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LE MASSIF DES ILLUSIONS
(éloge de la poésie haïtienne)

à Jean Claude Fignolé, poète après Vilaire,
dépositaire de tant de réflexion

par Saint-John Kauss

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TABLE DES TEXTES

Avant-Propos

I.   Les Écoles littéraires haïtiennes

II. Poètes Haïtiens d’aujourd’hui

III. La Poésie Haïtienne Contemporaine

  • La poésie haïtienne au Québec
  • La poésie haïtienne contemporaine
  • La poésie haïtienne d’expression créole
  • La poésie féminine haïtienne
  • La race des grands poètes

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II
POÈTES HAÏTIENS D’AUJOURD’HUI

JEAN-FRANÇOIS BRIERRE
OU
LE GRAND BARDE DE L'INDIGÉNISME

                                                                                                                            
Jean-François Brierre, né à Jérémie (Haïti) le 23 septembre 1909. "Fils de Fernand Brierre et d'Henriette Desrouillère (...). Jean-F. Brierre descend d'un colon français, François Brierre, qui avait acheté aux enchères, à Saint-Domingue, une négresse dahoméenne, prénommée Rosette, soeur cadette de Marie-Cessette Dumas, qui donna le jour au général Alexandre Dumas".  En 1928, il devint à dix-neuf ans directeur de l'École normale de Chatard pour instituteurs ruraux. J.-F. Brierre fut nommé par la suite, à moins de 21 ans, Secrétaire de Légation à Paris où il suivit des cours en sciences politiques. En 1931, il débuta des études de Droit qu'il termina en 1935. En 1932, il fonda le journal La Bataille, où ses critiques virulentes contre le régime de Sténio Vincent et l'occupation yankee, lui valurent deux années de détention ferme au Pénitencier national. Jean-F. Brierre demeure, avec Etzer Vilaire, le poète le plus célèbre de Jérémie. On lui doit plus de dix-sept recueils de poésie parmi lesquels on peut citer: Chansons secrètes (1933), Black Soul (1947), La nuit (1955), La Source (1956), Découvertes (1966), Un noël pour Gorée (1980), Sculpture de proue (1983).  Jean-F. Brierre a également essayé le roman: Province (1954); et un essai sur l'Union Soviétique ancienne: Un autre Monde (1973). Le 5 novembre 1984, il obtint le Grand Prix "Lotus" des écrivains afro-asiatiques, qui couronne son œuvre. Jean-F. Brierre fut également enseignant et diplomate jusqu'à son exil en 1962, après neuf mois de prison avilissante sous le régime de Duvalier, père. Il a vécu la plus grande partie de son exil au Sénégal (Afrique), avec l'aide du président-poète Léopold S. Senghor, où il occupa différentes hautes fonctions de 1964 à 1986 jusqu'au lendemain de la chute de Duvalier, fils, c'est-à-dire jusqu'à son retour en Haïti. Jean-F. Brierre est décédé à Port-au-Prince dans la nuit du 24 au 25 décembre 1992, à l'âge de 83 ans.

Si Jean-F. Brierre, avec Black Soul (1947), parvenait d'un tour de force à établir une sorte de lien et de communion avec la grande poésie, quelque chose qui rappelle en tous lieux la manière homérienne, mais avec une passion toute vigoureuse de vivre la vie des poètes, l'une des préoccupations majeures du livre était le monde des esclavagistes et cannibales. Ce long poème traduit tout en long ce que Henry Miller semble à son tour "cracher sur la race blanche des conquérants de ce monde, Anglais dégénéré, Allemand borné, Français content de soi et de son confort"1. En bon pirate de l'air imagé, poète de réflexion et d'action, l'œuvre de Brierre, foncièrement d'inspiraton indigéniste ou nègre, tourne parfois à l'enchantement et annonce alors la naissance d'une poésie de l'imagination, voire de l'illusion.

Le plus beau livre de Jean-F. Brierre demeure, sans aucun doute, La Nuit (1955). Fait d'une flotte de mots vigoureux et originels, ce poème marque à jamais d'un sceau impitoyable la poésie haïtienne. C'est un véritable testament de l'apparition de l'Homme sur terre, de sa continuité, du quotidien biblique et de la démesure accusée des grands prophètes du Judaïsme. Si l'influence de la Sainte Bible est certaine à travers ce poème, il ne faut point, par ailleurs, oublier la part du Victor Hugo de La Légende des siècles (1859). Le poème à elle, sa femme, La Nuit, est d'une extrême exaltation et libère, en matière de poésie, la réflexion philosophique du poids marqué par la raison.

Avec Découvertes (1966), Jean Brierre reprend de force et de talent la somme poétique inaugurée dans La Nuit (1955). Mais, il s'y oppose au parti-pris de la poésie de séduction, et renvoie à l'histoire.  Histoire de l'Homme et de ses grandes découvertes. De l'homme noir et de l'esclavage au Nouveau-Monde.

Astronaute de la littérature haïtienne, poète de plein vent et au grand souffle, nouveau talent iconoclaste des années cinquante, Brierre nous a laissé une œuvre grandiose, l'une des plus belles de notre histoire littéraire. Ses textes nous ont permis de capter la vie et d'entrevoir les ressources d'une expression tout à fait naturelle, celle de l'Afrique considérée en bonne et due forme comme l'Alma mater. Constatation qui se confirme d'ailleurs par le titre de ses recueils et les sujets traités. Un Noël pour Gorée (1980) laisse entrevoir par moments le grand barde des années quarante et, d'autres fois, un poète moderne, ouvert à notre époque des grandes inventions; un livre plein de décontraction, avec l'envie d'aller plus loin et de chanter plus haut. Les poèmes "Nouveau Black Soul", "Me revoici Harlem" et "Notre Dame d'Afrique" y sont positionnés pour le maximum d'effets possible, et leur sensibilité grimpe progressivement pour que la passion des lecteurs "franchisse un degré d'intensité qui ira jusqu'à l'apothéose finale". Avec Sculptures de proue (1983), Jean-F. Brierre réitère sa volonté d'être l'homme qui ennoblit, béatifie et immortalise; une image déjà rencontrée dans Nous garderons le dieu (1945), dans La Source (1956) et dans Aux Champs pour Occide (1960).

Victor Serge, dans Littérature et Révolution, insiste sur la condition de l'écrivain et sur "le rôle humiliant" (dénoncé par Georges Sorel) des Encyclopédistes, de Diderot, de Voltaire, au cours du XVIIIe siècle. "C'est pour d'autres raisons", écrit-il, sans doute, "qu'ils sont entrés dans l'histoire. L'ennemi de l'Église, l'auteur de Candide, le défenseur du chevalier de La Barre survit, en Voltaire, à l'adulateur de Catherine II. Mais Voltaire fut l'un et l'autre. Il fallut bien qu'il vécut."2

Bon nombre de poètes haïtiens sont l'expression même de cette affirmation, et Jean-F. Brierre n'y échappe guère. La plupart de ses recueils ou de ses poèmes sont incidemment dédiés à Jacques Roumain ou Jean Price-Mars, ou Léopold Sédar Senghor, ou François Mitterand, etc. Mais la poésie de Jean-F. Brierre s'ouvre pour survivre. Elle reflète en grande partie la vie de l'homme noir et, une fois déclarée, la magie du verbe fait son entrée avec ce défoulement d'images accompagné de la forme et de l'esprit, de l'engouement et du don de soi qui fait du poète et son œuvre l'une des plus grandes voix de l'ère contemporaine haïtienne.

À lire de Jean-François Brierre:

  • BRIERRE, Jean-François, Le Drapeau de Demain, poème dramatique, Imprimerie Valcin, Port-au-Prince, 1931.
     
    • Chansons secrètes, poèmes, Imprimerie Haïtienne, Port-au-Prince, 1933.
       
    • Le petit Soldat, conférence, Imprimerie Haïtienne, Port-au-Prince, 1934.
       
    • Nous garderons le Dieu, poèmes, Imprimerie Deschamps, Port-au-Prince, 1945.
       
    • Gerbe pour deux Amis, poèmes (en collaboration avec Morisseau-Leroy et Roussan Camille), Imprimerie Deschamps, Port-au-Prince, 1945.
       
    • Vers le même ciel, sketch en vers, in Haïti-Journal, Port-au-Prince, Noël 1946.
       
    • Black soul, poèmes, Éditorial Lex, La Havane, 1947.
       
    • Belle, sketch, Panorama, Port-au-Prince, 1948.
       
    • Recueil de poèmes, in Haïti-Journal, Port-au-Prince, 1948.
       
    • Les aïeules, sketch historique, Imprimerie Deschamps, Port-au-Prince, 1950.
       
    • Dessalines nous parle, Deschamps, Port-au-Prince, 1953.
       
    • Les Horizons sans ciel: Province, roman, Imprimerie Deschamps, Port-au-Prince, 1954.  Nendeln, Liechtenstein, 1970.
       
    • Pétion et Bolivar, L'Adieu à la Marseillaise, poèmes dramatiques (français et espagnol), Éditorial Troquel, Buenos Aires, 1955.
       
    • La Nuit, poèmes, Imprimerie Held, Lausanne, 1955.
       
    • La source, poèmes, Imprimerie Held, Lausanne, 1956.
       
    • Images d'or, poèmes, Coll. Librairie Indigène, Port-au-Prince, 1959.
       
    • Cantique à Trois voix pour une poupée d'ébène, poèmes, Coll. Librairie Indigène, Imprimerie Deschamps, Port-au-Prince, 1960.
       
    • Aux Champs pour Occide, poèmes, Coll. Librairie Indigène, Imprimerie Théodore, Port-au-Prince, 1960.
       
    • Or, uranium, cuivre, radium, poèmes, Coll. Librairie Indigène, Imprimerie Théodore, Port-au-Prince, 1961.
       
    • Découvertes, poèmes, Présence Africaine, Paris, 1966.
       
    • Gorée, sketch historique, [s.n.é.], Paris, 1966.
       
    • Un autre monde, essai sur l'Union soviétique, L'Observateur Africain, Dakar, 1973.
       
    • Ten Works, essai, Kraus Reprint, Liechtenstein, 1973.
       
    • Images d'argile et d'or, poèmes, Nouvelles Éditions Africaines, Dakar, 1977.
       
    • Un Noël pour Gorée, poèmes, Silex, Paris, 1980.
       
    • Sculpture de proue, poèmes, Silex, Paris, 1983.

LA MÉTAPHYSIQUE DU POÈME CHEZ MAGLOIRE SAINT-AUDE

Une récente relecture des célèbres poèmes de Magloire Saint-Aude nous force aujourd’hui à conclure que celui-ci pratiquait, sinon avait un certain goût pour l’Art Royal. Déjà les titres de ses trois recueils de poésie, soit Dialogue de mes lampes (1941), Tabou (1941), Déchu (1956), nous portent, à la mesure de l’inconscient, à penser aux tabous et aux secrets du «Grand Art» que seuls les initiés et les adeptes semblent pénétrer, degré après degré, afin d’aboutir à la lumière qui est la base et le principe même de tout mouvement sur terre. Mais pourquoi dialoguer avec ses «lampes», n’était-ce pour le besoin de les relier entre elles ou pour obtenir plus d’informations de l’au-delà?  Toutes ces «lampes» de Magloire Saint-Aude, avaient-elles en commun la lumière (astrale ou magnétique) qui est source de vie, «substance première, réelle et vivante, ayant en elle-même le principe de son mouvement»? À la lecture du premier poème intitulé “Vide” de Dialogue de mes lampes, on retrouve curieusement, comme un leitmotiv, le mot «lampes» qui a ici toute sa signification:

«De mon émoi aux phrases,
Mon mouchoir pour mes lampes.»

«Monter une lampe», en langue créole et pour l’haïtien, possède un triple sens, à savoir dans le but d’honorer et de prier les dieux du panthéon vaudou, de faire une demande à un «esprit» quelconque, de guérir ou frapper à distance un méchant homme.  Encore le chiffre «trois», symbole impair de la Trinité, ternaire tant redouté par les démons de toute la milice infernale, fait surface et nous donne des pistes importantes de réflexion sur la question:  Magloire Saint-Aude, était-il Kabbaliste?

 

«Triples fleurs aux vers mendieurs,
Je marche sur le son comme l’impair.»
                                 (Tabou, IX)

De même qu’il n’y a qu’un poète pour les onze poèmes du livre de Magloire Saint-Aude (Dialogue de mes lampes), il n’y a ainsi qu’une seule démarche poétique dans un mouvement de retrait par rapport à la réalité. L’endroit et l’envers du poète ne forment qu’une entité, qu’une unité absolue qui peut se fractionner et se multiplier dans un mouvement de combinaisons mathématiques de la pensée afin d’aboutir à:

«Limité aux revers sans repos,
Edith Blanche ma face moi-même.»
                           (Vide, p.  13)

«L’ombre pour mon ombre, mon dos.»
                           (Poison, p.  16)

Dans le poème «Larme», le nombre «cinq» figure dès les premières strophes :

«Sans dieu livide fragile le cœur,
tranquille souple veilleur en cinq langues.»
                                    (Larme, p.  14)

Le chiffre «cinq» est mystiquement l’expression du pentagramme, lequel exprime la domination de l’esprit sur les éléments (air, feu, eau et terre). Armé de ce signe, c’est-à-dire le pentagramme, on peut voir, affirment les Mages et les Sages, «l’infini, à travers cette faculté qui est comme l’œil de l’âme». Soit «veilleur en cinq langues», comme s’est autoproclamé le poète Saint-Aude.

«Aux miroirs du mage
...Je suis ici pour cinq»
                 (Tabou, I)

On ne peut ainsi que comprendre: Magloire Saint-Aude, à un moment de sa vie, s’était fait initié...

«Purifié, bas, sur ma clé.»

