ESPACE CRÉOLE N°9
Revue du GEREC

Chants de lumière sur les Deux-Rives

par Alain Anselin

Communication présentée au Colloque International, "L'Oeuvre de Cheikh Anta Diop et la renaissance de l'Afrique au seuil du troisième millénaire", à Dakar-Caytu, Université Cheikh Anta Diop, Dakar (Sénégal), 26 février - 2 mars 1996.

SOMMAIRE

  1. L'histoire au retour du quatrième millenaire
     
  2. Brasseries nagadeennes et seigneurs de la bière
     
  3. L'embarquement vers les champs de lumière
     
  4. L'âme, l'ombre et les mutuelles
     
  5. L'histoire à inventer encore et toujours
     
  6. Références bibliographiques

 

1. L'HISTOIRE AU DETOUR DU QUATRIEME MILLENAIRE...

On admet aujourd'hui que ni les cultures de la Basse-Egypte, qui ne s'adossaient d'ailleurs pas encore au futur grenier d'un delta en pleine formation, ni celle de Maadi, dont les liens avec les cultures de la Palestine sont étroits, "ne sont à la base de la civilisation pharaonique. Pour cela, nous devons nous tourner vers la Haute-Egypte et plus particulièrement vers les cultures de Badari et de Naqada, même si nous ne connaissons avec certitude ni l'étendue ni la place chronologique précise à leur assigner". (Stan HENDRICKX, 1990, 7).

La culture de Badari (-4400/-3800) a pu être "soit le berceau soit la plus ancienne variante régionale de la culture", qui occupe tout le quatrième millénaire BC. "Notre connaissance de la culture de Nagada", et cela vaut jusqu'aux dynasties thinites, "repose dans une large mesure sur les informations fournies par les cimetières" plus rarement sur les établissements humains dont ils sont les nécropoles.

"S'il existait déjà des centres de pouvoir durant les époques de Naqada I et II, il faut sûrement les chercher en Haute-Egypte", continue le même auteur. L'archéologie a dégagé les nécropoles de véritables élites sociales sur les sites de Hiérakonpolis, Abydos et à un degré moindre, Nagada, pour la période de Nagada II. En fait, sans que l'on puisse constater de rupture culturelle jusqu'à la première dynastie, le pouvoir semble s'être déplacé du sud vers le nord, de Hiérakonpolis vers Abydos, et de là vers Memphis, où le pharaon Aha de la I° dynastie transfère le centre du pouvoir pour le rapprocher du grenier du delta, et des carrefours du grand commerce lointain. Les fouilles conduites par Gunter DREYER à Abydos ont mis à jour une série de tombes antérieures aux tombes de la dynastie O situées dans leur prolongement. L'une de ces tombes, comme l'atteste son mobilier, un sceptre et des vases syropalestiniens, est celle d'un roi égyptien qui commerçait avec l'Orient au début du Naqada III, un bon siècle avant que Narmer ne sillonne le pays, de Hiérakonpolis, berceau lointain du pouvoir, au Fayoum et à Tarkhan, du sud au nord, pour en consolider une unification politique qu'on lui prête peut-être à tort .

Les cimetières nagadéens sont donc les livres d'histoire de l'Egypte. Ce sont eux qui livrent les premières inscriptions, aussi laconiques qu'elliptiques, connues, en écriture hiéroglyphique, sur le flanc des jarres, sous l'empreinte des sceaux, et sur les objets rituels du pouvoir, têtes de massue, palettes, manches de couteaux. Le répertoire en reste limité et constitue un corpus d'inscriptions iconographiques et hiéroglyphiques d'un grand intérêt, l'archive du millénaire. Il localise dans le temps et dans l'espace l'élaboration et l'emploi de l'écriture africaine - l'écriture hiéroglyphique: dans les siècles nagadéens de la Haute Egypte et de la Basse Nubie, sans que l'on puisse jamais constater de rupture culturelle entre le Nagada I et le Nagada II, et entre celui-ci et la I° dynastie, qui s'achève aux dernières décennies du Nagada III - au point que Bruce WILLIAMS a pu écrire que "les images et les conventions pharaoniques apparaissent durant le Naqada I".

Loin qu'il y ait coupure, la continuité du millénaire nagadéen, qui enfante la I° dynastie, est telle que la zone stratégique de recherche est désormais la période de transition du Nagada II au Nagada III, c'est à dire, celle où l'on invente et inventorie depuis près de deux décennies, avec Bruce WILLIAMS pour la Basse-Nubie et Gunter DREYER pour Abydos, des "états antérieurs" aux pouvoirs les plus anciens susceptibles de faire gagner en lisibilité l'histoire de la période. Ce qui rend envisageable, mais pas forcément prédictible, l'hypothèse de sites et de moments plus reculés encore où s'enracinent les dernières formes de pouvoir mises à jour au plus secret d'une tombe: avec la couronne rouge et le sceptre Hq3 du wadi Gash (Nagada I), la "massue" du triomphe pharaonique de la peinture de la tombe T100 du site Hk33 de Nekhen (Nagada II c-d), homophone en égyptien de la couronne blanche, Hd/Hdt, que porteront les premiers la douzaine de "faucons" de Qustul en Nubie: pays du peuple du groupe A, dont Michael HOFFMAN observe qu'il est déjà installé au voisinage des égyptiens sur les sites de Nekhen au Nagada II (1982, 55-56 et 1989, 269-98). Ces ultimes découvertes reçoivent le statut de formes les plus anciennes, de point de départ, quand elles sont, sans doute, l'achèvement momentané de formes antérieures d'organisation sociale et de pouvoir qui les expliquent, comme celles des brasseries de Nekhen étudiées par Michael HOFFMAN puis Jeremy GELLER. On ne saurait arrêter le temps, et s'exposer au risque qu'une découverte à venir n'établisse l'évidence d'un moment et d'un site plus ancien encore que ces ultimes découvertes supposent .

Au terme de ce millénaire "nagadéen", en partant dans l'espace du sud vers le nord, on aboutit, à l'aube des dynasties thinites, c'est-à-dire des dynasties qui administrent en leur palais une Egypte unifiée, à un château de cartes de six grandes régions politiques:

  • la Basse-Nubie ou T3 Sti, identifiée par les "Couronnes Blanches" du cimetière L de Qustul, datées du Nagada IIIa, qui guerroie avec ses voisins de Nekhen (et parfois les vainc), mais aussi commerce avec eux - qui contrôle l'échange lointain africain et importe des produits syropalestiniens (Bruce WILLIAMS, 1977, 1980, 1986, 1988) mais aussi exporte ses artefacts funéraires jusqu'en Palestine (E.M. Van den BRINK, 1995).
     
  • la Haute-Egypte de la Couronne Blanche ou T3 Hsmâw, installée autour de Hiérakonpolis, Nekhen - où sur le site Hk64 coexiste au Nagada II, on l'a vu, "nagadéens" et "groupe A" (lisez Nubiens): il y a continuité historique - dans les riches plaines de confluence du Nil et de ses affluents les wadi Abbad et Mia par où accéder à l'or, au cuivre, au plomb mais aussi au commerce oriental par la Mer Rouge - la région développe le commerce de grains et de bière autour de ses centres cultuels dès le Nagada I.
     
  • la Haute Egypte de la Couronne Rouge, située dans les grasses plaines de confluence du Nil et du wadi Hammamat, qui lui ouvre la route de la Mer Rouge et du commerce lointain, sans doute avec l'Elam dravidien de Suse I, si l'on en croit quelques sceaux suméro-élamitiques (Barbara ADAMS, 1986, 57), et dont la capitale Nwbt (Nagada) doit sa prospérité très ancienne, dès le Nagada I/II où la Couronne Rouge est attestée, au commerce de l'or extrait des mines voisines.
     
  • le T3 Wr de la Double Couronne (T3 wy, le Double Pays, dans certaines leçons (Dimitri MEEKS, 1980, 411) étalé le long des plaines de confluence du Nil et du wadi Qena, au débouché de la route de la Double Oasis du dieu H3, d'où se contrôle l'échange lointain africain, autour de sa capitale Tni, et de sa nécropole royale d'Abydos (cimetières U des élites du Nagada IIIa, B de la dynastie O au Nagada IIIb). Il commerce avec le sud par les savanes et les oasis du Sahara oriental et par la route du Nil (ocre, ivoire, pierre de taille, jaspe, stéatite), avec l'univers suméro-élamitique qui lui achemine le lapis lazuli depuis l'Afghanistan par la Mer Rouge, les wadis et le Nil, avec le delta et Buto, avec Canaan et Byblos. Les égyptologues s'accordent à tenir en Abydos ou plutôt This, Tni, "bien plus qu'un centre de pouvoir régional", mais dès la fin du Nagada IIIa et surtout le début du Nagada IIIb, le lieu depuis lequel l'unification de l'Egypte a été réalisée (Stan HENDRICKX, 1990, 10) et a rapproché le centre du pouvoir des routes de l'échange lointain proche-oriental, abandonnant les capitales du Nagada IIb et du Nagada IIIa, Nwbt et Nxn / Nxb, plus méridionales, derrière elle.
     
  • le delta, oriental, terrestre et caravanier, de Maadi au Nagada I, central, fluvial et portuaire de Dep et W3dt, Buto au Nagada II. Alors que le site de Maadi se caractérise comme un bourg d'entrepôts enterrés qui continuent au milieu des terroirs égyptiens voisins l'architecture de la culture palestinienne de Bersheeva, le double site de Pe et Dep qui lui succède et le condamne en ouvrant la route maritime vers Kbn., Byblos, connaît une nagadisation culturelle rapide marquée par l'adoption des jarres nagadéennes, qui en fait la capitale du T3 mh.
     
