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Lémistè

Monchoachi

 

 

 

 

 

Lémistè, Monchoachi • 2012 • Obsidiane • Collection Les Solitudes •
ISBN 978-2-916447-48-3 • 182 pages • 17 €.

Lémistè

Sur Lémistè…

boule  boule  boule

Monchoachi
à François Boddaert, Editions Obsidiane

…Je vous expose ma visée pour Lémistè dont Liber America que vous avez entre les mains, constitue un premier volet: il s’agirait d’un long parcours à travers les mythes, les magies, les rituels cérémoniels qui ont fait la présence des différentes parties ou lieux du monde, présence recouverte totalement de nos jours par la Civilisation: Amérique, Afrique-Océanie, Europe-Asie (se sont mes découpes), non évidemment dans le simple but de rapporter ceux-ci (je ne suis pas ethnologue), mais en les jouant, en les déplaçant, en les retournant, voire en les subjuguant, ceci en vue d’ébranler la vision calamiteuse du monde charriée par la dite Civilisation.

Comme tout poète, je n’ai à ma disposition pour ce faire que la langue, ou du moins j’en ai deux: la créole et la française, ce qui me permet de jouer des facultés de l’une et de l’autre, la française plus portée aux généralisations, la créole plus rythmique, plus sonore, plus imagée, plus sensible, plus traversée aussi par le souffle, non de l’esprit, mais des esprits et des magies, ce qui ne constitue pas un moindre recours pour nous ramener à une vision du monde sensible où toutes choses vivent et pas seulement l’homme. D’où rythme foisonnant et flots d’images, etc… voila la visée globale.

S’agissant à présent de LIBER AMERICA (qu’il faut entendre non pas comme le «livre d’Amérique», mais liber, plus étymologiquement comme le tesson vivant sous l’écorce visible et morte). Je l’ai conçu en différentes parties, différents thèmes ou motifs (plus musicalement) que j’ai répugnés à nommer de façon trop transparente pour ne pas transmettre le sentiment d’un traité de «philosophie». Ces parties sont successivement: la Mort (Ha Lézange), le Temps (Rara solé), la Terre (Pieds poudrés), la Vérité (Trois fois ça meîme dit cé vré), la Liberté (Quimbé là), auxquelles vient s’ajouter la parole (Les voluptés).

Bien entendu tous ces motifs se recoupent et se répondent les uns les autres comme autant de cercles qui se coupent et se tangentent, sans parler des déroutements et des fugues auxquels s’expose et se livre à tout prendre la parole poétique. J’insiste tout de même sur un point qui je l’espère apparait ou transparait dans l’ensemble, à savoir qu’il ne s’agit aucunement en tout cas dans mon esprit, quand bien même le mouvement rythmique est porté par cette matière du mythe, de la magie et du rite, il ne s’agit pas à mes yeux de choses passées, mais bien d’évocations du présent (ou de la présence à l’ombre du présent) et de l’avenir (ou d’un avènement possible porté par retour en un découvrement).

boule  boule  boule

Rêve-zyéux-clai

Et
Dans le rond flamboiement du soleil levant
Silhouette soudain venant vers nous
De très loin
Flottant au dessus des flots
Telle nuée
Derrière et autour bondissaient des bêtes blanches
Et au dessus l’étoile du matin
Rouge puis bleue puis jaune puis blanche
les quatre âges sous un seul regard.
Et à mesure que cela avançait
Chatoyaient les faces de la terre
Emeraude, bronze, céladon
Et l’air doré à mesure levait et embaumait.

Quand enfin nous pûmes porter nos yeux
Voir
Nous vîmes
Et c’est une femme
Venait une mystérieuse beauté bleue
Vêtue d’une aube de peau
Aux oreilles des ailes bleues de papillon
Les cheveux enjôlés de libellules bleues
Posée sur son sein soyeux une énigmatique araignée
Sur chaque épaule tenait l’oiseau crié cohé
Qui fait un cri même comme son nom.

Et les jambes longeaient à présent couvertes de pollen
Preuve qu’elle avait en courant
Traversé les champs du Paradis.