...en rencontrant, peut-être, l’ange de l’Épiphanie sur le chemin de la lumière et de la purification:

«Au dormeur de face sans visage,
Glacé néant par les fenêtres
Et seul sur ma gorge.
Cendres de peau aveugle en éternité.»
                                      (Larme, p. 14)

Le nombre «neuf» qui exprime forcément la superstition et l’idolâtrie (Hermès en a fait le chiffre de l’initiation), ainsi que le nombre “sept” qui représente le septénaire sacré (les sept jours de la semaine, les sept planètes magiques, les sept grands archanges, les sept sacrements, les sept péchés capitaux), ont également été poétisés par l’auteur:

«Le tuf aux dents aux chances aux chocs auburn
Sur neuf villes.»
                  (Silence, p. 15)

«Sept fois mon col,
Dix-sept fois le collier.»
              (Phrases, p. 19)

Son côté gauche, son ombre (ou son double astral), et son grimoire (recueil de rituels magiques) doivent nous rappeler et nous attacher au cérémonial des initiés ainsi qu’au fil conducteur plongé dans les métempsycoses de la magie.

«Pour mon dos gauche»
«L’ombre pour mon ombre, mon dos.»
                                                                  (Poison, p.  16)

«Me pèsent, en ce monde, mon grimoire
Et aussi mes cils vieux.»
                  (Tabou, I)

Enfin, est-ce ici à l’échelle que Jacob vit en songe le poète fit allusion, ou voulait-il, par analogie à Dieu, que ses influences poétiques descendent et se communiquent à tous les poètes d’Haïti? Son «cube», serait-ce la pierre philosophale tant recherchée par les anciens philosophes hermétiques pour son pouvoir magique?

«Mes doigts en échelle de pluie de lin,
Plein de moi et crochu dans mon cube.»

«Je glisse, je descends, je m’enlise
Dans la laine de mon coma
Bon comme le lait de la sieste.»
                        (Paix, p.  22)

Pari tenu, pari gagné, semble-t-il, par Magloire Saint-Aude, poète et veilleur toujours en cinq langues dont le langage prophétique, l’accent bègue et l’écriture automatique nous rappellent les sublimes versets de Nostradamus, le mage.

Bibliographie et Références

  • Ionescu (Vlaicu): Nostradamus, Félin, Paris, 1987.
     
  • Lenain : La science cabalistique, Traditionnelles, Paris, 1978.
     
  • Lévi (Éliphas) : Cours de philosophie occulte, Sélect, Montréal, 1982.
     
  • Lévi (Éliphas): Dogme et rituel de la haute magie, Bussière, Paris, 1982.
     
  • Saint-Aude (Magloire): Dialogue de mes lampes (suivi de) Tabou et de Déchu,   Première Personne, Paris, 1970.

Le monde divin selon Magloire Saint-Aude

“ À Roland Morisseau qui m’a fait lire Saint-Aude”

Nul ne peut ignorer aujourd’hui l’impact et l’influence des œuvres poétiques de Magloire Saint-Aude sur la majorité des poètes haïtiens.  Certains se réclament d’ailleurs carrément de lui. D’autres en font allusion sans pourtant omettre le magnétisme du Maître et son esprit anticonformiste vis-à-vis de l’époque. Contrairement à Jacques Roumain ou à Émile Roumer, deux poètes indigénistes des années ’30, Magloire Saint-Aude s’allia à la poésie du vide et des sens où le mouvement intellectuel demeure l’apanage des lignes écrites sans se rendre compte du mépris montré à l’égard du lecteur pour qui les illusions ou la parole incomprise sont purement du domaine immatériel.  Mais toutes ces associations et ces correspondances alléguées à la poésie de Magloire Saint-Aude ne sont-elles pas le produit de notre ignorance des “ choses cachées”, de l’individu non entraîné à la réalisation du “Grand Œuvre”, du profane qui ne saurait acquérir la voie sublime de l’au-delà?

Trois mondes s’offrent à nous en lisant méthodiquement les beaux vers de Magloire Saint-Aude: le monde des formes, celui des connaissances humaines ou des idées, et celui des causes.  Déjà les titres de ses trois recueils de poésie, soit Dialogue de mes lampes (1941), Tabou (1941), Déchu (1956), nous ramènent à la magie poétique, à la magie des mots avides de sentimentalité. Et pourtant, le monde des formes est là, et remplace inconsciemment les plaisirs que nous procure la poésie de l’amour physique par les jouissances plus délicates et plus subtiles que sont le regard et l’immortalité des mots.  Par exemple, dans Dialogue de mes lampes, on peut, à la lecture du premier poème intitulé “ Vide ”, s’emparer du monde physique de Saint-Aude:

“Recroquevillé dans mes yeux effacés,
La peine le poème hormis les causes. ”

“ Rassasiant mes yeux
Du convoi de mes yeux ressuscités...”
     (Vide, p. 13)

Dans le poème “ Silence”, on retrouve également
“ Le tuf aux dents aux chances aux chocs auburn
Sur neuf villes.”

“ Magdeleines en dentelles de gaude.”
   (Silence, p. 15)

Le sentiment de la mort physique comme celui de l’union vivante des idées créatrices partagées dans un même idéal, fait corps avec le poème.

“ Mes cils retombés retouchés sur
L’eau le repos
En losange comme un christ fêlé.”
                               (Poison, p. 16)

Le monde des formes, qui inclut celui de l’homme, de l’animal, du végétal et du minéral, s’impose progressivement à nous et s’empare avec joie et avec beaucoup d’étonnement des vieilles habitudes et de l’incontinence répétée des lectures sans passion et sans intérêt aucun des formes que mérite l’écriture. Hormis le poème et son silence qui accompagnent les mots:

“ Au frisson des dentelles, mon bel émoi
Au froid des lampes froides.”

” Douces gelées les Magdeleines,
Menthe des lampes boutonnées.”
                            (Reflets, p. 17)

“ Le poète, chat lugubre, au rire de chat.”
                                   (Dimanche, p. 18)

Magloire Saint-Aude parle beaucoup de ses inconvénients physiques, et cet aspect de la fatalité chez le poète doit donc porter sur la possibilité de résister à la laideur du monde. Ses “lampes”, ses “yeux” et ses “cils” constituent la trilogie du bonheur recherché où le poète s’articule toujours et se demande des comptes:

“De mon émoi aux phrases,
Mon mouchoir pour mes lampes.”
                     (Vide, p. 13)

“Les yeux sans eau, comme la fatalité.”
                     (Phrases, p. 19)

“L’huile des sommeils
Des sourcils à ma table.”
       (Écrit sur mon buvard, p. 20)

“Aux ulcères-consolations
De mes cils de limon,
Mes yeux en carton pourri
Aux feux vieux des guides.”
                         (Rien, p. 21)

“Suis-je l’interprétateur des siècles,
Le vent sculpté du centaure?”
                       (Tabou III, p. 33)

Dans les mondes intellectuels de la Kabbale chrétienne, nous retrouvons ce ternaire: Aziah, Jesirah et Briah, correspondant au monde des formes, au monde des pensées ou des idées, et au monde des causes. Selon les anciens auteurs, “les causes produisent les formes, et les formes remontent aux causes par la pensée. Ainsi le verbe divin et le verbe humain se rencontrent dans le monde de Jésirah (dans le second ciel) ou celui des connaissances humaines.”  Symbole des trois mondes, la poésie de Magloire Saint-Aude contient, à notre avis, la révélation de la plus haute initiation. Le monde des connaissances humaines ou des idées est ainsi réglé par les notions divines des esprits célestes:

“Sans dieu livide fragile le cœur”
“Purifié, bas, sur ma clé”
“Au dormeur de face sans visage,
Glacé néant par les fenêtres
Et seul sur ma gorge.
Cendres de peau aveugle en éternité.”
(Larme, p. 14)

Le monde des génies supérieurs ou des “élémentaux” (esprits qui gouvernent les éléments: feu, eau, terre, air) n’est pas non plus étranger à Magloire Saint-Aude.  La preuve de ses connaissances cabalistiques:

“Pour mon dos gauche,
Espacé dans la terre,
À mes pas sous mes pas
Au souffle des touches.”
               Poison, p. 16)

“Aux miroirs du mage
Je confonds l’éclat et le silence,
Je suis ici pour cinq.”
“Me pèsent, en ce monde, mon grimoire
Et aussi mes cils vieux.”
                                 (Tabou I, p. 31)

La mort? Cette délicate possession de l’Être suprême, ce véritable questionnement sur la nécessité de l’homme après la vie, est également au cœur de la question Saint-Audienne.

“Hors d’haleine dans la soie
Dans la baie de la mort.”
                  (Poison, p. 16)

“Lamentations aux crachats des morts.”
                                   (Reflets, p. 17)

Mais le poète se réfère-t-il à ses voyages dans l’Astral (nature invisible) en écrivant ses vers?

“Rien n’est moi,
Hormis mes orbites en ogive,
Et mon col d’ange d’image
Comme mes yeux farcis froids de soie.”
                                      (Paix, p. 22)

“Cavalier de tulle d’os de glace,
Visiteur en guide ovale de nuit,
...
En habits de gala de lord sans crâne...”
                                        (Paix, p. 23)

Il est donc évident que le monde mystique des esprits le hante:

“Au galop des veilleurs muets,
Eux, inclinés, glacés,
Chastes de vivre
Aux phares des dentelles !”
               (Tabou IV, p. 34)

“Mon teint brun-more et d’archange
Est le sceau célébré...”
                           (Tabou IX, p. 39)

Le nombre “cinq” qui exprime forcément le pentagramme mystérieux, correspondant à Dieu, l’homme et les trois mondes (le naturel, le spirituel et le divin), est vigoureusement et à plusieurs reprises poétisé par l’auteur:

“Tranquille souple veilleur en cinq langues.”
                                        (Larme, p. 14)

“Aux miroirs du mage
Je confonds l’éclat et le silence,
Je suis ici pour cinq.”
                     (Tabou I, p. 31)

 

“Sonne ma phrase
Dans la vallée,
Comme mon mol émoi
Au front de cinq heures.”
           (Tabou XII, p. 42)

Le pentagramme est aussi l’étoile de l’Épiphanie, nous disent les anciens auteurs. Cette étoile “que les mages ont vue en Orient, cette étoile de l’Absolu et de la synthèse universelle, qui donne une tête aux quatre parties du monde et qui, résumant cinq fois les nombres séphiriques, donne aux sciences une synthèse absolue et ouvre aux aspirations de l’homme les cinquante portes du savoir” (E. Lévi). Sur ce, Magloire Saint-Aude, poète haïtien des années ’40, n’ignorait nullement les mobiles de la fonction sacerdotale, et qu’il ne saurait compléter avec autant de grâce son œuvre poétique si ces connaissances de “l’Art Royal” lui faisaient défaut.

“Aux feux intermédiaires,
Pensées douces comme des tasses de vent.”
                                      (Tabou XIV, p. 44)

Nous savons, d’après les données de l’Occultisme, que l’avenir immédiat de tout un chacun est potentiellement en gestation “par le jeu des causes premières et secondes”. Notre destin étant fixé dans l’Astral par les causes premières (une extrême vulnérabilité psychique) et des causes secondes (un chagrin d’amour par exemple), il y a quand même lieu de le modifier afin d’éviter le pire ou de corriger l’aspect de quelques-unes des causes qui dirigent  notre vie dans l’Astral, soit de façon volontaire si l’on peut, soit par “le maniement des fluides psychiques, allié à la connaissance des dynamismes astraux”. Enfin, on peut “agir sur l’être psychique en incitant les idées créatrices qui modifient toute forme matérielle” (Papus). Magloire Saint-Aude, pour une raison ou une autre (problème familial ou social), dès 1941, ne signait plus Clément Magloire fils, mais Saint-Aude, se référant sans doute à sa mère.

“La peine le poème hormis les causes.”
                                       (Vide, p. 13)

Nous avons recherché et retrouvé les causes de la parution tardive du troisième recueil de Saint-Aude intitulé Déchu (1956), ainsi que les causes de sa déchéance personnelle durant les années ’60. Magloire Saint-Aude, alcoolique et bohème à l’instar du poète Carl Brouard, n’a eu malheureusement que pour récompense la mort physique (mai 1971) et celle de l’âme.

“Je me connais cistre et caduc
Emmuré dans ma face-hostie !”
                    (Tabou II, p. 32)

“Je descends, déraciné et répété
Sur un cheveu préfacé de mes doigts.”
                              (Tabou III, p. 33)

“Je me sais, me suis, à deux stades,
Au destin, à l’eau de mes sueurs.”
                            (Tabou X, p. 40)

L’âme, écrivait Éliphas Lévi, “se consume elle-même, elle est son feu, elle enfante ses démons, elle se dissout en rêves de torture et se sent en Dieu, hors de Dieu. C’est-à-dire infiniment réprouvée par la bonté même de Dieu dont l’amour a été violenté par elle-même et changé en justice, en sorte que les garanties de liberté que lui donne la libéralité divine sont devenues des remparts conservateurs de la mort et d’imperméables réservoirs du pleur éternel”. Magloire Saint-Aude en aurait cure dans la mesure où les plaisirs que procuraient les mots, ses mots, étaient intarissables puisqu’il nous dit:

“Dort enfin ma ferraille
qui m’eût aimé
Aux issues, aux cités de mon image”.
                                (Paix, p. 24)

Il est évident que Magloire Saint-Aude, par la publication de ses poèmes métaphysiques, visait le pouvoir suprême, le pouvoir exceptionnel dont s’enorgueillissait d’ailleurs le poète.

“Majuscules haut perchées
Aux pôles de mes lampes”.
                            (Déchu IV, p. 54)

Mais dans Déchu (1956), le poète se sentait déjà “las” et entendait battre la crécelle:

“Pour mes lampes trépassées...
Bonne route, pèlerin”.
                  (Déchu I, p. 51)

“Aux exploits du poète las,
.........................................
Sur le buvard aveugle
De mes talents éteints.”
                   (Déchu II, p. 52)

“Crécelles ensevelies
Sur le cœur du pèlerin.”
         (Déchu V, p. 55)

“L’étoile du mendiant
Entend le souffle de ma Mort.”
                  (Déchu VI, p. 56)

 

CONCLUSION

Nous avons peut-être terminé l’étude de la métaphysique du poème chez Magloire Saint-Aude à différents volets du savoir scientifique. Mais il n’en demeure pas moins que la question soulevée par le Dr Pradel Pompilus et le frère Raphaël Berrou en 1961 à savoir que “la poésie de l’inconscient échappe à [leur] contrôle, aussi cette œuvre de Magloire Saint-Aude est-elle inaccessible dans son ensemble”, semble s’opposer à l’interprétation de notre étude. Edris Saint-Amand avait-il raison quand il refusait à Saint-Aude le titre de “vrai surréaliste” en affirmant que celui-ci ne composait pas ses poèmes dans “l’état de passivité absolue que réclame le surréalisme”. Car tout indique que la poésie de Saint-Aude n’est inaccessible qu’aux profanes;  et il suffit de rien, d’un instant sublunaire, qu’on soit en pleine possession du savoir nécessaire pour faire l’autopsie et le procès de ce monde divin selon Magloire Saint-Aude.

