Interview avec Diana Guillemin
«La Langue Créole»

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Piton de la RivièreNoire
Piton de la Rivière Noire, Maurice. Photo Emmanuel Richon.

Diana est née à l'île Maurice et a émigré en Australie en 1966, mais elle se dit encore passionnée du créole. Dans le but de mieux comprendre cette langue, qui est une de ses langues maternelles, elle a entreprit des études de linguistique. Son but est d'inspirer les jeunes mauriciens à prendre conscience de leur héritage culturel et surtout, d'être fiers de leur langue créole. Diana complète  à présent son Doctorat (PhD) sur le Créole de Maurice a l'Université de Queensland.

Pourquoi cet intérêt dans le créole ?

  • Les linguistes ont pendant longtemps ignoré l'étude des créoles parce que ces langues n'étaient pas considérées comme de vraies langues, mais comme des langues bâtardes, des formes corrompues des langues dont elles étaient issues. On était d'avis que ces langues n'étaient parlées que par des peuples qui n'avaient pas d'éducation et pas de culture.
  • Toutefois, les linguistes sont maintenant d'avis que la genèse des langues créoles est un phénomène exceptionnel, et dont l'étude peut servir à expliquer comment l'être humain acquiert la langue.
  • La faculté de langue est en effet ce qui différencie l'humain des autres espèces. Et l'un des mystères que cherche à résoudre la linguistique, c'est comment un enfant avant l'âge de cinq ans peut avoir appris la grammaire complète de sa langue maternelle; comment il/elle réussit à la parler sans faire de fautes grammaticales – avant même d'aller à l'école pour apprendre les règles de grammaire!

D'où vient le terme ‘créole' ?

  • Le terme créole autrefois signifiait ‘personne de race blanche, née dans les colonies'. Le terme aujourd'hui s'applique tout aussi bien aux langues parlées dans ces colonies où se sont établis les Européens pour la plantation du sucre, du café et du coton, en se servant des esclaves provenant d'Afrique. Il s'agit, entre autres, de Haïti, de la Jamaïque, de la Martinique, et des îles de l'océan indien.
  • Les créoles sont essentiellement des langues mixtes provenant du contact de langues qui sont d'un type très différent. A Maurice il s'agissait, au premier abord, du français et des langues africaines, tandis qu'à la Jamaïque, il s'agissait de l'anglais et des langues africaines.
  • A Maurice aujourd'hui, le terme ‘créole' s'applique à la population issue des africains aussi bien qu'à la langue créole.

Mais est-ce que ces créoles sont des vraies langues ?

  • Qu'est-ce qu'une vraie langue? Une langue, c'est un moyen de communication qui consiste en un vocabulaire, et une grammaire, c'est-à-dire, des règles pour joindre les mots et former des phrases avec un sujet, un verbe, un object, etc. dans un ordre spécifique.
  • Or les langues créoles ont une grammaire tout aussi complexe ou tout aussi simple que celle de l'anglais ou du français, ou n'importe quelle autre langue du monde. D'ailleurs, la définition du terme créole telle que ‘nouvelle langue qui résulte d'un contact entre des langues différentes', fait de l'anglais un créole, une langue née d'un contact violent entre la langue celte et les langues germaniques lors de l'invasion de la Grande Bretagne par les Saxons, les Jutes et les Angles.
  • De même, la définition du terme dialecte, qui signifie une ‘variété régionale d'une langue' fait qu'on doit classifier le vieux français, l'italien et l'espagnol, comme des dialectes du latin vulgaire. Le fait que la langue française soit devenue si prestigieuse, c'est parce que c'était la forme du dialecte en usage à l'Ile de France, et que Paris est devenu la capitale.
  • Un autre terme qui s'emploie souvent quand on réfère au créole c'est patois. Le patois est une variété locale d'une langue, et qui est employée par une population souvent rurale et dont la culture et le niveau d'éducation sont perçus comme étant inférieurs à ceux du milieu environnant. Les Jamaicains appellent leur créole ‘patwa'.

Est-ce que les langues créoles se ressemblent ?

  • C'est un fait très intéréssant que le créole de Haïti, qui se trouve à l'autre bout du monde, est si proche du créole de Maurice, alors que le créole de la Réunion, qui se trouve à côté, est tout à fait différent. Ceci s'explique en partie par le fait que les créoles de Maurice et de Haïti ont été formés dans des conditions socio-historiques similaires. C'est-à-dire, qu'il y avait, au moment de la genèse de ces langues, à peu près le même pourcentage de maîtres qui parlaient le français, et d'esclaves qui venaient des mêmes régions d'Afrique.
  • Dans le cas de la Réunion par contre, il y avait beaucoup plus de français que d'esclaves, et le créole réunionais ressemble beacoup plus à un dialecte du français que le créole de Haïti ou celui de Maurice.

Est-ce que les grammaires créoles ressemblent à la grammaire française ?

