Potomitan

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XVème Colloque International des Etudes Créoles
«Pourquoi étudier les langues, cultures et sociétés créoles aujourd’hui?»

Hommage, Honneur et Honte
Le Créole à l'école

Hector POULLET

La Soufrière vue depuis l'Habituée de Capesterre. Photo F. Palli

Nous sommes en 2016, de nombreux enseignants, avec ou sans le CAPES, enseignent aujourd’hui le créole en Guadeloupe. Pour beaucoup d’entre eux il ne s’agit que d’enseigner une discipline parmi  d’autres, ils savent vaguement que c’est  là le résultat d’un long combat sans plus. Le créole a de tout temps été parlé à l’école, dans la cour par les élèves, dans la salle des professeurs par les enseignants eux mêmes, mais il était interdit dans les salles de classe. Comment l’enseignement de la langue et de la culture créoles est entré dans le système éducatif en Guadeloupe, c’est l’objet de cette communication.

Depuis la fin des années 1950, un jeune instituteur du nom de Gérard Lauriette, bien qu’issu de l’école normale, décide de reconsidérer les méthodes d’enseignement en Guadeloupe, il écrit au vice-recteur que désormais il allait “branler dans le manche”, qu’il allait enseigner selon sa propre méthode: plus de livre, le “maître” doit se trouver face à sa classe “les yeux dans les yeux et les bras ballants”, capter l’attention de l’élève et lui parler de choses de son environnement. Il doit le faire avec la langue de l’élève. Donner à chaque élève l’occasion de prendre la parole dans cette langue sur le sujet traité. Puis dans une deuxième phase, après la récréation, ensemble, la classe résume avec le maître en français, ce qu’il faut retenir. A tour de rôle chaque élève écrit au tableau, avec l’aide du maître, une phrase en français de ce qui sera le texte de la leçon du jour, texte que chaque élève recopie scrupuleusement sur son cahier. Ce cahier sera son seul livre.

Telle peut se résumer la méthode Lauriette: il sera taxé de fou, sans le moindre secours de ses collègues ni d’un quelconque syndicat, d’abord mis en congé avec solde puis sans solde et enfin à la retraite anticipée. Alors il ouvrira sa propre école...  

Honte à Dame Urgin, Inspectrice Départementale de l’Education Nationale! Elle a tout fait pour que la langue créole n’ait jamais droit de cité dans l’école de la République.

En Octobre 1976, les réfugiés de l’éruption de la Soufrière, surnommés «sé magma-la», venaient tout juste de rejoindre leurs pénates quand Madame l’Inspectrice organisa à l’école primaire de Saint-Sauveur à Capesterre Belle-eau, une conférence pédagogique à laquelle étaient invités tous les enseignants de la circonscription. Lors du débat qui allait suivre l’exposé de madame l’Inspectrice un enseignant, je crois me rappeler qu’il s’agissait de Moïse Sorèze, que je ne connaissais pas encore,  eut l’impudence de  demander à l’experte en pédagogie  si elle ne pensait pas le moment venu, comme le répétait Gérard Lauriette, de tenir compte du créole dans l’Enseignement en Guadeloupe. Madame l’Inspectrice se mit en colère, dit qu’elle en avait assez d’entendre toujours cette antienne, ce refrain, cette rengaine à propos du créole à l’école et que, parmi la centaine d’enseignants présents, pas un jusqu’ici ne lui avait  soumis un projet cohérent sur ce sujet, que le jour où cela se ferait elle serait la première à le soutenir. Naïfs, nous avons été quelques-uns dont Sylviane Telchid, Danièle Bernini Montbrand, à vouloir relever le défi.  Quelques mois plus tard nous lui présentions notre petit opuscule qui n’avait rien de révolutionnaire, un simple relevé des créolismes les plus courants rencontrés dans les copies d’élèves, «Créole/Français: CM2-6ème». Nous lui avons demandé son imprimatur, une préface et son autorisation pour que le CDDP, Centre Départemental de Documentation Pédagogique, accepte de nous publier. Elle nous a ri au nez: «vous pouvez très bien vous faire imprimer sans l’aide du CDDP, avec tout l’or que vous recevez de Moscou!». L’or de Moscou, je ne connaissais pas l’expression, mais Madame l’Inspectrice pouvait prétendre parler en connaissance de cause étant donné que Monsieur le Directeur des Services de Police et des Renseignements Généraux n’était autre que son mari: monsieur Urgin! Bien mal renseigné le Directeur des Renseignements, car aucun de nous n’était ni communiste, ni apparenté à quelque niveau que ce soit à ce parti! Quant à l’or de Moscou, je n’ai jamais entendu dire qu’il coulait à flot en Guadeloupe.

