Mélusine, N°1, 1878, p. 495-49

Bouc
Mosaïque romain, Aquileia. Photo F.P.

Compère Bouc et Compère lapin

Conte Nègre

Ein joie, dan tan lé zot foi, Compair Bouki couri dîné côté so ouasin Compair Lapin. Compair Lapin té pa gagné ein goute do lo pou boi. Ça fé Compair Bouki di com ça à Compair Lapin:

— Mouen non pli, mo pa gagné do lo; si to olé vini padna, no va fouyé ein pi.

Compair Lapin soucouyé so la tête:

— Non ! Compair Bouki; gran bon matin, mo boi la rosé on zerbe ; dan jou, kan mo souaf, ma boi dan piste la ouach.

Ça fé Compair Bouki fouyé so pi li tou sel. Apé li té fouyé pi là, kan li couri charché so do lo bon matin, li ouâ trace Compair Lapin au ra so pi. Li graté so la tête et li jonglé.

— Bambail, mo Compair, mo va trapé toi.

Li couri pran so zouti et lifé ein gro catin avé boi laurié. Li godroné li, godroné li si tan jika lité noi com négresse guinain. Soleil bas, Compair Bouki couri planté so catin déboute au ra so pi. Dan la nuite la line tapé cléré, Compair Lapin vini avè so baqué charché do lo. Kan li ouâ ti négresse là, li rété, li baissé, li gardé ben.

— Ki bétail ci là?

Li hélé ou li ; ti négresse là pa grouyé, li pas réponne. Compair Lapin vancé ein pé et li hélé enco ; ti négresse pa réponné. Li pran courage et li vancé an ra pi là Kan li gardé dan pi là, ti négresse là gardé oussi. Compair Lapin comancé colair.

— Ti fie, si to gardé dan pi la enco, mo va fou toi on to la djôle.

Li baissé aura pi là, et li ouâ piti fie apé gardé li. Li lévé so la main drète et li voyé on li:

— Pam !

Hé ! la main là resté collé !

— Lâché-mouen, ti négresse, o ben mo va fou toi on ta jié avé mo lot la main.

Li fou li.

— Bim !

La main goche collé oussi. Compair Lapin lévé so pié drète;

— Ti négresse congo, to ouâ pié ci là, si mo fou toi, ta cré choual voyé cou pié on toi.

Li fou li.

— Boum !

Pié collé ! Compair Lapin lévé sot lot pié.

— To ouâ pié ci là ? Si mo voyé ou toi, tr cré cé pierre tonnair qui cogné toi.

Li fou li.

— Tam.

Pié collé enco ! Compair Lapin gardé catin là ben.

— Cré zombi guinain ! mo jà touié plin moune avé mô fron ; si mouen cogné toi, ma fanne to caboche an piti moceau. Li samblé tou la foce et li cogné so la tête com ein la masse. Ah oua ! li collé ben.

Kan soleil lévé, Compair Bouki vini charché so do lo.

— Hé ! hé ! Compair Lapin, ça ta pé fé là ? Mo cré to té di mouen to boi la rosé on zerbe et do lo dans piste la ouache ! Mo gagné pou pini toi pou tou do lo to volé mouen.

Compair Bouki couri dan di boi ramassé ein gro ta branchaille sec ; li limé di fé, et pi li couri charché Compair Lapin pou bourlé li. Li té apé passé au ra ein talle zéronce avé Compair Lapin ou so zépol kan li contré so fie Belédie ki té apé prouméné on choual.

— Popa Bouki, colair to pa jité vilin Compair Lapin dan zéronce là yé ?

Compaire Lapin, ki té tou cagou, dressé so zoreil.

— Non ! non ! Compair Bouki, pa jité mouen dan zéronce ; pikan là yé a déchiré mo la po et crévé ma jié ; jité mouen tou suite dan di fé.

— Ah ! cokin, to pa olé couri dan zéronce? Eh ben ! mo va fou toi là dan.

Et li voyé li bourdoum ! Compair Lapin déboulé an ba talle zéronce et ri:

— Kiak ! kiak ! kiak ! Compair Bouki, to té po capab jité mouen dan myor place. Cé dan zéronce mo môman fé mouen.

(Extrait du Meschacébé, journal de la paroisse Saint-Jean-

Baptiste (Louisiane) du 10 juin 1876)1.

