fè
    ou pran fè
    jistan fè
    félé fèlè a’w
    fwè ou ja pwan fè...

Il est impossible, du fait de la véritable explosion de l’écrit en langue créole depuis vingt ans, d’établir un panorama exhaustif de tous les textes qui, en Haïti en particulier, prennent en charge l’oraliture et s’inspirent en particulier de la devinette créole: La ronde des fourmis folles (1985) d’Elyse Telchid pour la Guadeloupe; Papyé kréyòl (1990) de Dominique Batraville et Zile nou (1995) de Michel-Ange Hyppolite pour Haïti; An tjè ka palé...Kouté! (1991) de Jala, Chiktay pawòl (1994) de Daniel Boukman et Kapistrèl de Serge Restog (1995) pour la Martinique; Solèy do fé (1990) de Jean-François Sam-Long, Kot sa parole là ? Ròde parole (1995) de Khal et Romans pou la tèr ek la mer (1995) de Carpanin Marimoutou pour la Réunion, entre autres. Simplement, on peut prédire que si le titim n’a plus d’avenir à l’oral, il continuera à avoir de beaux jours devant lui grâce à l’écrit créolophone.

CONCLUSION

Qu’est-ce qui, en fin de compte, fait l’originalité des devinettes-énigmes créoles ? Deux phénomènes liés entre eux à notre avis:

1. Le fait qu’elles fonctionnent très souvent à l’intersection des deux langues (créole et français) et des quatre niveaux lectaux (créole basilectal/créole francisé vs. français standard/français créolisé) qui structurent la diglossie en pays créole. Le titim est un révélateur, au sens chimique du terme, de la diglossie. Nulle part, dans aucune autre culture au monde, ni dans les devinettes finnoises ni dans les devinettes bambaras (ou berbères ou encore françaises), on ne retrouve semblable phénomène de frottement linguistique. C’est pourquoi la question de nombreux titim est en créole tandis que la réponse est en français ou bien l’inverse comme dans :

  • Mwen ka manjé blan, déchè mwen nwè ?
    (Je mange blanc, mes déchets sont noirs ?)
    Excrément de cochon.
  • Qu’est-ce qu’un homme donne à sa femme qui est très contente et que la vache ne voudrait jamais ?
    An chenn. (Une chaîne)

2. Le fait que les devinettes créoles soient littéralement obsédées par l’écrit et là, nous retrouvons une autre intuition d’Edouard Glissant (1981: 240) quand il écrit que :

...la langue créole ...comporte le français, c’est-à-dire le lancinement de l’écrit comme transcendance interne.

Cette intuition est partiellement erronée dans la mesure où il ne nous semble pas que le rapport qu’établit Glissant entre la transcendance interne c’est-à-dire la présence constitutive du français à l’intérieur du créole d’une part, transcendance bien réelle, et le lancinement de l’écrit de l’autre, soit justifié. En effet, ce qui donne en partie naissance au créole (au contact du caraïbe et des langues africaines), dans la première moitié du XVIIè siècle, ce n’est pas le français standard (et donc écrit) que nous connaissons aujourd’hui mais un ensemble de parlures dialectales (normand, poitevin, picard etc.) qui étaient des parlers essentiellement populaires (et donc oraux), parlures parmi lesquelles le francien ou dialecte de l’Ile-de-France commençait à peine à se positionner comme idiome dominant. Jacques Coursil (1996 : pré-publication) note à cet égard :

Un siècle à peine sépare la naissance du créole de celle du français comme langue de pensée, ce qui est peu à l’échelle des langues. A cette époque de chocs des mondes, les Français patoisent beaucoup et partout, néanmoins leur langue est là désormais.

Il existe pourtant bel et bien un lancinement de l’écrit, une obsession de la référence à l’écrit à l’intérieur des devinettes créoles que l’on ne retrouve évidemment pas dans les devinettes des pays à culture essentiellement orale (Afrique, Océanie etc.) mais, chose étonnante, pas non plus dans celles des pays de vieille culture écrite. Citons entre autres :

  • An kriyé lé 26 lèt dè lalfabé é i nis sis ki pa vini. Poukwa ?
    (J’ai appelé les 26 lettres de l’alphabet et il y en a six qui ne sont pas venues. Pourquoi ?)
    I té okipé (I-T-E-O-K-P).
  • Ki gwo lèt ki nan lalfabé ya fi yo pa renmen n ?
    (Quelle est la grosse lettre de l’alphabet que les filles n’aiment pas ?)
    Lagwosès. (La grosse S)
  • Quelles sont les trois lettres de l’alphabet qui rend l’oiseau très malheureux ?
    L. K. C. (Aile cassée)
  • Quelles sont les trois lettres que la femme emploie en faisant sa toilette ?
    Q. B. C. (Cul baissé)