Beaucoup d’entre nous n’ont pas oublié le mépris de cette IDEN, mais l’Histoire l’a déjà oubliée elle, son nom ne dit plus rien à personne. D’ailleurs celui qui lui a succédé à l’Inspection de la circonscription, Claude Molkhou, nous a immédiatement intégrés dans son équipe de réflexion pédagogique et demandé d’introduire l’étude du créole en CM2 dans deux écoles de la commune afin de recruter les enfants qui devraient suivre le cours de créole en 6ème l’année suivante au Collège. Honte à madame Urgin, Honneur à Claude Molkhou!

Mais continuons:

Honte à Edmond Bambuck, Vice-Recteur de Guadeloupe! Lui aussi a pesé de tout son poids pour que le créole reste à jamais un jargon juste bon pour les nègres d’habitation.

Devant le refus de l’Inspectrice, notre directrice du Collège de Capesterre Belle-eau, Madame Yolande Trinichewski-Lator qui  elle soutenait notre projet, prit rendez-vous avec le Vice-Recteur Edmond Bambuck afin qu’il nous reçoive. Après nous avoir fait attendre plus d’une heure dans le couloir devant son bureau, Monsieur le Vice-Recteur nous a poliment fait comprendre que le Créole n’étant pas une langue mais un pidgin, un parler vulgaire, il était hors de question que son administration autorisât une telle publication.

Découragés, mais résolus à trouver un moyen de mettre ce travail de réflexion entre les mains de nos collègues, nous sommes allés voir le maire de Basse-Terre Gérôme Clairy qui lui a autorisé son service de reprographie à nous faire un tirage d’une centaine d’exemplaires.

Quant à Madame la Principale nous allons voir plus bas comment elle a réagi à cette fin de non-recevoir du Recteur.

Honte à Bambuck ! Honneur à Gérôme Clairy, il a sans le savoir participé à l’introduction du créole dans le cursus scolaire de la république française.

Continuons:

Honte à Joseph Sarlat, ex-Proviseur du Lycée Baimbridge devenu Vice-Recteur, lui aussi cherchera, plus tard et plus sournoisement,  à éradiquer le Créole du Collège de Capesterre-Belle-eau. Il quittera son poste sans y parvenir tant nous avions entre-temps démontré aux parents d’élèves l’utilité de ces leçons de créole, tant nous avions leur adhésion et l’enthousiasme même des enfants qui découvraient dans les cours de créole le plaisir de pouvoir enfin parler avec le Maître, ce qui leur donnait l’occasion de lui faire savoir qu’eux aussi savaient des choses de la vie.

Continuons:

Honte à Dieupart Ruel, Principal du Collège de Capesterre Belle-eau devenu entretemps  Collège Germain Saint-Ruff, avec des procédés d’une rare  mesquinerie, il fera tout pour supprimer les quelques heures de créole qui se donnaient alors uniquement dans ce Collège de Guadeloupe. Pour exemple il disait officiellement aux parents d’élèves qu’ils pouvaient venir à son secrétariat inscrire les élèves qui voulaient suivre l’heure de créole, puis tout aussi officiellement annonçait à la rentrée qu’un seul parent était venu inscrire un élève! Heureusement que Sylviane telchid avait eu l’idée de suggérer aux parents une double inscription auprès d’elle sans rien dire au principal, si bien que nous avons pu fournir une liste d’élèves pour les cours de créole à la rentrée scolaire. Dieupart a fini par obtenir gain de cause après mon départ puis celui de Sylviane,  si bien qu’aujourd’hui où pratiquement tous les Collèges de Guadeloupe dispensent un cours de créole, souvent à minima, le collège Germain Saint-Ruff a été pendant plusieurs années l’un des rares établissements où il n’y avait  plus de cours de créole!