  1. Nous devons communication de ce numéro du journal le Meschacébé à l’obligeance de M. le Dr Alfred Mercier, de la Nouvelle-Orléans.
boule

COMPÈRE BOUC ET COMPÈRE LAPIN

CONTE NÈGRE

Transporté du créole en français par LOYS BRUYERE.
(voir le texte créole ci-dessus).

Un jour, au temps d’autrefois, compère Bouc alla dîner chez son voisin, compère Lapin. Compère Lapin n’avait pas une goutte d’eau à boire. Alors compère Bouc dit comme ça à compère Lapin:

— Moi non plus, je n’ai pas d’eau, si tu veux venir par là, nous allons creuser un puits.

Compère Lapin secoua la tête:

— Non, compère Bouc; le bon matin je bois la rosée sur l’herbe et dans le jour, quand j’ai soif, je bois dans la piste de la vache.

Alors compère Bouc fouilla son puits tout seul. Après qu’il eut fouillé le puits, quand il courut chercher de l’eau de bon matin, il vit la trace de compère Lapin au ras du puits. Il se gratta la tête et s’écria:

— Mon compère, je vais t’attraper.

Il court prendre ses outils et il fait une grosse catin1 avec du bois de laurier. Il la goudronne, la goudronne jusqu’à tant qu’elle fût noire comme négresse de Guinée. Le soleil tombé, compère Bouc courut planter sa catin, debout au ras du puits. Dans la nuit, la lune tapait clair; compère Lapin vint avec son baquet pour chercher de l’eau. Quand il voit la petite négresse, il s’arrête, se baisse et la regarde bien.

— Quelle bête est-ce là?

Il la hèle; petite négresse ne bouge pas, ne répond pas. Compère Lapin avance un peu et la hèle encore; petite négresse ne répond pas. Il prend courage et il s’avance au ras du puits. Quand il regarde dans le puits, petite négresse regarde aussi. Compère Lapin commence à être colère.

— Petite, si tu regardes dans ce puits-là, je vais te f… sur la gueule.

Il se baisse au ras du puits et il voit la petite fille le regarder. Il lève sa main droite et la lui envoie.

— Pan!

Hé! sa main reste collée.

— Lâche-moi petite négresse, ou bien je vais te f… sur les yeux avec l’autre main. Il la lui f…

— Bim!

La main gauche se colle aussi. Compère Lapin lève son pied droit.

— Petite négresse congo, tu vois ce pieds-là, si je te le f…, tu croiras qu’un cheval t’a envoyé un coup de pied. Il le lui f…

Boum!

Le pied se colle, Compère Lapin lève l’autre pied.

— Tu vois ce pied-là? si je te l’envoie, tu croiras que c’est pierre de tonnerre qui te cogne. Il le lui f…

Tam!

— Le pied se colle encore.

Compère Lapin tenait bien sa catin!

— Sacrée Guinée! j’ai déjà battu bien du monde avec mon front; si je te cogne, je casse ta caboche en petits morceaux. Il assemble toute sa force et il cogne sa tête comme une masse. Ah ouais! elle se colle bien.

Quand le soleil fut levé, compère Bouc vint chercher son eau.

— Hé ! hé ! compère Lapin, que fais-tu là? je croyais que tu m’avais dit que tu buvais la rosée sur l’herbe et l’eau dans la piste des vaches! je vais te punir de me voler mon eau.

Compère Bouc court dans le bois, ramasse un gros tas de branches sèches, il allume du feu, puis court chercher compère Lapin pour le brûler. Il passait ensuite au près d’un tas de ronces, avec compère Lapin sur son épaule, quand il renconta sa fille Bétédie qui se promenait à cheval.

— Papa Bouc, pourquoi ne pas jeter vilain compère Lapin dans ces ronces? Compère Lapin, tout penaud dresse ses oreilles.

— Non! non! compère Bouc, ne me jette pas dans ces ronces; les piquants me déchireraient les yeux; jette-moi tout de suite dans le feu.

— Ah! coquin, tu ne veux pas courir dans ces ronces?

Eh bien! je vais te f… là dedans.

Et il l’y envoie tomber! Compère Lapin roule en bas du tas de ronce et rit:

— Kiak ! kiak ! kiak ! compère Bouc, tu n’étais pas capable de me jeter dans une meilleur place. C’est dans ces ronces que ma maman m’a fait.

  1. Catin en patois normand est une poupée.