Travaux du GEREC l'Ewop
 
Statut de la langue française au Bénin: La"Revanche" des langues nationales
 
 
La langue française est la langue officielle de la République du Bénin. Cette réalité, nul ne peut la nier puisque même la constitution de notre pays lui reconnaît ce statut à l'alinéa 3 de son article premier: «La langue officielle est le français». Cela devrait donc assurer au français, dans notre pays, une position privilégiée. Cette position privilégiée, elle l'a d'ailleurs longtemps occupée, parce qu'elle était la langue du groupe dirigeant: les colonisateurs ou «l’élite» nationale. Et pourtant, à y regarder de près, l’on se rend compte que la situation du français est, de nos jours, plutôt inconfortable. Qu'est-ce qui peut donc expliquer ce paradoxe?

1 Une longue période de quasi-monopole

L'entrée «officielle» du français dans la vie des futurs Béninois date de l'ouverture de la première école catholique française par les missionnaires à Porto-Novo, capitale du Royaume de Xogbonu baptisé Porto-Novo par les Portugais, en 1865. Avec la colonisation, le français, langue du colonisateur, devient celle de la vie officielle (administration, école, église catholique, etc.) L'instruction se faisant, évidemment, en français, il se crée très rapidement un groupe restreint de gens formés dans une langue étrangère à leur milieu d'origine. Ceux-ci sont présentés par le colonisateur, à eux-mêmes ainsi qu'à l'ensemble de la population autochtone, comme une élite.
La langue parlée par l'élite est, bien entendu, une langue d'élite qu'il n'est donné de parler qu'à ceux, peu nombreux, qui ont eu l'insigne honneur de franchir les portes de ce mystérieux couvent qu'on appelle «école», et qui en sont sortis victorieux, oints et auréolés du prestige que confère l'initiation qu'on y reçoit.
Même si l'école coloniale ne doit servir à former, selon ses fondateurs, que «des élites de collaborateurs qui, comme agents techniques, contremaîtres, surveillants, employés ou commis de direction, suppléeront à l'insuffisance numérique des Européens»1, leur situation sociale, meilleure que celle de la grande masse, établit dans l'esprit de la population que, être «akowé» (col blanc, fonctionnaire), c'est atteindre le summum de ce que peut espérer un nègre dans les colonies.
Pendant la période coloniale et plusieurs années après la fin de la colonisation, la langue française occupe une position de quasi-monopole, au point que bien des messages de sensibilisation destinés à la population, en matière de santé ou d'agriculture, par exemple ne sont pas traduits dans les langues nationales. De larges pans de notre société sont marginalisés, parce que ne maîtrisant pas la langue française.
Dans l'avant-propos du très fameux manuel Mamadou et Binéta lisent et écrivent couramment utilisé par des générations de jeunes Africains, A. Davesne affirme que: «[...] l'apprentissage de la langue française demeure une nécessité pour les populations africaines qui l'avaient, dans les années antérieures, entrepris et, très souvent, mené à bien de façon remarquable. La connaissance de cette langue leur permet en effet d'accéder à une vaste somme de connaissances de toutes sortes et de productions littéraires auxquelles leur propre génie apporte et continuera à apporter une inestimable contribution.»2
A l'école, l'usage du fameux «signal»3, tant redouté, contribue à renforcer l'idée que seuls ceux qui ont une maîtrise «académique» de la langue française ont droit au salut. Les autres ne sont que des cancres voués à végéter dans la médiocrité intellectuelle et sociale.

