Gestuelle

à Roland Morisseau
Serge Legagneur

à Jean-Richard Laforest

«Au- delà de la glace, du nord, de la mort, notre vie, notre bonheur
                                                                             (Rainer Maria Rilke)

Saint-John Kauss
 

compagnons de la grande rivière du nord
compagnons qui s’éveillent dans la tristesse des oiselles
en poèmes

que la marche soit lente
mais que le décompte de notre pain quotidien
soit à la mesure du cri et de l’enfant qui a faim

 

compagnons de la grande muraille que j’éprouve dans mes
poèmes
voix de haute haleine attachées à nos souvenirs
visages d’habiles pourvoyeurs de mots fragiles à chaque
visitation
jeunes radoteurs toujours présents au rendez-vous des
poèmes
comme au premier jour de la naissance de l’aîné des poètes

je vous salue comme à la première neige
comme au premier sourire de l’enfant à peine né
je vous salue entre les gros mots et le bonheur
de nos fillettes qui se refusent au silence
je vous salue avec les mêmes mots maigres d’un petit matin
à perte d’ennui
là où habitent pécheurs et sentinelles de la garde des mots
qui n’apprivoisent que les syllabes de notre premier cri
de notre chair depuis belle lurette mise aux enchères
que saurais-je de la terre que j’embrasse dans ses tours
parallèles

vous avez ouvert la voie à la caravane des mots
des maux d’une terre mystérieuse de paradoxes et d’espoirs
vous nous avez montré du doigt le désert de Gobi
et ses squelettes et tous ces morts réconciliés dans la nuit
ces oiseaux-dinosaures ces carnivores mécontents de leur
sort
en somme tous ces manuscrits délaissés aux entrepôts de
l’Histoire

le temps est insondable et les poètes
des voyants de haute lice comme à la fin d’une phrase
fieffés navigateurs d’eau douce dans la vallée des syllabes
fiers croisés dans le ventre du lexique
illuminés et rassembleurs d’étoiles pour la révolte
des sangs mêlés

vous qui avez léché le souffle des grandes caravelles
vous qui donnez dans le silence des longs murmures aux
jupes des primevères
dans le rêve et dans la nostalgie des fruits défendus
vous suaires des petitesses et des espérances muettes
qui dites la faim des fossiles parmi les fous
vous pirates pauvres et coupables des fausses accusations
sur les lèvres
qui rappelez Homère dans sa souffrance et dans sa fidélité
à l’écriture
vous ramasseurs de parchemins et de blessures
quel destin que de renouer les mailles de la solitude parmi
les hommes

 

 

la vie est une garce et les poètes
glyphes de la divination
grimoires aux alphabets façonnés de crucifiés
voyants des voyelles atomisées sur une page d’histoire
jusqu’à l’usure des embruns de chaque cauchemar
sédentaire

fut-ce le temps des grandes découvertes de ballades
d’odes et d’élégies spontanés pour les beaux yeux de
l’aimée

ô grève des hommes et de la terre sauvages
inflexibles sous la crue de l’amande éphémère
mais pardonnés au ressac des pierres que l’on ignore

je vous salue de nouveau
Ô poètes de la liberté et de la garde des mots
frères indubitables modèles
pour la quête à la joie
et à l’ivresse des lendemains

 

 

 

que reste-t-il à écrire
après nous avoir ouvert les chemins de l’indolence
la grande route des alphabets jusqu’aux vêtures des saisons
que reste-t-il à promettre
avec la fidélité des mots et l’acharnement du bouleau
sinon les rues de notre enfance
les doigts de nos amours
les folies de nos paupières et de nos baisers partagés

 

le temps est indomptable et les poètes
comme des enfants aux semelles de l’exil
où je chasse la femme
l’unique désirée de cette aire énorme
l’exil de mon enfance et de mon adolescence
parmi des hommes de première main
avec les mêmes blessures et les mêmes interrogations
de crucifiés et de chasseurs de maux dans la foule
des témoins

que passent nos chemins de songes         la nuit et les poètes

 

Repentigny, été 2002

 

 
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