Bibliographie et Références

  • Charles (Christophe) : Magloire Saint-Aude, griot et surréaliste, Choucoune, Port-au-Prince, 1982.
     
  • Kauss  (Saint-John) : L’invasion surréaliste en Haïti (Magloire Saint-Aude : Avril 1912 - mai 1971), in Haïti en Marche, Miami, vol.  X, no  6, 20 mars 1996 ;  in Le lien, Montréal, vol.  6, no  2, avril 1997, pp. 34-37.
     
  • Kauss  (Saint-John) : La poésie haïtienne au Québec, in Les saisons littéraires, Montréal, automne 1996, pp.  65-80 ; in la revue Trois, Montréal, vol.  12, no  1, février 1997, pp.  51-71; in Neue Romania, Berlin (Allemagne), no 18, 1997, pp.  105-115 ; in Présence, Montréal, vol. 1, no  6, octobre 1997.
     
  • Kauss  (Saint-John) : La métaphysique du poème chez Magloire Saint-Aude, in Haïti en marche, Miami, vol.  XI, no 27, 13 août 1997.
     
  • Lévi (Éliphas) : La clef des grands mystères, Alcan, Paris, 1923.
     
  • Lévi (Éliphas) : Cours de philosophie occulte, Sélect, Montréal, 1982.
     
  • Papus (Dr Gérard Encausse) : Pour combattre l’envoûtement, Durville, Paris, 1914.
     
  • Pompilus (Dr Pradel) et Berrou  (Frère Raphaël) : Manuel illustré d’histoire de la littérature haïtienne, Henri Deschamps, Port-au-Prince, 1961.
     
  • Saint-Amand  (Edris) : Essai d’explication de “Dialogue de mes lampes”, 3e édition, Mémoire, Port-au-Prince, 1995.
     
  • Saint-Aude  (Magloire) : Dialogue de mes lampes (suivi de) Tabou et de Déchu, Première Personne, Paris, 1970; Dialogue de mes lampes et autres textes (œuvres complètes), Jean-Michel Place, Paris, 1998.
     
  • Wilson  (Colin) : «Le poète considéré comme un occultiste», in L’Occulte, Philippe Lebaud, Paris, 1990.

LA POÉSIE D'ANTHONY PHELPS

Né à Port-au-Prince le 25 août 1928. Anthony Phelps fit des études élémentaires et secondaires à l’institution Saint-Louis-de-Gonzague. Entre 1950 et 1953, il séjourna aux États-Unis et au Canada où il étudia la chimie, la céramique et la photographie. De retour en Haïti, il fonda en 1960, avec l’aide de quelques amis, le groupe Haïti Littéraire. Il fut également co-fondateur de la revue Semences (1961) et de la station Radio Cacique (1961), où il réalisa des émissions hebdomadaires de poésie et de théâtre. Il mit également sur pied et anima le groupe de comédiens "Prisme". Il avait publié entre-temps quatre plaquettes de poésie: Rachat, poème radiophonique réalisé en 1953 à Radio Canada, Été (1960), Présence (1961) et Éclats de silence (1962).  En raison d’une vie culturelle et littéraire trop “chargée”, mais surtout tendancieuse, il fit un bref séjour dans les geôles du président-à-vie. Forcé de quitter le pays, il s’établit à Montréal, en mai 1964, y fit du théâtre, du journalisme, se fit engager comme journaliste à Radio-Canada en 1966, puis fonda une petite entreprise spécialisée dans l’édition de poésie sur disques. Ses premiers poèmes publiés à Montréal parurent dans Images et Verbes (1966), recueil de collages de Irène Chiasson.  Il fit également paraître sous le sceau des Disques Coumbite quelques poèmes groupés sous le titre suggestif de Mon pays que voici (1966), de même que Les araignées du soir (1967). Puis vinrent ses Points cardinaux (1967) et Mon pays que voici suivi de Les dits du fou-aux-cailloux (1968), édité à Paris. Il produisit une pièce, Le conditionnel, publiée également à Montréal en 1968. Un langage sans heurt, qui va du conte (Et moi je suis une île, 1973) jusqu'à son premier roman (Moins l'infini, 1973) édité à Paris, puis traduit en espagnol (1975), en russe (1975) et en allemand (1976). Au cours de cette même année, les Éditions Nouvelle Optique firent paraître son Mémoire en colin-maillard (roman).  Pour accomplir cet itinéraire fabuleux qu'il s'était proposé, il publiera coup sur coup: Motifs pour le temps saisonnier (poésie, 1976), La bélière caraïbe (poésie, Prix Casa de las Américas, 1980), Même le soleil est nu (poésie, 1983), Haïti! Haïti! (roman, 1985), en collaboration avec Gary Klang, Orchidée nègre (poésie, prix Casa de las Américas, 1987), puis Les doubles quatrains mauves (poésie, 1995), Immobile voyageuse de Picas et autres silences (poésie, 2000), Femme Amérique (poésie, 2004), Une phrase lente de violoncelles (poésie, 2005), et finalement La contrainte de l’inachevé (roman, 2006). Il a été plusieurs fois boursier du Conseil des Arts du Canada et membre du jury des prix Casa de las Américas. Son roman Un nègre spécial qui devait pourtant paraître aux Éditions La Presse à Montréal ne vit jamais le jour.

Plusieurs de ses camarades d’hier l’accusent, à tort ou à raison, d’être avant tout un "poète cérébral"... Qu'importe! "Je fais métier de poète", dira plus tard Anthony Phelps. En effet, la littérature haïtienne trouve dans ce bouillant poète l’image complète d’un écrivain de valeur, discipliné et conscient du manque de talent que connaît cet art. Son œuvre, de par ses qualités musicales, s'est tournée vers le beau et le mystérieux, vers l'inconcision et l'enfantement de rythmes nouveaux, vers des images qui donnent l'impression de repousser la raison. Par sa prévoyance et son opportunisme, Phelps a bien su canaliser les tendances d'une génération d'exilés. Perméable aux grands courants littéraires de l'étranger, grand curieux, il s'inspire volontiers des littératures américaine et européenne. Nourri de grands poètes, sa poésie est de force et de vigueur. Principal animateur du groupe Haïti Littéraire, d'ailleurs assez vite dissout par l'exil, il est aussi le poète le plus brillant et le plus prolifique de tous. C'est, sans aucun doute, l'un des plus puissants poètes haïtiens de ce siècle.

Malheureusement, les rares études portées sur l'œuvre d'Anthony Phelps ne font guère état des poètes hors d'Haïti qui l'ont indéniablement influencé.  À lire Terre Québec (1964) de Paul Chamberland, Terre des Hommes (1967) de Michèle Lalonde et certaines œuvres de François Piazza (Les Chants de l'Amérique, 1965; L'Identification, 1966), on se confond dans l'illusion quotidienne d'une "perspective d'errance et de glorification du passé". C'est comme si Phelps n'avait rien inventé, mais tout vulgarisé. Dans l'effervescence d'une foule de chantres mineurs, au sein des préoccupations sociales et politiques, au milieu de ces éclats de voix nostalgiques de l'Haïti d'hier et de demain, l'homme s'est fabriqué un "métier de poète". Dans l'atmosphère d'une poésie bourgeoise, travaillée, ciselée, on ne peut moins lui enlever la place d'un poète abondant, envoûtant, mystérieux, dont les délicatesses et les subtilités excessives lui valent bien le titre de poète du charme. À lire Anthony Phelps, cependant, on a toujours la sensation d'avoir déjà lu ses poèmes qui ne servent alors qu'à alimenter le prix d'une écriture constamment renouvelée. Poésie qui catalyse les polémiques - courtoisement traitée de "cérébrale" - mais aussi qui insulte la crédibilité du poème!

Si Présence (1961), sa seconde plaquette de poésie, semble avoir forcé la porte du sacré, c'est que le poète n'a apporté à la lecture de ce poème de moins d'une dizaine de pages qu'une écriture dépouillée, qu'un langage ordinaire et qu'une poésie légère. Avec Points cardinaux (1967), une amélioration nette fit surface, sans pour autant atteindre vraiment la cadence du vent. Néanmoins, le poète nous a fait part de son amour pour une ville, Montréal, et de son contentement d'y être. L'éloquence et la narration que l'on connaît aujourd'hui de sa poésie s'y trouvaient déjà.

Mais c'est avec Mon Pays que voici (1968) qu'Anthony Phelps s'est surtout fait connaître à travers le monde de l'art. Dans des poèmes à caractère fugitif, il nous a fait part d'un certain sentiment de l'entropie et de la renaissance. Des vers psychédéliques, avares de périphrases qui nous mettent en présence d'un univers momifié, malveillant et exploiteur.  Il y a chanté ses ancêtres indiens à la manière de n'importe quel habitant des réserves du Nevada.  Mon Pays que voici est peut-être le troisième exemple, après les Poèmes Quisqueyens (1926) de Frédéric Burr-Reynaud et Le Grand devoir (1962) de Roger Dorsinville, d'une pièce qui s'intéresse vraiment aux thèmes précolombiens d'inspiration indienne. Ce livre aura sans doute le mérite d'avoir permis à son auteur de sortir pour toujours de l'enfance et de l'enfantillage littéraire. Alliant le rêve à la réalité, le mystère à l'histoire, il s'est rapproché, d'une part de Paul Valéry et de Saint-John Perse par sa recherche d'une éthique fondée essentiellement sur l'esthétique et, d'autre part, des poètes tels que Paul Claudel, John Donne, Dylan Thomas, Walt Whitman, Carl Sanburg, Hölderlin et Maïakovski, par sa propre éloquence.

Anthony Phelps a le don d'inventer l'existence.  Il sait tourner autour d'une voyance toute rimbaldienne, comme s'identifier au verbe; ce que Mallarmé, inconscient, nommerait "ce quelque chose de sacré". Avec La bélière caraïbe (1980), des trouvailles assez impressionnantes, des fois injustifiées, mais toujours passionnantes, sifflent et bougent. Le rythme et les images, la sensation des couleurs font irruption à tout bout de champ. Ce livre est définitivement un véritable laboratoire de mots. Les pièces qui s'y retrouvent donnent la mesure d'une recherche insatiable et passionnée.

Il en ressort que l'artiste nous a longtemps laissé l'impression d'écrire, à travers sons et lumières, une poésie transpercée de mots sublimes jusqu'à la jonction des choses. C'est le poète-soleil aux portes des banquises. Des œuvres d'acier faites à partir d'éléments si simples et si élégants qu'elles nous entraînent dans les multiples secrets - imbibés d'imprévus et de mauvais souvenirs - de l'espace et de la réalité. Anthony Phelps témoigne tantôt de sa "Terre fébrile", tantôt de son "Lieu natal" (Même le soleil est nu, 1983), et nous fait beaucoup penser à Dylan Thomas, ce poète irlandais plus vulnérable que sa "Ville principale". Quoi qu'il en soit, Même le soleil est nu (1983) est un livre fascinant, par les paysages grandioses qu'il évoque, par l'élégance du style et la douleur déclarée du poète face aux malheurs de son pays.

Orchidée nègre (1985), dont le titre respire bien l'air de la Négritude, est l'amplification du langage qui se fait jour pour éclairer le vécu. Les phrases se rythment au pas d'un athlète en délire. C'est en somme une poésie "de plein-air, de l'espace le plus ouvert, jetée (parfois) dans le monde" du surréel.  Phelps, comme Kenneth White3, est surtout poète "là où il parvient à s'oublier, à oublier tout ce bric-à-brac idéologique (...), là où il cesse de discourir pour enfin dire". Le poète White est "concis, précis, solitaire", l'autre est "bavard, confus, soucieux d'épater la galerie". Par ailleurs, à l'instar de A. M. Klein dont l'étourdissante "virtuosité stylistique a pour prétexte l'impossibilité de transposer dans un récit"4, le poème chez Anthony Phelps prend la forme d'une "expression verbale (qui) stylise et transforme, en un certain sens, l'événement qu'elle décrit.  L'orientation est donnée par la tendance, le pathos, le destinataire, la censure préalable, la réserve des stéréotypes".

Pierre Vadeboncoeur, dans une étude critique5 consacrée à Victor Hugo, soutient que celui-ci est "un artiste dont la médiocre intelligence expose au ridicule l'immense génie et dont l'immense génie projette la médiocre intelligence dans une fâcheuse lumière (...)". Victor Hugo, précise-t-il, "puisqu'il se prend pour un penseur, adopte la forme du discours, laquelle justement n'est pas une forme, ce qui entraîne alors l'auteur non pas à réaliser un objet proportionné mais à parler tant qu'il estime avoir quelque chose à dire... (...) Comme son invention d'images, de mots et de lyrisme est intarissable, d'autres images et d'autres mots sont toujours là qui attendent et le sollicitent plus avant dans son poème, qu'il vaudrait peut-être mieux dès lors appeler son texte. (...) Un trait surprenant mais immensément répandu chez Hugo, c'est son prosaïsme.  Il a établi une vaste partie de son œuvre poétique sur deux principes, entre autres, qui lui permettent d'ailleurs d'écrire à perte de vue.  Dans les deux cas, c'est la prose et non le poème qui conviendrait premièrement à la substance traitée. (...)  Un de ces principes: il s'agit de l'exploitation oratoire de la pensée (...). Un deuxième, c'est l'emploi du récit. Dans ce cas, ce sont les besoins de la narration qui conduisent la plume, mesurent la longueur du poème et empêchent évidemment ce dernier de prendre forme en tant que poème". On aurait dit le cas d'Anthony Phelps, chez qui la forme du discours, l'oraliture et la déclamation évoquent l'exaltation vers la poussée poétique, ce tunnel d'où l'on ne revient jamais!