A présent elle prochait vers nous
Marchait d’une manière conforme au mystère
Prochait et chantait sur nous à notre abord.
Avons lors ouvert grand l’oreille pour la couter parler
Pour couter le parler qu’elle parlait
Mais son parler ne parlait pas
Par bruit de paroles il ne parlait pas
Vibration pure, révélation pure c’était
wagachun wagachun murmure comme blanc cotonnier
Comme blanc cotonnier bruissant
Lumière feuilles lumière
Feuilles lumière lumière
Les voix dans la fumée du tabac macouba
Senti-bon la rose et la violette.
Et ses voix ajoutaient, et ses voix raccordaient et apparentaient
(Si ti vois Quoi je veux dire
Bêtes dleau et volatiles
Chouval trois pattes et bêtes-à-man Ibè
Bois doubout’, dleau doubout’ èk parole campée
Si ti vois quoi je veux dire).   

En ségret avons peint nos faces
Toutes nos faces avons peint en rouge en ségret
Le corps taqueté blanc
Autour du visage un cercle noir
Peint dessus les yeux juqu’ oreilles
Un bande blanc taqueté rouge

Avons fait ça en ségret
Puis avons la tête bouc peinte en rouge
Gorgée de mil
L’avons fait pour virer paraîte nèuf douvant ses faces
Non plus garés en perdition
Ajoutés, raccordés, apparentés
Tels ses voix nous ont fait cônnaite.

Quand elle a fait pour partir
Elle a fait le rond
A vancé jique le cirouellier.
Et quand elle s’est retournée
Etait un bel oiseau éperdu d’émoi
Ouvrait des ailes adamantines
Bec et pattes couleur corail
Sur la tête une huppe bleue frémissante sous la brise
Dans la lumière de l’œil de Salomon
Dans l’œil flabellé de Salomon

Telle l’âme de Polycarpe devant la narine fulminante de Sibèlmon.

boule  boule  boule

La fille de Tariacuri

Elle a peinturé ses dents en noir
Avec de la poix
Génipa sous coton soie.
La main  a caressé longuement les épais sourcils noirs
Comme il se fait pour apaiser les ailes
D’un oiseau qui se tourmente.
A son cou collier de turquoises
Aux oreilles boucles d’or
Relevé en chignon les cheveux tressés
Parés des plumes de l’oiseau rouge.
Elle a enveloppé les couteaux dans une étoffe
Les a attachés à son dos.
Dans le temple ceux qui vont mourir
Chantent et dansent
Coiffés de coiffures argentées
Couverts de farine
Et les hommes vaillants aussi
Enguirlandés de fleurs
Dansent et boivent
Des breuvages qui enivrent.
Là, le seigneur de la vision du songe.
Son regard porte, le voit, sa lèvre frémit.
Il prend sa main pour danser.
Tard la nuit quand elle fait pour partir
Lui veut aller
Avec elle il veut aller
Et quittant la sente
Ils vont pour coucher
Dans les rhaziers.
C’est là qu’il colle sur elle
Oui, près d’une grosse roche 
La prend et la mange
Chair mangue même sa chair.
Et là-même, sommeil le prend après ça
Il dort raide,
 tête matée derrière
Et elle, voyant, se lève
Défait l’étoffe, envoie la main
Le couteau saisi, tranche la tête
Penche son corps et boit
A grandes gorgées, boit.
Alors la tête poignée par les cheveux
Elle va, porte, la pose au pied de l’autel
S’incline
Oui elle a fait comme il lui était mandé
Et ordonné en songe.
Puis elle va pour sortir
Elle va pour baigner
Elle va pour lustrer son corps.

boule  boule  boule

L’enfant à la mère perdu

Lors
Ont hissé le mort jusqu’à leur épaule
Déplié le genou
Et le corps comme ça du même coup
Comme ça, d’un grand coup de rein
Soulevé aussi de lourdes larmes
Les senteurs ancestrales, les vieux effluves
Et les vents
Droit sortis des cryptes marines
Levé les moiteurs recuites
Les parfums recrus même-pareil les nuits de veille
Les suints d’huile rance et de guildive
L’odeur du café-cirise
Debout à faire trembler les morts
Les rudes voluptés
Les vérités musquées des menstrues
Fumées apocryphes, bouquets de sel
Et d’alcali
Dans les recoins
Les chiens flapis dans les recoins
Au beau mitan les reliques impavides
Au beau mitan les reliques l’œil égrillard
Au beau mitan les relents de l’absent

Puis ont jambé le seuil à reculons
Allumé cris d’épouvante et désolation
Transes  saisissements  tombers-létat
On a lòss jeté l’eau sur le pas aux quatre points
Jeté maïs aussi et haricots too
La cendre aussi aux quatre points
Tourné ensuite le mort aux quatre points
Tour à tour
A l’est vers le mapou rouge et la pierre précieuse rouge
Au sud vers le mapou jaune et la pierre précieuse jaune
A l’ouest vers le mapou noir et la pierre précieuse noire
Au nord vers le mapou blanc et la pierre précieuse blanche