  • la côte palestinienne, autour des sites de En Besor Oasis, Tel Erani et Beersheva, qui placent en retour la culture cananéenne sous l'influence de la culture nagadéenne de Basse-Egypte, autour d'un douzaine de sites qui témoignent de la "colonisation égyptienne de la plaine côtière méridionale et des basses terres de Canaan durant l'Early Bronze I Period de la culture de Beer Sheva" (Ruth AMIRAN, Aharon KEMPINSKI, Naomi PORAT, Baruch BRANDL in Edwin C.M. van den BRINK, 1992, 345-479).

En suivant le fil du temps, du Nagada I au Nagada IIb/Nagada IIIa, et en s'appuyant sur les travaux d'auteurs comme Walter EMERY, Michael HOFFMAN, Barry KEMP, Gunter DREYER, Bruce WILLIAMS, qui jalonnent les trois dernières décennies, on peut brosser le tableau d'une Couronne Rouge qui contrôle depuis Nagada, Nwbt, et dès la fin du Nagada I, la vallée du Nil jusqu'aux abords du delta, et d'où part sans doute une nagadisation de la culture matérielle et morale de ses terroirs et de ses marchés qui met fin à l'activité de Maadi et aborde Buto au Nagada IId1, soit un peu avant -3300 (Thomas von der WAY, 1992, 4). Et l'image de "seigneurs de la bière" qui règnent sur Nekhen au Nagada Ib/IIa, soit vers -3500/-3400 (Jeremy GELLER, 1992, 19-26) dont les brasseries sont attestées également à Abydos.

Les rois de Nekhen, les "Faucons", étendent au sud leur influence politique et culturelle, jusqu'en Basse-Nubie. C'est là que les Horus du T3 Sti se coiffent de la première Couronne Blanche attestée à ce jour, au Nagada IIIa2, et disputent la précellence à Nekhen pendant quelques décennies (Bruce WILLIAMS, 1980). Dans le même mouvement, les rois de Nekhen étendent leur contrôle au nord, intègrent Nagada, héritent de la Couronne Rouge et de la Basse Egypte qu'elle contrôle, et rapprochent la capitale du pouvoir du grenier du delta et des marchés de l'échange lointain oriental en installant la royauté au delà de Nwbt, à Tni, au T3 wr: c'est au Nagada IIIa2 que l'archéologie atteste du plus ancien roi thinite, appelons-le Scorpion I, puisqu'il est le premier à user de la métaphore dans son iconographie royale (Gunter DREYER, 1992). Les rois qui lui succèdent sont le plus souvent connus par leurs tombeaux, identifiés par des serekhs, parfois anonymes. Iry Hor, K3, au Nagada IIIb2, affermissent la royauté sur l'ensemble du pays, jusqu'aux portes du T3 sti. Scorpion II et surtout Narmer au Nagada III c1 consolident définitivement l'unité politique. On a retrouvé les "artéfacts du pouvoir" de Narmer, les "powerfacts" selon le mot de Michael HOFFMAN, du grand dépôt de Nekhen (où ses palettes et sa tête de massue voisinent avec celle de Scorpion II) au delta, en l'espèce de sceaux frappés de son serekh. Tout règlement d'une rivalité par un conflit est lui-même lourd de conflits. Ce que la guerre ne peut réussir, le mariage le couronne. La tombe royale, à Nagada, de la reine de Basse Egypte, Neith Hotep, mentionne les noms de Narmer et d'Aha: Walter EMERY voit en elle une épouse de Narmer et la mère d'Aha. Aha achève l'oeuvre de Narmer en organisant ce qui a été conquis: il prélève une taxe sur l'huile produite par la Basse Egypte et met fin à l'existence de l'Etat rival de la Basse Nubie, le T3 sti.

L'Egypte invente pendant ces siècles nagadéens un modèle longtemps récurrent dans toute l'Afrique, où partout, la royauté sacrée s'enracine dans le leadership des Aînés. Alors que l'Aîné, wr, "parle les hommes" dans les potlatches et les funérailles qui en font un chef ou un ancêtre, la royauté sacrée invoque ces ancêtres (où le pouvoir est associé à un animal qui le métaphorise, un faucon, un chacal, un taureau, un silure, un scorpion ... est dansé, comme sur les tablettes de la I° Dynastie), mais éloigne son titulaire des hommes pour en faire un être à part, hors pair: sacré et sacrifiable, divin, au nom de qui un porte-parole s'adresse (Alain ANSELIN, 1992, 20-40).

Sous cet angle, rien ne nous rappelle plus l'histoire des royaumes nagadéens et thinites que celle du Bénin. Les Aja partirent de Tado, de l'intérieur des terres - leur Haute-Egypte et leur Nubie à la fois. Une querelle de succession conduisit à Togudo, à l'est, d'autres "fils de la panthère". Là, ils se disputèrent encore le pouvoir, et fondèrent les trois royaumes du sud, dont l'un, le Danxome, satellisa bientôt les autres autour de sa suprématie: ses rois, nous suivons ici Basile KOSSOU (1981, 84-106) "prirent les mesures nécessaires pour s'assurer les ressources dont ils avaient besoin, levée d'impôts, redevances sur les récoltes. Ils firent cultiver pour eux, par des fermiers ou par des captifs" (à peu près les mr.t de l'Ancien Empire) " d'immenses champs dont le produit leur revenait en grande partie ". L'administration, décentralisée, fut confiée aux gan, étymologiquement aux grands, aux aînés, à peu près les wr thinites. Ils acquirent aussi très vite le monopole du commerce extérieur et rien ne pouvait être importé ou exporté, sans une licence royale obtenue auprès du yovogan. C'est ce qui poussa Ghezo à attaquer Allada et Savi afin de prendre le contrôle de la route menant à la mer, à Ouidah. Les rois thinites ne gagnèrent pas autrement les rives de la Méditerranée, d'où ils pouvaient contrôler l'échange lointain asiatique.

L'intronisation et les formes du pouvoir auraient pu faire, avec ces "tournants" historiques, l'objet de palettes aussi éloquentes que les récades du Danxome. Le roi adja-fon tient son pouvoir d'un ancêtre associé à une panthère - aussi la reine est-elle l'épouse de la Panthère, comme Neith Hotep fut celle d'un Faucon. On lui remet donc une amulette royale, un petit trône hérité des rois de Tado (à peu près les rois thinites et les "faucons" de Nekhen du Danxome), il chausse les sandales de Hwegbadja, premier roi de la dynastie, sur la tombe d'Ajahuto à Allada. Le parasol est son emblème exclusif (autant de symboles et de métaphores du pouvoir gravés sur la palette de Narmer). On l'appelle axosu, celui à qui on paie une dette, dokunon, le propriétaire de tous les biens, semedo, l'être hors pair qui dispose, dada, la personne dotée de tous les pouvoirs. Ses funérailles, comme le furent celles des pharaons, sont évidemment une fête exceptionnelle, un moment, indissociable du sacrifice ou des rites de renouvellement, où se reconduit l'intégration des vivants et des morts dans une dépense sociale générale. La figure de la royauté sacrée, entre le don et le dû, qui culmine en Egypte dans la divinisation du pouvoir.

En vous brossant ce tableau rapide et forcément incomplet de l'histoire politique du millénaire nagadéen de l'Egypte, je n'ai fait que mettre mes pas dans le chemin ouvert par Cheikh Anta DIOP, et pourtant, pour l'essentiel, les données sur lesquelles je me suis appuyé n'étaient pas disponibles du temps, tout proche encore, où il écrivait: on ne saurait mieux dire qu'il y a près de cinquante ans déjà, Cheikh Anta DIOP ouvrait un champ de recherches d'une fécondité extraordinaire que nous continuons de labourer et d'étendre après lui à l'aube de l'an 2000, un champ de lumière où l'Afrique Noire moderne tendait le miroir de sa culture à l'Egypte antique et l'Egypte antique le miroir de sa culture à l'Afrique Noire moderne dans la plus pertinente des récurrences.

2. BRASSERIES NAGADEENNES ET SEIGNEURS DE LA BIERE.

Dans les plaines de confluence de Haute Egypte, à Nxn, à Nwb.t, puis à Tni, de Hiérakonpolis à Abydos, en passant par la ville de l'Or, les villages prospèrent autour des Aînés, wr.w, qui pensent leur culture du boeuf, du champ et de l'échange, ses technologies et sa socionomie (à son tour normative), dans les métaphores de la culture, plus ancienne, de la cueillette proto-agricole, du harpon du pêcheur et de l'arc du chasseur.

A la fin du Nagada I, vers -3700/-3500, les établissements humains installés au carrefour des routes et des fleuves sont déjà centralisés autour des "aînés", vers qui l'affluence des offrandes destinées aux cultes des ancêtres qu'ils gèrent les constitue en ressources de pouvoir - en tribut. Nwb.t, Nagada, au débouché de la route de l'or, est alors une ville de deux mille habitants (O.MORTENSEN, 1991, Barry J.KEMP, idem) qui domine une mosaïque de villages (Béatrix MIDANT-REYNES, 1992, 194). Un petit temple de Seth y a été exhumé.

Nxn, Hiérakonpolis, est l'autre centre important de la Haute-Egypte, dont la population variera de deux mille cinq cents à douze mille habitants (O.MORTENSEN, 1991).