2 Un groupe social privilégié

Il n'est pas possible d'accéder, en toute sécurité, aux services de l'administration si l'on ne comprend pas français. La Secrétaire particulière de Jean PLIYA ou Le Mandat d'Ousmane SEMBENE nous en donnent un petit aperçu littéraire.
De toute évidence, comprendre le français confère un prestige et des avantages sociaux qui ne laissent personne indifférent. La langue française devient un instrument de pouvoir. Ceux qui ne la maîtrisent pas ne jouissent d'aucune considération dans les milieux «bien». Ne pas parler français est le signe d'une manifeste arriération.
Mais à voir le faible taux d'instruction en français dans notre pays, bien des gens devaient finalement se dire que la plus grande partie de la population dahoméenne était composée de crétins.
Les locuteurs du français occupent une position d'autant plus avantageuse qu'ils ont reçu une instruction élevée. L'«akowé», le fonctionnaire, jouit d'un salaire qui lui confère un statut de privilégié. Le travail manuel et, encore plus, le travail de la terre sont souvent considérés de haut et délaissés. On entre à l'école pour devenir fonctionnaire. Il ne vient à l'esprit d'aucun jeune qui entre à l'école de devenir artisan, ouvrier, commerçant ou autre. Même des métiers comme celui d'ingénieur agronome ou de fonctionnaire de l’agriculture ou des Eaux et Forêts sont regardés avec beaucoup de suspicion.


3 Français et médias

Dans les médias dahoméens, le français est presque la seule langue utilisée. Cela est très évident dans les journaux nationaux: «l'Aube Nouvelle» ou «Daho-Express». A la radio nationale, la situation est sensiblement différente. Elle a une mission destinée à un public beaucoup plus large que celui des journaux écrits et incluant de nombreux auditeurs des milieux ruraux ou suburbains, essentiellement locuteurs de langues nationales. Des émissions faites uniquement en français n'ont aucune chance de rencontrer la moindre audience chez un public qui ne maîtrise pas cette langue.
De plus, le caractère affiché de service public et d'instrument de développement de la radio l’oblige à utiliser les langues que parle la grande masse des auditeurs: les langues nationales. Il y a donc, très tôt, des émissions d'hygiène et de santé en langues nationales, de même que des émissions spécifiques destinées au monde rural. C'est aussi à cette période que naissent les émissions populaires «xovikleun» (magazinz d’actualité en langue Fon) et «acakpoji» («Sous l’arbre à palabres», émission éducative, culturelle et de débats, en langue Fon) qui jouissent aussitôt d'un très vif succès.


4 L'émergence des langues nationales

Les langues nationales n'ont cependant pas disparu de la vie publique. Après le Concile VATICAN II, par exemple, l'Eglise catholique leur donne une place croissante, essentiellement à travers les chants et les prières, mais aussi dans les célébrations liturgiques. Les Eglises Protestantes, quant à elles, n'ont jamais cessé de mettre les langues locales au centre de leurs préoccupations. Cela était peut-être dû à leur nature intrinsèque mais aussi au fait que l'Eglise catholique, Eglise dominante parce que celle du colonisateur, ne laissait pas à certaines d'entre elles d'autre champ d'activité que les zones rurales. Les premières traductions de la Bible en yorouba ou en goun, par exemple, vieilles de près d'un siècle, sont le fait des Eglises protestantes.
Lors des meetings politiques, certains leaders n'hésitent pas à utiliser les langues nationales. Là, évidemment, il s'agit de s'adresser à un public non instruit en français. Dans les chansons «populaires», aussi bien traditionnelles que «modernes d'inspiration traditionnelle», les langues nationales sont, bien entendu, à l'honneur.
Qu'il s'agisse d’orchestres comme le «Super Stars» de Ouidah, «El Régo et ses Commandos», «Gnonnas Pédro et ses Dadjès», «Picoby Band d'Abomey», le très célèbre «Poly Rythmo», «Daho Mélo», et l'Orchestre de la Gendarmerie Nationale, à Porto-Novo, «Anasoua Jazz à Parakou», pour n'en citer que ce petit échantillon, tous accordent la priorité aux langues du terroir. Le français, l'espagnol et l'anglais sont plutôt l'apanage des orchestres de jeunes, essentiellement scolaires mais, en certaines circonstances, font aussi une incursion dans le répertoire des autres groupes.
Un essai d'enseignement des langues Fon et Dendi (principales langues du sud et du nord Bénin) va même être tenté à radio Dahomey, dans les années 70, sur l'initiative d'animateurs de la radio nationale. Il s'agit de «Apprenons à parler Fon et Dendi». Des groupes culturels scolaires, comme le Folk Song Club, au Lycée Béhanzin, des troupes théâtrales d'avant-garde, comme les «Cerveaux Noirs» remettent à l'honneur les langues nationales. Mais c'est surtout l'avènement de la Révolution d'octobre 1972, à l’idéologie marxiste-léniniste, qui va les remettre en selle de façon nette.
Cette réhabilitation va se traduire par un certain nombre d'actes essentiels:

  • la promotion de l'alphabétisation en langues nationales, matérialisée par la création d'une Direction de l'Alphabétisation et de la Presse Rurale (devenue, depuis, Direction Nationale de l’Alphabétisation) démembrée en Services Provinciaux et, au début des années 1980, par celle du Ministère chargé de l'Alphabétisation et de la Culture Populaire,
  • la création de journaux en langues nationales comme Kparo, dans le Borgou avec l'aide de la coopération suisse,
  • la place privilégiée accordée par l'Ecole Nouvelle aux langues nationales, en particulier dans les Centres d'Eveil et de Stimulation de l'Enfant (CESE). Les langues nationales ont alors vocation, selon la loi d'édification de l'Ecole Nouvelle, à devenir réellement des langues d'enseignement, après être devenue des disciplines enseignées
  • la vaste tournée de «popularisation» de la Loi Fondamentale (Constitution de la défunte République Populaire du Bénin) en langues nationales, en 1977,
  • la traduction des slogans, mots d'ordre et instructions diverses de la Révolution dans toutes les langues connues de la République,
  • l'introduction des langues nationales comme langues de travail à l'Assemblée Nationale Révolutionnaire,
  • l'accroissement très sensible du nombre des langues béninoises utilisées à la radio, puis à la télévision nationales.

D'autres initiatives vont renforcer ce mouvement irrésistible:

  • la fondation de l'Association Béninoise des Ecrivains en Langues Nationales (ABEL),
  • la création de la Commission Nationale de Linguistique (CNL) devenue Centre National de Linguistique Appliquée (CENALA) sous la tutelle du Ministère chargé de l'Education Nationale et, à l'Université Nationale du Bénin, du Département d'Etudes Littéraires et Linguistiques (DELL), qui, deviendra Département des Etudes Littéraires, Linguistiques et de Tradition Orale (DELTO), puis Département des Sciences du Langage et de la Communication. C'est aussi la mise en route du processus qui va aboutir à la réalisation de l'Atlas Sociolinguistique National, etc.

L'interdiction, au cours de la période révolutionnaire, des chansons européennes à la radio et la promotion des chansons béninoises, africaines et de la diaspora vont permettre un sérieux essor de la chanson en langues nationales. Cette situation va permettre l'émergence ou la ré-émergence de groupes comme le Super Borgou, Bopessi, l'orchestre de la BCB, Les Echos du Zou, les Sympathiques, le Black Santiago, qui s'ajoutent aux nombreux groupes existant déjà, tant en musique sur instruments modernes qu'en musique traditionnelle.
Dans un autre registre(pour ce qui est du statut de la langue française), l'envoi de nombreux étudiants béninois dans des pays non francophones (pays «de l'Est», Chine, Cuba, Corée du Nord, et même Canada, Etats-Unis, République Fédérale d'Allemagne, etc.), va favoriser la formation de cadres parlant des langues autres que le français.