À lire  d'Anthony Phelps:

  • PHELPS, Anthony, Rachat, poème radiophonique réalisé à Radio Canada, Montréal, 1953.
     
  • Été, poèmes, Port-au-Prince, 1960.
     
  • Présence, poèmes, Port-au-Prince, 1961.
     
  • Éclats de silence, poèmes, Port-au-Prince, 1962.
     
  • Points cardinaux, poèmes, Holt Rinehart & Winston, Montréal, 1967.
     
  • Les Araignées du soir, poèmes sur disques, Les Disques Coumbite, Montréal, 1967.
     
  • Pierrot-le-noir, poèmes (en collaboration avec Jean Richard Laforest et Émile Ollivier), [miméographié], Montréal, 1968.
     
  • Le conditionnel, théâtre, Holt Rinehart & Winston, Montréal, 1968.
     
  • Mon pays que voici (suivi de) Les dits du fou-aux-cailloux, poèmes, P.J. Oswald, Paris, 1968.
     
  • Et moi je suis une île, conte, Leméac, Montréal, 1973.
     
  • Moins l'infini, roman, Éditeurs Français Réunis, Paris, 1973.  Traduction espagnole, Grupo Editor de Buenos Aires, Buenos Aires, 1975. Traduction russe, Éditions Littérature Étrangère, Moscou, 1975. Traduction allemande, Éditions Aufbau-Verlag, Berlin, 1976.
     
  • Mémoire en colin-maillard, roman, Nouvelle Optique, Montréal, 1976.
     
  • Motifs pour le temps saisonnier, poèmes, P.J. Oswald, Paris, 1976.
     
  • La bélière caraïbe, poèmes, Nouvelle Optique, Montréal, 1980.  Éditions Casa de las Americas, La Havane, 1980.
     
  • Même le soleil est nu, poèmes, Nouvelle Optique, Montréal, 1983.
     
  • Haïti! Haïti! , roman (en collaboration avec Gary Klang), Libre Expression, Montréal, 1985.
     
  • Orchidée Nègre, poèmes, Casa de las Americas, La Havane, 1985 ;  Triptyque, Montréal, 1987.
     
  • Mon pays que voici/este es mi pais, édition bilingue (français-espagnol), Joan Boldo i Clement, Editores, Mexico, 1987.
     
  • Les doubles quatrains mauves, poèmes, Mémoire, Port-au-Prince, 1995.
     
  • Immobile voyageuse de Picas et autres silences, poèmes, CIDIHCA,   Montréal, 2000; Immobile voyageuse de Picas / Immobile Viaggiatrice di Picas, Édition hors commerce, La Rosa Editrice, Torino (Italie), 2000.
     
  • Femme Amérique, poème, Écrits des forges, Trois-Rivières (Québec), 2004.
     
  • Une phrase lente de violoncelles, poèmes, Noroît, Montréal, 2005.
     
  • La contrainte de l’inachevé, roman, Leméac, Montréal, 2006.
     

LA POÉSIE DE SERGE LEGAGNEUR

Né à Jérémie le 10 janvier 1937. Pédagogue, Serge Legagneur participa très tôt à la vie culturelle haïtienne en fondant avec des amis - Davertige, Anthony Phelps, René Philoctète et Roland Morisseau qui comptent aujourd'hui parmi les meilleurs poètes haïtiens - le groupe Haïti Littéraire, un simple mouvement littéraire qui n'avait aucune ligne de pensée, mais des motivations pour l'écriture. Les tenants de ce mouvement ne semblaient tous être d'accord uniquement que sur des interdictions: rejet de la Négritude et de l'Indigénisme, rejet du duvaliérisme tel qu'il se développait déjà à l'époque.

Émigré au Québec en 1965, Legagneur y publia ses Textes interdits (1966), des Textes en croix (1978), Le Crabe (1981), Inaltérable (1983), puis des Textes muets (1987) et Glyphes (1989). Legagneur a bien su se défendre de n'avoir entretenu aucun rapport avec ses "aînés" - maintes fois déjà, ils le traitaient de "poète étranger" - tout simplement parce qu'il n'aimait pas leur "modèle". Sa plus grande ambition, c'est seulement d'écrire, ne serait-ce qu'un seul vers, qui soit lu et aimé!

Ce n'est pas seulement l'innocence, l'intelligence ou le talent qui attirent chez Serge Legagneur, c'est également ce souci continuel chez l'auteur d'innover le langage poétique. Dans des poèmes délicats, aériens et sensuels, on sent une certaine recherche de la musicalité du rythme et une bruyante légitimité du culte de l'image créant la vision artistique. Ses Textes interdits (1966) laissent néanmoins échapper d'harmonieuses mélodies pour une réelle réconciliation avec l'amour.

La lecture de Serge Legagneur nous laisse cependant la sensation que l'art est un mensonge qui ne nous apporte que des surprises intenses et soutenues par le jeu du possible. Après une longue fréquentation du groupe Haïti Littéraire, le poète semble évoluer vers une autre poétique qui sous-entend le choix de thèmes d'inspiration exotique. S'impose alors l'idée de complexité dans l'écriture et de désordre dans la notion du temps, ce qui nous amène à la lecture des Textes en croix (1978), gros bouquets à angles droits où s'articulent la vie et la mort, l'ordre et le chaos, l'ardeur des mots et la nécessité du non-sens. Des pages entières, des paragraphes et des lignes qui se suivent sans lien apparent. À travers ce long poème, les mots s'exposent possessifs, discrets, grandiloquents, et les images humides, froides et dures, s'entrelacent dans un chassé-croisé habité d'une déraison poétique. Par un vocabulaire savant et recherché qui tue parfois la spontanéité de son inspiration, Serge Legagneur est devenu un témoin généreux, un inventeur particulier de nouvelles formes littéraires, un oiseau rare à suivre du doigt. Avec lui, nous sommes déjà au royaume de l'imaginaire, une imagination débordant jusqu'au seuil du néant.  Textes en croix (1978) est en fait un recueil où tout est lié à tout, du surréalisme total et abstrait, mais excessivement différent des Textes interdits (1966) où la poésie vaquait sans cesse dans l'arène poétique.

Suivre Serge Legagneur, c'est exploiter la veine, c'est partager l'irrégularité, l'habileté et l'envoûtement de l'écrivain.  Si l'auteur de Le Crabe (1981) a su mettre "sa vie dans ses mots et ses mots dans sa vie", avec une joie débordante, un entrain tourmenté et gourmand, il nous permet à tour de rôle de partager la spirale de ses possibles, de déguster des mots magnétiques ou schématiques, et même de méditer sur la finalité infinie des gestes du langage.  Sans toutefois détourner l'art de sa vocation essentielle, il nous permet également d'approcher l'absolu poétique et de saisir le bien-fondé de sa démarche, bien que la lecture de ses pièces ne soit pas toujours aisée.

Le Verbe, selon Beaudelaire, est "l'ange du mouvement". Mission possible, paraît-il, pour l'auteur de Inaltérable (1983), et qui le conduit tout droit à la cybernétique des mots et des phrases magiques, au principe d'unification ou de vision d'un univers modifié. Ce poème pour une femme innommée, est un véritable chant d'amour, un fascinant exercice de style, un long poème construit avec les mots de tous les jours, mais placés, cadencés d'une façon admirable et retenant le profil d'un coureur de ski.

À l'instar de Théophile Gauthier, le poète ne recherche que la perfection formelle. Comme chez Théodore de Banville, ciseleur remarquable, poète funambule, la poésie est pour lui "à la fois Musique, Statuaire, Peinture, Éloquence; elle doit charmer l'oreille, enchanter l'esprit, représenter les sons, imiter les couleurs, rendre les objets visibles". Chez Serge Legagneur, donc, le sentiment de la recherche au niveau du langage semble embrasser l'œuvre d'un coude à coude de géant. L'artiste fascine en évoquant des sons, en suscitant l'impression d'un poète aux spectacles grandioses, en inventant un art plastique propre à lui. Mais s'il faut croire au rythme et au ton dont fait usage Serge Legagneur, la marque des poètes tels Michel Beaulieu et Paul-Marie Lapointe, deux écrivains québécois, est à envisager.

À lire de Serge Legagneur:

  • LEGAGNEUR, Serge: Textes interdits, poèmes, Estérel, Montréal, 1966.
     
  • Textes en croix, poèmes, Coll. "Poésie", Nouvelle Optique, Montréal, 1978.
     
  • Le crabe, poèmes, Estérel, Montréal, 1981.
     
  • Inaltérable, poèmes, Coll. "L'instant d'après", Noroît, Montréal, 1983.
     
  • Textes muets, poèmes, Noroît/La Table rase, Montréal, 1987.
     
  • Glyphes, poèmes, CIDIHCA/Équateur, Montréal, 1989.
     
  • Poèmes choisis (1961-1997), Noroît, Montréal, 1997.

UN POÈTE: DAVERTIGE

Poète et peintre. Né à Port-au-Prince le 2 décembre 1940.  En 1955, Davertige (Villard Denis) fut introduit au Foyer des Arts plastiques: il a entre 14 et 15 ans.  À 18 ans, il expose ses premières toiles à la Galerie Brochette alors dirigée par Luckner Lazarre. Il fit d'autre part des études primaires chez Colbert Bonhomme, des études secondaires partielles au collège Simon Bolivar avant de passer au Lycée Louverture, en 1957-1958. Mais au mois de mai de la même année, renvoyé du lycée, il décida de ne plus mettre les pieds à l'école. Il lut alors Les aventures de Télémaque de Fénelon et la Lettre à Jean-Paul Sartre de Pierre Hervé, un livre d'idéologie anti-communiste qui le convertit pourtant au marxisme. Il prit ensuite des leçons particulières de mathématiques chez André Méhu qui lui présenta Dialogue de mes lampes, Déchu et Tabou de Magloire Saint-Aude. Il se sentit fasciné: "A un moment donné, j'ai déchiré tout ce que j'avais écrit auparavant; j'ai découvert que mon monde se trouvait plutôt dans Magloire Saint-Aude".

L'année 1957-1958 fut la plus belle année de sa vie: l'année des grandes lectures. Au début de 1960, il découvre André Breton, s'inspire de la poésie de O.V. de L. Milosz et subit l'influence d'Aragon. Il rencontra, à partir de mai de la même année, de tout jeunes poètes de sa génération (Roland Morisseau, Anthony Phelps, René Philoctète et Serge Legagneur) avec qui il entreprit de former le groupe Haïti Littéraire. C'est aussitôt la rupture avec ses amis marxistes.  En avril 1961, la première version de Idem est achevée. Le livre parut le 7 janvier 1962, tiré à 300 exemplaires et dans la plus grande indifférence: seulement sept copies avaient été vendues!  Bientôt accusé de "poète abstrait", de "poète décadent et bourgeois", Davertige doit sortir de l'ombre pour défendre Idem; il se sentit dégoûté! Un article de Galpérina, paru à Moscou, qui annonçait les réalisations du groupe Haïti Littéraire omettait de le citer, alors que les noms de Phelps, Morisseau, Legagneur et Philoctète résonnaient pour la première fois dans l'arène internationale. Davertige confia alors un exemplaire de Idem au critique Maurice A. Lubin qui l'expédia à Alain Bosquet, à l'époque le grand critique du journal Le Monde à Paris. Le 18 août 1963, Bosquet titrait "Un séisme: Davertige".6  Et du jour au lendemain, Davertige conquit la célébrité. Une nouvelle édition de Idem et Autres Poèmes vit le jour à Paris en 1964.

En 1964 également, de passage à New York où il séjournait neuf mois, Davertige y rencontra Alain Bosquet au Carnegie Hall. Et en automne 1965, il débarquait à Rue Ménilmontant, comme simple visiteur à Paris où il vécut pendant douze années. Il y travailla à la rédaction d'un gigantesque roman de près de 1500 pages, Le Pont, qu'il détruisit par la suite, vers les années 76, en le passant par les flammes. Il était alors aux prises à une crise métaphysique aiguë; sa seule obsession: voyager en Inde pour y pratiquer la méditation transcendantale. Mais la préfecture de police le sommait aussitôt de laisser Paris dans les quinze jours qui suivent. Un éditeur de Montréal lui conseilla alors de rentrer au Québec et, en 1977, il débarquait à Montréal, laissant à Paris une femme et sa fille naturelle. Davertige, malade, avait depuis écrit des vers qui n’ont pas été publiés. En juin 1987, il retourna vivre définitivement en Haïti. Mais bientôt dégoûté, il revint à Montréal où il s'était établi depuis. Davertige (Villard Denis) est décédé dans cette ville en 2004, à l’âge de 64 ans.

Qui n'a jamais ressenti une sorte de vertige en lisant Idem (1962, 1964, 1982)?  Qui n'a jamais osé comparer ce jeune poète que fut Davertige à Arthur Rimbaud, à un ciel bleu-nuit oubliant tout protocole, contournant le langage et la coquetterie poétique?  Il écrit:

"Je ferme les volets sur le suicide et le néant"
                                                         (Idem)

La poésie de Davertige, en plus de la verve qu'on lui connaît et de la fraîcheur qu'elle a su conserver, nous porte aussi à penser aux divines années de l'art moderne, et on y assiste à une réelle performance de l'esprit, à une grande fête du coeur. De très riches découvertes articulées aux quatre coins des lignes de l'imprimé. Invulnérabilité d'une écriture lavée, habillée de rêves et de frissons. C'est toute une stylisation du langage, une forme qui séduit, qui se retrouve dans Idem; c'est aussi le beau, le mystérieux et l'élégance poétique qui se côtoient tout entier dans un univers imbibé de création nouvelle.

Alain Bosquet, dans sa préface à Idem et Autres Poèmes (1964), étayait la réflexion suivante:

"Il arrive, une fois tous les dix ans et peut-être moins, qu'en lisant un poète inconnu on reçoive un choc qui, soudain, vous fait éprouver la différence entre la littérature appliquée, intelligente, digne de tous les éloges, et le génie à l'état sauvage... Davertige peut commettre des erreurs et écrire dans une impatience rageuse qui est le contraire de l'art. Qu'importe! Ce qui est certain, c'est que son recueil contient onze ou douze poèmes d'un élan extraordinaire, d'une originalité toujours fulgurante, d'une imagerie à faire trembler le lecteur... d'ores et déjà Davertige est l'un de nos rares poètes."