Le discours du pouvoir y construit ses figures et ses paradigmes pour des siècles: la taille des personnages, leur position, debout ou agenouillée, qui distingue des statuts sociaux, de "grand", wr, ou d'ennemi vaincu et captif, sbi: la tombe peinte de Nekhen (Tombe 100) exhumée par J.E.QUIBELL ou les poteries du cimetière T5 de Nwbt, excavé par W.M.F. PETRIE, en fournissent, pour le Nagada IIc/d1, autour de -3400/-3300, des éléments assurés (Barry J.KEMP, 1991, 36-37). La tombe peinte de Nekhen profile déjà dans la langue égyptienne même la célèbre couronne blanche, Hd.t, que l'Ancien Empire écrira avec le hiéroglyphe T2 de la Massue, Hd en l'espèce du triomphe pharaonique, Hd sbiw, la Massue, les captifs (phrase nominale - la triple répétition de l'iconème du prisonnier aux bras liés la signalant comme pluralisation archaïque). Et le paradigme perdure jusque dans les sociétés de l'Ouest africain du vingtième siècle: "Ancêtre" dit la prière que le maître de la société initiatique, le koma, adresse, entouré de ses dignitaires, au chef défunt des Worodougou de Côte d'Ivoire, "je m'agenouille pour te saluer, mes bras sont liés dans mon dos pour te saluer, lève-toi de ton sommeil, les pères t'attendent, les ancêtres t'attendent." (Moustapha SANOGO, 1992, 64-75).

Le contrôle des cultes et de leur logistique asseoit le pouvoir de dynasties de lignages aînés et leur maîtrise, depuis celle des vieux potlatches interrégionaux, "des allées et venues des matières premières et des produits finis, développant à leur profit, l'élaboration d'objets de luxe et de prestige" (Béatrix MIDANT-REYNES, idem), sur le modèle des métaphores de leur statut social et de ses pouvoirs.

Abydos illustre à son tour l'expansion du processus d'élaboration d'un pouvoir défini par le sacré et le palais et nourri du contrôle du tribut et de l'échange lointain avec ses propres tombes royales du cimetière U, datées du Nagada IIIa2.

Les cultes des ancêtres qui "clé-de-voûtent" les sociétés villageoises, et fournissent leur paradigme au contrôle des cités naissantes au carrefour des routes et des rivières, mobilisent la céréaliculture sur la production d'offrandes funéraires nécessitant des récipients, jarres, bols, cruches, tables d'offrandes, et des ateliers et des artisans à une échelle qui dépasse celle des villages - et exige le développement de l'agriculture et de ses surfaces, le recul de la pêche et de la chasse comme mode de production. C'est de ces centres cultuels et "commerciaux" que partent les biens de consommation funéraires, et avec eux, les idées du pouvoir et des dieux qui s'y élaborent, destinés à des centres, à des sociétés et à leurs "aînés ", que leur moindre importance clientélise peu à peu. Un peu à la manière dont la gestion des funérailles du chef worodougou, le mansa, enterré deux fois, l'une réelle, l'autre symbolique, donne à son successeur la possibilité de gérer la reproduction sociale et l'échange proche avec "l'occasion d'un grand rassemblement des habitants de différents villages et d'échanges de cadeaux entre alliés matrimoniaux (preneurs et donneurs de femmes)". (Moustapha SANOGO, 1992, 68). Les alliances matrimoniales supposent le contrôle par les détenteurs du pouvoir des biens, boeufs par exemple, destinés à la circulation des femmes entre les lignages. Elles sont aussi la solution des défis que se lancent des lignages, où le pouvoir échu aux Aînés, comme chez les Fang, mobilise les richesses de la communauté, et se renforce de sa capacité à résoudre les conflits en alliances: ceux qui défient sont ceux qui marient dit à peu près le Fang (Jean-Emile MBOT, 1976, 85-89).

Les sociétés tenda du Sénégal offrent un bon modèle de ce processus où la chasse et ses chasseurs organisent d'abord leurs rituels autour d'une céréaliculture à vocation cérémonielle, et où la société s'organise bientôt autour de l'expansion de ce mode de "production" des subsistances, pensé dans les termes de son statut cérémoniel dans une culture de chasseurs. Chez les Tenda, tuer les "animaux d'honneur", les end-a-ndang, éléphant, hippopotame, panthère, buffle, lion, hyène, valorise le chasseur, qui en garde la queue (Marie Paule FERRY & Marc THIBOUT, 1978, 3, 556-559). On pense à la queue qui orne le pagne de Narmer sur sa célèbre palette (Alain ANSELIN, 1992, 104), ou à la chasse royale à l'hippopotame.

"Lorsqu'un cultivateur a récolté une très grande quantité de mil (2000 bottes), il organise une boisson de bière a.ndyila. Son mil est distribué pour la préparation de la bière dans les différentes familles et le jour de la boisson, les Bassari afflueront" - souvent de très loin, jusque de Guinée, observent les même auteurs.

Ceux qui ont pu préparer ce type de bière sont dits "lions", les autres "hyènes", c'est-à-dire les "animaux d'honneur" les plus réputés.

Ils prennent pour devises nominales le nom des animaux d'honneur.

Ce type de rituels a pu être au principe de la nomination pharaonique des premières dynasties et des premiers royaumes, où l'on est faucon, scorpion, silure, lion, taureau, crocodile..., de son art de la métaphore, qui engage ensemble pratiques de chasse et pratiques cérémonielles, de céréaliculture.

La relation aux cultes funéraires ne manque pas d'interroger l'Histoire: chez les Bedik, la fête des morts ne peut avoir lieu sans bière, le village boit la bière de matyang, la bière de la fête des morts, et les morts boivent dans la maison du "chef" (idem, 560). Chez les Worodougou, les funérailles du chef sont l'occasion pour le maître et les dignitaires de la société initiatique, le koma, de boire un vin de palme préparé pour cette seule cérémonie (Moustapha SANOGO, 1992, 67): le vin de palme est ici le substitut de la bière et remplit les mêmes fonctions dans les mêmes moments de société.

Nxn, Hierakonpolis, fournit une série de sites, HK6, HK24 et HK25, datant du Nagada Ib/IIa (-3500/-3400) qui ne peuvent être "lus" autrement que dans leur organisation: par la relation entre le culte des ancêtres, et la maîtrise de ses ressources et de sa logistique par les "ancêtres" de demain qu'incarnent les "grands", les aînés. Tout comme les funérailles du chef worodougou, point focal où culte des morts, alliance matrimoniale et échange interrégional s'indissocient dans une même cérémonie d'intégration sociale, le coup de "sonar" tenda envoyé dans l'océan du passé nous renvoie l'image des premières royautés nagadéennes. Certes, ce sont les Tenda qui fournissent la forme la plus simple de cette culture, les nagadéens en offrent déjà une version plus complexe où l'extension du pouvoir et de ses modes de relation ne s'épargne pas les conflits armés comme mode d'intégration ou pour satisfaire des stratégies de contrôle d'un échange lointain soudain décuplé. Les Tenda ne peuvent donc tenir leur propre culture des nagadéens; ceux-ci développent un modèle, ouvert, commun, ce qui légitime de tendre à chacune des deux cultures le miroir de l'autre.

Les sites de Nekhen, et ceux d'Abydos, n'offrent pas trace d'un culte des morts pratiqué par les lignages de réseaux étendus de villages, mais preuve d'une logistique d'ateliers. Il s'agit d'installations permanentes qui supposent des spécialistes, des artisans: brasseurs, boulangers, potiers et un pouvoir qui les entretient sur les ressources du tribut. Jeremy GELLER (1992, 24-25) observe que "les trois industries" du site de Nekhen "brasserie, boulangerie et poterie" y sont étroitement "associées". Le site de la brasserie (HK24A) est voisin du site de la boulangerie (HK25D) et contemporain d'un cimetière dont la tombe la plus profonde était meublée de "wood and reed biers and boxes, quivers of arrows, a mace, and linen".

La massue, Hd est l'un des attributs du pouvoir pharaonique, elle constitue donc un élément de continuité culturelle et politique entre le Nagada Ib/IIa et les périodes suivantes qui conduisent à la Dynastie O (Nagada III b). Elle rejoint ou accompagne le célèbre sceptre-bâton de berger Hq3 revenu avec les "frères du boeuf" du désert du Sahara oriental sur les rives du Nil (Fred WENDORF et al, 1990).

La bière est un autre de ces éléments qui témoignent de cette continuité, à la fois un fossile directeur et un "lecteur" de l'histoire de la société égyptienne depuis ses fondations nagadéennes. C'est l'avis de Jeremy GELLER aussi bien que de Michael HOFFMAN, auteur de pages saisissantes sur "the egyptian way of death" (1989, 326): " Beer was consumed not only by the living, but also the dead, whether interred them in jars of offered on their behalf after death in the manner attested for the pharaonic périod. The latter case seems likely in light of apparent continuities between the Predynastic mortuary cult and that of later times" (Jeremy GELLER, 1992, 24).

La bière devient la métaphore de l'offrande dans la culture égyptienne. C'est l'idéogramme de la cruche de bière (signe W22 de la liste de Gardiner) qui détermine la lecture du mot inw, tribute (Alan GARDINER, 1927, 530) dont l'écriture associe les hiéroglyphes W24, nw, bol, et D54, in, apporter - les potiers, observe Orly GOLDWASSER (1992, 78 et 85) fabriquent des bols jambés ("legged bowls"). L'écriture métaphorise les gestes et les objets des pratiques sociales nagadéennes.

"Mortuary cults dedicated to powerful individuals and maintained by their heirs (genetic or fictive) legitimate succession and maintenance of power. In life the sharing of beer on a community-wide scale may have been perceived as a tangible sign of the largess and power of the redistributor: the chief or priest". (Jeremy GELLER, 1992, 24). Chez les Tenda, les chasseurs qui contrôlent la redistribution de la bière deviennent les "lions" de cette société.