5 Les langues nationales aujourd'hui

L'essor des langues nationales, en tant qu'outils de communication ayant pignon sur rue n'est plus à démontrer aujourd'hui. On en voit les manifestations partout, au point que cela en est devenu banal. Il n'est plus rare d'entendre ou de voir aujourd'hui des citoyens intervenir en langues béninoises, directement en plein milieu des éditions françaises du journal parlé ou télévisé, sans traduction, sans que cela choque qui que ce soit, ce qui était inconcevable il y a peu.
Cet essor est assuré par un certain nombre d'acteurs qu'il convient de mentionner:

  1. les troupes théâtrales, de danse et ballet: elles s'expriment de préférence dans les langues qu'elles savent être comprises de leurs publics, donc essentiellement les langues du terroir, même si le français, langue officielle, n'est pas tout à fait absent de leur répertoire;
  2. les orchestres dits d'inspiration traditionnelle, souvent composés de jeunes, qui font une musique sur instruments modernes, mais inspirée de la tradition et utilisant des langues du pays (La Panthère Noire, Les frères de Sang, Gangbé Brass Band, Jaya, Vaudou Brass Band, Fâ , l’artiste de la chanson Danialou Sagbohan, Sakpata Boys, la chanteuse Kiri Kanta: cette liste est très loin d'être exhaustive);
  3. les partis politiques, pour une raison évidente;
  4. les ONG qui ne peuvent, autrement, se faire comprendre des destinataires de leurs messages. Certaines s'investissent dans l'alphabétisation en langues nationales;
  5. les projets et programmes, dits de sensibilisation sociale de certains ministères (développement rural, lutte contre la pollution, contre le sida, contre le paludisme, etc.)
  6. les religions et cultes divers qui sillonnent les régions rurales pour y dispenser leur croyance;
  7. les alphabétiseurs qui apprennent à la population à lire, écrire et compter en langue nationale;
  8. certains chefs de couvents vodun, comme le premier dignitaire de Thron Kpéto Déka Alafia GBEDIGA, Basile ADOKO, dont les adeptes sont alphabétisé(e)s;
  9. les Eglises chrétiennes qui, à travers l'Alliance Biblique du Bénin, procèdent à la traduction de la Bible dans certaines langues locales.

Il faut mentionner aussi l'effort que fait l'Etat béninois, avec l'aide de partenaires nationaux et étrangers, pour traduire certains textes fondamentaux (Constitution, lois électorales, etc.) dans les langues béninoises.

Un élément très important à noter, de mon point de vue, est l'obligation qui est faite aujourd'hui aux candidats à certains postes proposés par des ONG, programmes ou projets divers de maîtriser une ou plusieurs langues du milieu où ils/elles vont exercer leur fonction.
Cette exigence s’applique aussi aux candidats à certains emplois comme moniteurs/ monitrices de l'enseignement maternel, agents du développement rural, agents de santé, etc. Le Corps de la Paix des Etats-Unis d'Amérique, qui recrute des enseignants pour dispenser des cours de langues béninoises à ses nouvelles recrues (qui travaillent en zone rurale et vivent chez l'habitant), contribue aussi au développement de ce phénomène.
Les langues nationales sont donc valorisées et sont devenues, à leur tour, des instruments de promotion sociale. Bien des étudiants s'inscrivent, de nos jours, en Sciences du Langage et de la Communication pour pouvoir concourir pour des postes en zone rurale.
Dans de nombreux services, tant de l'administration publique que du secteur privé, des agents, pourtant recrutés sur la base de critères incluant leur connaissance de la langue française, préfèrent accueillir les usagers dans leur langue à eux, sans chercher à savoir si l'interlocuteur la comprend ou pas.
De nombreux enseignants ont dû avoir la surprise d'entendre des élèves ou des étudiants se faire expliquer, en leur présence, en langue nationale, le cours qu'ils venaient de donner en français. Evidemment, ne demandez pas à ces étudiants ou élèves de parler français avec leurs camarades, sauf s'ils n'ont pas la possibilité d'utiliser une langue nationale pour communiquer.
La «revanche» des langues nationales, c'est donc ce retour sur le devant de la scène, au Bénin, de façon de plus en plus affirmée, le regain de faveur dont elles jouissent au sein de la population, toutes couches confondues, un peu comme un sportif de haut niveau qui reconquiert une place qu'il avait perdue à cause d'une concurrence déloyale. C'est une réhabilitation de fait, qui se produit de manière naturelle, par un dynamisme et une dynamique propres, phénomène qui n'est le résultat d'aucune action volontariste.