Le Passager et les Voyageurs, un long poème extrait d'un ouvrage jusqu'à maintenant inédit (Ibidem et Idam), mais publié en 1971 dans les revues Tel Quel et Nouvelle Optique, est d'une luminosité éclatante, annonçant les multiples facettes de l'heure mondaine. Plus littéraire et plus envoûtant que les Pages Blanches (1975) de Dominique Grandmont7, et sans aucune parenté littéraire avec le poète Montréalais Claude Gauvreau, auteur de Étal Mixte8, ce poème de Davertige est l'instant d'une journée, la métamorphose des deux pôles de la vie, solides silhouettes de la marche progressive de l'Homme vers l'avenir.

"La poésie", écrit Léon Thoorens, "est un jeu que les poètes de génie prennent trop au sérieux, et qu'ils poussent parfois au-delà des limites du supportable. Et dès lors le génie lui-même est une folie, dangereuse pour l'équilibre spirituel et l'ordre social."9

Au-delà de la révolte, au-delà de la non-acceptation de la destinée humaine, au-delà même de la vie et de la mort, les poètes en général reflètent à leur façon l'invulnérabilité de la fonction humaine. Pourtant, habillé de complet noir, chapeau melon et le regard droit tel un guédé10, Davertige, le poète, exprimait le langage de la vitalité dans le Verbe.

À lire de Davertige :

  • DAVERTIGE (Villard Denis dit) : Idem, Impr. N.A. Théodore, Port-au-Prince, 1962; Idem et autres poèmes, Seghers, Paris, 1964; Idem, Nouvelle optique, Montréal, 1982; Anthologie secrète, Mémoire d’encrier, Montréal, 2004.

    LA LÉGENDE DE VILLARD DENIS

    La légende de Villard Denis
    Est une légende simple et amère
    Sous le tournoiement des couteaux de l’ardoise du verre rempli
    Et de la corde en coryphée dans les branches

    Elle voit au loin la cendre du cœur tourner
    Entre les crocs et les salives
    Pour dire le geste du cœur-aux-chiens
    La légende était à leurs pieds
    Avec mes vitres brisées dévorantes
    Ma chemise trop fine voulant encercler l’incendie

    Voici la légende du cœur-aux-chiens
    Avec la célérité des flammes de la main
    Qui disent non pour son sang vif
    Ses cloches sonnent avec un bruit de bois sec
    Dessus les arbres brisés en paraboles
    Pour l’éntraîner dans les dangers des fantômes tourbillonnants
    Près du parapet des mots en serpents

     

    La légende de Villard Denis à vos oreilles
    Court à pas d’enfant dans les feuilles
    Elle était docile aux pieds de la Sainte aux yeux d’argent
    Le brasier recouvrant sa face
    Elle est broyée par les pierres de vos entrailles
    Et veut parler au braiement du soleil
    Le langage de l’homme pathétique
    Et que viennent les poètes d’antan
    Et s’en aillent ceux d’aujourd’hui
    Dans le cycle de ses lamentos
    Derrière le voile du crâne où se tissent les funérailles fissurées
    Pour contenir son dos dans la gloire de sa parole revenue
    Un voyage qu’elle entreprend à sa façon
    Pour pénétrer dans l’or ouvert
    Des bras de la Vierge aux cheveux blonds

    C’est le cœur de Villard Denis
    Émerveillé d’un monde en pâture
    Sous les nuages violets des chiens
    Où gisent le glas de la tombe et l’émerveillement de ses nuits
    Crépitant dessous les sanglots dans le crachoir imberbe de sa face
    Un cœur aux pourceaux dans la patrie brûlée des passants
    Et qui craque sur les fémurs de la fleur aux dents
    Devidant la bouteille de ses mots sans âge
    Mourant dans la chaîne des flots
    Sous les flûtes de farine du cœur
    O suaire de ma naissance
    Sur la table au tiroir ouvert
    Où le verre creuse le puits pour dévider le miracle
    Des roses fanées sur la surface de la légende
    S’appuyant la tête à vos genoux

     

    Ce n’est pas adieu que je dis aux étoiles de vos talons   

    Qu’en Enfer les dieux vous bénissent
    Et sous la girouette du sang
    Chante la légende de Villard
    Qui est une légende immortelle
                                                (IDEM et autres poèmes)

 

ROLAND MORISSEAU, l’INCORRIGIBLE POÈTE

Né à Port-au-Prince le 22 septembre 1933. Il fit des études secondaires au Lycée Louverture où il découvrit la poésie en lisant les œuvres d’André Chénier. Co-fondateur du groupe Haïti Littéraire, certains de ses premiers poèmes parurent dans Semences et dans la revue Conjonction. Bientôt fasciné par l’éloge démesuré voué à Dylan Thomas et à Hölderlin, il en subit l’influence.

Émigré à Montréal en 1965, enseignant pendant environ une trentaine d’années dans une Polyvalente à Pointe-aux-Trembles (banlieue de Montréal), il a publié plusieurs recueils de poésie: Cinq poèmes de reconnaissance (1961), Germination d’espoir (1962), Clef du soleil (1963), La chanson de Roland (1979), une œuvre rétrospective regroupant des poèmes datant de 1960 à 1970, La promeneuse au jasmin (1988) et Poésie (1993). Quelques-uns de ses textes ont été traduits en espagnol et en anglais. Roland Morisseau, poète, est décédé à Montréal le 28 juin 1995, à l’âge de 62 ans.

Roland Morisseau, fuyant la dictature duvaliérienne, fait partie de ces écrivains des années ‘60 qui ont donné un nouveau souffle à la littérature haïtienne. Cette tradition de “transfert d’énergies sur un espace nouveau” connue longtemps en Europe (Byron, Shelley, Oscar Wilde, D.H. Lawrence, James Joyce) ou en Amérique (Walt Whitman, Melville, Henry Miller, Hemingway, James Baldwin) s’est progressivement installée dans le vécu de l’écrivain haïtien. En effet, depuis quelques quarante années de vie, on peut remarquer que la grande majorité des écrivains haïtiens ont fui le pays ou veulent le quitter à un moment ou à un autre. L’expatriation et/ou l’excentricité alcoolique sont vite devenues le seul recours à l’écrivain haïtien conscient des malaises de notre société en débandade. Tel fut, à mon avis, le lot (de soucis et de misère) également de Roland Morisseau qui n’arrivait pas à trouver la poésie de sa folie.

Roland Carl Brouard Saint-Aude
. . . . . . . .
amis oubliés
qui ne m’inquiètent plus
mais qui se mêlent aux ombres et à l’exil des âmes
je vous écris de la main d’une femme

Le poème, chez Roland Morisseau, est une synthèse. Synthèse de ce cadre insulaire qui se substitue aux risques et aux angoisses quotidiens d’ailleurs. À la recherche de sentiments neufs et d’amour, le poète semble peupler ses poèmes de symboles et de mythes pour y rechercher, sinon l’équilibre, du moins la plénitude du geste créateur. L’ouvrage, La Chanson de Roland (1979), qui est une rétrospective regroupant de nombreux poèmes déjà publiés, traduit son enracinement dans l’art poétique universel. Cela dit, Roland Morisseau semble s’insérer dans la tradition des poètes de l’aventure humaine qui, à l’instar de Maïakovski, suscitent le sentiment initial de la solidarité humaine. Si son œuvre baigne parfois dans une atmosphère quasi-surréelle, le poète, toujours gourmand des mots doux et savoureux, sait, de surcroît, inventer l’impossible pour réaliser l’imaginaire. Son rythme poétique se veut énergique, viril, mais aussi fascinant. C’est en somme un auteur de l’ironie par l’état de cette poésie du désespoir que l’on connaît également de lui.

Dans une même communion en beauté, il allie à la fois l’art, la vie, la femme, l’espoir, l’Afrique, l’amitié et l’amour des autres;  autant de sentiments humains qui ont fait de l’homme et de son œuvre une association progressive au-delà de la voix poétique. Ses auteurs préférés semblent être ces écrivains et ces poètes de haute tour: Maître Eckart, Lautréamont, Gérard de Nerval, L. Milosz et le célèbre Verlaine. De Germination d’espoir (1962) à Poésie (1993), on sent l’amélioration d’une technique d’écriture qui ne cesse jusqu’à aujourd’hui de nous émerveiller. C’est comme si le poète a su, au fil du temps, découvrir le secret qui fait des grands écrivains un  phénomène conscient.

À lire de Roland Morisseau:

  • MORISSEAU, Roland : 5 poèmes de reconnaissance, poèmes, Imprimerie Théodore, Port-au-Prince, 1961.
     
    • Germination d’espoir, poèmes, Imprimerie Théodore, Port-au-Prince,  1962.
       
    • Clef du soleil, poèmes, Édition “Les Araignées du Soir”, Port-au-Prince, 1963.
       
    • La chanson de Roland, poèmes (1960-1970), Coll.”Poésie”, Nouvelle  Optique, Montréal, 1979.
       
    • La promeneuse au jasmin, poèmes, Guernica, Montréal, 1988.
       
    • Poésie (1960-1991), Guernica, Montréal, 1993.

L’ŒIL DE DIEU DANS LA POÉSIE DE RÉGINALD OSWALD CROSLEY

Il n’existe presque pas dans toute la littérature haïtienne d’œuvres à connotation mystique qui font autorité. Mis à part celles du poète Etzer Vilaire, de Carl Brouard ou de Magloire Saint-Aude, ils sont rares les écrivains haïtiens dont la poésie a pour rôle de traverser les ténèbres, de faire face à la lumière ou de gagner les limbes absolus des esprits. Pourtant l’œil divin dans la poésie de Réginald O. Crosley, médecin chrétien protestant de l’église baptiste, vivant à Columbia (Maryland, USA), n’est pas d’une moindre importance; car celui-ci soulève la passion des préoccupations mystiques qui, depuis l’enfance, lie l’auteur aux “grands transparents”. Si la poésie des Immanences (1988) demeure une quête de l’absolu, du moins l’incarnation du Verbe à la parole, le Verbe s’est également fait chair en relisant ces “vers dorés” de Réginald O.  Crosley:

“Sur cette marche du temple
La mer se faisait enfance”
                  (La mer, p.  13)

“Et la mer maternelle m’offrait des arcs-en-ciel.”
                             (La vallée de larmes, p.  16)

La mer? Cette matrice de l’Univers créée par Dieu lui-même.  Et nous consentons à ce que:

“Au commencement était le Verbe,
Et le Verbe était en Dieu,
Et Dieu était Verbe.
Ceci existait dès le principe en Dieu.”
              (Évangile selon Saint-Jean)

Ce principe en Dieu, de Dieu, n’est que la révélation de “l’Esprit divin qui est en nous [et qui] ne fait partie de nous, ou plutôt ne nous rend partie de lui, qu’au moment de notre parfaite justification. Cet esprit nous quitte quand nous fermons les yeux de notre intérieur à sa lumière et revient lorsque nous ouvrons les yeux;  il est la vie de l’âme” (Éliphas Lévi). Le poète Crosley, chrétien à toute épreuve, auteur de l’évangélique essai intitulé The second coming of Christ may be postponed again (1991), ne fait que grâce au mystère du péché originel.

“Adam contemple son œuvre : la mort !
Et telle une onde
Elle tue le globe entre ses noeuds.”

“Adam pleure !
Vainqueur des charniers, des puanteurs
Le nouvel homme règne dans ses mystères enfantins.”
                            (La vallée de larmes, pp. 15 et 17)

Visionnaire, le poète, en bon mystique, sait naturellement maudire la présence maléfique de ces lémures qui peuplent la nature invisible, du moins l’Amérique des “avares vêtus de bénéfices”.

“Fantoche des archanges amateurs de calembours !”
“Oh !  L’ivresse de ta genèse, larve de lémuriens !”
                                               (Visionnaire, p.  21)

“Je plains ces affameurs
Suzerains des microbes profiteurs,
Créateurs de créanciers buveurs de spleen.”
                                     (Portrait, p.  23)

L’homme-poète, “galérien des navires du bonheur”, est ici décrit avec fracas et originalité par Réginald O. Crosley:

“Galérien des navires du bonheur
Mange le zéro
Ce singe de l’Absolu
A la frontière de la formule !”

“Poète, usurier des sublimes énergies,
Brûle ta bouffarde de bourrée de tabac inspirateur !
Broyeur des visions intérieures
Quêteur des regards au ciel mortuaire,
...........
Amant des vagues d’effroi........”
                                                        (Le sens, p.  27)

         L’au-delà de la Science des Mages, cette partie de l’Univers impénétrable par les profanes, n’est pas du tout étranger à l’auteur des Immanences. D’ailleurs, il l’a admis clairement:

“Chers malheureux assiégés d’au-delà !
Béliers invétérés de la barrière cosmique,
Je connais le sentier étranger aux faîtes balistiques,
...........
J’ai le mot de passe réclamé par les cerbères...”
(Le sens, p.  29)

Le poète Crosley cite souvent les saints noms de la Bible (Adam, Eve, Abraham, Esaïe, Abel, Christ, etc.) ainsi que les noms de certains lieux historiques comme Golgotha, Gomorrhe, Jérusalem, Galilée, Mont des Oliviers, Tibet, Babylone. Chercherait-il à obtenir “la grâce [qui] est nécessaire à l’âme pour vivre d’esprit et servir Dieu qui est Esprit”?  Car le poème intitulé Que tu sois la chose immaculée est d’une tendresse et d’une beauté telles qu’il fait souvenance et rappelle les Cantiques des cantiques de Salomon.

“J’aimais la Gémellaire
Au visage de chèvre penchée parmi les limbes.
J’étais des fougères du ciel dévonien
Brûlées par les Andes naissantes
Me revoici forêt primaire !”
         (Que tu sois la chose immaculée, p.  68)

De plus, la signification des titres de l’ouvrage Immanences ainsi que de ses chapitres: Les chandeliers, Que tu sois la chose immaculée, Hymnes cosmogoniques, traduit l’immense préoccupation du poète qui est celle d’une poésie “d’incarnation et d’absolu, quête de plénitude à transcender le naturel, l’humain et le cosmique”. Le nom Immanence en lui-même, qui est un dérivé du nom hébreu Imma signifiant mère,se dit de tout “ce qui est contenu dans la nature d’un être, qui ne provient pas d’un principe extérieur”. Donc ce livre, si l’on se soumet à son titre, est la révélation de l’esprit divin qui habite le poète chrétien protestant qu’est Crosley.