"Even after death", continue Jeremy GELLER "the elite had a hand in driving the economy through maintenance of the mortuary cult with its concomitant demand for commodities." Chez les Bedik, les morts boivent dans la maison du chef. Chez les Egyptiens classiques, le service du domaine funéraire est la forme achevée du modèle.

"Large breweries such as those at Hiérakonpolis and Abydos reinforce the inférence of directed production and redistribution by powerful individuals or institutions - chiefdom or temple - during the Predynastic. The evidence at Hierakonpolis could suggest a prototype for the royal brewery or the manor brewery from the pharaonic record. It is the officials and chiefs, who eventually occupied the fancy tombs, who directed the provisioning of the brewers and the distribution of their product, and who founded a system of staple finance that was to persist in Egypt for more than 4,000 years" (Karl POLANYI, 1977, 115).

Aussi Jeremy GELLER propose-t-il de compléter le scénario des barons de la poterie ("pottery barons"), construit par Michael HOFFMAN par la compagnie des barons de la bière ("beer barons"). A dire vrai, si le scénario de Michael HOFFMAN se fondait sur la richesse en céramique funéraire des nécropoles d'Hierakonpolis, il va sans dire qu'il n'y a pas plus de pot sans bière qu'il n'y a de fumée sans feu. Il est légitime de réunir les deux figures sous celle unique de "seigneurs de la bière", ou pour reprendre une expression de Luc de HEUSCH qui allie la matérialité des données à la socialité des métaphores dont elles sont porteuses dans leur culture, de "rois ivres".

Ici aussi se devine l'écologie culturelle de la figure divine de Seth, documentée dès le Nagada I par des métaphores animalières (peigne d'El Mahasna, asinien rayé d'une poterie d'El Chozam - H. TE VELDE, 1967, 5-9), sinon son étymologie. Il ne s'agit pas du Seth diabolisé de Basse Epoque ou du Nouvel Empire, qui y portera le nom du porc, s3, mais d'un dieu que les pharaons vont revendiquer parfois comme protecteur, associé ou non au Faucon, jusqu'en plein Ancien Empire (Pr ib sn, H3 sxmwy ...). Les Egyptiens écrivent précisément encore à l'époque classique le nom de StH (hiéroglyphe E20) avec le hiéroglyphe de l'âne (E7), c3, et demeurent fidèles au canon de ses plus anciennes représentations nagadéennes. Ils semblent avoir attaché le nom de Seth, Sth, Stx (Wb IV, 345) au concept du désordre, et à ses manifestations (transgression, tumulte, ivresse), sans lequel l'ordre ne pourrait être fécond: le nom de Seth, et nous tombons d'accord ici avec H.TE VELDE, pourrait être formé par préfixation du morphème du causatif s- sur *ts, tumulte, désertion (ts i, manquer, être absent, ts ts écraser, bousculer, piétiner auquel fait écho de manière indiscutable le wolof tés-tési, s'agiter, s'activer, tës-tës ji, tés-tés ji, agitation, effervescence, où l'accord phonétique du classificateur (s/j ) trahit un état antérieur phonétique de t s plus proche de l'égyptien) et identifier littéralement Stx, variante Sts, comme "facteur de désordre".

Tout aussi vraisemblable est la formation du nom de Seth sur *t x, être ivre (t xi, être ivre, t xw, ivrogne, t xt x, désordre (chevelure) avec st x, "to cause to be drunk". L'identité des phonèmes s et x (chuintante et fricative sourdes) dont on connaît la commutabilité en égyptien ne s'oppose pas à un rapprochement plus étroit, à un chevauchement étymologique et sémantique. Seth rejoint ici Hathor comme figure divine "mythique de l'ivresse et de l'amour", et ils pourraient avoir été les "dieux tutélaires du vin" pour avoir été d'abord ceux de la bière, les dieux ambianceurs du désordre et de l'ivresse sans lesquels l'ordre n'est pas pensable. La raison et la clé du très beau mythe, construits à partir d'éléments de l'oraliture nagadéenne, où Hathor extermine l'Humanité sur l'ordre de Ra, où les dieux viennent à bout de sa frénésie destructrice en inondant le Nil rougi du sang des massacres de flots de bière (Théophile OBENGA, 1990).

Le portrait même de la figure royale de Nkongolo, le dieu Rouge des Luba (et ici l'Egypte sollicite évidemment le miroir des cultures bantoues modernes: l'oraliture historique luba présente traditionnellement Nkongolo comme le premier mu.lopo luba, et sa naissance se situerait vers la fin du quinzième siècle (Alain ANSELIN, 1989, 134 et sq). Il s'agit donc d'un personnage historique bantu contemporain de la Renaissance européenne. Il se confond aisément avec un personnage mythique parce que sa propre personnalité est définie dans un cadre culturel bantu où le discours du pouvoir, comme dans l'Egypte pharaonique des premières dynasties, ne peut s'énoncer que dans les normes du mythe, qui sanctionne davantage le code du pouvoir qu'il ne raconte l'histoire de celui-ci. Et ce code politique est, bien sûr, celui de la royauté incestueuse et du régicide rituel.

Aussi Nkongolo est-il l'époux débridé de toutes ses soeurs, un ivrogne cruel, qui dépèce son frère, le beau-frère féroce du noir Mbidi, le héros culturel luba, inventeur d'une maât bantu. Nkongolo s'incarne dans le serpent rouge de l'arc en ciel, dont il porte le nom, qui empêche la pluie de tomber et qu'il faut sacrifier pour ouvrir la saison des pluies: ce rôle échoit à son neveu, Ilunga (Patrick MUFUTA, 1967, 160, Luc DE HEUSCH, 1972, 69). On reconnaîtra aisément les figures également mises au duel, inséparables comme les fils noirs et rouges d'un même pagne, de Seth, d'Osiris et d'Horus dans cette dramaturgie du pouvoir et la conformité des dieux rouges, Nkongolo et Seth dotés d'une nature excessive, à un même modèle de démesure et de stérilité, autour desquels se fondent et s'organisent la culture, le pouvoir et leurs normes.

3. L'EMBARQUEMENT VERS LES CHAMPS DE LUMIERE.

C'est cette culture nagadéenne que les Nubiens du groupe A pratiquent à Nekhen même, à la même époque, sur le site HK64 qu'ils occupent (Renée FRIEDMAN, 1992, 200), attestant d'une continuité entre la région de Nekhen dont ils sont une composante, et la Basse-Nubie, où ils vont édifier le plus ancien état dirigé par une Couronne Blanche, celui du T3 sti, au Nagada III a2 (Bruce WILLIAMS, 1986, 1988). Aussi est-elle fortement "amratienne" (Nagada I) dans ses artefacts. Nekhen et Abydos concentrent et associent brasseries, boulangeries et poteries sur leurs sites, la logistique d'un pouvoir en plein développement de ses formes. Cela signifie qu'ils sont inintelligibles sans le postulat, en partie vérifié par le mobilier des tombes, de l'existence d'une forme de contrôle politique et social à laquelle ils sont indispensables. Ces capitales des "seigneurs de la bière", des patrons des cultes des ancêtres, des "rois ivres" sont aussi les sites des plus anciennes royautés: la Massue, le "Blanc", Hd, le seigneur aux trois prisonniers de la tombe 100, la fameuse Tombe Peinte du site HK33 de Nekhen, est contemporain des tombes d'architecture semblable du cimetière T 5 de Nagada (Nwbt), c'est à dire du Nagada II c-d (C14: -3440 + ou -70) et des premières couronnes "rouges".

Ce sont ces formes de pouvoir que vont continuer et développer aussi leurs successeurs du Nagada III a2, aussi bien Scorpion I d'Abydos que Pe Hor coiffé de la Couronne Blanche de Qustul, ou Scorpion II de Nekhen (site où sa tête de massue a été retrouvée).

C'est à ces cultes des morts et des ancêtres que "racinent" aussi bien les formes de pouvoir originelles développées autour du contrôle de leur logistique et de la reproduction sociale que les pharaons, notamment ceux de l'Ancien Empire. Ni les brasseries nagadéennes ni les inscriptions de Pepi I, mille ans plus tard, ne peuvent se comprendre en dehors de ce que les premières impliquent et que les secondes énoncent:

h3 ppii pw (...) i âb.n.k qs.w .k(...) wâb k3.k wcb shm.k im 3xw wâb b3.k im n t .r w (E.Wallis BUDGE, 1910, 213).

Salut Pepi! tu as réunis tes os, ton ka est pur, ta puissance est pure devant les esprits, ton âme est pure devant les dieux.

Dans tous les cas, dans l'autre monde qu'est le "Champ des Offrandes" des textes de l'Ancien Empire, dans le droit fil des pratiques et des représentations nagadéennes, le mort se métamorphose en être lumineux, 3x (Abbas BAYOUMI, 1941, 61) - les pharaons ne vont pas échapper à la règle, sa pratique est même au principe de leur pouvoir: et Pepi (Pyr.1252 c) de s'identifier aussi aux Etoiles Impérissables, aux 3xw, adorateurs d'Osiris, dieu des Morts:

"Ce Pepi est debout devant les 3xw, Etoiles Impérissables, comme Osiris est debout devant les 3xw"

"Tu (le défunt) es debout devant les 3xw comme Horus est debout devant les vivants" (Abbas BAYOUMI, idem) .

Le culte des ancêtres assure l'intégration des vivants et des morts, et est producteur et/ou occasion de pouvoir dans son propre dispositif symbolique, à la fois parce que sa gestion est la clé du contrôle social (et l'accès à cette gestion un enjeu) et parce que les "esprits", les 3xw, les ancêtres, sont constitués en véritables " métaphores paternelles ", lointaines mais incontournables, en ces lieux où les vivants se font ancêtres, devant lesquels les rites les invitent à se présenter "purs" et figurent la loi et ses interdits, par où s'institue un "ordre de référence" hors duquel "l'individu comme la société connaîtraient un vacillement souterrain" (Laënnec HURBON, 1981, 93) et se "dés-intégreraient" littéralement.