6 Le rôle prépondérant des médias électroniques

Les médias électroniques occupent une place à part parmi les acteurs de l'essor des langues nationale. Il s'agit de la radio et de la télévision, mais en particulier des radios, communautaires ou «de proximité». Les radios communautaires sont nées du souci, pour l’Etat, de se rapprocher des citoyens éloignés des centres urbains et, pour la population, d’avoir accès à une information de qualité, centrée sur ses préoccupations mais aussi qui l’ouvre au monde, et élaborée avec sa participation.
Il s'agit donc d'un partenariat entre l’Etat (par l'Office de Radiodiffusion et de Télévision du Bénin), la population concernée et divers partenaires (partenaires au développement du Bénin d’origine étrangère, ONG). Ce sont, par exemple, les radios de Lalo, Ouessè, Banikoara et Tanguiéta.
D'autres radios communautaires ont été fondées par les populations ou ONG locales, sans l'intervention de l'Etat. Toutes jouissent d'une forte audience au sein de la population desservie.
Les radios de proximité se sont créées grâce à la libéralisation de l'espace audio-visuel au Bénin. Elles émettent en Modulation de Fréquence. Elles ont aussi une très forte audience. Leur principale caractéristique est d'accorder un grand temps d'antenne aux langues béninoises. De même, elles impliquent fortement le public à qui elles donnent très largement la parole, essentiellement en langues nationales. C'est le cas de Radio Tokpa 104.3 FM, par exemple, à travers son émission «Contact» ou de Golfe FM, Radio Star, Planète FM, Radio Wêkê, Solidarité FM, Radio Ilêma, etc. (la liste est très longue), avec leurs animateurs vedettes: Gbo ma gni avo ko, Kakaraka, Da Dènali, Da Badou, etc.
Ces radios donnent la parole à des gens qui, autrement, n'auraient jamais l'occasion d'émettre leur point de vue sur les affaires ou les problèmes de leur communauté. Et cette appropriation de la parole, ils peuvent la faire dans leur langue maternelle. Cela était impossible tant que la langue utilisée était le français.
L'intérêt que le public porte à ces émissions se sent à la ferveur quasi religieuse avec laquelle les auditeurs y prennent part, en téléphonant sans désemparer, plusieurs fois par jour pour certains.


7 L'impact de la décentralisation

Avec l'avènement de la décentralisation, il faut s'attendre à ce que diminue d’avantage la place du français dans la vie publique, sauf pour les actes impliquant toute la nation, donc pour lesquels le français restera nécessaire. La population ayant la parole à la base, les langues utilisées seront forcément celles du milieu. Il est à prévoir qu'il se produira un essor de l'alphabétisation en langues nationales, mais peut-être aussi en langue française, à cause du souci d'avoir une audience supérieure à celle qu'offrent actuellement nos langues.
Car, un autre aspect du débat sur les langues nationales, c'est le désir de la population non instruite (surtout les hommes de métiers, pour leurs besoins professionnels: tailleurs, soudeurs, mécaniciens, coiffeurs(ses) mais aussi cuisiniers, boys, gardiens et marchandes) de savoir manier le français, pour pouvoir se faire comprendre en dehors du cercle des locuteurs de langues béninoises mais aussi, et surtout, pour pouvoir accéder aux connaissances et aux avantages que leur ouvre la maîtrise des langues occidentales, langues de communication «internationales».