Dans la kabbale chrétienne primitive, écrivait Éliphas Lévi, “on a substitué le fils à la mère, pour écarter de l’idée divine tout ce qui rappelle le subjectif et le passif.  En effet, considéré comme providence ou comme mère, Dieu est toujours actif.  En lui, dit le Zohar, il n’y a pas de côté gauche ;  toutes les idées que rappelle la femme, à part ses tendresses maternelles, doivent être écartées de la conception de Dieu. D‘ailleurs, ici la chair n’est rien, tout est esprit et vérité”. Mais la notion de l’unité que recherche le poète des Immanences en tant que poète chrétien protestant ne rejoint sûrement pas les vieux dogmes de l’église orthodoxe ou de la tradition chrétienne primitive. Son livre Immanences est peut-être l’image hiéroglyphique de cette mère divine que les Kabbalistes appellent Imma, et que le poète conçoit dans le principe comme l’origine ou le “commencement de la chose engendrée”, c’est-à-dire de toutes choses. Imma-nences est donc pour le poète et pour nous “le côté féminin du Verbe fait chair”. Le poète par la parole, sa parole, participe alors à la réhabilitation de l’image de la femme et révèle ainsi le caractère cabalistique de sa poétique. Quelle (sa femme) soit la chose immaculée! Ainsi doit être également compris le mystère de l’Assomption de Marie, la mère de Jésus.

CONCLUSION

Deux autres poètes haïtiens, à notre connaissance, en l’occurrence Anthony Phelps avec Rachat (1953) et ses Points Cardinaux (1966), et Gérard Vergniaud Étienne avec son Dialogue avec mon ombre (1972), ont souvent fait allusion dans leurs écrits à la chose biblique sans pour autant élaborer de plein pied une poétique du sacré propre à leurs œuvres. Ce fut également le cas de Jacques Brault, poète québécois, qui, avec ses Poèmes des quatre côtés (1975), n’y a rien soulevé de mystérieux ou de mystique à part le titre donné à son ouvrage. Cependant, le nombre “quatre” qui est celui du signe de la Croix rejoint par contre les multiples litanies d’Anthony Phelps dans Rachat (1953) à propos du Christ. Quant au poète Gérard Étienne, ses nombreuses invocations hébraïques trahissent ses rapports privilégiés avec le Judaïsme et ce, depuis les années 70.  Une étude plus approfondie entre ces deux derniers auteurs (Phelps et Étienne) en considération des différents rapports et correspondances retrouvés dans leurs œuvres serait de toute importance. Car cette poésie du sacré, mystérieuse ou mystique décelée chez Crosley nous porte à reconsidérer l’œuvre du poète haïtien en général. Le recueil Immanences de Réginald O. Crosley est une pièce poétique de belle envergure.

Bibliographie et Références

  • Brault (Jacques) : Poèmes des quatre côtés, Noroît, Montréal, 1975.
     
  • Brouard (Carl) : Pages retrouvées,  Panorama, Port-au-Prince, 1963.
     
  • Crosley (Réginald Oswald): Immanences, CIDIHCA, Montréal, 1988.
     
  • Crosley (Dr Réginald Oswald): The second coming of Christ may be postponed again, Vantage Press, New York, 1991.
     
  • Étienne (Gérard Vergniaud): Dialogue avec mon ombre, Éditions   Francophones du Canada, Montréal, 1972.
     
  • Gouraige (Ghislain), et al. : Littérature et société en Haïti, CIDIHCA, Montréal, 1987, pp.  69-77 (voir la reproduction du poème Rachat d’A.  Phelps).
     
  • Julio (Abbé) : Le livre secret des grands exorcismes et bénédictions,  Bussière, Paris, 1984.
     
  • Lévi  (Éliphas) : La clef des grands mystères, Alcan, Paris, 1923.
     
  • Lévi  (Éliphas) : Cours de philosophie occulte,   Sélect, Montréal, 1982.
     
  • Olivet (Fabre d’) : Les vers dorés de Pythagore, 4e éd.  Chacornac, Paris, 1923.
     
  • Phelps (Anthony) : Points Cardinaux, Holt, Rinehart et Winston, Montréal, 1966.
     
  • Saint-Aude (Magloire) : Dialogue de mes lampes (suivi de) Tabou et de Déchu,  Première Personne, Paris, 1970.
     
  • Salomon (Roi) : Cantique des cantiques (traduit de l’hébreu par Pierre Thomas du Fossé en 1689), poème hébraïque, Mille et une nuits, Turin, 1994.
     
  • Vilaire (Etzer) : Années tendres (Tome 1), Poèmes de la mort (Tome 2), Nouveaux poèmes (Tome 3), G. Barral, Coll. «des poètes français de l’étranger», Paris, 1910 ; Albert Messein, Paris, 1919.
     

LA POÉSIE DE GÉRARD VERGNIAUD ÉTIENNE

Né au Cap-Haïtien le 28 mai 1936. Il passera bientôt sous les drapeaux, enrôlé au Corps d’aviation des Forces armées haïtiennes. À l’âge de vingt ans, il fit ses premières armes dans la poésie, après qu’il eut découvert Eluard,  Aragon,  Yvan Goll et Lorca,  au hasard de ses lectures. Après ses humanités obtenues en 1956, il décrocha un poste d’enseignant du secondaire et collabora à plusieurs quotidiens et hebdomadaires d’Haïti. Il fut, entre autres, animateur d’une émission radiophonique, Notes et Rimes (1960-1964), diffusée sur les ondes de Radio Haïti à Port-au-Prince, et fondateur d’un petit groupe culturel. Émigré en 1964 à Montréal où il obtint une licence en lettres, il poursuivit ses études en Europe et décrocha un doctorat en linguistique de l’Université de Strasbourg en 1974. Autrefois Professeur à la Faculté des lettres de l’Université de Moncton au Nouveau-Brunswick. Ancien directeur de la revue Lettres et Écritures (1967-1968), metteur en scène, ancien rédacteur en chef de la Revue de l’Université de Montréal, il fut également membre des Comités de lecture de plusieurs maisons d’édition, à Montréal et en Acadie. Gérard Vergniaud Étienne a fait de la prison, beaucoup de prisons sous les différents gouvernements d’Haïti de son époque port-au-princienne. Anti-aristidien acharné, il s’est fait injurier et battre sur le terrain de Radio Canada (Montréal) en 1993, juste avant une émission-interview avec la journaliste Denise Bombardier dont il était l’hôte. Bien entendu, cette agression politique l’a complètement traumatisé. Écrivain engagé dans la vie comme dans l’écriture, il fut  polémiste à temps plein et professeur retraité de l’Université de Moncton.

Gérard V. Étienne a beaucoup voyagé, surtout en Europe, aux Antilles et en Amérique du Sud où il participa à des congrès et prononça des conférences publiques, pour les Nations Unies, entre autres. Il prononça également des conférences sur les sciences humaines à Montréal, Santo Domingo, San Juan, Naples, Paris, Strasbourg, Mexico, Londres, etc. Outre de nombreuses études sur la linguistique et la sémiologie, il a publié plus d’une centaine d’articles littéraires, sociologiques et politiques dans les journaux suivants: Panorama, Le Nouvelliste (1958-1964), Métro-Express (1965-1966), Quartier latin Lettres françaises, Haïti Observateur, Le Devoir, etc. Ses hypothèses scientifiques, particulièrement sur la phonologie du créole haïtien, ont été reprises par plusieurs chercheurs américains et français. De plus, ses travaux scientifiques ont été cités dans la bibliographie d’un manuel d’introduction à la linguistique, ainsi que dans Langue française, les parlers créoles, paru chez Larousse, et dans Initiation à la linguistique, le Créole, structure, statut et origine, de Albert Valdman, chez Klincksieck, notamment. Il est décédé à Montréal dans la matinée du dimanche 14 décembre 2008.

Gérard V. Étienne a, littérairement, publié neuf recueils de poésie: Au milieu des larmes (1960), Plus large qu’un rêve (1960), La raison et mon amour (1961), Gladys (1963), Lettre à Montréal (1966), Dialogue avec mon ombre (1972), Cri pour ne pas crever de honte (1982), La charte des crépuscules (1993), Natania (2008); neuf romans: Le nègre crucifié (1974), Un ambassadeur macoute à Montréal (1979), Une femme muette (1983), La reine Soleil levée (1987), La pacotille (1991), Le bacoulou (1998), Maître Clo ou la romance en do mineur (2000), Au bord de la falaise (2004), Vous n’êtes pas seul ( 2007); et six essais: Essai sur la négritude (1962), Le nationalisme dans la littérature haïtienne (1964), La question raciale et raciste dans le roman québécois (1995), La femme noire dans le discours littéraire haïtien (1998), L’injustice (1998),  Hervé LeBreton et la poétique de la femme (2006). Son œuvre a été traduite en anglais, en espagnol, en portugais et en russe. Elle figure dans plusieurs anthologies, dont Le silence éclate (Moscou) et Présence africaine (Paris).

boule

Pour des raisons personnelles et d’ordre technique, nous n’aborderons que l’œuvre poétique de Gérard Vergniaud Étienne, laquelle, longtemps négligée par la critique, mérite d’être dévoilée et revisitée au van des souvenirs. Nous ne tenterons donc  d’étudier multiples facettes de sa poésie qu’à travers une rétrospective publiée de l’ensemble de ses poèmes11.

Comme tout grand poète, G.V. Étienne croit en l’inspiration poétique. “La poésie”, soutient-il dans une lettre adressée à l’auteur de cette étude12, “ne court pas les rues, et ne se vend pas au marché. L’inspiration poétique pénètre, oui ou non, l’être humain. Il n’y a pas deux poids, deux mesures, dans cette forme que les gens appellent poésie.”

L’inspiration de la poésie de G.V. Étienne vient sans doute d’en bas.  Une poésie de l’immersion, parlant de choses vues qui sont d’ailleurs d’ici ou de là, avec un rituel propre aux poètes de l’après-guerre en France. Chez Gérard V. Étienne, on peut parler sans risque de se tromper d’art réaliste et de modernisme appliqué, donc d’hyper-réalisme; le fait qu’il soit possible, à partir de ses poèmes, d’énoncer une technique simple d’après laquelle le poème est le résultat de la prolixité de l’Être et de son environnement (le social). Pour nous, le recours à un système, à son système, est une façon d’obtenir une distance vis-à-vis de l’œuvre.

« Déjà vingt-trois saisons dans une vie crucifiée
La marée disparaît au bruit des canons
Je n'ai pour boussoles que des soleils d'amitié
Maman n'a pas mis aujourd'hui la marmite au feu. »
                                    (La charte des crépuscules)

Avec Gérard V. Étienne, donc, c’est la lecture d’un monde intime, sensible aux multiples épanchements de la nature, sans cesse à la recherche de la femme13, de la ville14 ou de son ombre15. On le lit (et l’œuvre) dans une quête intéressante des mots et des images, et son écriture qui charrie sans fin les gestes du quotidien rassure du choix heureux des couleurs qui s’imposent d’emblée. Le poète prend parfois plaisir à se noyer dans l’oubli funeste et dans la mésaventure de son île au regard d’acier16. Façonnant le souvenir telle une étoile tombée du ciel, on y retrouve exprimée toute sa rancoeur d’être ailleurs. Nostalgie de l’île en détresse. Défaillance d’un coeur marchant à la hauteur des hommes et des Tropiques. Beauté candide d’une poésie de l’incertain retour, Cri pour ne pas crever de honte17 traduit une sorte de révolte dans la douleur des mots qui s’exaltent autour de la mémoire du poète.  C’est le retour des vieilles obsessions (ce retour au concret), cette étreinte faite de fiel qui dépasse les limites de simples réminiscences. Ce village bâti autour de la mémoire du poète cimente au quotidien chacune de ses démarches. Dans le “Cri...”, en effet, tout est plus décrit que suggéré. Ce poème est bâti autour d’une nostalgie, autour d’un rêve, et autour d’un pays.

« Si le soleil le chien de ta détresse
ne se lève plus du côté de ta case
Si l'hirondelle qui passe tous les matins
s'est aujourd'hui cachée sous la feuillée
Si tu te juges inapte à labourer le ciel
toujours sois ferme et courageux

Une graine d'espoir a germé dans la pluie
11 y a la terre qui tourne avec les hommes
Il y a le monde qui te tend la main
lève-toi
et marche à la quête de nouveaux paradis
pour le salut des diables cachés sous ton grabat »


« Mon ombre d'hier, l'ombre en moi palpitante, mon ombre, ma
fièvre et mon délire, d'où viens-tu?

  Mon ombre d'hier, l'ombre en moi palpitante, je te montre
mon labyrinthe, ma jeunesse qui s'affaisse. Que tu me voies dans
le tumulte du fleuve, que tu attendes patiemment mon départ,
je serai ton double dans le soir le matin. »
 

« Me reconnais-tu O ma haine sacrée
sol étrange crispé dans mon orgueil
ami des lampes chaudes ami des marées noires
de ces lacs en détresse parmi les gestes de l'ange
qui aurait séquestré le temps la mémoire et l’amour
Me reconnais-tu vierge mule fois immolée
nerveuse aux cols fermés à la concupiscence »

                                    (La charte des crépuscules)

À Moncton, en 1993, aux éditions d’Acadie, disions-nous, Gérard V. Étienne a récidivé en publiant une rétrospective de l’ensemble de ses œuvres poétiques: La charte des crépuscules. Divisé en sept sections, ce livre n’est que la reproduction de Au milieu des larmes (1960), Plus large qu’un rêve (1960), La raison et mon amour (1961), Gladys (1963), Lettre à Montréal (1966), Dialogue avec mon ombre (1972) et Cri pour ne pas crever de honte (1982). Étrangement, les sections ont été titrées différemment par l’auteur. On peut lire maintenant: Frissons et pleurs, Clameurs de rêves, L’amour au pluriel, Romance antillaise, Montréal entre les branches de l’aube, Paroles de vents contraires, Et tombe le rideau sur un pays en notes funèbres.

