Ayiti

L’ainsi-de-suite
du poète de célébration

Par Marie Flore Domond
 

Portrait impressionniste du Poète Saint-John Kauss
Exécuté par Diane Frezza Lesage: peintre et portraitiste
Infirmière en recherche (Louis H. Lafontaine).

Dr John Nelson alias Saint John-Kauss fait partie de la génération boomer élevée dans la tourmente politico sociale de sa mère-Patrie, Haïti. Ces descendants des Héros de l’action libératrice métamorphosés en mille facettes dont la plupart s’extériorisent comme de parfaits tribuns en foudre d’éloquence. En tout cas, tout laisse croire qu’ils sont des partisans des grandes causes ensorcelées. Cela étant dit, ils ont appris à composer avec les mots littéraires et les maux de leur époque. A vouloir refaire le monde de leur sérum de vérité idéologique, tentative d’une solution chimérique, cette lignée s’est bâtie une cité interdite dont elle se croit la seule à détenir le mot de passe. Secret bien gardé ou non, pas question de leur obéir aux doigts et à l’œil. Le mystère reste à percer. Il s’agit de savoir bien lire dans leur pensée. Saint-John Kauss est un prestigieux membre élu de ce cercle quasi insaisissable. C’est aussi mon mentor, ce n’est un secret pour personne. Je me suis aventurée dans son plus récent ouvrage pour votre information et pour mon plaisir en libre penseur. Je vous présente: PAROLES D’HOMME LIBRE, éditions Humanitas, 3 e trimestre 2005.

Paroles d'homme libre

Illustration de la couverture:
Wesner Pierre Louis, peintre

Les lecteurs auront deux démarches fondamentales à saisir dans l’œuvre: l’aération du contenu que l’auteur appelle l’effet d’oxygénation et le repère des trois thématiques que l’écrivain propose dans ce recueil de poésie. Lorsqu’on note uniquement une phrase sur une page, des intervalles entre les mots et les phrases, cet exercice représente des avenues, des désengorgements, des transitions, des circonstances, et aussi des conjonctures. Si dépouillement il y a, l’auteur invite les lecteurs à le considérer au niveau de l’espace manuscrit et non une anémie éprouvée dans la matière créatrice, encore moins une peine d’écriture. Quant à la revendication du statut littéraire que j’ai mentionné plus haut, si vous pensiez que j’exagérais! Écoutez comment il lève le voile dans

LES CLAVICULES DE SALOMON:

«mais bénis soient le nom et le lieu de ma mémoire îles et archipels des mots qui firent naufrage aux Yeux fertiles des siècles beaux griots / maîtres et rois de la parole dont nous sommes tous héritiers femmes nues femmes noires à contempler dans l’ombre solitaire»  

L’auteur célèbre donc un royaume de la passion poétique opulente et érudite de pairs qu’il considère unis. Retenons cette phrase qui veut tout dire : (…) beaux griots / maîtres et rois de la parole dont nous sommes tous héritiers … (page 17)

Dans le premier chapitre, il ne se contente pas de suivre le sillon de son enfance que jusqu’à l’âge adulte. Il refait le parcours et saisit les instants manqués pour s’assurer soit de l’imperfection d’un moment ou de la plénitude d’une aventure déjà vécue. Il ramène avec enchantement le passé au présent.

La dynamique du second passage LE LIVRE D’ORPHÉE est encore plus nuancée. C’est également une réédition de son monde imaginaire. On y retrouve la manipulation de ses désirs, de ses fantasmes, de ses rêves matures, et de ses illusions extravagantes. Arrêtons-nous ici justement:

«mâle la nuit qui happe les mots dégénérés en buée de sauvetage
et toi promise anonyme que je représente
d’éloges en guise de panacée
à l’occupant d’hier et aujourd’hui dérivant telle une fontaine de colombes» (page 63).

En fait, il retire Orphée de l’anonymat puisqu’il témoigne à haute voix de son désir de représenter le symbole mythique.

Pourtant, LETTRES D’EXIL dévoile l’intimité du train humanitaire qui transporte à vive allure l’admiration et la crainte vouées à son paternel, un modèle d’autorité qui a marqué son enfance, son adolescence et qui semblait le hanter même au détour ronflant de l’âge adulte. Et c’est grâce à ce rituel de confession exécuté avec finesse que le poète laisse présager un sevrage :

«revenir dans l’indifférence de cette terre mienne de tous les
Jours ouvrables aux marées basses moi locuteur de nuits
disertes à l’inflexion des sourires où nulle vierge n’a eu de
cesse qu’aux quatre rires de la diseuse complice des illusions» (page 96).

«il faut plutôt revenir avec le garrot sous les bras ni seul
ni accompagné d’éclats
de victoire ou de fausse identité ô identité ma complice
aux rires des herbes folles».

La vérification faite dans le présent ouvrage, c’est le jeu de la pluralité quelque peu récurrent du «Nous» où le poète s’enveloppe dans l’unité de sa personne; même si c’est pour évoquer son clan de poètes sélect. Hormis ce sens subtil de l’agencement et de la classification à l’égard de ses pairs, selon moi, c’est un indicateur d’espérance qui fait pénétrer une lueur à travers le tour d’ivoire du créateur. En d’autres mots, le partenariat artistique lui tient tant à cœur. Ces œuvres littéraires sont souvent illustrées par des peintres et sculpteurs. Expressive hein ! Cette femme libérée de toute contrainte vestimentaire portant la main au centre la tête qui fait la une sur la page couverture. Je surnomme personnellement la gravure ESPACE LIBREDELA DANSEUSE PRIMITIVE, qui n’a sans doute rien à voir avec l’espace démesuré qu’utilise Saint John-Kauss pour ventiler son œuvre.

(…) La poésie de Saint John Kauss s’inspire d’un genre académique, privilège d’une immense éducation artistique. Une poésie de référence, exigeante autant pour le créateur que pour l’auditoire. L’écriture du poète se montre consciencieuse, éclatée et agit sur une dimension recto verso de la vie: le réel abstrait et le pur concret se tissent un lien invisible. (Bienfaits de la chose écrite, étude critique inédite, annoncée à la cent trente-sixième page (136) de l’ouvrage PAROLES D’HOMME LIBRE. Une œuvre de Marie Flore Domond à paraître).