La tribune des Antilles

Magazine d'information
n°46 janvier-février 2006

La tribune des Antilles

 

Edito

Incontestablement, l’année 2005 aura été marquée par le charisme et l’émergence sur la scène internationale d’un chef d’Etat hors du commun: Hugo Chavez.

Entre son plébiscite et son ovation par 40'000 participants en Janvier au Forum Social de Porto Alègre (Brésil) où il invita le mouvement altermondialiste à construire le «socialisme du XXIe siècle» et la razzia de ses partisans aux élections législatives du 4 décembre dernier, le président vénézuélien aligne les succès électoraux et, tout au long de cette année 2005, aura marqué des points sur le plan diplomatique.

Ses nombreuses interventions à l’étranger, que ce soit au Sommet des Amériques à Mar del Plata (Argentine) où il s’opposa au projet de recolonisation économique du continent, la ZLEA (Zone de Libre Echange des Amériques), défiant directement les Etats-Unis, son intervention à la tribune de l’ONU (New York) où il suggéra le transfert du siège hors des Etats Unis, son implication personnelle pour l’adhésion du Venezuela au Mercosud en compagnie du Brésil, de l’Argentine et de l’Uruguay, ses nombreuses visites officielles en Chine, en Inde, en Europe notamment en France, tous témoignent d’une sérénité retrouvée après le coup d’Etat dont il fut victime le 12 avril 2002 mais aussi d’une volonté manifeste de peser sur les grandes décisions internationales.

Jamais, depuis Simon Bolivar (1783 – 1830), el "Libertador", un chef d’Etat vénézuelien n’avait connu une telle popularité. Depuis son élection en 1998, ses prises de position en faveur du socialisme et son soutien à Fidel Castro viennent troubler l’ordre établi sur le continent américain, à tel point que, pour la Maison Blanche, Hugo Chavez représente une véritable menace pour les Etats Unis. Mais, Hugo Chavez, lui même ancien putschiste, emprisonné en 1992, en a vu d’autres. A seulement 51 ans, Chavez a derrière lui une longue carrière militaire, depuis ses débuts à l’Académie militaire du Venezuela qu’il quitta avec le diplôme des Sciences et Arts Militaires. Diplômé de sciences politiques, il sait manier aussi bien le verbe que l’arme du pétrole.

Le pétrole! Sa véritable force. Pendant que les Emirats Arabes et les cheiks sombrent dans l’opulence, l’enrichissement personnel et la gabegie, Hugo Chavez a fait du pétrole un instrument de politique intérieure et une arme diplomatique.

Hugo CHAVEZ

Personnalité de l’année

2005

 

Grâce aux réserves pétrolières du Venezuela, estimé au 5° rang mondial, il finance sa politique sociale au grand bonheur du peuple jusqu’ici écarté des retombées économiques par les compagnies pétrolières: Réforme agraire, réseau de distribution à bas prix des productions agricoles, système de microcrédits d’initiative publique pour les petites entreprises, programme d’alphabétisation de plus de 1'250'000 vénézueliens et grâce à l’aide de 20'000 médecins cubains, son Barrio Andentro, un programme de santé gratuite à l’intérieur des quartiers défavorisés.

La Caraïbe n’a pas été oubliée puisque le 29 juin 2005, alors que le prix de pétrole culmine à plus de 60 dollars le baril, Hugo Chavez signe un contrat entre le Venezuela et 13 autres pays des Caraïbes (Petrocaribe). Paiement différé à 2 ans, 1% d’intérêt. De quoi soulager la facture énergétique des pays de la Caraïbe.

Autant d’initiatives concrètes qui valent au Président Hugo Chavez, après sa visite en Martinique (24 août) – en solidarité avec le peuple martiniquais et les parents des victimes du crash du 16 août à Machiques – d’être élu par notre rédaction, personnalité de l’année 2005.

Edito Louis Boutrin

Chavez
Crabe

Au fil des livres

par Raphaël Confiant

La production antillaise se porte toujours bien en dépit de la disparition d’éditeurs locaux (Désormeaux) ou des graves difficultés qu’ils rencontrent (Ibis Rouge) sur un marché particulièrement difficile où les médias font une part plus que médiocre au livre, sauf en septembre- octobre, période dite de la rentrée littéraire.

C’est pourquoi il faut saluer la renaissance des éditions L’Autre Mer du dynamique Eddy Cocody qui après nous avoir gratifiés de quelques beaux ouvrages, avaient disparu du paysage culturel. Leur retour s’effectue avec un ouvrage inattendu, une sorte d’autobiographie-confession, de Pierre Samot, le maire du Lamentin, ouvrage intitulé «An Neg sé an siek». Le «poseur de briques», comme il se définit lui-même, s’est donc pour l’occasion fait «manieur de plume» et c’est pour notre plus grand bonheur.