8 La menace de l'anglais

Lorsqu'on regarde une carte de l'Afrique de l'Ouest, on se rend compte que le voisinage du Bénin est aussi constitué de deux pays anglophones: le Ghana et, surtout, le Nigeria. Les populations frontalières et les commerçants communiquent, soit dans les langues africaines qui leur sont communes, soit en anglais, sans se soucier du français qui ne leur est, ici, d'aucune utilité. Comprendre l'anglais est pour certains, dans ce cas, une obligation vitale. De nombreux enfants béninois des zones frontalières, par ailleurs, fréquentent des écoles anglophones.
On note aussi un engouement pour la langue anglaise signalé par la floraison des écoles bilingues français-anglais (ou anglais-français, selon le côté où l'on se trouve). Il faut, bien évidemment, préparer les enfants pour la mondialisation et, plus près de nous, à l'intégration sous-régionale dans le cadre de la CEDEAO/ ECOWAS ...
Mais, l'un des facteurs majeurs de régression de la langue française au Bénin, c'est l'attrait du monde anglo-saxon, notamment américain, fortement renforcé par la politique anti-immigration de la France, en dépit de l'existence de la Communauté francophone. Beaucoup de jeunes préfèrent se tourner vers les Etats-Unis, le Canada ou l'Allemagne où ils ont l'impression de subir moins de tracasseries administratives. Tout ceci ne contribue pas à renforcer l'influence du français au Bénin.


9 A travers la langue, la revendication culturelle

Il faut se demander si, à travers la langue, nous n'assistons pas, en réalité, à une revendication par la population de sa culture autochtone, celle que n'a jamais cessé de construire et de pratiquer la majeure partie de la population béninoise, celle que nous qualifions de «traditionnelle». Car, si de nombreux jeunes, même issus des zones rurales ou péri-urbaines, sont «branchés rap», à l’inverse, une grande masse de jeunes, y compris citadins et scolarisés, n'hésitent plus à apprendre les chansons, danses et ballets traditionnels (le mot revient), à fonder des groupes produisant une musique inspirée du terroir.
Ce mouvement connaît un essor qui ne se dément pas. Il y a, à l'évidence, une soif de ré-appropriation de notre culture nationale par la jeunesse, quelle que soit son origine sociale ou son niveau d'instruction, ce qui est un bon signe pour l'avenir et la perpétuation de cette culture. Ce mouvement ne peut qu'être encouragé par certaines initiatives comme la création du Conservatoire des Danses Cérémonielles et Royales d'Abomey, du professeur Bienvenu AKOHA, professeur au Département des Sciences du Langage et de la Communication et directeur du Centre Béninois de Langues Etrangères (CEBELAE).


Conclusion

La langue française reste toujours la langue officielle de notre pays. La Constitution lui garantit ce statut, tant que n'émergera pas une langue officielle autochtone, dont l’avènement tarde à se produire. Nonobstant, elle a beaucoup perdu de son prestige, même si elle ne l'a pas tout à fait perdu. Elle doit, aujourd'hui, supporter la concurrence, plus ouvertement affirmée, des langues nationales qui ont su vaincre l'ostracisme dont elles furent victimes du fait de l'histoire, et qui bénéficient d'un regain d'attention, surtout (le fait mérite d'être souligné) de la couche juvénile. Mais son influence dans notre société risque d'être aussi menacée par l'expansion d'une autre langue européenne: l'anglais.

Notes

1AZALU TINGBE [ Albert] L'implantation de l'école au Bénin date-t-elle du XIXè ou du XXè siècle?, cité par Marius Dakpogan in Idéologie politique du français en Afrique: le cas du Bénin (Actes du VIème congrès de l'Association des Professeurs de Français pour l'Afrique et l'Océan Indien, Cotonou, octobre 1999).

2DAVESNE [A.] Mamadou et Binéta lisent et écrivent couramment, Librairie Istra, 1951.

3Le signal était, il y quelques années, un objet, généralement pendu à un fil, que l'on passait au cou des élèves qui commettaient une faute de français au cours de la journée. Le signal changeait de "porteur" au fil des fautes commises, et celui qui avait le malheur d'en hériter à la fin de la journée était sévèrement puni.