  • Plus de 90% du vocabulaire créole mauricien provient du français, et pourtant, les français ont du mal à comprendre le créole – c'est parce que c'est une langue tout à fait différente; ce n'est pas un dialecte du français, et encore moins du français mal parlé.
  • Il y a eu des changements rapides très tôt dans la genèse des créoles, et ces changements ont eu par la suite, une influence radicale sur le développement de la grammaire de ces nouvelles langues.
  • Les créoles sont nés à partir des efforts par la population esclave pour parler la langue de leurs maîtres. Les premiers efforts aboutissaient à un moyen de communication primitif, sans structure, un simple échange de mots qu'on appelle, dans le jargon linguistique, un ‘pidgin'. Il faut ajouter ici que ces esclaves avaient été recrutés dans des différentes régions de l'Afrique, et qu'ils parlaient des langues différentes. C'était fait exprès pour qu'ils ne puissent pas organiser entre eux une révolte contre leurs maîtres.
  • Or les enfants nés de ces esclaves entendaient parler un ‘pidgin', et c'est à dire une approximation très simplifiée de mots français. C'est à partir de ce pidgin que, petit à petit, au cours des années, une grammaire s'est développée, et que le créole est devenu la langue maternelle d'une nouvelle communauté.
Quelles sont les changements qui ont eu lieu ?
  • Par exemple, les articles définis le/la/les et les articles partitifs de/du/des sont devenus parties intégrantes des noms. Ces artciles dans le français servent à différencier le singulier du pluriel, le masculin, du féminin, etc. Ce sont là des notions sémantiques universelles que l'esprit humain doit pouvoir exprimer, et qui sont exprimées d'une façon ou d'une autre dans toutes les langues du monde. Il a fallu, dans la nouvelle langue, trouver des moyens d'exprimer ces contrastes.

Des exemples des changements qui ont eu lieu sont:

La table ? latab (l'article défini la est remplacé par Ø – zéro)

Met dite lor latab

Mets le thé sur la table

On sait que l'article français la est devenue partie intégrante du mot parcequ'on dit enn latab (une table) et non enn tab.

Dans le cas des démonstratifs, ce/cette/ces, c'est l'adverbe français qui se développe en marque du défini, et il se place après le nom:

Cette table ? latab la

Cette table là ? sa latab la

Quant au pluriel, ce qui se passe est très intéressant. Le mot français bande devient bann et sert un double rôle, ce mot exprime non seulement le pluriel, mais le pluriel défini. Par exemple:

Li ti trouv zako manz banan
Il a vu des singes manger des bananes

Il s‘agit d'un nombre indéfini de singes et de bananes.

Li ti trouv bann zako manz banan
Il a vu les singes manger des bananes

L'usage de bann a fait de zako non seulement un nom au pluriel, mais un pluriel défini – c'est-à-dire qu'il s'agit maintenant d'un groupe de singes qui sont familiers à celui qui parle et à ceux qui écoutent.

Un petit enfant de 5 ans, dont la langue maternelle est le créole, sait exactement quand se servir de zéro article, quand il faut se servir de la, ou de sa…la , de bann etc. L'enfant sait quand il faut dire:

Met dite lor latab

Ou

Met dite lor latab la

Ou encore

Met dite lor sa latab la

Il/elle sait aussi qu'on ne peut dire bann dite parce que le thé n'est pas un nom comptable. L'enfant sait que la se place à la fin du nom, même s'il y a un adjectif qui modifie le nom, par exemple:

La tab rouz la

Toutefois, si ce même enfant sait aussi parler le français, il/elle placera l'article défini avant le nom, et dira e.g. la table rouge et non table rouge la.

Autre chose qui se passe de très intéréssant dans la genèse du créole concerne les verbes. Les conjugaisons disparaissent très tôt, parce que les esclaves comprennent ce que c'est que de manger, mais les conjugaisons telles que: Je mange, j'ai mangé, je mangeais, je mangerai, sont des parties superflues du verbe qui n'ajoutent pas à la signigication propre du mot.

Dans le créole il n'y a que deux formes du verbe – la longue et la courte:

Mo pu manze
Je vais manger

Mo pu manz banan
Je vais manger des bananes/de la banane

Quand il y a un object qui suit le verbe, on se sert de la forme courte, autrement, c'est la forme longue. Un jeune enfant dont la langue maternelle est le créole sait cela instinctivement.