Tant de franchise et de modestie sont rares chez un homme parti de rien et qui est parvenu au sommet. Pierre Samot commence par un chapitre-choc dont le titre «Au 118», évoque le numéro de la rue Victor Sévère où se trouvait l’ancienne prison de Fort-de-France, lieu où il fut incarcéré suite à une dénonciation d’un de ses collaborateurs qui l’accusait de corruption. La justice a finalement tranché: l’un, Samot, a retrouvé l’intégralité de ses droits et sa dignité; l’autre a passé quelques mois dans une cellule V.I.P. de l’Hexagone. L’affaire est donc entendue mais elle a laissé une blessure inguérissable au cœur d’un homme qui, enfant, connut la faim et la misère, qui devenu adulte, dut se battre pour monter son entreprise et qui élu politique, fit l’objet de quolibets de ses collègues «mulâtres» de gauche. Mais l’auteur évoque aussi ses parties de football, son appétit pour les chabines aux seins galbés, son expérience de travailleur immigré à Paris, sa vision d’une Martinique enfin rattachée au grand élan caribéen. etc…Cela dans un livre qui bouscule la chronologie et dont la fraîcheur du style surprend et nous change de la langue de bois pompeuse des politiciens locaux. A lire sans tarder!
Les indes Autre ouvrage surprenant, la traduction en créole que fait Rodolfe Etienne, journaliste de talent dans «France-Antilles», d’un texte particulièrement ardu d’Edouard Glissant, «Les Indes». Le créole a donc fait du chemin depuis trente ans, messieurs et dames! Il est maintenant pris en compte par les éditeurs parisiens – dans le cas présent «Le Serpent à plumes» – alors même que certaines âmes bien nées de chez nous continuent imperturbablement à trousser le nez sur lui. Finie, fort heureusement, l’époque où nous devions, nous autres, auteurs créolophones, nous éditer à compte d’auteur! Mais Rodolfe Etienne s’est attaqué à rude partie: «Les Indes» sont une épopée, une sorte de «chant général», qui entend répondre à «Anabase» de Saint- John Perse. Ce dernier, bien que né en Guadeloupe et très sensible à la culture créole dans ses premiers écrits, a fini par devenir le chantre de l’Occident conquérant. Glissant, se plaçant à la même hauteur poétique que lui, prend son contre-pied et cela donne ce texte magnifique mais difficile, «Les Indes». Avec courage, Rodolfe Etienne s’est employé à grimper ce morne, usant d’un langue, le créole, qui n’est pas encore parvenue à la souveraineté scripturale, mais que des expériences comme celles-là aident justement à progresser.
Il y a du très bon, du moyen et du pas bon dans cette traduction. Le talent d’Etienne, indéniable, n’est pas en cause. Glissant sait manier l’opacité et n’entre pas dans son œuvre qui veut. On trouvera côte à côte, page après page, le texte glissantien et la traduction d’Etienne, ce qui permet au lecteur d’aller de l’un à l’autre et de mesurer le formidable travail opéré par ce jeune traducteur auquel on ne peut souhaiter que bonne continuation. Il ne peut que se bonifier en chemin.
Fleur de Barbarie

Gisèle Pineau, dont «La grande drive des esprits» (déjà chez «Le Serpent à Plumes») avait marqué les esprits, il y a une dizaine d’années et qui avait alors fait une entrée fracassante dans la littérature francophone antillaise, nous revient, après plusieurs romans très maîtrisés, dont le superbe «L’Espérance-macadam», avec «Fleur de barbarie». Un palier semble franchi dans son écriture avec ce texte qui raconte, de manière alternée, l’enfance d’une jeune antillaise placée chez des fermiers français des bords de la Loire et son retour au pays natal, à Marie-Galante, chez sa terrible et aimante grand-mère.

On y découvre une facette inconnue de l’identité antillaise, celle des «Négropolitains» de la première génération c’est-à-dire ceux qui ont encore un pied aux Antilles tandis que l’autre est bien ensouchée en terre gauloise. S’agit-il d’une manière d’autobiographie? «Fleur de barbarie» se présente en tout cas comme un vrai roman et l’on se délectera des relations entre la jeune fille et cette écrivaine guadeloupéenne, dont les ouvrages sont célébrés partout à travers le monde, qui lui sert à la fois de modèle et de repoussoir. Gisèle Pineau est l’un des rares auteurs antillais à savoir explorer la psychologie de ses personnages sans que cela sonne faux ou fabriqué.