 

Afin qu’il trouve son siège, afin qu’il trouve sa route
Afin qu’il trouve son plat, afin qu’il trouve sa coupe

Si fait
Sont allés en cortège jouque le carrefour quat’croisée
Marchaient pied pour pied les pleureuses
Jouque le quat’croisée
Pied pour pied les baigneuses
Les répondeuses pied pour pied les crieuses
Itou les marmailles
Les messagères aussi aux pieds poudrés
Et les conteurs
Refluant des libations de tafia
A peine déboulés

Marchait devant droit comme un I
Tout plein les choses de la nuit
Youn-bèl-gaçon-habillé-tout-en-noi
La voix nasillarde
Le corps découpé de V entrecroisés
Icite, côté-cite, bòd’-côté-cite, ici-a
  (Plait-il?)

Et le cortège au beau milieu le quat’-croisée
Tournant-virant virant-dévirant tournant l’envers virant-tête
S’égarant s’enivrant s’émerveillant
Au beau milieu  le quat’-croisée
Pas icite, pas côté-cite, là-bas-la, ici-là
Et danse le cortège yépa la route
Enlacée de mousse bordée d’acacias blancs
Le vent papillonnant chuit-chuit «Paix à Lame de…» estétéra
Couronne sur couronne emmaillées de coeurs bleus
Ek emmi le chien-maré
(Eh ben ! eh ben ! eh ben ! eh ben !)
Pâmé, véhément, étique
(Eh ben ! eh ben !)
Danse yépa le cortège tant que perdurent
Les rouges-rouges coquelicots
Danse, tandis que sonnent imperturbables
Les cloches
Loin à présent perdue la caye               Rideaux violets aux portes
Vieilles hardes emmalées fond-fond
Blié (oublié) loin le pot de terre oint d’huile passé au feu
Avec ses ombres sombres (les parlers en langue !)
Bliée la caye pour cheminer loin-loin sous les eaux
S’accomplir enfin sous les eaux
Rendu à notre Mère à la fin des fins
Rendu à notre Lait à la fin des fins
Tandis que sonnent et sonnent
(Omnès, Man’djo, paix à leur écho!)
Zandoli mandé mayé
Mabouya di non
Du Paradis aux belles-eaux les cloches éternelles.

boule  boule  boule

Les ravêtes-léglise

Sitôt       sitôt de l’angélus du soir l’âme aspergée
Landi pè, lédi fis
Et di Saint
Tèsprit
Si soit-il    (les mains jointes)     coiffées sinon
Tête-marée sinon chapeau paille sinon mouchouè-tête
Sous chapeau paille
Grand bonne-heure débarquant          Ravêtes-léglise ravêtes-délice
Ravêtes-malice Les Dites        une à une
Chacune collé-serré contre son corps  une tite cahier toute flapi
Leur corps serré l’un contre l’autre sur les chaises paille flapies
Prèmier-douvant         tel rang à elles souverainement dévolu de part
Et d’autre le long de    Qui                                                                                              
ô telle une araignée circonspecte
 interminablement à travers le désespoir re-
Gade ses zôteils gade ses soleils «en mannière» 
  Et dans la mire un tit genre seau d’l’eau
                                                                                  bénite flanqué
D’un lourd goupillon d’argent
Enluminé des flammes vacillantes les deux bougies
ça et là a-
Postées        prèmier-douvant modulant
Et de leurs lèvres encore
Maintes prières aux morts
Et pitôt aux mânes le mort      Tit-Mélisia     ainsi qu’il faut côté-cite
Tendre les diminutifs         comme une forme de révérence infinie
       Un paquet d’moune         mandibulant
Cueille Seîgnè ceuille Mélisia en ta favè cueille-le
En ta dèmèure étènèl, rache-le aux ténèbes
Rache-le rache-le Seîgnè
Miséicôde pou tes zenfants garés
Piez poul  pôves péchè

 

Ainsi deux fois aux confins    une fois cette sublime monnaie d’étoiles
Que l’ineffable donne
Et que nous ne savons point compter    l’autre fois ce
Vièux langage mal élivé, hanté de rudes aphérèses
Et de pures élisions   
 Tout cela    
Dans la galerie et la cour étaient rejetées les zagrés   
  Qui donc
Mayamba ac tafia, zo et dominos vingt-et-un Titim’
Trois-sept-bois lans nez  
 l’envers même de toutt-bon, l’envers
De gros zaffai’, l’envers de gros zaffai’ gravement-grave
L’envers di l’envers exorcisé en jèux di mots jèux la chance
ô manman-divinô ça li fait li fait    
 «Qui vive» il dit