Même si Gérard V. Étienne est souvent perçu comme un romancier cinglant, donc un prosateur, ses poèmes qui sont le témoignage d’une écriture vaillante et lyrique, le protègent (l’auteur) de tout scandale et de toute politique du silence. Le langage félin, souvent utilisé par le poète, note un esthète aux accents si simples, une poésie de communication munie d’une puissance émotionnelle capable d’ajouter du frisson aux mots.

« Je t'appelle hirondelle de mes vingt-six saisons
Il n'est pas de sommeil sans décor ni folie
C'est l'heure de cueillir les roses de la lune
Lève-toi Bien Aimée le Grand rêve arrive. »


« Ma rivière endolorie
Je ne sais et ne sens qui je suis
devant l'océan de ta beauté. Immobilité.
Si je dois accepter que tu panses mes folies
quand vient ton sourire avec un drôle de sourire
ta chanson avec quelque rien d'amour
tu chercheras mes roses fanées
pour les éparpiller sur une nuit de cauchemars
Gladys mon immaculée
le Chopin dans le soir fortifie ma douleur
et l'orage aura brisé un pan de mon espoir
Sur la place publique avec un ami
humant l'odeur d'une belle-de-nuit qui se promène
Je presse contre mon cœur les déesses de la nuit
Et toutes les notes vertigineuses
qui font le tour de ma pensée
pareilles à ces vols rapides d'ortolans
comme pour courtiser les fées des matins éblouis. »

                                    (La charte des crépuscules)

Le temps n’a rien détruit de tous ses vers écrits depuis les années ‘60. Au contraire, plus engagé et plus maîtrisé dans La charte des crépuscules, l’art du poète rénove et contribue à alimenter une part du surréalisme, celui qui s’identifie aux limites de l’incompris, celui qui donne sa chance au lyrisme et permet à l’artiste d’exprimer ses sentiments dans la jouissance et la révolte. En effet, la poésie de Gérard Vergniaud Étienne est l’expression même de l’état d’âme le plus concret, une poésie de la kinesthésie locale et mobile qui offre à l’épanchement du lecteur l’image d’un poète spontané livré aux plus curieux. Au demeurant, le poète qui transmet, crée cette émotion qui explique pourquoi son impulsion à tout transformer par la poésie. Métamorphoses de l’idée en jets de lumière ondulée d’une écriture faite de clarté, tandis que rien de cette poésie ne relève de l’artifice. Tout baigne au contraire dans les sentiments (femme, ville, homme, misère et honte). Expression authentique d’une âme en pleurs, de l’amour au pluriel. Poésie syncopée, jazzée dans son ensemble, mais d’une trop grande sensibilité.

« Mon amour
Je l'ai joué sur un clavier d'aurore orange
brise frileuse un midi d'octobre blasé
par une fenêtre du collège est entré dans ma chambre
Mon amour
Je l'ai construit
humblement
patiemment
avec la tendresse de ma mère
et la voix de mon Dieu
avec des formes de ciel bleu
et des débris de rêve
avec le soir, avec les jours, avec la pluie
l'avenir qui pousse et nous enchaîne
Si vaste mon amour tel un aveu d'amants
que la terre
fille amoureuse
entre pieds nus et bras ouverts dans la baie de mon amour
Mon amour à construire de milliers lendemains
Mon amour à chanter par toutes les voix du monde
Mon amour des roses sauvages au bord des chemins
Je t'enserre plus que la pieuvre de l'Île
pour un peu de puissance à l'heure des massacres

Mon amour je t'écris sur les palmes de ma raison
Pour tout ce que je suis
le nègre et ses démons »

                          (La charte des crépuscules)

Gérard Vergniaud Étienne manie avec une certaine aisance un style où la magie du verbe demeure discrète et où la langue, en tant que matériau et véhicule, est partiellement dépouillée, filtrée à sa plus belle expression. C’est un grand défenseur de la langue comme possession du langage. Sa poésie, d’une forme régulière, s’exprime bien par la force de son langage des liens et correspondances. Tout le discours poétique stigmatisé dans l’ensemble des poèmes de La charte des crépuscules, par exemple, prend forme et langage à travers des modalités du verbe qui s’imposent comme le commun dénominateur du geste essentiel, d’une thérapie littéraire nécessaire. Dans cette rétrospective de poèmes, La charte des crépuscules, nous nous retrouvons, en vérité, entre l’enclume et le marteau d’un sentimentalisme à la fois fleuri de symbolisme et de surprise, la surprise si chère à Apollinaire.

À lire de Gérard Vergniaud Étienne :

  • ÉTIENNE, Gérard : Au milieu des larmes, poésie, Togiram Presse, Port-au-Prince, 1960.
     
    • Plus large qu’un rêve, poésie, Imprimerie Dorsainvil, Port-au-Prince, 1960.
       
    • La raison et mon amour, poésie, Les Presses Port-au-Princiennes, Port-au-Prince, 1961.
       
    • Essai sur la négritude, essai, Panorama, Port-au-Prince, 1962.
       
    • Gladys, poésie, Panorama, Port-au-Prince, 1963.
       
    • Le nationalisme dans la littérature haïtienne, étude, Éditions Pétion, Port-au-Prince, 1964.
       
    • Lettre à Montréal, poésie, Estérel, Montréal, 1966.
       
    • Dialogue avec mon ombre, poésie, Éditions Francophones du Canada, Montréal, 1972.
       
    • Le nègre crucifié, récit, Éditions Francophones du Canada, Montréal, 1974;  Métropolis, Genève (Suisse), 1989.
       
    • Un ambassadeur-macoute à Montréal, roman, Nouvelle Optique, Montréal, 1979.
       
    • Cri pour ne pas crever de honte, poésie, Nouvelle Optique, Montréal, 1982.
       
    • Une femme muette, roman, Nouvelle Optique, Montréal, 1983.
       
    • La reine soleil levée, roman, Guérin littérature, Montréal, 1987;    Métropolis, Genève (Suisse), 1989.
       
    • La Pacotille, roman, L’Hexagone, Montréal, 1991.
       
    • La charte des crépuscules, poésie 1960-1980, éditions  d’Acadie, Moncton (Canada), 1993.
       
    • La question raciale et raciste dans le roman québécois, étude, Balzac, coll. “Littératures à l’essai”, Montréal, 1995.
       
    • La femme noire dans le discours littéraire haïtien (Éléments d’anthroposémiologie), Balzac-Le Griot, coll. “Littératures à l’essai”, Montréal, 1998.
       
    • Le bacoulou, récit, Métropolis, Genève, 1998.
       
    • L’injustice, pamphlet, Humanitas, Montréal, 1998.
       
  • Maître Clo ou la romance en do mineur, roman, Balzac-Le Griot, Montréal, 2000.
     
  • Au bord de la falaise, roman, CIDIHCA, Montréal, 2004.
     
  • Hervé LeBreton et la poétique de la femme, essai, Educa Vision, Coconut Grove (Floride), 2006.
     
  • Vous n’êtes pas seul, roman, du Marais, Côte Saint-Luc (Montréal), 2007.
     
  • Natania, poésie, du Marais, Côte Saint-Luc (Montréal), 2008.
     
  • Monsieur Le Président, théâtre, du Marais, Côte Saint-Luc   (Montréal), 2008.

YVES ANTOINE ET LES SABOTS DE LA NUIT

Lorsque François Bilodeau écrivait: «L‘œuvre explique plus la vie que la vie ne le fait pour l’œuvre», il regardait autour de lui et essayait de pénétrer les mystères de la vie. Le soleil qui éclaire chaque jour l’arbre et le fruit. Le ciel qu’on interroge dans ses haltes telluriques. Tout cela a permis la naissance de «celui qui fait l’acte d’écrire et celui qui aura le don d’accueillir la chose écrite».

Ainsi est né Yves Antoine. Qui grandit et cherche encore à cerner l’essentiel de sa pensée. Pour l’auteur des Sabots de la nuit (1974), l’histoire de femme et d’amour n’a pas toujours les considérations valables et intrinsèques d’un ouvrage. L’autoeuthanasie d’un  poète, les accidents habituels de sa vie, ses souvenirs et nostalgies, ses dialogues avec lui-même, en somme ses monologues intérieurs, peuvent laisser supposer, suggérer même l’essence et la raison, expliquer les détours de la vie et ses chimères. Le poète Yves Antoine est donneur:

D’où que tu viennes
Je te laisse
Un trou dans le soleil
Ma main est anonyme…
             (Entrée libre)

Yves Antoine n’a pas peur de l’obscurité qui règne. Pourtant, il veille et voudrait accueillir l’homme:

Ce soir je veillerai
Je chevaucherai le premier cyclone
Pour faire escale
À la rencontre-des-Hommes.
                            (Dissolution)

Face à lui se comptèrent les Éclopés de l’île, ces déchiffreurs d’énigmes qui «ne sourient que pour tromper le désespoir»:

Leur joie est tissée d’ombre et de pollen
Ils clopinent dans le boucan du souvenir.

Les plus beaux rêves de la mer captivent Yves Antoine.  La destinée du Tiers-Monde l’inquiète sans cesse.  L’inquiète mais ne le désespère pas.  Le poème «Acte» permet de retrouver les préoccupations hautement humanitaires et politiques du poète; alors que les poèmes «Dépossession» et «Désintégration»  dénoncent l’invasion de l’anglais, l’aliénation économico-culturelle dont souffre le pays. Il est contre la philosophie bondieuboniste de l’haïtien pour le progrès.  Le poème  «Étape » en témoigne:

On nous glisse à l’oreille « Prier, veiller, Bon Dieu Bon,
Le soleil apportera des fruits mûrs »
Nous avons prié veillé répété
Jusqu’à l’épuisement: « Bon Dieu Bon »
Le soleil n’a jamais apporté de fruits mûrs…

Quelque part dans son ouvrage, le poète retrace certains divertissements du temps civilisé, l’érotisme actuellement en vogue et la bénédiction des usuriers de la mort (B-52).  La tension entre les nantis et les non nantis ne lui échappe point. Le souvenir d’Haïti, dans «L’indomptable», est scène de ménage.

Ce n’est pas ma faute
Si mon cœur est jalonné de cocotiers
Et de lauriers multicolores.

Si l’angoisse, le malaise, le vertige, l’étreignent en explorant le merveilleux de la vie, la nature ainsi que le paysage qui l’entoure redeviennent siens tant de les avoir sollicités. « Le paysage exact, tel qu’il fut, primitif, tel qu’il est, transformé par l’homme qui lui ajouta l’activité vivante », répond toutefois à l’agencement des mots d’une douceur terrestre dont se soucie Yves Antoine. Pas de vieux monuments linguistiques, ni d’artificielles architectures du langage. Et l’émotion qui s’allie parfois à l’imaginaire. Par ailleurs, le poète s’amuse souvent à déformer les mots usuels, à créer des mots nouveaux ou composés.  Hélas!  La modernité du langage est seule coupable.
     La poésie chez Yves Antoine est comme un grand sourire accordé à ce siècle qui simule l’ivresse de la misère en cascades de rêve. C’est le seul désir du poète de s’étendre là où s’éteindront les meurtrissures  et les vicissitudes de cette vie de fiel.  Son amour pour l’homme (ci-joint l’humaine condition) le porte souvent à faire confiance en l’avenir; sans se soucier du « premier cyclone » à chevaucher. Il reste l’un de nos meilleurs poètes des années ‘70 pour qui les lignes de l’écriture sont des symboles à parcourir le long d’un univers immémorial.

 

À lire de  Yves Antoine :

  • ANTOINE, Yves : La veillée, poésie, Impr. Serge Gaston, Port-au-Prince, 1964.
     
    • Témoin oculaire, poésie, Impr. Serge Gaston, Port-au-Prince, 1970.
       
    • Au gré des heures, poésie, Presses Nationales d’Haïti, Port-au-Prince, 1972.
       
    • Les sabots de la nuit, poésie, Gasparo, Québec, 1974.
       
    • Alliage, poésie, Naaman, Sherbrooke, 1979.
       
    • Libations pour le soleil, poésie, Naaman, Sherbrooke, 1985.
       
    • Sémiologie et personnage romanesque chez Jacques Stephen Alexis (thèse dedoctorat), Balzac, Montréal, 1993.
       
    • Polyphonie, poésie, Vermillon, Ottawa, 1996.
       
    • Inventeurs et Savants Noirs, essai, L'Harmattan, Paris, 1998 et 2004.
       
    • La mémoire à fleur de peau, poésie, David, Ottawa, 2002.
       
    • Les sentiers parallèles, roman, L'Harmattan, Paris, 2008.

ALIX DAMOUR18
ÉCRIVAIN HAïTIEN ETTHÉORICIEN DU SURPLURÉALISME

Alix Damour, né en Haïti dans une région jamais dévoilée. Journaliste et poète moderne errant de villes en pays (Santo Domingo, Port-au-Prince, Japon, Montréal, New-York, etc.), auteur de nombreux recueils de poèmes publiés et inédits, co-fondateur et théoricien du Surpluréalisme, il est décédé au début d'octobre 1990, d'une pneumonie à New York. À l'instar de Mozart et de Molière, il fut enterré, quelque part dans cette ville, dans l'indifférence la plus totale.

Avant de mourir, le poète inscrivait et gardait avec lui les noms de certaines connaissances et d'amis de vieille date tels que Paul Cassagnol de Washington, Etzer Depestre et Jean-Louis Bonin de Montréal, les frères Kauss, les noms de son frère Lesly Damour et de son beau-frère Jean-Jacques Coriolan. Après son passage à Montréal au mois de mai 1989, il vivait à Manhattan chez un ami dénommé André Gordon. L'hôte meurt peu de temps après, le 10 décembre 1989.  Alix devait apprendre le "computer". Sous le choc de la perte d'un ami si cher, découragé et écoeuré de la vie à New-York, il a disparu pendant 18 mois sans donner signe de vie à personne et sans laisser de traces. Une infirmière de l'hôpital St-Luke à Manhattan rappela M. Paul Cassagnol pour lui dire que son ami Alix venait de succomber à sa maladie. C'était après sa seconde admission à cet hôpital comme patient, vers le 13 octobre 1990. Car il y était interné une première fois grâce à l'aide d'un médecin haïtien, le Dr André Sajous qui l'avait déjà suivi pour cette même maladie.