Sans doute parce qu’elle bénéficie d’un double ancrage identitaire et qu’elle est moins sensible que ses collègues «natif-natal» à la nécessité d’évoquer une collectivité et son histoire. A la grande histoire, elle préfère la petite et cela produit, final de compte, de la très belle littérature. L’auteur nous a avoué avoir écrit ce livre à une époque où les médecins croyaient qu’elle allait perdre la vue. Elle y a donc mis toute son âme, persuadée qu’il s’agirait du dernier livre qu’elle écrirait, elle qui n’a pas encore cinquante ans. Aujourd’hui, tout est rentré dans l’ordre. Une erreur médicale nous a permis d’avoir un texte magnifique (publié chez Mercure de France). Un bien pour un mal en quelque sorte, comme on dit chez nous.
Archipels littéraires La littérature francophone a depuis longtemps dépassé les limites de la francophonie. L’Italie (avec l’Allemagne) fait partie de ces pays où elle est abondamment traduite, lue par le grand public et commentée dans les universités. Paola Ghinelli est la traductrice italienne de Patrick Chamoiseau. C’est à elle que l’on doit «Le vieil homme esclave et le molosse» dans la langue de Dante. Elle nous offre, avec «Archipels littéraires», publié chez l’éditeur haïtien installé à Montréal, Rodney Saint-Eloi, un recueil d’interviews avec 9 écrivains de chez nous: Chamoiseau, Condé, Confiant, Brival, Maximin, Laferrière, Dalembert et Agnant. On regrettera l’absence d’Ernest Pépin dont le «Tambour-babel» est l’un des grands romans antillais de la fin du XXè siècle. On ne s’ennuie pas avec Paola Ghinelli. Elle sait poser les questions dérangeantes, décapantes même, et pousser les auteurs dans leurs derniers retranchements. Sans compter qu’elle est dotée d’une solide culture littéraire antillaise puisqu’elle soutiendra très bientôt sa thèse de doctorat sur notre littérature à l’université de Bologne, la plus ancienne et la plus prestigieuse université de la Péninsule. «Archipels littéraires» est un régal pour le lecteur moyen et une mine pour le chercheur. Grazie molto, cara signora Ghinelli!
Rose de Wégastrie

On a longtemps dit que la littérature martiniquaise était masculino-centrée alors que son alter ego guadeloupéen était féminino-centrée. D’un côté Césaire, Fanon, Glissant ou Chamoiseau, de l’autre Schwartz-Bart, Condé, Manicom ou Pineau. La très jeune Nadia Chonville (16 ans!) vient contredire cette idée reçue. Avec «Rose de Wegastrie», elle nous donne un texte surprenant de maturité, tant au niveau du style que de la construction du récit. D’aucuns feront la fine bouche en disant que Chonville a un imaginaire bien peu antillais, mais c’est ignorer que notre jeunesse n’a pas connu la société d’habitation, qu’elle est désormais branchée sur le vaste monde grâce à la télévision, à l’Internet et aux voyages plus faciles qu’il y a trente ans.

C’est oublier que le créole, dans cette génération, est devenue la deuxième langue maternelle, la première étant occupée par le français. Et puis n’avons-nous pas passé notre temps à appeler de nos vœux l’émergence dans nos pays d’une vraie littérature c’est-àdire d’une littérature débarrassée de la contrainte d’évoquer le pays justement.

Tous les ouvrages de Lucien Bodard se passent en Chine ou tous ceux de Christian Jacq dans l’Egypte antique et pourtant Bodard et Jacq sont considérés sans discussion possible comme des auteurs français. Donc Nadia Chonville peut fort bien situer son roman dans l’Espagne du Moyen-âge (comme Mike Fédée avait situé le sien dans le Los Angeles d’aujourd’hui) sans cesser d’être pour autant un (prometteur) écrivain antillais. Le seul problème – et c’est là un très gros problème – c’est que ces jeunes auteurs, coupés de l’imaginaire antillais, sont directement confrontés à la concurrence mondiale. Ils jouent d’emblée dans la cour de leurs collègues américains, chinois, coréens, européens et là c’est une toute autre histoire. Je veux dire par là que rien ne leur sera pardonné. L’indulgence dont fait preuve la critique à l’endroit d’un texte régionalo-centré (antillais ou autre) disparaît quand on a affaire à un texte « mondialisé». Chonville, Fédée et les autres doivent en avoir pleinement conscience. Bravo tout de même pour «Rose de Wégastrie»!

Pour terminer, je signale un très intéressant petit essai, «Plaidoyer pour un monde métis», écrit par Alexis Nouss, professeur à l’Université de Montréal, aux éditions Textuel (Paris). La notion de métissage a longtemps été mise à l’index par nos penseurs antillais, marquée qu’elle était au coin de l’aventure coloniale européenne. A son côté par trop biologisant, nous avons préféré des notions à l’aspect plus culturaliste tels que multiculturalisme, créolité, diversalité ou créolisation. De plus, récupérée par la publicité capitaliste (cf. Benetton), la notion de métissage a fini par être galvaudée. Alexi Nouss la rétablit donc dans sa dignité dans un texte d’une rigueur analytique qui interdit tout survol. Il faut le lire ligne après ligne, crayon en main, le méditer, le digérer avant de se rendre compte de sa puissance subversive. Dans un monde où les identités se braquent de plus en plus violemment les unes contre les autres, «Plaidoyer pour un monde métis» apparaît comme une véritable bouffée d’oxygène.

Raphaël Confiant

Crabe

Sérémoni a zendien
aka sé Kréyol-la

par Madjanie LEPRIX

à lire ici
Seremoni
Neg kréyol ka fè sérémoni a Zendien an Gwadloup.

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