Qui vive !
Et dans ces pois que branle le vent emmi
en voilà que sont les morts qui répondent !
Il dit emmi en voilà que sur l’eau avance une pirogue éprouvant
Telle vérité impalpable Et voici : le mort porte le vivant !
Il dit emmi en voilà que les volatiles les ciels
Tournent l’entour la bête égorgée administrant la vérité immaculée 
Et voici : le vivant emporte le mort !
Il dit en voilà le mort a retiré ses pieds emmi
 il attend là à présent à vos pieds
Pour vous raccompagner Et voici : la peau du mort conduit le vivant.
Qui vive Et salve
feu sec brilé brilé brilé
Râchant les gosiers secs
Li dit
A ces jés je vous embrasse
A ces jés je vous embrasse
La jeîne mettez-vous à genous
La reîne levez-vous à genous
Li dit emmi en voilà     Sache la mort, Sache le jeu la joie
 l’orage dans les nuées
 L’ ouvri barrière Et voici :
le vivant,  nom-savãne
Zaile traînin la mort l’astre démoniacle

Et le soleil pérégrin l’a soudain ouvri grand la caye
Et l’en-dedans aux confins a fulminé      «Woï !» (trois fois)
Et les confins donné     sitôt donné rendement       un seul tchip    «Tchip !»
Et sitôt     ont sitôt chanté
Veillez,Veillez, la couronne hannous aller.

boule  boule  boule

Yves Bergeret, poète
à Monchoachi

J’ai l’intuition que tu as écrit un grand livre, fondamental. Rites, sacrifice, bégaiement, violence et sacrifice, lien de parole et rite…

Rarement un livre m'a autant passionné. Tu as pris et, je pense, réussi un pari impossible…

…Sur les Antilles et leurs côtes continentales j'ai beaucoup lu aussi; moins que toi c'est sûr. Jamais je n'ai lu un livre aussi dense, "exact", efficace, presque performatif, que le tien. ..
 
…Voici ton livre. Indispensable. Aussi dans son aspect ethnographique non littéraire de collectes des rites, des gestes et des paroles. ..

…Pourquoi ce support, le livre ? Mais comment diable fais-tu? Qui est le poète qui écrit par ta main? Qui est donc celui qui atteint à une très grande densité et profondeur d'humanité…

Ce que tu as réussi à mettre ici en forme me paraît un pari irréalisable. Tu l'as réalisé cependant.

… J'ai fini ton livre et maintenant reprends tous les jours, dans l'ordre où tu les fais venir, des cycles et des cycles de poèmes. Ce qui me frappe dans cette deuxième lecture, qu'à présent je veux délibérément lente, c'est la violence. La violence partout, dans les rites, dans la langue, dans les invocations. J'ai l'impression que tu te tiens au plus près de cette violence du sacré sur laquelle René Girard a dit des choses si belles ou plutôt si pertinentes au début de son travail (avant de s'égarer complètement dans les deux dernières décennies). Tu étires la langue alors mais rien ne se déchire, bien au contraire.

Ce qui me frappe aussi c'est combien tu te maintiens dans une vigilance extraordinairement patiente et lucide dans ce que les toro nomu (les gens de Koyo, dans Le Trait qui nomme) appellent le "dawin": le moment de tous les dangers, dans l'interdit, mais où tout se passe et où les "esprits" sont une énergie extrêmement turbulente. Là, on ne peut pour ainsi dire pas parler, pas nommer. On n'aventure pas le corps ni la pensée; sauf les initiés bien sûr. Mais toi tu le fais et surtout le fais faire puissamment, intensément à ton lecteur. Si du moins il fait l'effort de te lire lentement et en essayant de comprendre. Tenir cette note juste si longuement est, à mon avis, un formidable pari littéraire et anthropologique, que tu gagnes

