Testamentaire de Saint- John Kauss

par Lisa Carducci

Ce texte de Lisa Carducci, paru dans la revue Finesse, septembre-octobre 1993.
 

Il est de ces livres qu’on ne peut analyser parce que analyser est expliquer que la poésie pure n’est pas faite pour être comprise mais plutôt ressentie. Aussi ressent-on, très intensément et sous une infinie richesse de formes, Testamentaire de Saint-John Kauss. Une fois saisi le procédé poétique, on peut l’appliquer même au titre: Testamentaire / taire / mental / tête / ta / amant / aire, et ainsi de suite. Bref, ce recueil? Que non puisqu’on peut le multiplier innombrablement en des lectures variées.

”… où j’accroche mes poèmes atones comme des songes ” ne peut-il devenir ” où j’accroche comme des songes mes poèmes atones ” ou encore ” ou j’accroche mes poèmes comme des songes atones ”?

On en est déjà à la dix-septième page quand on rencontre un premier texte de Saint-John Kauss. Auparavant? Des pensées, des citations, deux dédicaces. Burroughs, Unamuno, Socrate, trois époques, trois langues, réunies sur une même page. Pas au hasard, sans doute. Ces citations servent de préfaces qui donneront le ton: le royaume du rêve, l’empire de l’imagination. Puis vient Chateaubriand qui les résume tous. Jusqu’à la fin de ce recueil de 135 pages, sans table des ”matières ”, les citations et les dédicaces s’immisceront entre les poèmes, entre les parties numérotées ou titrées. Voilà pour la facture.

Partout il y a interaction (ce qui est bien plus que assimilation ou intégration ) du monde des relations humaines et du monde de l’écriture: ” où je te prends la main les mots et l’encre de la syntaxe ” (p. 18):

l’épiphanie dans la gloire et les pages dans la peau
j’ouvre l’été et ferme l’hiver à ce nid d’adjectifs
dans l’académie des mots (p. 20)

La poésie de Saint-John Kauss est aussi une poésie engagée, celle d’un auteur à la fois nationaliste et citoyen du monde: terre de cécité / ô ma terre / invisible effigie d’une invisible fontaine / mes mains te cherchent comme un fou dressé sous les chlamydes de l’exil (p. 25) fait le pendant à: mon peuple livré au suicide collectif se dérobe à forcer le miroir planté au fronton des terres généreuses (p. 22)

Chaque image perçue par l’intellect peut l’être différemment par la sensibilité; à chaque re-lecture, elle surgit, renouvelée.

Testamentaire est une ” expérience ”personnelle dont on sort ému et dont on ne peut communiquer à d’autres par des mots les mystères entrouverts.

pages fragiles où je redis les mots de patience
et de la source
où je médis à cloche-pied mes cicatrices
de tout ce qui brille
de tout ce qui peuple en chiffres concrets
                                                       (p. 134)

Lisa Carducci
Beijing, juin 1993

fleur

Saint John KAUSS

 

 
logo