In Élodie Jourdain, Du français aux parlers créoles,
Paris, Librairie Klincksieck, 1956, 334 p.

Ce conte figure à la page 2 du livre de M. Alcée Fortier:
Louisiana Folktales. Memoirs
Of American Folklore Society. Vol. II, 1895.

Éléphant
Éléphant. Photo F.P.

Néléphant avec baleine

Ein jou Compair Lapin et Compair Bouki té apé voyagé ensembe. Compair
Lapin souvent té ménin li pou fait paillasse avec li et pi en méme temps
Compair Lapin té toujou au courant toute sorte nouvelle qué Compair Bouki té
raconté li. Quand yé rivé au bord la mer, yé oua ein quichoge qui té ben
drole. Ça té si tellement étonné yé qué yé rété pou tendé et guetté.
C'était ein néléphant avec Baleine qui té apé causé ensembe.
“ — To oua, dit Bouki, c'est dé plis gros bêtes qué yéna dans moune et
c'est yé qui plis fort que les otes zanimaux.
Paix to la djeule ! dit Compair Lapin, anon vancé et pi couté, mo oulé con-
nin ça yé apé dit.
Yé vancé proche. Néléphant dit Baleine comme ça : — Mo commère, comme
c'est vous qui plis gros et plis fort dans la mer et moin qui plis gros et plis
fort en haut la terre, faut nous fait la loi, et tout ça yé qui révolté n'a
tchué yé .
— Oui, oui, Compair Néléphant, gardé la terre et moin mo va gardé
la mer.
— To tendé, dit Bouki, anon couri, pasqué na sorti sale si yé oua nous
zotes apé couté yé conversation.
— Ah ouache, dit Compair Lapin, mo fout pas mal yé, mo plis malin qué
yé. Ta oua comme ma ringé yé tout lé dé tout à l'haire.
— Non, dit Compair Bouki, mo pair, mapé couri.
— Eh ben, couri, d'abord to si capon, bon arien. Parti vite, mo lasse tendé
toi à force to bête.
— Ça fait Compair Lapin couri cherché ein la corde qui té longue et ben
fort et pi li porté so tambour et li caché li dans grand zèbe.
Li prend la corde dans eine boute et pi li proché coté Néléphant et li dit :
“ — Michié vous qui si bon et si fort, vous doite ben rende moin ein ti ser-
vice qui va sorti moin dans grand tracas et péché moin perde l'agent.
Néléphant té content tendé ein si joli compliment et li dit Compair Lapin :
— Tout ça to oulé ma fait li pou toi mo toujou paré pou obligé tout mo
zami !
Oui, dit Compair Lapin, mo gagnin ein lavache qui bourbé an ras lamer,
vous connin mo pas assez fort pou halé li. Mo vini côté vous pou vous idé
moin ; prend la corde dans vous la trompe, ma couri marré lavache et quand va
tendé moin batte tambour va haler fort en haut la corde. Mo dit vous ça pas-
qué vache bourbé fond dans la boue.
— C'est bon, dit Néléphant, mo garanti toi ma sorti lavache la, ou ben la
corde a cassé.
Alors Compair Lapin prend l'ote boute la corde la, li couri au bord la mer
li fait Baleine ein joli compliment li mandé li même service la pou débourbé so
lavache qui té pris au ras ein bayou dans bois. Compair Lapin gagnin la
bouche si tellement doux que personne pas capab réfisé li arien. Baleine fait ni
eine ni dé, li prend la corde la dans so ladjeule et li dit Compair Lapin :
“ Quand mo va tendé tambour, ma halé.
— Oui dit Compair Lapin, commencé halé doucement et pi plis fort en plis
fort.
— To pas besoin pair dit Baleine ma sorti to lavache quand même Diabe
apé tchombo li.
— Tant mié dit compair Lapin, tout à l'haire na ri, et pi li batte so
tambour.
Néléphant prend halé, halé, la corde la té raide comme ein barre fer, li té
