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«Conflit d’intérêts»
Entre deux mondes imaginaires

"Histoire d'Adèle H" selon le cinéaste François Truffaut
Vs
le roman de Raphaël Confiant : Adèle et la pacotilleuse

Par Marie Flore Domond

Raphaël Confiant
Raphaël Confiant
Un des gardiens de la littérature martiniquaise
Invité d’honneur du 28ième
Salon du livre de Montréal 2005

Quinze heures de vol avant d’atterrir à Montréal, et un peu sonné par le décalage horaire. Pourtant, l’auteur résiste à la langue de bois. La journée d’ouverture du Salon, l’auteur Raphaël Confiant était invité à l’émission Désautels de Radio-Canada animé par Michel Désautels où il en a profité pour dénoncer le francocentrisme et le jacocentrisme linguistique qui sert de barrière à la langue française. La raison pour laquelle les gens préfèrent de plus en plus parler l’anglais, l’espagnol à leur aise que de se faire emmerder dans les paramètres extravagants de la langue précitée.

Notre entrevue a suivi son passage à l’émission, grâce à son attachée de presse et de l’équipe du stand ÉDIPRESSE qui ont été formidables. En dépit des circonstances, la disponibilité dont faisait preuve cette figure de proue du monde littéraire originaire de la Martinique a de quoi faire réfléchir.

Je franchissais l’inconnu, car je ne savais pas si j’allais faire face à des confidences ou des déclarations de l’auteur. Il existe une nuance fondamentale. En ce qui concerne la confidence, la personnalité nous surprend, alors que pour la déclaration, il provoque. Voyons voir ce qui va se produire au cours de cet entretien.

En faisant le parallèle entre votre roman et le film du cinéaste François Truffaut, vous semblez croire que le cinéaste a procédé à une sorte d’altération de l’histoire d’Adèle Hugo en escamotant un protagoniste de premier plan qui est la pacotilleuse, Céline Alvarez Bàà. Ne pensez-vous pas qu’il voulait s’orienter en sens inverse en nourrissant le désir de faire un focus, un insert sur deux personnages principalement?

Je crois effectivement que c’est possible. Car il y a des variantes dans les deux œuvres. Il a fait un film sur la vie d’Adèle après son séjour au Canada. En fait, son film prend fin au moment où comme mon roman.

Mais dans une entrevue antérieure vous n’avez pas manqué d’évoquer la déviation avec force en déplorant l’ombre qui est porté sur le personnage Céline, la pacotilleuse.

C’est vrai, parce que pour moi, sans la pacotilleuse, Adèle n’aurait pas la chance de retrouver son père. Ce personnage est très important dans la vie de celle-ci. Je le pardonne quand même, entre guillemet...

Vous attachez beaucoup d’importance au personnage surnommé la pacotilleuse, et pour cause. Est-ce qu’on peut comparer, ou considérer une pacotilleuse comme une sorte de griot sans frontière?

Pas tout à fait. Le griot est un historien oral. La pacotilleuse par contre, est une nomade insulaire qui passe d’Île en Île, qui parle toutes les langues et qui transporte toute les cultures.

Avant d’écrire un roman puisé dans l’histoire d’Adèle Hugo, la fille de l’auteur Victor Hugo, vous avez été en contact avec son œuvre depuis votre jeune âge par le biais de votre père. Ce roman est-il  pour vous une preuve à conviction, un bilan de souvenirs, un hommage, une reconnaissance à un grand homme d’inspirations?

C’est essentiellement un hommage à la pacotilleuse, Céline Alvarez Bàà. C’est un personnage fascinant. Le reste n’est que prétexte. Mon père qui aimait Hugo et me faisait réciter Hugo. D’ailleurs, j’étais très déçu en relisant l’auteur. C’était pénible. J’ai trouvé son écriture pleine de rhétorique. Il a vieilli par rapport à Verlaine et Baudelaire.

Dans le roman ADÈLE ET LA PACOTILLEUSE, la voie que vous priorisez est-ce le contexte historique ou l’avenue sentimentale, là où s’entrecroisent les personnages?

Les éléments historiques sont là pour encadrer, supporter le roman, mais l’essentiel est inventé. Les relations sont imaginées par rapport aux éléments historiques qui sont réels. A titre d’exemple, Hugo avait un journal secret où il décrit en détaille toutes ses aventures. Et la pacotilleuse faisait partie de ces femmes. Dans le journal longtemps demeuré interdit, il est inscrit: «ce fut ma première négresse» en parlant de Céline, la pacotilleuse. Il n’a pas fait cette déclaration dans le sens raciste. C’était pour l’homme, une découverte, un ravissement, une stupéfaction. Cet aspect du roman, je ne l’ai pas inventé. En revanche, j’ai eu recours à mon imaginaire pour bâtir les liens. Le tout a été fait de manière plausible. La pacotilleuse qui est une femme libre de tout engagement parental. Elle n’a pas d’enfant, adopte sa protégée. Elle est d’ancêtre français puisqu’elle porte le nom de Céline. Donc, le récit est moitié réel, moitié fictif.