Les conjugaisons du français, toutefois, servent à exprimer le présent, le passé, le futur, etc, et ce sont là encore des notions sémantiques universelles que l'humain doit pouvoir exprimer par la langue. Or que se passe-t-il dans le créole, où les conjugaisons ont disparu? On voit se développer un système de marques préverbales pour exprimer toutes les notions du temps:

Mo finn manz enn banan
J'ai mangé une banane

Mo fek manz enn banan
Je viens de manger une banane

Mo ti manz enn banan
J'avais mangé une banane

Mo pe manz enn banan
Je suis en train de manger un banane

Mo pu manz enn banan
Je vais manger une banane

Remarquez combien plus simple sont les termes créoles – c'est vraiment ingénu. Encore plus intéressant, c'est la façon de joindre ces marques préverbales pour exprimer des notions très complexes de l'action dans le temps:

Mo ti pe dormi
J'étais en train de dormir

Mo ti fek pe manz enn banan
Je venais tout juste de manger une banane

Ces marqueurs préverbaux ont un ordre fixe dans tous les créoles– on ne peut pas dire:

*Mo pe ti dormi     (*signifie que ce n'est pas une forme grammaticale)

Ce qui est fascinant, c'est que, dans tous les créoles du monde, les conjugaisons des verbes disparaissent, et un système de marqueurs préverbaux se développe pour exprimer des notions très subtiles de l'action par rapport au moment où la phrase est élucidée. Le petit enfant qui parle le créole saura exactement l'ordre de ces marqueurs d'aspect et de temps, et s'exprimera sans faute grammaticale – avant même d'apprendre les règles dans un livre de grammaire.

Comment expliquer cela ?

  • Les similarités frappantes entre les grammaires des créoles du monde ont poussé certains linguistes à postuler que ces nouvelles langues représentent une approximation de ce que le fameux linguiste Noam Chomsky appelle la ‘Grammaire Universelle', et qui est partie intégrante de notre faculté de langue. Malgré les différences superficielles, telles que les différents vocabulaires, les différentes façons de prononcer les mots, etc. toutes les langues du monde partagent certains éléments de la ‘Grammaire Universelle'. C'est précisément ce qui permet aux jeunes enfants d'apprendre leur langue maternelle, tout comme ils apprennent à marcher - c'est tout à fait instinctif et ça n'a rien à voir avec l'intelligence.
  • Dans le cas de la genèse d'une langue créole, certains linguistes postulent que les enfants nés des esclaves sont arrivés à créer, à partir d'un pidgin et des éléments de la ‘Grammaire Universelle', une langue avec une grammaire aussi complexe que n'importe quelle autre langue du monde.
  • L'intérêt dans les langues créoles provient donc du fait que l'étude de leur genèse pourra peut-être servir à résoudre certains mystères qui existent toujours en ce qui concerne notre faculté de langue, et que leur analyse pourra peut-être révéler la structure de la ‘Grammaire Universelle'. C'est là le sujet de ma thèse.

Some other points we may want to raise:

  • A child can acquire any number of languages if exposed to them before the age of 5.
  • If a child is allowed to speak creole, it does not mean that they cannot learn other languages at the same time.
  • It is much easier for children to learn to read and write in their maternal tongue.
  • Once they have acquired literacy skills, it is easier form them to learn other languages.
  • The need for Mauritians to understand that their language is not ‘une langue bâtarde', but a language in its own right, an important means of communication.
  • We may wish to talk about other creoles that have become part of the country's identity such as Haitian Creole and Papiamentu – brief notes follow – excuse mixture of French and English.

L'Haitien

L'haïtien est la langue nationale de la République de Haïti, parlée par les 7m d'habitants en Haïti et par à peu près 1m de Haïtiens qui habitent à l'étranger. Une minorité de Haïtiens parlent aussi le français, qu'ils ont appris à l'école ou à la maison, mais ils considèrent néanmoins le créole haïtien, qui est le moyen principal de communication dans la vie de tous les jours, comme symbole de leur identité nationale.

Today in Haiti, Creole has been recognized as a co-official language with French.  It now has an official spelling.  It is used more and more in education and the media.  Its recognition as a full language and its expanded use means that the majority of Haitians for whom it is the only language will be able to better participate in the political and economic life of their country.

Source : A. Valdman, “Creole: The national language of Haiti' in Footsteps, 2(4), 36-39. Avaialble at: http://www.indiana.edu/~creole/creolenatllangofhaiti.html [Accessed January 15, 2005 ].

Papiamento

Papiamento (Curaçao) is a Creole language taken from Spanish, Portuguese, English, French, Dutch and West African, that is believed to have originated in the 17th century to enable slaves from different regions in Africa and their masters, and the slaves among themselves to communicate with one another.

Unique among other Creole languages primarily spoken in lower classes of society in countries such as Surinam, Haiti, Jamaica and Barbados, Papiamento is the only Creole language that is widely spoken at all levels. It has become part of the identity.

Source : Curaçao.com, Available at: http://www.curacao.com/info/language.html [Accessed January 15 2005].

Your comments on all of the above are most welcome.

Diana Guillemin - E-mail

January 15 2005

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Entèvyou ak Diana Guillemin «Lang Kreyòl la» [tradikson kreyòl ayisyen (CH) : Emmanuel W. Védrine].
 
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Diana Guillemin and the mauritian Creole language [English translation: Emmanuel W. Védrine].
 
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Langaz kreol, langaz maron, Etymologie, «langue base», deux concepts coloniaux par Emmanuel Richon.