La Poésie :
instrument de perception…

par Jacquelin Dolcé

Jacquelin Dolcé, in Le petit samedi Soir, no 320, 12-18 janvier 1980.
 

Saint-John Kauss nous a, depuis peu, habitués à une poésie dont il sera difficile de nous départir. On ne devra pas trop longtemps s’interroger pour découvrir les raisons de ces liens aussi solides. Ce sont ces dernières que l’on brandit toutes les fois que l’on veut justifier son attachement à une cause, à la poésie qui se confond avec l’idéal… Mais que l’on taise l’envie de développer une thèse qui éloignerait de l’intelligence de l’œuvre. C’est bien elle qui doit intéresser depuis que l’on a posé le postulat suivant : l’œuvre puise sa force dans le souffle de son créateur et, de ce fait, est condamnée à mener une existence indépendante de celle de son auteur. Qui est Saint-John Kauss? Question gratuite qui ne peut en aucune façon aider à percer le secret de «Autopsie du jour» et qui est vite supplantée par le désir d’interroger le discours poétique.

ENTRE LE RÉEL ET LE SUBLIME

On connaît le mot célèbre de Théo Van Gogh: «Si je devais recommencer une vie d’artiste, j’aurais choisi le burin». C’est ce point de vue qui nous vient à l’idée en abordant la lecture de «Autopsie d’un jour». Titre révélateur assimilant le geste du poète à celui du chirurgien aux doigts habiles qui cisèle le ventre pour sortir l’enfant. C’est bien de cet éclatement que parle Saint-John Kauss. L’appellation prolonge celle tout aussi suggestive du précédent recueil «Chants d’homme pour les nuits d’ombre». On n’ira pas jusqu’à déclarer qu’une même intention guide l’élan créateur: «démythifier les nuits d’ombres» pour que de celles-ci naisse le jour. L’approche dialectique englobe le clair et l’obscur, la nuit et le jour comme l’envers et l’endroit d’une totalité au point que, négligeant toute fragmentation, on est aussi amené à considérer les deux textes comme deux mouvements rythmiques d’une même partition.

Quand on questionne donc «Autopsie du jour», on reconnaît la part du réel et celle du «sublime». Ce sont des concessions que l’on doit faire à cette poésie (celle aussi de Kauss) qui, depuis le Romantisme, se veut quête d’un tout, si elle n’est pas totalité elle-même. Ce mouvement s’incline vers plus de franchise dans les images, dans le choix des expressions, dans la recherche plastique, pour que l’ensemble poétique reproduise la vie autant qu’il peut. Mais cette reproduction, pour exacte qu’elle veuille être, n’incrimine pas le sublime qui grandit la réalité avec toutes ses horreurs : angoisse et mutisme et aussi «ces roses (qui) son tombées avec la pluie…» ( p. 83). On frissonne à la pensée d’une vie et d’un univers sans des fleurs qui pourraient les rendre vivables… Pourtant on reconnaît bien vite la part de création qui, chez certains auteurs, tire sa force dans l’intelligence et qui chez d’autres comme Saint-John Kauss, dans la mémoire.

LA MÉMOIRE, SOURCE DE POÉSIE

C’est à partir d’un profond regard intérieur que le poète commence l’errance, la grande aventure poétique. La mémoire (ses synonymes et antinomies soulignés plus d’une quinzaine de fois dans le texte) forme ce scaphandre qui permet la plongée dans l’inconscient. L’auteur en est remonté avec des images et des souvenirs triés et fixés par l’affectivité. Cette partie de l’être ne retient que les extrêmes (joie et douleur); et les intermédiaires pour être secondaires sont vite oubliés. Du début à la fin du discours, la mémoire joue un rôle efficace de support pour la poésie quand elles ne se confondent pas dans une totale symbiose. Ainsi, il devient presque impossible de découvrir la ligne de démarcation entre existence, mémoire et poésie:

«J’ai vécu et j’ai grandi
au quadrant du souvenir
ma vie fut un laser

qui se perdait dans l’espace»  
(Autopsie du jour, page 15)

Il convient alors de reconnaître qu’une poésie soutenue par la mémoire doit faire ressurgir des pans de vie comme des séquences de film. Celle de Kauss mêle tous les tons dans la perspective de se libérer des contraintes A l’angoisse et à l’horreur s’allie le thème millénaire de l’amour.

ÉROTISME DISCRET

Ce n’est pas l’amour comme on le chante à vingt ans: idéaliste et à peine chuchoté. Ce n’est non plus l’amour ardent, charnel et épicurien qui consume l’être et que l’on clame avec tapage. Il est plus discret, à égale distance des deux pôles, sans perdre de sa violence, qui ne s’apaise que dans l’étreinte passionnée de deux corps… L’œuvre de Saint-John Kauss, collégien pudique, accuse un érotisme discret:

«J’écarte aujourd’hui les branches
pour violer l’éclat des éclairs…»

On ne peut se rappeler quel critique parlait de la «poésie de frustration», pour expliquer que l’intention poétique est toujours de combler les lacunes de la vie. Saint-John Kauss a assumé la mission suprême et permanente de colmater les brèches. On est donc tenté de proposer une définition au frustré. Ce n’est pas le raté; mais celui qui, découvrant l’imperfection du monde, veut poser des actes dont il n’a pas les moyens. Alors les mots, le pinceau et le burin deviennent les suprêmes recours à l’intelligence du monde.

Note:

1- Saint-John Kauss: Autopsie du jour, Éditions Choucoune, Port-au-Prince, décembre 1979.

fleur

Saint John KAUSS

 

 
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