Les Worodougou de Côte d'Ivoire tendent en l'occurrence le miroir de leur culture à cette conception égyptienne: " Pour qu'un chef (mansa) devienne ancêtre (mema), il faut que son successeur meure à son tour et soit enterré près de lui comme père (va)" (Moustapha SANOGO, 1992, 64-75). Wolof: maam ji, aïeul. Fulfulde: maama.ji, grand père, maam'en, grands pères. Cette période s'appelle le temps du sommeil du chef, et ne prend donc pas fin avec le sacrifice du boeuf, couteau tourné vers le soleil couchant, geste métaphorisant le pouvoir comme soleil, qui achève la deuxième inhumation. Les rituels du sommeil du chef le font rejoindre les "pères" puis les "ancêtres" après le décès de son successeur. L'égyptien ancien distingue les deux notions, et les deux statuts confondus sous le même mot, par le nombre: it, père, it.w, les ancêtres, it it.w, père des ancêtres: père d'une lignée (Dimitri MEEKS, 1980, 49): cela ne saurait être sociolinguistiquement innocent et renvoie aussi au yaka: se, père, oncle, au kikongo: sa, se, père, ma.se, ancêtres, au tunen: i.sa, père, mo.sa, l'homme, pluriel ba.sa, pour ce lexème, l'égyptien donne s, homme, (Théophile OBENGA, 1985, 81).

Ces statuts successifs organisent le pouvoir dans la durée. De ce point de vue, le culte des ancêtres est au pouvoir ce que le culte des morts est à l'ensemble de la société, construit selon le même paradigme, et s'institue du même coup au principe du contrôle social. L'homophonie égyptienne de it, père, aïeul , et de it(y), souverain (celui qui prend, saisit, capture), n'est pas innocente et ne manque pas de termes de comparaison. Anthropologiques d'abord: le tangbula et le tunkara des terroirs minyanka du Mali sont autant "d'ancêtres vivants", "coiffés d'un bonnet blanc sur lequel on enfile un bonnet rouge" (qui rappellent la double couronne pharaonique), entretenus par la communauté (Danielle JONCKERS, 1987, 145). Linguistiques ensuite: *it fonctionne comme lien et comme métaphore entre culte des ancêtres et royauté du pouvoir, le tu.nen offre ici son miroir à l'égyptien: y.it, pluriel b.it, esprits invisibles (ancêtres), et, iti, saisir, tenir (Annie DUGAST, 1986) duplication exacte, de son et de sens, de l'égyptien ancien.

Les funérailles du chef sont aussi bien l'occasion de l'intégration des vivants et des morts que celle d'étendre l'autorité et le prestige de son successeur par l'alliance matrimoniale et les échanges propres qu'elle appelle, attisant dans le même mouvement le développement et le contrôle de la production des biens spécifiques à chacune des cérémonies où faire, par la fête, société: funérailles, mariages - et les rivalités et les conflits autour de ces enjeux majeurs du pouvoir qui font et défont les "Grands".

Les funérailles adja-fon fournissent l'exemple d'une élaboration culturelle conduite à son terme, où une troisième phase, celle de "l'embarcation des morts", succède à l'inhumation réelle et à l'enterrement rituel déjà évoqués avec les Worodougou. "L'embarcation des morts" marque "la transformation de tous les morts de la dernière génération", de tous les morts d'il y a environ vingt cinq ans, "en vodun, esprits qui lient entre eux les vivants du lignage avec un partenaire invisible", une figure ancestrale du lignage (B. ADOUKOUNOU, 1979). Sous cet angle, les esprits du vaudou haïtien, papa Loko, Damballa, etc., sont identifiables aux pères, aux ancêtres, aux esprits - il en va de même dans le candomblé brésilien où "deux individus de même orixa sont tenus pour frère et soeur" (Laënnec HURBON, 1981, 95).

Nous sommes toujours dans la culture égyptienne, et les égyptiens sont toujours dans la culture africaine, qui est leur culture: en Egypte, "mourir, c'est embarquer, accoster, amarrer le bateau (mni) et rejoindre les 3xw": on ne peut devenir ancêtre qu'après embarcation. Et mni, c'est aussi être éternel. La barque est la métaphore funéraire par excellence (Christian JACQ, 1986, 38 et 120-121): "le mort sans barque ne peut accomplir la traversée céleste", suivre la route de l'immortalité et rejoindre "la région de lumière de l'3xt". "Etre admis dans la barque" est d'abord le "privilège du roi de l'époque archaïque étendu ensuite à tous les justes", on l'y asseoit sur le siège nst, dans une cabine, k3r, qui accepte le déterminatif du temple du dieu soleil (idem).

On pense aux processions de barques nagadéennes, halées ou non, des rupestres des wadi de Haute Egypte, aux barques funéraires des tombeaux thinites d'Abydos (David O'CONNOR, BIFAO, 1992, 40), aux files de barques wi3 de l'Horus nubien de Qustul (Bruce WILLIAMS, 1980, 12-21).... La barque est donc aussi le modèle de la richesse et du pouvoir dans une culture où la stratification sociale ne cesse de gagner en complexité: être sans barque, iwi, c'est donc être pauvre, et sans accès à la lumière de l'éternité. Aussi la morale égyptienne enjoint-elle de nourrir l'affamé, de donner de la bière, évidemment, à l'assoiffé, de transporter celui qui n'a pas de barque, éthique de solidarité millénaire qui réalise l'intégration des vivants et des morts dans une configuration culturelle optimiste.

4. L'ÂME, L'OMBRE ET LES MUTUELLES.

Cette conception qu'énonce l'inscription de Pepi I et qui se déduit aussi du lien étroit des premières formes de pouvoir et des brasseries, qui s'articule, s'ancre, s'enroule autour des cultes des morts et de l'idée de la personnalité humaine qui en est inséparable, nous la connaissons bien dans la Caraïbe, où elle nous vient, comme patrimoine structurant (heuristique et non cognitif), aussi bien des cultures bantoues que de celles de l'Afrique de l'Ouest!

Comme les égyptiens, ceux du Nagada comme ceux de l'Ancien Empire - qui organisent l'économie de la personne humaine autour de son corps H3t, de ses âmes: le k3, le b3, l'3 x, le sxm, l'ib, respectivement le "double", "l'âme", "l'esprit", la "puissance", la "volonté", et du swt, "shadow", l'ombre (hiéroglyphes 35/36 de la liste de GARDINER, qu'il est difficile de ne pas référer au soleil ou à l'air (sw), et de son nom, rn - les Yoruba, les Ewe ou les Bambara "croient à plusieurs âmes" écrit Angelina POLLAK-ELTZ (1990, 109). "After death, the vital force disappears or enters the Land of the Dead or returns to the Suprême Being. The other soul is the shadow-soul", qu'un sorcier peut capturer, qu'un magicien peut libérer. C'est là le swt égyptien même ! "After death the shadow-soul becomes a spirit, that roams around the world until the completion of the burial rites, it is then sent off to the Land of the Spirits. The proper burial rites assure the deceased his proper place among the ancestors" (im 3nw dit littéralement l'égyptien) "and the same time prevent the spirit to remain in the world and disturb the living relators. An ancestral cult is common everywhere, sacrifices and libations are made in front of the ancestral shrines... "

En Egypte, ce culte des ancêtres va de pair avec l'existence des sociétés initiatiques (égyptien bs, initier, bsw, initiation, fang besi, société secrète, ekoï basi, association etc. (cf Oscar PFOUMA, 1993, 92) et le recours aux pratiques de protection dispensées par les s3.w et les Hrw Hq3, les magiciens, contre l'envoûtement, rk (Wb II, 456, 10) qu'Oscar PFOUMA identifie brillamment avec le bantu commun BC *rog / lok (1993, 91-97). Cf Théophile OBENGA, 1985, 157: ki.kuyu: mu.rogi, sorcier, u.rogi, sorcellerie, rwanda: ku.roga, ensorceler, empoisonner, kongo: loka, ensorceler etc. Ainsi, en lingala, bo.ndoki est le sortilège, bo.loki, le maléfice, celui qui les dispense est le ndoki ou le mo.loki (le bo.loko de nos grands-fonds et de nos mornes guadeloupéens, qui ont perdu leurs nganga [les cubains ont les leurs, sous ce nom: ganga], pourrait bien avoir été autre chose qu'un "paysan", acception aujourd'hui péjorative, du terme, en créole). Seul le nganga, que les Cubains connaissent encore dans leurs confréries, peut exorciser, ko.beng.an.a mo.lok.i, chasser le maléfice. L'expression est formée sur ko.beng.a, chasser (mo.beng.i, chasseur). Elle souligne la puissance heuristique de la chasse dans les cultures africaines, la rémanence de son art du vivant et de ses équilibres où toute perte demande sacrifice, et sa manière d'habiter, "d'in-former" la culture du grain et du boeuf, pourvoyeuses d'heuristiques nouvelles dont la prédation demeure absente.