L’erreur de Glissant est de penser que ce lancinement de l’écrit qu’il repère est constitutif de la formation de la langue créole (1625-1670-80). A notre sens, ce lancinement apparaît bien plus tard, et non pas tant dans la langue proprement dite que dans l’oraliture créole laquelle se forme au XVIIIè siècle, au moment où la cohabitation Blanc/Noir des premiers temps a disparu depuis des lustres et où les Béké se réinvestissent dans une langue française en voie de normalisation en France. L’esclave noir va désirer l’écriture qu’il perçoit comme un instrument de domination de la part des maîtres mais en même temps comme un instrument potentiel de libération pour lui. L’exemple le plus magnifique de ce désir est la fameuse harangue de Jean-Jacques Dessalines, chef de la révolution des Noirs de Saint-Domingue, créolophone unilingue et donc illettré :

Pour dresser l’acte d’indépendance, il nous faut la peau d’un Blanc pour parchemin, son crâne pour écritoire, son sang pour encre et une baïonnette pour plume.

On signalera pour mémoire l’existence de devinettes graphiées, relevées uniquement par Elsie Clews Parsons, dont nous donnons deux exemples dans notre recueil. La question est constituée d’une combinaison de mots et de graphismes et ne peut être, de ce fait, complètement orale. On peut penser, que tout comme les devinettes faisant appel à la connaissance de l’alphabet, elles furent l’œuvre, récente (fin XIXè-début XXè siècle), à notre avis, de personnes appartenant à cette petite fraction de la population noire qui commençait à accéder à l’école.

Enfin, ce bref parcours de la devinette créole aurait pu aussi s’intituler De l’énigme du Sphinx au titim-bwa-sèk tant les liens multiples, tantôt étroits tantôt distendus, tantôt carrément brisés, qui unissent celle-ci aux plus anciennes traditions africaines - et donc à l’Egypte pharaonique - sautent aux yeux de l’observateur le moins averti. La culture créole ne surgit pas ex nihilo, comme par miracle, du grand trou noir de la Traite et de l’Esclavage. Les Africains, qui vinrent de l’autre còté de la Mer des Ténèbres, étaient certes des migrants nus qui ne purent emporter avec eux ni statuette ni instrument aratoire ou culinaire ni objet de culte mais ils surent les ré-inventer, se réinventant du même coup, en faisant appel à la mémoire, cette faculté de l’esprit que nul n’a jamais réussi à enchaîner. Obscurément, il y a dans la culture créole, à côté/avec/dans les traditions amérindiennes et européennes qui l’ont constituée, le formidable pouvoir du Verbe négro-africain.

Devenant créole, l’Antillais ou l’Océanindien a été longtemps sommé d’oublier la part d’Afrique qu’il porte en lui mais, ineffaçable, celle-ci resurgit partout, dans les bœufs rouges du Mardi-gras, dans le cordon ombilical du nouveau-né que l’on enterre au pied de l’arbre vénérable, dans le respect quasi filial voué au frère de la mère (l’oncle maternel), dans la croyance aux soukougnan, dans le jeu de wari, dans le lancinement du tambour bèlè ou gwo-ka, dans les feintes de ce combat dansé qu’est le ladja.

Dans le titim bwa-sèk...

Alain Anselin (1992 : 51), anthropologue antillais, pose, retrouvant la malice du conteur créole, la devinette suivante :

  • Il y a cinq cent ans, j’ai découvert Christophe Colomb.
    Nous y étions avant Colomb.
    Nous nous serions bien passés d’y venir après.
    Qui sommes nous ?

Vous l’aurez compris y répond l’auteur, les Deux Mondes qui se rencontrent dans ma devinette ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux qui se rencontrent dans la commémoration37 et vous aurez répondu sans hésiter :

  • L’Amérique.
    Les Amérindiens.
    Les Africains.
    Les Caribéens modernes.

BIBLIOGRAPHIE

ANSELIN, Alain,

  • 1992, Samba, Editions de l’Unirag, 200 p.
  • 1992, Le Discours caboclo - L’Amérique et l’Afrique sans Christophe Colomb, in revue Tyénaba N° 2, pp. 51-70.

ARMAND, Alain et CHOPINET, Gérard,

  • 1983 - La littérature réunionnaise d’expression créole ((1828-1982), L’Harmattan, 439 p.

ARON, Thomas,

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