Je ne prononcerai pas d’anathème sur ces parents d’élèves qui ont constitué un association de parents uniquement pour contrer les cours de créoles, si j’excepte un certain Anaïs, pourtant un vieux de la vieille garde communiste de Paul Lacavé, dont la virulence ne s’est jamais démentie alors même qu’il n’avait plus d’enfant en classe depuis longtemps. A part ce héros,  pratiquement tous les autres parents anti-créoles sont devenus nos amis après que nous leur eussions expliqué en quoi consistaient ces fameux cours de créole.

Et maintenant rendons Hommage à toutes celles  et tous ceux qui ont œuvré pour que le peuple de Guadeloupe soit fier de cette langue laissée par nos ancêtres, avec laquelle ceux qu’on traitait “d’esclaves” ont prouvé qu’ils n’étaient pas des biens meubles comme on voulait le leur faire croire mais des êtres humains doués de parole et donc de raisons et de sentiments.

Hommage à ceux qui nous ont aidés et par la même occasion  ont permis de sauvegarder en partie la dignité des femmes et des hommes de Guadeloupe.

Honneur à Yolande Trinichewski, à l’époque Madame Lator, elle a été la première, et la seule, chef d’établissement à mettre en place une petite équipe chargée d’étudier comment aider les enfants créolophones en grande difficulté avec une heure de créole par semaine. Il fallait d’abord et avant tout redonner confiance à ces élèves en valorisant la langue qu’ils utilisaient couramment. Devant l’enthousiasme des enfants, contrastant avec le mépris du Recteur Bambuck et d’une grande partie du corps enseignant, la Principale du Collège eut l’idée d’inviter une équipe de RFO à une séquence d’un cours de Créole et pour alimenter le débat elle a demandé la participation ce jour-là d’un représentant de chacune des Associations de Parents d’élèves, ceux qui étaient contre le créole et ceux qui étaient pour que ces cours continuent. C’est cette séquence de créole à la télévision, une séquence de 6 minutes, qui devait déclencher la furie d’une certaine frange de la société. Nous avons entendu toutes sortes d’insultes, celle qui revenait le plus souvent était ,en parlant de nous : « ces gens parlent français à leur chien et veulent parler créole à nos enfants ! ». Honneur à Madame la Principale du Collège, elle a ouvert la toute vraie première brèche dans les murs de l'École Coloniale. Il est vrai qu’elle était d’origine polonaise et qu’elle agissait en connaissance de cause, elle avait en elle la révolte des colonisés. C’est, pour mémoire, cette même révolte qui avait animé une grande partie des sections d’assaut de l’armée du Général Leclerc, beau-frère de Bonaparte, envoyée en Haïti pour rétablir l’esclavage. Les polonais de cette armée ayant compris la similitude qui existait entre leur situation de colonisés par les Russes et les soldats de Toussaint Louverture, ont choisi le camp des opprimés. En fuyant, l’armée napoléonienne les a abandonnés en Haïti, leurs descendants y sont encore, on peut en retrouver certains à Fonds des Blancs, on les appelle des Blan-mannan, des manants comme pour dire qu’ils sont blancs et pauvres.

Mais continuons :

Honneur à Gérard Cosaque qui  a succédé à madame Lator à la tête de notre établissement.  Alors que sa hiérarchie, le Vice-Recteur Joseph Sarlat donc, l’avait missionné pour mettre un point final à «l’expérience» de Capesterre, qui selon lui était une honte pour l’éducation nationale,  il nous a au contraire encouragés à continuer quand il a compris ce qui était en jeu, nous avouant qu’il n’avait pas de consignes écrites et qu’il attendrait ces dernières pour aviser. Il ne les a jamais reçues et donc les cours de créole ont continué. Nous avons juste subi une inspection d’habilitation sous le contrôle d’une commission composée d’un Inspecteur général monsieur Bernabé, de deux linguistes d’université Jean Bernabé et Félix Lambert-Prudent, et d’un créoliste reconnu Donald Colat Jolivière. Inspection pour laquelle nous n’avons jamais reçu de compte-rendu. Le principal Cosaque nous a par ailleurs fait voté par le Conseil d’administration du Collège un crédit de 200€ par an pour la constitution d’un centre de Documentation spécifique pour les ouvrages autour du créole.  Honneur à Gérard Cosaque.