La magie met à l'abri de la capture des âmes. Le terme pour "âme" est polysémique comme nos rhythmes sont polymétriques et recouvre un espace sémantique partout partagé, même habillé ailleurs sous d'autres lexiques. En égyptien, b3 c'est l'âme (Raymond O.FAULKNER, 1966, 16). B3, c'est être - on le dit ainsi aussi dans les langues bantoues: *ba, nyanga: ba, être, luganda: ba, chagga: wa, duala: be, duma, i.be, ki.rundi: ku.ba, ki.nyarwanda: ku.ba, gwamba: ko.ba - i-, ku-, ko- sont les préfixes pronominaux de l'infinitif (Théophile OBENGA, 1985, 183). B3, c'est aussi le bélier, aussi bien que le hiéroglyphe R7 du brûleur d'encens, symboles de l'âme divine (formule 85 du Livre des Morts). C'est enfin le léopard, la peau du léopard. Nous voilà dans une métaphore funéraire connue ! Chez les Efik nigérians, une société initiatique, que perpétuent les Nanigos cubains, a pour figure centrale, invisible, Ekwe, "qui ne se manifeste qu'en faisant retentir sa voix rugissante de léopard" écrit le musicologue cubain Fernando ORTIZ (1951, 358). Le plus brillant anthropologue cubain de cette fin de siècle, Enrique SOSA-RODRIGUEZ, précise pour les Ekoï: "Ekpe, Ngbe para los Ekoi, fue una de estas sociedades: secreta, exclusiva para hombres" où honneurs et pouvoirs sont attribués aussi bien à des membres en vie de l'organisation qu'aux morts et à leurs esprits (1992, 39). Ce sont là, notons-le, les noms mêmes du léopard, en efik: ekpe, en ododop: ekwe, en kwa et en ekoi: ngbe (Enrique SOSA RODRIGUEZ, 1986, 412 n'opère pas le rapprochement) - mais aussi dans les langues bantu, kuba: kwey, ding: nkue, shi: ngwi, zulu: in.gwe, bafo: ngwe, rundi: i.ngwe, fang: nze, mbochi: ngwe, luba: nge (Théophile OBENGA, 1985, 41), série qui illustre la sonorisation des sourdes pour la labiovélaire (kp), telle que (kp) = (gb) puis (gw) et identifie une racine commune *kpe.

Oscar PFOUMA (1993, 130) observe que le prêtre du rite funéraire de l'ouverture de la bouche portait une peau de panthère et que les Shilluk du Haut-Nil inhument leurs nobles dans une peau de panthère. La poétesse sud-africaine, Grace NOMAKHOSI, que cite Janheinz JAHN dans son ouvrage "Muntu", fera errer le poète défunt Edward Krune MQHAYI " dans la peau d'un léopard ". Une même connivence sémantique parcourt toute cette culture de l'âme, b3. Les morts ne vivent peut-être pas, mais ils sont, b3, et prennent métaphore dans la faune solaire du village, avec le bélier, ou de la savane ou de la forêt, avec le léopard.
Les attributions des sociétés initiatiques concourent d'une manière générale à l'intégration des vivants, et à l'intégration des vivants et des morts. Ainsi le rôle de l'ekwe efik ou des nanigos cubains est "d'établir un lien entre les vivants et les morts" et de prodiguer la solidarité de la société après les funérailles à ceux qui demeurent en vie - comme le font encore les mutuelles martiniquaises sous l'habit des rituels chrétiens. En identifiant le modèle, partout récurrent, des sociétés initiatiques, Oscar PFOUMA nous ramène à la figure lumineuse, divinisée, de l'ancêtre. En effet, remarque-t-il, "l'initié supérieur égyptien était désigné par le terme 3xw" (1993, 91-97). Oscar PFOUMA, dans un raccourci saisissant et fondé, rapproche le mot égyptien d'un terme de sa langue, le kwasio: yaku, astre lumineux (avec palatalisation de la voyelle initiale), de préférence à un autre mot égyptien: i'cn, copte ooh, lune (Wb I, 42, 7-9).

La plupart de ces éléments, communs à l'Egypte nagadéenne puis impériale, et aux civilisations de l'Afrique de l'Ouest, le sont aussi aux cultures de la Caraïbe et des Amériques Noires: d'Haiti à la Colombie, de Cuba au Brésil, du Mexique (Cujila) au Honduras (avec les Garifunas, locuteurs d'une langue amérindienne), de la Jamaïque à Trinidad. Au Vénézuela, écrit Angelina POLLAK-ELTZ (1990, 109): "After the death, the shadow-soul leaves the body but remains near the corpse and the mourners until the completion of the burial rites and wakes". Une fois les rites funéraires accomplis, "l'ombre", le swt égyptien, rejoint le Pays des Morts. Les Ancêtres sont invoqués dans des cérémonies annuelles, ou leur aide suppliée, avec des fleurs et des chandelles (des lumières). Cette conception préside à la Toussaint martiniquaise où les vivants nettoient chaque année les demeures des morts et les illuminent: tous les cimetières du pays deviennent, la nuit tombée, des nécropoles de lumières, et la Martinique, l'espace d'une fête chrétienne, l'île des 3xw africains.

On conçoit l'importance fondamentale, paradigmatique, du culte des morts dans ces conditions, aussi bien en Egypte nagadéenne que chez les Dogons ou les Marrons du Surinam, et l'importance stratégique de son contrôle social. L'Ancêtre du hiéroglyphe A19, wr, l'Aîné, tni, l'Ancien, i3w, l'Agé, appuyé sur son bâton, courbé par l'âge, s'offre en graphème et en métaphore du pouvoir au "prince", wr des textes classiques - un pouvoir qui s'est défait depuis bien des palais du principe de séniorité lié au culte des morts qui commandait à l'organisation sociale. Pour comparaison, wr est ici l'équivalent de l'ewe gan, grand, aîné, chef, ministre, clé de voûte de la parentèle comme de la société, ewe ha, qui répond au basaa li.haa et à l'égyptien, h3, h3w, famille, parenté justement rapprochés par Oum NDIGI dans un superbe article de référence (1993, 97). La gestion sacrificielle qui réunit les vivants et les ancêtres dans un même espace symbolique, le contrôle du culte des Ancêtres font peu à peu des rois palatiaux issus des lignages aînés les médiateurs privilégiés entre le monde des vivants et celui des 3xw . Le cours de l'univers et la prospérité des hommes, que ne hantent aucune ombre, aucun revenant, passe par leur médiation oblative - qui est l'occasion, on l'a vu aussi bien avec les Tenda qu'avec les Worodougou, pour les hôtes de l'institution médiatrice de concentrer la logistique de l'oblation, par exemple, le grain, un certain type de poterie, le bétail, destiné à la consomption sacrificielle aussi bien qu'à la circulation des femmes: à la reproduction sociale, et aux potlatches royaux interrégionaux. L'accomplissement des rites est la condition de la lumière pour les morts et de la paix pour les vivants. Chez les Mossi, l'inhumation du roi dans le cimetière royal selon un cérémoniel propre le "transforme en ancêtre bienveillant à l'égard de son successeur" (Michel IZARD, 1987, 69). Si Pepi rejoint la lumière des ancêtres (de manière privilégiée), c'est que ses os ont trouvé leur bol, leur terre, et que les rites funéraires avec leurs offrandes de pains et leurs libations de bière ont été accomplis, comme cela se fera plus tard au Zaïre ou au Bénin. Le cas échéant, l'ombre errerait, swt ici et hier, zombi (jumbi à Trinidad) là et aujourd'hui.

Mais surtout, là où la culture ne résout pas ou plus les conditions du retour aux Ancêtres, il y a déficit d'intégration sociale, là où les morts, livrés à eux-mêmes, se trouvent disponibles pour hanter les vivants et condamnés à le faire, il y a rupture de la loi, de ses formes comme de ses contenus, impossibilité pour le mort de s'éloigner du monde des vivants pour rejoindre les ancêtres de lumière et figurer à son tour la métaphore paternelle ("l'élément tiers qui soustrait Ego à la relation duelle-fusionnelle avec la mère") (Laennec HURBON, 1981, 93) - redoublement par rupture d'ancestralité de l'évacuation du père réel dans la société de plantation et de l'émersion de celle, ambivalente, de la mère et de ses items, qui y "tient" pour longtemps au delà des mornes et jusque dans les villes de la "modernité", "un discours qui n'est pas le sien" et y gère un ordre qu'elle subit.

Toute production conceptuelle de figure symbolique exige discussion: d'être vérifiable ou réfutable, par la production d'arguments critiques de sa réalité, par la peinture des lieux de sa dissolution. Là où ce qu'elle interdit prolifère, il y a problème. Albert FLAGIE (1990, 6 et sq, 1992, 28 et sq) et Laennec HURBON (1981, 86 et sq) l'ont très bien décrit pour la Guadeloupe.

Ce sont précisément ces rites funéraires qui y font défaut. Le mort ne rejoint pas les ancêtres, demeure incapable de regagner une Afrique "ardemment sollicitée, inaccessible et dédaigneuse" des siens. Faute des sacrifices habituels aux cultes des morts "la question du retour des âmes dans leur lignée ancestrale" se pose de manière critique - en termes d'heuristique, celle des dispositifs symboliques par où "produire du sens", "un langage spécifique à partir duquel le social lui-même et le monde sont appréhendés" (Albert FLAGIE, 1992, 7) - celle du champ symbolique, du "cadre référentiel de l'identité", comme celle d'un contrat social qui unirait les acteurs, les vivants entre eux parce qu'ils le seraient aussi aux morts.

"Morts sans amarres", morts sans culte, vivants sans ancêtres - les "habitants d'un culte désaffecté" que sont, selon le mot d'Aimé CESAIRE, les Antillais, redoutent l'envoûtement et la persécution des vivants par les morts. Et courent se protéger et se défendre des esprits des morts, littéralement révocables, à qui le statut de bienheureux est interdit faute de culte, dans la prolifération des églises et des sectes, métaphores paternelles de secours courues par des milliers de mères et d'items maternels, et la recherche de saints protecteurs, invocables (Robert MASSE, 1980, Albert FLAGIE, 1992, 29). La démarche accroît d'autant, observe Albert FLAGIE, en termes d'heuristique culturelle, "la pression des morts sans amarres" et le mal-être, fuit à grand bruit de cantiques, de ces sociétés "atomisées" par leur organisation coloniale, sans loi propre en termes de champ symbolique. Et consacre la rupture d'ancestralité, la solution de la mémoire, l'absence sociale, l'incapacité à faire projet: dèmen sé on kouyon.