apé craqué. Baleine la en haut so coté li aussi té apé halé, halé.
A la fin, li té apé couri au ras la terre pasqué Néléphant té boucou mie
placé pou halé. Quand Baleine oua li té apé monté en haut la terre, cré mille
tonnerre ! li batte sou la tcheu raide et pi li piqué au large.
Li fait ein escousse si tellement raide que li té trainin Néléphant au ras dolo.
Néléphant dit comme ça : — Aie ! mais qui ça ça yé tout ça, c'est ein lavache
qui joliment fort pour trainin moin comme ça.
— Rété ein pé, laissé moi accroupi moin et mette mo dé pié dévant dans la
boue. Là, mo a genoux asteur. ”
Et li commencé tortillé la corde la avec so la trompe. Li tordé la corde la et à
la fin li réissi halé Baleine au ras la terre. Ça té étonné li, au lieur ein
lavache c'était so commère Baleine. Alors li dit comme ça :
“ — Mais, mais, qui ça ça yé mo commère ? Mo té crai c'était lavache Com-
pair Lapin moté apè débourbé.
— Aie ! dit Baleine, Lapin dit moin même quichoge la, mo crai ben li te
oulé fout nous autes.
Alors, li gagnin pou payé ça, dit Néléphant, mo défende li mangé ein brin
zèbe en haut la terre pasqué li moqué zotes.
Moin aussite, dit Baleine, mo défende li boi eine goutte dolo dans la mer, faut
nous surveillé li et prémier qua oua li, faut pas nous raté li.
Compair Lapin qui té apé couté, dit Compair Bouki : “ Li temps nous
parti, fait chaud pou nous zotes. ”
— To oua dit Bouki, to mette nous zotes dans grand tracas. Jamais ma
couri avec toi nille part
— Oh ! paix to ladjeule, dit Lapin, mo pas fini avec yé, rété ein pé, ta
oua comment mo va rangé yé.
— Ça fait yé couri yé chimin, chaquène gagnin son coté. Quand Compair
Lapin rivé dans ein bois li trouvé ein ti chivreil qui té mouri, à foce chien té
massacré li, li té plein bobo et dans plein place so poil té tombé.
Compair Lapin corché li et li metté so lapeau en haut so dos ; li vlopé li ben
la dans, ça fait li té sembe en ti chivreil. Alors li prend boité en haut trois
pattes et pi li passé proche coté Néléphant qui dit li :
— Mais pove piti chivreil qui ça to gagnin ?
— Oh ! oui, mapé souffri boucou, vous oua c'est Compair Lapin qui poiso-
nin moin et pi li voyé so malédiction en haut moin, jiste pasqué mo té oulé
comme vous té dit péché li mangé zèbe. Prend ga pou vous, Michié Néléphant
Compair Lapin engagé avec Djabe, la servi vous mal si vous pas fait tention.
Alors Néléphant té pair, li dit :
— Ti Chivreil, ta dit Compair Lapin moin c'est son meilleir zami, dit li
mangé zèbe tant li oulé. Pas blié, non, et fais li compliment pou moin.
Ti chivreil la passé so chimen et quand li rivé au bord la mer, Baleine dit
lit : Mais pove ti chivreil, tapé boité, qui ça ça yé, mo croi to boucou malade.
Oh oui ! mapé souffri boucou, c'est Compair Lapin qui metté moin dans
nétat la, prend ga pou vous, commère Baleine. Li aussite li tè pair, ça fait
li dit :
— Ti chivreil, mo pas oulé gagné zaffaire avec Djabe t'en prie, dis Com-
pair Lapin boi tout dolo li oulé, mo va laissé li tranquille.
Ça fait Compair Lapin continué so chimin, et quand li rivé au ras Compair
Bouki, li oté lapeau la et li dit comme ça :
— Ta oua ben que mo plis malin qué yé et mo capab fout yé tout temps et
yé dé ensembe. La où moin, mo va passé, ein lote va trouvé li pris.
boule