boule  boule  boule

Monchoachi,
à Yves Bergeret

…Je comprends  mieux la question centrale que tu soulèves, à savoir celle de la pertinence de l’objet Livre comme support impropre de toute façon à contenir ce débord de vie, de parole, de rites.  Alors je dois avouer que le Livre cela était en réalité la seule carte qui me restait à tenter de jouer afin de transmettre tant soit peu tout ce que j’ai accumulé au fil du temps, après l’expérience Lakouzémi qui a tourné court après trois années, où il s’agissait de tenter d’approcher par la parole et les expériences multiples, dans un lakou (une «cour» justement, avec des guillemets), de faire vire en quelque sorte, de frayer en tout cas un chemin de vie à toute cette richesse qui nous constitue. Je sais la dérision du Livre d’autant que je dois tenter d’y faire entendre le créole qui y est absolument rebelle, tellement cette langue est parole et corps (dans sa constitution même, sa syntaxe), et tellement je dois me méfier du français comme du diable, à chaque tournant, à chaque interstice (conjonction, copule…), cette langue, comme tu le notes si bien, travaillée par des siècles de rationalisme…

boule  boule  boule

Marie-Line Ampigny,  Journaliste-comédienne
à Monchoachi 

… Des émotions belles et rares : frissons, envie de les lire en partage.
Et pour çà, pour ces sensations d'un voyage intérieur jamais entrepris jusqu'alors , je te dis affectueusement merci …

boule  boule  boule

Bernard  Demandre, critique littéraire

Lémistè de  Monchoachi Obsidiane 2012                         

       «Suspendu à ton bégaiement je tremble»

Célébrer le pays, non un pays abstrait et ses évocations rapides et convenues, mais celui du poète martiniquais Monchoachi, lieu rude, savoureux, celui de la Rive, de la Terre- jaune, des Buissons-épineux, du pays pierreux,  de ces chairs-là qui sont «Graines du ventre», voilà la nouvelle expérience tentée dans son dernier livre : Lémisté, de faire s’épouser  plus densément deux langues, le Français et le Créole, se pénétrant comme pour faire vibrer  intensément les vers. Mère des mères, cette autre langue, si proche de l’instant et de l’émotion, «Met ses mots dans leur bouche».

A l’intérieur de chapitres célébrant  les Mystères d’une parole retrouvée, chaque poème reçoit un titre relevant, par exemple, de portraits: La fille de Tariacuri, le Magicien et les Puissancesla fille à la calebasse, la vieille, ou bien de personnages symboliques: le maître des parures, l’idole aux yeux noirs, les hommes-vaillants, ou encore d’ abstractions et de merveilleux: Les messagers régents des rêves, Les signes, Les imminences, Le dérobementLémaléficeLe paganice et les idoles … qui ne sont pas que des entités mais des présences tangibles d’où «…s’entend le contre-chant dont le chant se prévaudra».

Et si la poésie, face à la difficulté de parler et à cette élaboration d’une langue plus neuve, n’était qu’une sorte de bégaiement – un saut,  un bond par-dessus les mornes –, élévations et  dépressions, non pas seulement répétition, mais affirmation dans l’hésitation, comme lorsqu’on entre dans l’étrangeté de cette langue mêlée et d’un texte flamboyant. Couleurs vibrantes parmi les fleurs, les bêtes, volailles et bouc, rubans soie rouge, ou, «En-rhaut la travèsse d’un mabouya», et les rythmes lancinants de ceux qu’on répète inlassablement en frappant la terre, comme on fait face à l’élémentaire, fillette affrontée au bouc, «Zyéux- dans- zyéux».

Lémistè, de Monchoachi, permet de nous couler entre deux langues , Français créolisé  comme creusement ou parure,  et de passer devant la maison du poète créole pour y lire «un petit message ….une petite fumée» ou  «Faire un causement tout simplement». Lecteurs que nous sommes,  toujours  à la limite de la vue et de l’aveuglement, «Pour ainsi    d’un bond / Tendre vers le resplendissant», acceptant ce don des mots comme une chair, comme la Terre avec ses mystères et ses cérémonials, le poème n’étant que l’autre face des mystères du monde –tremblant entre ciel et mer, entre raison vitrifiant la parole  et «geste sacré» «… qui donne souffle au corps brûlant»  –, «offrande portée dans le ventre fertile», et, d’un même élan,  «langue bégayée-pèdue / arrachée à l’étranger». Double vibration du poème  avec cette «nouvelle langue dans la bouche», qui inscrit  dans la parole  et dans sa précarité fondamentale  la possibilité d’être pleinement,  dans la profusion des sens. Double perte aussi dans cette dévoration des mots qui porte cependant au don et à la gratitude  et  «à vivre dans la joie».

