Pierre Nourry, A la Martinique, Ant-Isle de l'Amérique
Editions d'Histoire d'Art, Librairie Plon, 1967, 223 p.
Préface de Henry Lémery, ancien sénateur de la Martinique.

Transposition créole de Fables de La Fontaine (ou Antérieures).

Pierre Nourry est un visiteur français qui a écrit un livre sur l'histoire, la géographie, l'économie, la population et la culture martiniquaise. Dans le chapitre 4 de son livre intitulé «Le langage créole» il publie trois contes sans signaler leur auteur.
 

Le Rat de Ville et le rat des champs
Le Rat de Ville et le rat des champs par .

Le Rat de Ville et le rat des champs

Té ni dé ratt les autt-fois
Yonne té kà reté dans bois,
Lautt en ville té ka retè
Tala vini invité
Laut la pou vini dinéis
Evec li. Li rèponne : « Moin
Va vini, ou pè t'anquille. »
Jou là li vini en ville,
Li rivè. Vouè la ratt là
Monnein li dans yon placa
Oti noune té ka serré
En pile toutè sote bon mangé.
Y té tini calalou,
Couliroux frit dans saindoux,
Yon supèbe tonton-banane,
La mori roti dans sanne,
Zabocat èvec farine,
Zaloïe, macriaux, sadine
Et pis yon ragoût cochon
Oi té ka senti bien bon.
Pou dessè yo té tini
Confiti patate, pain mi,
Et pis yon bol diri doux,
Boule gigiri et pis lous.
Janmain voué bon canari
Com ça ces ratt là té ni !
Engnien pas té ka manqué,
Yo té voyé an pli près
Chaché yon calbasse tafia
Pou décolé mabouïa.
A présent, yo commencé
Métié sans ri sans palé.
Quand yo té à tabe, vouéla
Yo té à ka mangé la soupe,
Yon valett rouvè placa,
Yon rentré dans yon trou : floupe !
Quand valette la té foucan,
Ratt la ville dit : « A présent
Tein-mi valette pati,
Mangé vitement pou fini
Dinein là, bien com i faut,
Plein boudin no, avantayo
Vini fè nous, pè enco. »
Lautt là réponne : « moin vlé mo,
Si moin fè ça ; moin simié
Viré lacaze moin. Bon Gué
Pini moin, si moin vini
Pou mangé enco ici.
Moin simié mangé banane
Cuite dans sel pitôt, ou tanne. »

Nèg bitation, pas chaché
Nèg laville pour fréquenté.

LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS
(traduction de M. Henry Lémery)

Il y avait deux rats autrefois
L'un demeurant dans les bois,
L'autre demeurant en ville.
Ce dernier vint inviter
L'autre, pour qu'il vienne dîner
Avec lui. Il répondit: «Moi
Va venir, vous pouvez être tranquille.»
Ce jour-là, il vint en ville,
Il arrive. Voilà que le rat
Le mène dans un placard
Où les gens serraient
Beaucoup de toute sorte de bon manger.
Il y avait du calalou,
Du couliroux frit dans du saindoux,
Un superbe tonton-banane,
La morue rôtie dans la cendre,
Des avocats avec de la farine,
Des aloses, des maquereaux, des sardines,
Et un ragoût de cochon
Qui sentait bien bon.
Pour dessert ils avaient
Confiture de patates, pain maïs
Et un bol de riz doux,
Un boule de gigiri1 et puis lous1
On n'a jamais vu d'aussi bon canari2
Que celui que les rats avaient !
Rien ne manquait,
On avait envoyé au plus près
Chercher une calebasse de tafia3
Pour décoler mabouia4.
A présent ils commencent
Le métier sans rire et sans parler.
Quand ils étaient à table, voilà
Qu'ils mangeaient la soupe,
Un valet ouvre le placard,
Ils rentrent dans un trou: floupe!
Quand le valet eut foutu le camp,
Le rat de ville dit: «A présent
Tant mieux le valet est parti,
Mangez vite pour finir
Le diner, bien comme il faut,
Remplissons notre ventre avant qu'ils
Viennent nous faire peur encore.»
L'autre lui répond: «Je veux mourir
Si je fais ça; que mon Dieu
Me punisse si je viens
Pour manger encore ici.
Je préfère manger de la banane
Cuite dans du sel plutôt, vous entendez (ou tanne).»

Nègres des habitations, ne cherchez pas
Les nègres de la ville à fréquenter.
 

  1. Pâtisseries au gros sirop.
     
  2. Métaphore : le canari est le récipient = menu.
     
  3. Signifie ici : rhum de mélasse.
      
  4. Glaires de la gorge.