Continuons:

Honneur à Gérard Lauriette, devenu plus tard maire de Capesterre Belle-eau, il mettra tous les moyens de la municipalité pour recevoir, héberger et véhiculer correctement une vingtaine d’élèves avec leurs deux professeurs, Yvon Bissol et Paul Blamèbe, venus de Martinique pendant toute une semaine pour suivre nos cours et s’initier à l’enseignement de cette discipline. Ils n’avaient pu le faire qu’avec l’autorisation et le soutien de leur  hiérarchie, le recteur Juminer ainsi que  Monsieur Auriol Combe alors principal du collège de Basse-Pointe.   

A leur retour en Martinique professeurs et élèves allaient mettre en place le tout premier cours de créole au Collège de Basse-Pointe. L’école en Martinique se mettait à l’heure du créole, les idées commençaient à essaimer par le bas, et non plus seulement par le haut comme l’auraient voulu les linguistes de l’Université où le créole était déjà enseigné à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Schoelcher à l’initiative du GEREC (Groupe de Recherche en Espaces Créolophones)  dont l’animateur n’était autre que J. Bernabé  (sensibilisé au créole par son ami Bentolila, auteur du Ti Diksyonnè kréol Ayisien). Signalons que le même Auriol, devenu proviseur au Lycée Acajou, sera le premier à introduire le créole dans un lycée en Martinique.

C’est Marie-Josée Saint-Louis, professeur d’allemand, militante créole, qui sera la première  à enseigner le créole en classe de seconde, première et terminale.  

Toute cette mise en place, en Guadeloupéen aurait sans doute eu de fortes chances d’avorter si, simultanément, n’avait vu le jour un courant syndical autonome qui s’était dégagé des grandes centrales de France, SNI et SNES.

Honneur au SIPAG d’une part, au  SGEG d’autre part, ces deux organisations syndicales avaient une ligne pédagogique théorique commune autour de l’enseignement du créole à l’école.

Ces deux mouvements  devaient donner de sacrés coups de boutoir à l’idéologie assimilationniste. Leur communauté de vue devait aboutir à une fusion : le SPEG. Honneur à tous ceux-là qui ont pleinement participé à changer le regard de la Guadeloupe sur notre langue: le Créole. L’un de leur animateur René Beauchamp mérite le respect de tous.

Honneur à Jean Zébus, ce directeur de l’Ecole Normale, devenu inspecteur nous a au début de notre action, dit son opposition totale à l’utilisation du créole à l’école. Or voilà qu’un jour où des collègues de l’IUFM nous rendaient un hommage à Sylviane et à moi-même, voilà que nous voyons arriver monsieur Zébus en personne qui devant l’étonnement général a dit :” il n’y a que les imbéciles qui ne changent jamais d’avis”. Jean Zébus qui était originaire de Bananier avait au cours de ses rencontres pédagogiques utilisé, involontairement bien souvent, des mots créoles que je ne connaissais pas, preuve qu’il parlait créole mieux que nous, mots  que nous avons introduit à son insu dans le dictionnaire créole.

Honneur à Bertène Juminer qui a osé faire annoncer par Xavier Orville son intention d’introduire une part de créole dans l’Enseignement dans l’Académie Antilles-Guyane. Juminer venait d’être nommé Recteur de cette Académie, il avait délégué Orville à un colloque créole à Bâton Rouge en Louisiane pour faire cette annonce. Que n’avait-il fait là ! Un grande partie du corps enseignant de la Martinique était descendu dans les rues de Fort de France en signe de protestation !

Honneur aux parents d’élèves du Collège de Capesterre Belle-eau qui par leur insistance nous ont permis de résister à toute tentation de découragement.

Merci à tous ceux et celles qui en toute lumière, ou bien parfois dans l’ombre, nous ont encouragés et participés à ce combat. D’autres après nous ont su le poursuivre, le développer, l’approfondir et c’est grâce à eux que nous en sommes là aujourd’hui. Les connaissant peu, je ne saurais les citer tous, je pense à ceux que je connais le mieux: Alain Rutil et à Jean Galleron qui ont su prendre la relève.

Merci à vous de m’avoir écouté.

Viré monté