Apparentée  au jeu de jambes du football, cette créolisation réciproque est un art subtil. Langue, on l’a dit, des mystères, géographies symboliques en même temps que charnelles, qui a besoin d’accepter les parures de la parole, comme les corps celles des «faces fardées de cendre », haut et bas, masculin et féminin, grâce et disgrâce, dans l’ondoiement des sens : danse et parole, fêtes du corps et fêtes de la langue  heurtée, reprise, répétitions, ruptures  - parataxes – laver-tête, suyer-pieds - comme sauts d’une île à une autre, d’une montagne à la mer, accédant aux Puissances, comme ces parlants  pris de bégaiements, forces profondes réveillant des langues sauvages qu’il s’agit de conjurer, car «le monde vrai est chose  difficile». Parures, non  seulement comme ornements, mais de celles qui recouvraient jadis le front des victimes ou celui des danseurs d’aujourd’hui – fleurs, tissus, fables, mythes – celles du chant «qui nous pare et nous enivre», « à chanter à danser, à pleurer, / puis à danser en pleurant toujours / puis tout d’un coup à rire», parures nous renvoyant aux forces élémentaires où la magie  - qui est aussi celle de cette langue travestie - , se manifeste  dans les déguisements des visages ou des corps, masques s’il en est de la nuit et des énergies, autres  visages de l’autre  qui font  sauter «Met à crier à terre / Tombe  létat /  Roule dans le sang».

Monchoachi nous donne à comprendre et à sentir, à travers les mouvements  d’un texte éblouissant de variété,  d’appels aux ombres et aux éclats, - lieu des contrastes,  «broderies sur la chair vive» - , et nous invite au don par  un cérémonial de l’accueil : «… alors devant lui ils mangent la terre / donnent un beau à ses pieds nus / Puis mettant leur corps debout / passent à son cou colliers / guirlandes de fleurs  / colliers d’hélianthes et de magnolias, /      colliers plusieurs rangées / colliers nattés        colliers en plumes tressées ….». 

Il ne s’agit pas ici d’exotisme  ni de spectacles pour touristes pressés. La magie  est ce qui nous met «à l’écoute du nom» et opère en nous, ce qui est vrai de toute poésie, un retournement à travers un voyage des sens, un dépaysement fondamental et permet à cette parole sauvage, comme retrouvée,  langue du poète, «Crié par l’âme les morts ou par un rêve-zyéux-clai» ou  «chant perché des caroubiers /    Le bastringue des carapaces sous les tonnelles».

Célébrer le pays, non un pays abstrait et ses évocations rapides et convenues, mais celui du poète martiniquais Monchoachi, lieu rude, savoureux, celui de la Rive, de la Terre- jaune, des Buissons-épineux, du pays pierreux,  de ces chairs-là qui sont «Graines du ventre», voilà la nouvelle expérience tentée dans son dernier livre: Lémisté, de faire s’épouser  plus densément deux langues, le Français et le Créole, se pénétrant comme pour faire vibrer  intensément les vers. Mère des mères, cette autre langue, si proche de l’instant et de l’émotion , «Met ses mots dans leur bouche».

Et si la poésie, face à la difficulté de parler et à cette élaboration d’une langue plus neuve, n’était qu’une sorte de bégaiement – un saut,  un bond par-dessus les mornes –, élévations et  dépressions, non pas seulement répétition, mais affirmation dans l’hésitation, comme lorsqu’on entre dans l’étrangeté de cette langue mêlée et d’un texte flamboyant.

Monchoachi nous donne à comprendre et à sentir, à travers les mouvements  d’un texte éblouissant de variété, d’appels aux ombres et aux éclats, - lieu des contrastes,  «broderies sur la chair vive» - , et nous invite au don par  un cérémonial de l’accueil: «… alors devant lui ils mangent la terre / donnent un beau à ses pieds nus / Puis mettant leur corps debout / passent à son cou colliers / guirlandes de fleurs  / colliers d’hélianthes et de magnolias, / colliers plusieurs rangées / colliers nattés     colliers en plumes tressées ….». 

Il ne s’agit pas ici d’exotisme  ni de spectacles pour touristes pressés. La magie  est ce qui nous met «à l’écoute du nom» et opère en nous, ce qui est vrai de toute poésie, un retournement à travers un voyage des sens, un dépaysement fondamental et permet à cette parole sauvage, comme retrouvée,  langue du poète, «Crié par l’âme les morts ou par un rêve-zyéux-clai» ou  «chant perché des caroubiers /   Le bastringue des carapaces sous les tonnelles».

boule

 Viré monté