"Cette extrême disponibilité des esprits renvoie à cette absence de culte des morts" qui mettrait les vivants à l'abri de la capture et de la manipulation de leurs âmes. Plus les morts sont oubliés, plus ils sont présents. Ils "n'en finissent pas de reprocher aux vivants de les négliger". "En d'autres termes, ce qu'ils réclament, c'est la mise en oeuvre d'un culte des morts" qui consacrerait l'inscription au sol et dans la durée, l'autochtonie et l'ancestralité, et rendrait possible mémoire et projet, intégration des vivants et des morts dans un contrat social propre - ce que la situation exige, c'est une anamnèse de la colonisation, une anamnèse de la métaphore paternelle et des figures d'autorité en mal de champ des offrandes.

A la différence d'Haïti, de Cuba, du Brésil, dotés de larges confréries où se sont continués et transformés cultures et cultes africains, où, au versant de cette topologie sacrificielle du pouvoir (Alain ANSELIN, 1993, 109-125) s'invoquent les lwa ou les orixa (si le sacrifice, l'oblation aux ancêtres exorcise, la possession adorcise lwa et orixa en une configuration symbolique antithétique; et où s'est réalisée l'inscription, souvent cabocle (Alain ANSELIN, 1992, 5-43) - au contraire des sociétés du Nil amarrées à leurs ancêtres en des cultes où la gestion du sacré se confond avec le pouvoir, où le "roi ivre", de bière et d'offrandes, se fait condition de l'intégration des vivants et des morts, et du contrat social dans un univers tenu pour libre d'esprits (de pères-sécuteurs), en Guadeloupe et en Martinique, en dépit du poids séculaire des mutuelles funéraires "l'espace des vivants se présente comme un lieu où les esprits des morts prolifèrent", où ne s'accomplissent plus "les rites de passage qui rendent les morts dignes de partager le séjour bienheureux des ancêtres" (Komla AGBETIOFA, 1985, 84-90).

A constituer la figure d'autorité du champ symbolique, et légitimer le pouvoir, leur contrôle ne peut être admis des acteurs qui font société autour d'eux. Le shm, la puissance de Pepi est pure devant les esprits, les ancêtres, les suivants d'Osiris, leur lumière solaire et stellaire, le b3 de Pepi pur devant les dieux .

Soit.

Le "Faucon", l'Horus pharaonique Pepi est si puissant qu'il "agenouille même les 3xw " (Abbas BAYOUMI, 1941, 62, Pyr.1535) et comme tous les pharaons, s'arroge le bénéfice de l'immortalité, de la durée, qui est pouvoir 3 xw, pouvoir magique, (Dimitri MEEKS, 1980, 8). Le privilège de la durée, mais aussi le contrôle des ancêtres ne sont pas sans risque. La gestion du culte des morts qui fut au principe du pouvoir et du sacré, s'avère, sous ces conditions, tout autant grosse de "révolution sociale". Les suivants d'Osiris, les "lumineux" des temps nagadéens, sont au coeur des cultes populaires qui assurent au défunt "lambda" de devenir un ancêtre et non un revenant. En Egypte, on s'en protégeait à coups d'amulettes: les poissons int et 3bdw incarnaient par exemple la défense de la lumière solaire. Dans la Caraïbe, "sorciers et magiciens" (Angelina POLLAK-ELTZ, 1990, 109) se disputent le contrôle des vivants par celui des ombres, et tout finit en amulettes, en gadkò, qui ne disent plus leur nom.

Ces conceptions seront heuristiques de l'expression, en termes culturels, des conflits économiques et sociaux majeurs de l'Ancien Empire. Le pharaon "était debout devant les 3xw comme Horus devant les vivants" disaient les textes des Pyramides, et le petit peuple des adorateurs d'Osiris dieu des Morts, debout devant le pharaon.

5. L'HISTOIRE A INVENTER ENCORE ET TOUJOURS.

Nous n'avons pas quitté l'Afrique, ni l'Egypte donc, nous avons juste changé de rive - première remarque, de l'ordre de l'anthropologie culturelle.

"Ainsi les rites funéraires du vodoun haïtien ont pour but de maintenir les bonnes relations entre les vivants et le mort, son âme devrions-nous dire, car si l'on a point rendu à celle-ci les "services et hommages" appropriés, il peut être une nuisance pour les parents qui lui ont survécu (...). Une première cérémonie funèbre appelée "dégradation" consistera à forcer l'âme à quitter définitivement le corps, une deuxième dénommée "casser-canari" organisée plus tard aura pour but de libérer complètement l'âme du mort ou plutôt de l'éloigner, de la transformer au besoin de puissance nuisible en esprit bénéfique pour les vivants "et d'épargner à ceux qui restent sa capture et son réemploi à des fins multiples sous le nom de zombi". Voilà ce qu'écrit Maximilien LAROCHE du vodou haïtien "dont on dit aussi qu'il est une religion des ancêtres et qui est, en tout cas, dans certains de ses rites, culte des morts" (1978, 179-191).

Ainsi les chants du kumina jamaïcain relevés à Spring Garden, Port Antonio ou Arcadia dans la province de St Thomas ont encore le ki.kongo pour référent linguistique sous leur créolisation:

I'am a Guinea bird-eh, chante Babu Bryan,
wah me da go do ,
poor me Guinea bird-oh ,
wah me da go do ,
oh me wan go home-eh ...

C'est que la "poule de Guinée", que le terme de Guinea bird identifie, précisent Patrick BILBY et FU KIAU kia BUNSEKI (1983, 70), ne vole pas. Ni sur les palettes prédynastiques de l'Egypte ancienne, ni en Jamaïque, et ne pourra donc jamais rentrer en Guinée, métaphore de l'Afrique dans les cultures afro-caribéennes, même lorsque celle-ci est chantée avec des mots bantous:

oy-eh ,but what a Guinea mama ,
seh woy-oh , kalunga ,
woy-oh , Guniea bird-eh ,
oy-oh ,but what a Guinea yard-eh

Là où les institutions existent, le patrimoine ancestral est transmissible, sans qu'il s'agisse jamais d'un processus passif et c'est selon son heuristique, qu'on investit un monde caribéen insulaire, par là, qu'on s'acculture et qu'on s'invente des cultures neuves par où donner sens au monde et s'y mouvoir, par là que s'américanise l'Afrique et que s'africanise l'Amérique.

Ainsi la culture de la mort a-t-elle traversé les flots de Kalunga, l'océan bantu, venue du Kongo. Les cérémonies funéraires habillent le mort d'un kandal (kandalala en ki.kongo) "essential to the preparation of the deceased person's spirit for its proper departure from the domain of the living". "Si tu n'as pas ton kandal, tu ne rejoindras pas ton père" dit un adepte du ku.mina jamaïcain. Au Congo, "la momification du défunt" ne peut commencer qu'après le vêtement mortuaire, natte de papyrus ou de roseaux, s'il s'agit d'un "pauvre de Nzambi", habits et couvertures, s'il s'agit d'un riche, avec danses tambours et chants (idem). D'accord avec les auteurs, le statut de "pauvres de Nzambi" des immigrants africains du dix-neuvième siècle (venus après la traite esclavagiste donc) n'a pas constitué un facteur d'abandon de la culture mortuaire: la pratique du "kandal" est "demeurée essentielle au départ du défunt vers le monde des ancêtres, le royaume de Nzambi" écrivent Patrick BILBY et FU KIAU kia BUNSEKI (1983, 70) - sans quoi le mort hante les vivants en qualité d'esprit: kuyu en Jamaïque, nkuyu en kikongo, où le mot réfère toujours à l'esprit d'un défunt non admis dans le monde des ancêtres et revenant troubler les vivants (1983, 77).

Et voilà comment les pauvres de Nzambi chantent en Jamaïque au vingtième siècle la même chanson que Pepi I pharaon de l'Ancien Empire:

"Old Pera, 'cadia, Kondalville, ekiese kiena mu fwa dia di bantu, kuna yand'e - tu ayeto(ye) ayeto kwand'e, ekiese kiena mu fwa dia di bantu kuna yand'e:
Old Pera, Arcadia, Kondalville, the memory of the people is joyful among the ancestors, we are alone among ourselves, the memory of the people is joyful among the ancestors" -
ici, dessous: kuna yand'e, dit littéralement le chant du ku.mina.