Traduction littérale

Un jour, Compère Lapin et Compère Bouki voyageaient de compagnie (mot à mot : étaient après = en train de voyager ensemble). Compère Lapin souvent l’emmenait pour faire paillasse avec lui (pour s’en amuser comme d'un paillasse) et en même temps, Compère Lapin était au courant de toutes sortes de nouvelles que Compère Bouki lui racontait.

Quand ils arrivèrent au bord de la mer, ils virent quelque chose qui était bien drôle (curieux). Cela les étonnait tellement qu’ils restèrent pour entendre et regarder. C’était un éléphant et une baleine qui étaient en train de causer ensemble. Tu vois, dit Bouki, ce sont les deux plus grosses bêtes qu’il y ait dans le monde et ce sont elles qui sont les plus fortes de tous les animaux.

— Tais-toi1 dit Compère Lapin avançons et écoutons (mot à mot : allons avancer et écouter), je veux savoir ce qu’ils sont en train de dire.

Ils avancèrent tout près. L’Éléphant dit ainsi à la Baleine : Ma commère comme c’est vous qui êtes la plus grosse et la plus forte dans la mer et moi qui suis le plus gros et le plus fort sur la terre, il faut que nous fassions la loi et tous ceux qui se révolteront, nous les tuerons.

— Oui Compère Éléphant, garde la terre et moi je garderai la mer.

— Tu entends dit Bouki courons (filons !) parce que nous sortirons sales (nous serons dans notre tort) s’ils voient que nous sommes en train d’écouter leur conversation.

— Ah ouache2 dit Compère Lapin, je me f… pas mal d’eux, je suis plus malin qu’eux. Tu vas voir comme je vais les arranger tous les deux tout à l’heure.

— Non ! dit Compère Bouki, j’ai peur, je m’en cours.

— Eh bien, cours; d’abord tu es si capon, tu n’es bon à rien. Pars vite, je suis las de t’entendre, à force que tu es bête (tellement tu es bête3. Après quoi, Compère Lapin courut chercher une corde qui était longue et très forte, puis il apporta son tambour et le cacha dans les hautes herbes. Il prend la corde à un bout et il s’approche de l'éléphant et lui dit :

— Monsieur, vous qui êtes si bon et si fort vous devez bien me rendre un petit service, vous me sortirez d'un grand tracas et m’empêcherez de perdre de l’argent.

L’éléphant était content d’entendre un si joli compliment et il dit à Compère Lapin:

— Tout ce que tu voudras je le ferai pour toi, je suis toujours prêt pour (à) obliger tous mes amis.

— Oui, dit Compère Lapin, j’ai une vache qui s’est embourbée au ras de la mer, vous savez que je ne suis pas assez fort pour la haler. Je suis venu auprès de vous pour que vous m’aidiez; prenez la corde dans votre trompe, je vais courir attacher la vache et quand vous m’entendrez battre du tambour vous tirerez très fort sur la corde. Je vous dis cela parce que la vache est embourbée profondément (dans la boue).

— C’est bon, dit l'Éléphant, je te garantis que je vais sortir cette vache ou la corde cassera.

Alors Compère Lapin prend l’autre bout de la corde, il court au bord de la mer, il fait à la Baleine un joli compliment, il lui demande le même service pour désembourber sa vache qui était prise au ras d’un bayou4 dans le bois. Compère Lapin a la bouche tellement douce (la langue dorée) que personne n’est capable de lui rien refuser. La Baleine ne fait ni un ni deux5, elle prend la corde dans sa gueule et dit à Compère Lapin:

— Quand j’entendrai le tambour, je halerai.

— Oui, dit Compère Lapin, commence à haler doucement, ensuite de plus fort en plus fort.

— Tu n'as pas besoin d'avoir peur dit la Baleine, je sortirai ta vache alors même que le Diable la tiendrait.

— Tant mieux dit Compère Lapin, tout à l'heure, nous allons rire, et il battit son tambour.

L'éléphant commence (se prend à) haler, haler, la corde était raide comme une barre de fer, elle était sur le point de craquer. La baleine, de son coté, elle aussi halait, halait, à la fin elle était sur le point (ou en train) de courir vers la terre parce que l'éléphant était beaucoup mieux placé pour haler. Quand la baleine vit qu'elle était en train d'être mise à sec (de monter sur la terre), cré mille tonnerres! Elle donna un terrible coup de queue (elle battit sa queue raide) et elle piqua au large. Elle imprima ainsi (elle fit) une secousse si dure qu'elle traîna l'éléphant au ras de l'eau. L'éléphant dit comme ça:

— Aie ! Mais qu'est-ce que c'est tout cela? C'est une vache qui est joliment forte pour me traîner comme cela! Attends un peu! (Reste un peu) que je m'accroupisse et que je mette mes deux pieds de devant dans la boue. Là, me voilà à genoux à cette heure!