Probablement que Truffaut n’a pas voulu mettre cette histoire de relation extra conjugale avec une négresse au grand jour monsieur Confiant?

On n’a pas de preuve pour soutenir cette allégation, mais je n’écarte pas cette possibilité.

Vous avez dit: «Qu’écrire en français est un plaisir et qu’écrire en créole est un travail. A  présent, vous peinez beaucoup à écrire quelques pages en créole?» Mais jusqu’ici, personne n’oserait dire que vous avez tourné le dos à la cause de la créolité. C’est d’ailleurs votre denrée, la matière première que vous semez dans vos œuvres. Dois-je comprendre que vous vous servez de la langue française comme outil de communication pour explorer tous les aspects de la créolité considérés comme patrimoine pour la rendre plus intéressante, plus attrayante?

Je n’ai pas dit qu’écrire en créole est un travail dans un sens péjoratif. Le menuisier, le cordonnier, le charpentier travaille tout en aimant ce qu’il fait. Moi, je crois qu’il faut construire la langue créole. Et ceux qui ne font que produire des livres en créole rendent un mauvais service à la langue créole. La seconde raison est purement économique. Mes œuvres créoles sont publiés à compte d’auteur. Présentement, je compte cinq manuscrits en créole que je dois éditer.

«Moi j’ai l’ambition de replonger dans les strates profondes du Français et je retrouve en quelque part ce qui a donné naissance au Créole». Propos de l’auteur.

Nuée Ardente est un éloquent roman plutôt symbolique où vous racontez la tragédie qui a mis fin à un pan de l’histoire des créolophones le 8 mai 1902. Était-ce pour un besoin culturel qui vous a poussé à entreprendre  cette résurrection ou pour exorciser un sentiment d’une perte inestimable?

Les deux je crois! Saint-Pierre est une Ville qui a été détruite et qui a emportée la perte physique, intellectuelle, culturelle et artistique d’un noyau souche. Alors, imaginez le désastre que cela comporte. La Martinique se remet tranquillement de cette catastrophe et j’ai voulu rappeler au gens cette version importante de leur histoire.

Le tempérament de vos personnages est-il calqué à partir de la mentalité martiniquaise. Si on prend les éléments de la fidélité et de la séduction vis-à-vis de l’homme et/ou la femme par exemple?

Comparativement à d’autres Antillais, les martiniquais sont plus subtils à ce niveau. La plupart de mes connaissances d’origine Haïtienne ont du talent pour séduire. Certains sont des cas d’espèce. Pour ce qui est de mes personnages, ils reflètent simplement le milieu où ils vivent. Je suis d’avis que l’infidélité concerne l’homme autant que la femme. Car à chaque fois un homme commet un acte d’infidélité, il a un sexe opposé comme complice.

Êtes-vous un fin séducteur monsieur Confiant?

(Rire) Malheureusement non. Je n’ai aucun atout pour cela. Je voudrais l’être, mais je n’ai pas encore trouvé la recette.

Je vous remercie madame Domond. J’en suis honorée monsieur Confiant!

Adèle et la pacotilleuse

 

Notes de recherches sur le film

1975 - L'histoire d'Adèle H "The story of Adèle H."; durée 110 mn; scénario de Jan Dawson, Jean Gruault, Frances Vernor, Suzanne Schiffman d'après le journal d'Adèle Hugo, avec Isabelle Adjani (Adèle Hugo), Bruce Robinson (lieutenant Pinson), Sylvia Mariott (Mrs Saunders), Reubin Dorey (Mr Saunders)

Exploration romantique et douloureuse des souffrances de la fille de l'immense Victor Hugo, sa quête sans espoir de nier ce père envahissant et de vivre de manière autonome. Le souvenir de la mort tragique de sa soeur Léopoldine et l'indifférence d'un officier anglais qu'elle croit aimer accentue son glissement vers la folie.

La musique composée par Maurice Jaubert, lui-même précocement mort en 1940 souligne la tragédie et en même temps rend hommage à Jean Vigo qui avait déjà retenu ces thèmes pour l'Atalante.

«A propos de "L'Histoire d'Adèle H", Truffaut écrit: "En établissant le script de "L'Enfant sauvage" d'après le Mémoire du Docteur Jean Itard, nous avions découvert, Jean Gruault et moi, le grand plaisir qui consiste à organiser une histoire de fiction à partir d'événements réels en s'efforçant de ne rien inventer, et de ne pas altérer la vérité du matériel documentaire.

S'il est difficile de construire une intrigue unanimiste, mêlant une dizaine de personnages dont les actions s'entrecroisent, il est presque aussi difficile d'écrire un film intimiste mettant en scène un seul personnage sur l'écran. Je crois pourtant que c'est cet aspect solitaire qui m'attirait le plus dans ce projet; ayant tourne des histoires d'amour à deux personnages et à trois personnages, j'avais l'impression de tenter une expérience passionnante, dévoré par une passion à sens unique."»
 

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