Nous sommes là dans deux cas de figures précis de rapport de l'anthropologie culturelle au politique: le vodoun haïtien a été la culture de contre-plantation (Jean CASIMIR, 1984, 333) et l'institution de la libération en pleine période de traite et d'esclavage par laquelle l'Afrique est devenue, dans la Caraïbe, pour la première fois, américaine; le kumina jamaicain est l'oeuvre de travailleurs libres débarqués du Congo avec leur culture et leurs institutions propres après l'abolition de la traite, situation qui serait symétrique de celle des free villages du centre de l'île quand l'Afrique y marronnait sous la conduite de Kudjoe au dix huitième siècle, s'ils n'étaient venus occuper les rangs inférieurs de la société coloniale que les marrons avaient fui.
Jean CASIMIR expose la problématique de ces cas de figures avec pertinence: "Plus les conditions matérielles d'existence en système de plantation et les processus de socialisation réduiront le champ d'exercice des comportements guidés par les conceptions africaines des choses", plus il sera difficile de "rêvendiquer" la Guinée des ancêtres pour les "oiseaux sans ailes", les Guinea birds de la Caraïbe que nous sommes, morts sans amarres d'un culte désaffecté, en panne de champs de lumière. Et l'on aura deux modes de présence africaine en Amérique: "celle qui prend la forme de traits isolés", de réemplois fragmentaires, et "celle qui prend la forme d'ensembles culturels complets et intégrés", par lesquels "les Noirs se sont trouvés à l'abri de la socialisation occidentale" et ont formulé des normes et des valeurs dont ils investissent aujourd'hui le champ social entier dans une transculturation qui n'est en aucune façon qualifiable de "métissage culturel", "sauf" et je fais miens les propos du sociologue haïtien (1984, 334) "si l'on prouve que la conduite des affaires politiques et économiques a dans le développement d'une société le même poids que les questions culinaires".

Si l'on aborde le Pérou, la Colombie, Cuba, le Brésil, les Guyanes, ce ne sont pas les cultures de contre-plantation des palenques cubains ou colombiens, des ki.lombos brésiliens, des villages saramaka qui ont été les "organisateurs sociaux" de l'Afrique en Amérique, mais les cabildos, les confréries africaines yoruba, efik, kongo fonctionnant comme de "véritables sociétés de secours mutuel" autour du deuil et de l'intégration des vivants et des morts au coeur même de la société coloniale (Isabel ARETZ, 1984, 184) - ce sont elles qui ont gouverné l'acculturation implacable des siècles de plantation, et qui investissent aujourd'hui les villes et leurs banlieues, après avoir réinventé le carnaval derrière leurs tambours.

La transculturation africaine de l'Amérique s'est forgée ses pratiques sous la dépendance, entre l'autorisation et l'interdiction - tantôt victime de décrets royaux interdisant les sociétés africaines, comme les cabildos du Pérou en 1598 (Isabel ARETZ, idem), les candomblés de Buenos Aires en 1770, ou fermant les tangos de Montevideo en 1816 - tantôt bravant l'ordre colonial comme les abakwa de Cuba "liés à des victoires sociales et politiques très importantes" et de ce fait longtemps présentés "par la classe dominante sous les traits les plus sombres" (Odilio URFE, 1984, 170). Et voilà comment à Cartagena, en Colombie, les membres du palenque de Saint-Basile célèbrent encore le rite des morts lu.mbalu sous l'égide de Batata, figure suprême de la Mort ("ba.tata"? les pères?). Tambours, danses, chants accompagnent la veillée du défunt pendant neuf jours, les maîtresses de la société dansent de toutes leurs hanches "et soulèvent parfois leurs jupes en passant devant le cadavre" (Isabel ARETZ, 1984, 183): gestuelle connue des danseuses des léwoz guadeloupéens devant le tambouyé ou de Neith et d'Hathor en mal d'insolence devant Ra ... Dans tous les cas, c'est encore la chanson de Pepi et la rumba des rois ivres qui scandent des quotidiens interminables et des veillées lumineuses.

A Cuba, ces sociétés secrètes continuent de recourir à l'univers linguistique africain et pas seulement au patrimoine intellectuel qu'il véhicule: yoruba (avec les Lucumi), ewe (avec la règle Arara), efik (avec l'abakwa) et kongo (avec la Règle de Palo Monte ou Mayombé). Aussi y rencontre-t-on des ndoki (esprit du mal, sorcier), des nganga, en ki.kongo dans le texte, des zumbi, esprits dont la maîtrise incombe aux hauts grades des sociétés secrètes: mu.sungo du Ngbe (léopard), mo.songo ou mo.kongo, chef nanigo et tambour ekwe, ou moko, autre grade de la société secrète du Ngbe (German DE GRANDA, 1973, 1-23) - connu dans la littérature haïtienne comme le "roi Eunuque", le roi Moko de l'oeuvre de Rassoul LABUCHIN (Maximilien LAROCHE, 1978, 50) - victime de quel oxhyrinque, en quel fleuve? C'est peut-être là, dans ces confréries, qu'il faut chercher la signification, sinon l'origine de nos moko-zombi guadeloupéens, perchés sur leurs échasses comme l'ibis du savoir égyptien ou la cigogne du mu.ngonge, maîtres des initiations. C'est par ces initiés que se continua à Cuba, l'emploi, ritualisé, étroit, des hiéroglyphes ekoi, les nsibidi ("jeroglificos, signos magicos de origen ekoi" (Enrique SOSA-RODRIGUEZ, 1982, 401), dans ces sociétés que parvenaient à se donner, les frères de la mortelle traversée océane (les "ma.lungos", les camarades, comme disent les brésiliens en bantu (Oswaldo DE CAMARGO, 1988, 69), avec ses nse et ses ete, ses pères, les mots mêmes de la parenté égyptienne, s, homme, it, père - ceux du bantou encore .

Pour autant que le concept soit pertinent, c'est le versant "civil" de sociétés africaines holistiques qui a voyagé jusqu'en Amérique et dans la Caraïbe après la dépossession politique de la traite et de l'esclavage, avec les sociétés initiatiques et fraternelles. Initiatiques et fraternelles, c'est le sens même du mot ma.lungo, camarade, " frère ", si vous préférez, en brésilien, qui est un pluriel bantou (il n'y a pas de frère seul !). Le mot est formé sur une racine du bantou commun: *dung (-lung, -rung), lier, relier, nouer, tresser, rendre parfait, complet, durer, allier (Clémentine M.FAIK-NZUJI, 1992, 48-49). C'est cette racine du sacré que l'on retrouve en ki.tandu pour nommer le séjour des morts et la porte qui y donne accès, l'océan, ka.lunga, ce ka.lunga des chants cubains et jamaïcains, ou le tambour, ndungu, et le sacré, nlungu - en ci.luba, pour nommer bu.lungu, l'humanité, la parenté, ka.lunga, l'univers, la perfection, le sacré, le lieu d'où Dieu a surgi, le lieu où vont les morts, tandis que pour les ba.Yaka, le mot désigne "l'espace matriciel originel et euchronique au-delà et en deçà de l'univers tangible"- l'égyptien antique dirait: le Noun.

On comprend nos réserves à qualifier les cabildos d'institutions de la société civile puisque, dans les sociétés africaines où ils se sont d'abord formés, leur organisation et la culture qu'elle véhicule ont à voir avec le pouvoir réglé dans son discours et les stratégies des acteurs par le sacré qui lui confère sa légitimité. Mais dans l'Amérique des plantations, le pouvoir habitait d'autres palais, enjeux de classes sociales (noblesses féodales, bourgeoisies marchandes, plantocraties) tour à tour alliées et rivales - et les cabildos habitèrent la société civile de cette société politique des colonies, lui donnèrent un habitus culturel cohérent: ce sont les confréries et pour l'essentiel "les pauvres de Nzambi" - les rx.yt, les nmh.w, aurait dit l'Egyptien antique - qui ont voyagé, pas les institutions du pouvoir politique proprement dit. Ce sont elles qui disputent aujourd'hui à une anomie communautaire féconde et à l'intégration de la modernité par la ségrégation et la mobilité sociales qu'elle produit simultanément, l'espace social, le structurant à l'occasion, l'investissant souvent.

Et c'est cette culture de l'intégration sociale des vivants et des morts, et des vivants entre eux, avec son horizon d'équité que nous avons en héritage ou en espoir dans nos univers soufflés par cinq siècles de dépendance et d'implosion économiques et sociales, frappés de déficit d'intégration sociale et culturelle. Et là où aujourd'hui la parole devrait être l'apanage de tous, habiter les lieux du pouvoir et du droit comme on s'asseoit sous un carbet, elle se tait.

Nos cultures de la relation visaient au fond à optimiser la condition humaine plutôt qu'à la conjurer comme d'autres s'attachèrent à le faire. Elles furent le lieu d'une culture intellectuelle originale, grosse d'une dialectique et d'une mathématique fécondes il y a bien des millénaires ...

Ce n'est pas l'heure d'assigner le passé comme fin au présent: quand il y a tant à faire, le passéisme ne saurait être de mise.

Mais il n'est peut-être pas là où des discours experts en indiquent les lieux, et s'attarder en mises en garde sur les amulettes qu'affectionnaient les inventeurs du théorème de Thalès, c'est méconnaître les règles de l'épistémologie, jamais bien éloignée de l'anthropologie culturelle, confondre les pratiques d'intégration sociale et la recherche de la connaissance, et vouloir ignorer qu'Isaac Newton, le physicien de la gravitation et de l'analyse spectrale, rédigea ses Principes assis sur une malle de travaux ésotériques écrits de sa main, dépourvus non seulement de valeur scientifique mais du moindre projet humain (John Maynard KEYNES, 1995, 14-23).

Nous avons pu voir à quel point les grandes interrogations philosophiques que soulève l'actualité de ce qu'ont de plus millénaire et de plus quotidien nos cultures dans leur pensée de la vie et de la mort et l'organisation de leur rapport nous renvoient à notre déficit d'intégration historique - c'est peut-être commencer à le résoudre que de parler aujourd'hui depuis les Deux-Rives, l'africaine et l'américaine de notre "double-pays" (Alain ANSELIN, 1993, 4-9)

Et c'est là que l'interrogation du passé, son histoire, prend tout son sens et se fait féconde: devons-nous continuer de nous fournir sur le marché mondial des éditions périmées des cultures de rechange, devons-nous finir en éternels clients et en âmes errantes de l'Histoire, ou la repenser pour nous y repenser et contribuer de nouveau à la produire?


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