Alix Damour était un fervent admirateur de Pedro Mir, le grand poète national dominicain (de l'autre côté de la République d'Haïti), et de Pablo Nuruda, poète chilien, prix Nobel de littérature en 1971.

Parmi ses œuvres connues, on peut citer: Pages Blanches et un poème pris en otage (1980); Ruelle Vaillant de nos amours et Carlos Grullon (poèmes, 1988), Cantique de la présence et de l'absence (poème, inédit), Poème du cri et un psaume aux parias (poèmes inédits en collaboration); Dieu sait-il que le soleil est parti en voyage avec une vierge? (roman, inédit); Saint-John Kauss ou les Modulations d'une poésie majeure (essai, inédit); des centaines d'articles éparpillés dans les revues et journaux d'Haïti sur la littérature et l'art, notamment sur la poésie, le roman et la peinture, ainsi que quelques préfaces a des auteurs contemporains comme Gérard Pricorne Janvier et Saint-Valentin Kauss.

Effectivement, Alix Damour a traversé tous les "ismes".  L'image de type cubiste, souvent visuelle: la flamme quadrangulaire patrouille sur les espaces de mes soupirs d'homme /  les visages durs fabriquent des angles drus au parfum de béton et de fer, qui naît de la "juxtaposition de deux plans de la réalité"19, n'est pas moins dénuée de valeur à travers l'œuvre du poète. Et l'image surréaliste, qui n'est autre que la "transposition de la réalité dans un plan supérieur (artistique)"20, y est demeurée une impression secondaire sous les yeux naufragés de l'idée. Le poète nous crie que: Les secondes tremblent de fureur /  Suis immensité et flamme dans le tourbillon marin. L'image expressionniste au contraire, qui se développe volontiers de façon insistante, est à la base de toutes les pièces de l'auteur. Ainsi, nous lisons: à travers les mouvements ondulaires des espaces froids de nickel  /  au cinéma des désirs infantiles l'air est veuf de la vie  /  la routine des secondes en fuite sur les parvis de l'aube.

Cependant, il ne faut pas oublier que le sentiment du tragique ou la substance du vécu (chez Alix Damour) a souvent opté pour l'image dada qui "frappe incomparablement plus par son violent arbitraire". De là, une poésie venant des artères, une poésie du cri, une poésie réelle.  Et des images qui sont nées des cancers de l'homme autant que de cette  souffrance de l'esprit dont parle Antonin Artaud: "l'angoisse qui se rapproche et s'éloigne chaque fois plus grosse, chaque fois plus lourde et plus gorgée. C'est le corps lui-même parvenu à la limite de sa distension et de ses forces et qui doit quand même aller plus loin.  C'est une sorte de ventouse posée sur l'âme, dont l'âcreté court comme un vitriol jusqu'aux bornes dernières du sensible".21

Alix Damour n'a pas le pessimisme ardu de la plupart des auteurs haïtiens. Mais à la bonne heure du crime, il sait aussi prendre place parmi les poètes de tendance humanitaire, ceux qui espèrent que l'Amour amènera la Fraternité parmi les hommes et qui croient que la souffrance est une plaie horrible de l'humanité:

Pourquoi es-tu assise
souffrance
sur les branches des arbres éternels

Ses confidences sont parfois exprimées dans des images morbides:

Mon enfance brisée devant
des tonnes de pierres tout est
cri devant le tableau de la
prison
je n'ai pas connu l'amour
d'une mère

Pour Yvan Goll, comme pour l'auteur des Pages Blanches, "l'art n'est pas une profession (...).  L'art n'est pas un destin (...). L'art c'est l'amour."22  Mais, cet amour universel n'exclut pas chez le poète Alix Damour une certaine amertume en soi en ce qui a trait à son destin personnel.

Je suis le calendrier
de la misère de ma rosée
enrobée de sang

La solitude, la tristesse, la mélancolie et le désespoir font souvent penser à la médiocrité de sa vie quotidienne.

Et les terres fatiguées de ma présence dans l'agenda
m'ont crié leur merde
de désespoir

La réalité, écrit Yvan Goll, "est la base de tout grand art. Sans elle, pas de vie, pas de substance. La réalité, c'est le sol sous nos pieds et le ciel sur notre tête.  Tout ce que l'artiste crée a son point de départ dans la nature".23  Et le poète Alix Damour n'a pas oublié de tout lire, puisqu'il nous dit:

ordures la vie sent le pourri

Certains poèmes d'Alix Damour dégagent un son particulier auquel la littérature haïtienne n'est guère habituée. Grâce à bon nombre d'images expressionnistes et beaucoup d'autres surréalistes, il a érigé un piédestal massif qui a fait peut-être de lui l'un des meilleurs poètes de la génération '80. L'engagement existentiel, l'attitude esthétisante ont largement contribué au critère de la bonne poésie en ce qui concerne Pages Blanches.

POÈTES MAUDITS DES LITTÉRATURES

Les littératures, de ce point de vue, ont sévèrement été frappées, voire démobilisées en tant que système d'un lieu commun ayant pour devoir de garantir la liberté de l'écrivain et de tous les hommes sans distinction aucune. De la grande horde des poètes maudits, les uns et les autres sont des exemples frappants de poètes tragiques. Jean Genet, né de père inconnu, abandonné par sa mère, commence par des errances, puis des larcins. Maudit garçon, homosexuel, plusieurs séjours en prison. Lord Byron publie ses premiers vers à 17 ans. L'une de ses plus belles aventures amoureuses fut sa liaison scandaleuse avec sa demi-soeur Augusta Leigh. Percy Bysshe Shelley meurt à 30 ans, le cadavre rejeté par la mer; Harriet, une collégienne de 16 ans qu'il enleva et abandonna par la suite avec leur fille, s'étant suicidée peu avant.  Jacques Prével est emporté par la phtisie pulmonaire. Tristan Corbière connut à 16 ans des rhumatismes articulaires qui déformèrent son corps. Gilberte H. Dallas vit son corps dépérir avant d'être emportée par un cancer. Arthur Rimbaud mit fin à sa vie de poète à 19 ans; puis de l'alcool à la drogue, nomade, il devint trafiquant d'armes et d'esclaves avant de se faire amputer d'une jambe. Germain Nouveau  se convertit en mendiant à la fin de sa vie; il logeait dans un grenier et quêtait sa nourriture dans les poubelles publiques. Yannis Ritsos, issu d'une famille de grands propriétaires terriens brusquement tombée dans la misère, devint tuberculeux à 17 ans. Les multiples séjours au sanatorium, l'humiliation, l'étrangeté du monde qui l'entoure, le conduisirent plus d'une fois assez proche de la folie et du suicide.  Émile Nelligan connut d'abord la folie, puis la Mort et la Vie.  Nerval est fou et se pend.  Nombre de poètes de la France éternelle se sont donné la mort: Jean-Pierre Duprey, André Frédérique, Roger Milliot, Gérard Neveu, Roger Arnould-Rivière, Philippe Salabreuilh... La liste des écrivains maudits serait encore longue - Verlaine, Lautréamont, Dino Campana, Alexandre Pouchkine, William Blake, Blaise Cendrars, Antonin Artaud, Charles Albert Cingria, Claude Gauvreau, Baudelaire, Edgar Allan Poe, Gaston Gouin, Carl Brouard, Magloire Saint-Aude, Ruben François, Marie Uguay, Dominique Batraville, Juan Garcia, Hubert Aquin, Pierre Richard Narcisse, Josée Yvon, Denis Vanier, Yves Navarre, Roland Giguère, etc.24 Leur plus grand délit est d'avoir acquis malheureusement la renommée, souvent dans une atmosphère de folie furieuse, de marasme économique, de maladies atypiquement acquises, d'alcoolisme persistant et de dépression majeure, n'échappant guère à la sauvagerie naturelle de l'homme.

De pareilles incohérences, par le geste et la parole, se rencontrent de façon épisodique dans le champ de la littérature nationale. Bien que la malédiction se soit acharnée beaucoup plus cruellement sur les uns que sur les autres, nombre de poètes haïtiens, dans leur quête de spiritualité, ont abouti à des profondeurs qui les garderont prisonniers toute la vie, jusqu'à l'ultime demeure où ils purgeront leur secret et leur légende. Edmond Laforest, peu génial, s'est suicidé au matin de 1915, pour protester contre l'occupation armée d'Haïti par les Yankees des États-Unis d'Amérique. Carl Brouard, génial vagabond, fut retrouvé inanimé, étendu dans la vase nauséabonde associée à l'odeur de puces et de détritus, aux abords du marché Salomon à Port-au-Prince. Clément Magloire Saint-Aude, un expert des cabarets, un peu trop poète, fut homme plus discret.  Il a pourtant flirté avec sa vie comme il l'a fait avec la Muse. Ruben François, poète mystique, fut trop souvent exaspéré par les tracasseries du quotidien. Il avait sans doute atteint un peu trop tôt cette maturité qui le mettait continuellement aux prises avec son destin. Il meurt, à 29 ans, dans un hôpital de Montréal, des suites de brûlures graves. Son suicide fut un acte longuement prémédité; serait-ce pour l'affirmation d'un lieu, d'un destin qui existe depuis Villon jusqu'à Saint-Aude.

Yvon Rivard, dans un texte intitulé - Qui a tué Saint-Denis Garneau? -, a repris une phrase désormais célèbre de Jean Lemoyne25 fondant une accusation sur "l'hérédité psychologique canadienne-française" qui a rendu Saint-Denis-Garneau "inapte à la vie, incapable d'aimer et de s'insérer harmonieusement dans le réel". D'où, selon Lemoyne, "cette culpabilité névrotique, cette aliénation qui allait peu à peu le réduire au silence"... De même, on ne peut parler de Coriolan Ardouin (1812-1836), de Ducas Hippolyte (1842-1868), de Robert Lataillade (1910-1931), de Marie-Ange Jolicoeur, d’Alix Lapierre, de Villard Denis (alias Davertige), de Roland Morisseau, et de tant d'autres de nos poètes inconnus, sans colère, bien que pour des raisons totalement différentes de celles inhérentes à la folie de Saint-Denis-Garneau, la plupart d'entre eux aient obéi à des lois sous-naturelles qui les rendaient inaptes à leur quête spirituelle. L'analyse psycho-sociologique du sacrifice de l'un et de l'autre ne relève point d'une "quelconque impuissance atavique mais du désespoir". Non pas, comme le dit Rivard, de ce désespoir issu de l'échec qui est la pâture des esprits médiocres, mais plutôt de celui vécu comme la seule fidélité possible à une vérité qui se dérobe sans cesse.

Rimbaud aimait la vie de bohème. Magloire Saint-Aude aussi. La liberté de savourer une telle entreprise relève souvent de la nécessité de s'évader, à savoir, comme le dit René Char, que "la lucidité est la blessure la plus proche du soleil".

boule  boule  boule

Notes

  1. Henry Miller, Tropique du capricorne, Chêne/Stock, Paris, 1952, p. 43.
     
  2. Victor Serge, Littérature et révolution, Maspero, Paris, 1976, p. 7.
     
  3. Robert Mélançon, "Kenneth White ou les infortunes du discours", Liberté, 144 (janvier-février 1981): 97-100.
     
  4. Robert Mélançon, "Abraham Moses Klein, poète", Liberté, 146 (avril 1983): 89.
     
  5. Pierre Vadeboncoeur, "Le cas Hugo", Liberté, 145 (décembre 1982): 113-119.
     
  6. Alain Bosquet, in Le Monde, Paris, 17 août 1963.  Aussi dans Le Nouvelliste, Port-au-Prince, 22 août 1963.
     
  7. Dominique Grandmont, Pages blanches, poèmes, Les Éditeurs Français Réunis, Paris, 1975.
     
  8. Claude Gauvreau, Etal Mixte, poèmes, Éditions d'Orphée, Montréal, 1968.
     
  9. Léon Thoorens, Panorama des littératures, vol. 4, Gérard et Co., Belgique, 1967, p. 240.
     
  10. Divinité mythologique dans le vaudou haïtien. Il symbolise le sexe et surtout la mort.
     
  11. Gérard Étienne : La charte des crépuscules, poésie 1960-1980, éd. d’Acadie, Moncton (Canada), 1993.
     
  12. Nos Archives, Lettre à Saint-John Kauss, 21 novembre 2004.
     
  13. G.E. : Gladys, poésie, Panorama, Port-au-Prince, 1963.
     
  14. G.E. : Lettre à Montréal, poésie, Estérel, Montréal, 1966.
     
  15. G.E. : Dialogue avec mon ombre, poésie, E.F.C., Montréal, 1972.
     
  16. G.E. : Cri pour ne pas crever de honte, poésie,Nouvelle Optique,Montréal, 1982.
     
  17. Op.cit., 1982.
     
  18. Alix Damour, Pages blanches et un poème pris en otage, Éditions Damour, Port-au-Prince, 1980.
     
  19.  Serge Fauchereau, Yvan Goll expressioniste et moderniste appliqué, dans Liberté, no 94, p. 67.
     
  20. Surréalisme (no 1, Octobre 1924, pp. 2-3) ou Yvan Goll, œuvres I (Émile Paul, 1968 et 1970), pp. 87-89.
     
  21. Antonin Artaud, œuvres Complètes, Tome I (Gallimard, 1956), page 117 (texte paru originellement dans L'Art et La mort en 1929).
     
  22. Ich schneide die Zeit aus, Herausggeben von Paul Raabe (Deutscher Taschenbuch, Verlag, 1964), page 308.
     
  23. Surréalisme (no 1, octobre 1924, pp. 2-3) ou œuvres I (op. cit). pp. 87-89.
     
  24.  Pierre Seghers: Poètes maudits d'aujourd'hui, Seghers, Paris, 1972.
     
  25. "Je ne peux parler de Saint-Denis-Garneau sans colère.  Car on l'a tué.  Sa mort a été un assassinat longuement préparé".  Citée par Yvon Rivard dans Liberté 139, Montréal, 1982.


 Viré monté