Et il commence à entortiller la corde avec sa trompe. Il tordit si bien la corde qu'à la fin il réussit à haler la Baleine au ras de la terre. Cela le surprit beaucoup: au lieu d'une vache c'était sa commère Ba leine. Alors il dit comme ça:

— Mais, qu'est-ce que c'est ma commère , je croyais que c'était la vache de Compère Lapin que j'étais en train de désembourber.

— Aïe ! dit la Baleine, Lapin m'a dit la même chose (le même quelque chose), je crois bien qu'il a voulu se f... de nous.

— Alors il va payer cela (mot à mot : il a à payer cela) dit l'Éléphant, je lui défends de manger un brin d'herbe sur la terre, parce qu'il s'est moqué de nous.

— Moi aussi dit la Baleine, je lui défends de boire une goutte d'eau dans la mer, il faut que nous le surveillions et le premier qui le voit, il ne faut pas que nous le rations. Compère Lapin qui était en train d'écouter dit à Compère Bouki:

— Il est temps que nous partions, il fait chaud pour nous.

— Tu vois, dit Bouki, tu nous mets dans un grand tracas. Jamais je ne courrai plus avec toi nulle part!

— Oh! tais ta gueule! dit Lapin, je n'en ai pas fini avec eux, attends un peu tu vas voir comment je vas les arranger.

Cela fait que ils ont couru leur chemin chacun de son côté. Quand Compère Lapin arriva dans un bois il trouva un petit chevreuil qui était mort; les chiens l'avaient tellement massacré qu'il était plein de plaies et que dans beaucoup d'endroits son poil était tombé. Compère Lapin l'écorcha et mit la peau sur son dos, il s'en enveloppa si bien qu'il ressemblait à un petit chevreuil. Alors il se mit à boiter sur trois pattes et il passa tout près de Compère Éléphant qui lui dit:

— Mais (mon) pauvre petit chevreuil qu'est-ce que tu as?

— Oh oui! Je souffre beaucoup, vous voyez, c'est Compère Lapin qui m'a empoisonné, et il a envoyé sa malédiction sur moi, juste parce que je voulais, comme vous l'avez dit, l'empêcher de manger de l'herbe. Prenez garde à vous, Monsieur l'Éléphant. Compère Lapin est engagé avec le Diable, il vous servira mal si vous n'y faites pas attention.

Alors l'éléphant eut peur et il dit :

—Petit Chevreuil tu diras à Compère Lapin que je suis son meilleur ami, dis lui de manger de l'herbe tant qu'il veut. N'oublie pas, non! et fais-lui compliment pour moi.

Le petit chevreuil passa son chemin et quand il arriva au bord de la mer, la Baleine lui dit:

— Mais, pauvre petit chevreuil, tu boites, qu'est-ce donc, je crois que tu es très malade.

— Oh oui ! Je souffre beaucoup c'est Compère Lapin qui m'a mis dans cet état, prenez garde à vous, Commère Baleine.

Elle aussi avait peur, cela fait qu'elle dit :

— Petit Chevreuil, je ne veux pas avoir d'affaire avec le Diable, je t'en prie dis à Compère Lapin de boire toute l'eau qu'il veut, je le laisserai bien tranquille.

Cela fait que Compère Lapin continua son chemin et que lorsqu'il arriva auprès de Compère Bouki, il ôta la peau et lui dit comme ça:

— Tu vois que je suis plus malin qu'eux et que je suis capable de me... moquer d'eux tout le temps et des deux ensemble. Là où moi je pas serai, un autre va se trouver pris!

  1. Ferme ta gueule. Paix (pè) est devenu aux Antilles le verbe se taire ainsi que nous l'avons indiqué dans notre grammaire.
     
  2. Exclamation qu'on rencontre dans presque tous les créoles: Ah! Ouat!
    — Ah Oua! — Ah ouache! On la trouvera aussi dans le texte guyanais.
     
  3. A force que” est une expression typiquement créole, en grand usage en créole, elle a pénétré dans le français.
     
  4. Nom donné en Louisiane à des canaux naturels dérivés du Mississipi ou d'autres cours d'eau importants, ou à des rivières traversant des terrains marécageux (Larousse du XXe siècle).
     
  5. Expression courante aux Antilles pour exprimer une décision rapide suivie d'exécution.