Ayiti

Une valse à trois temps

Jean Erich René
 

Photo F. & F. Biaggi.

La trajectoire circulaire que prennent les événements politiques en Haïti, jointe à ce tempo rapide à trois temps, risque de confondre tous les danseurs. Nous refusons de croire à nos yeux et à nos oreilles. Ce salmigondis politique est en train de retourner l'estomac des fins gourmets.

Que se passe-t-il en Haïti? Nous ne pouvons plus juger de la température ambiante en faisant appel à nos sens. Cependant notre odorat nous permet de flairer une senteur peu agréable qui nous rappelle 1915. Haïti serait-elle une étoile américaine? La demande formelle de révocation du Ministre de la Justice Bernard Gousse, adressée par les congressistes américains à la Ministre des Affaires étrangères Condoleeza Rice, est très significative et très inquiétante. Nous ne pouvons plus jouer à l'autruche face à des preuves aussi flagrantes d'immixtion étrangère dans les affaires d'Haïti.

L'ingérence américaine est patente. En exigeant la démission de Bernard Gousse, la Maison Blanche veut respecter les ententes conclues avec Yvon Neptune lors du départ d'Aristide. Pleine et entière garantie lui était donnée sur d'éventuels recours en justice, moyennant la passation du pouvoir en douceur au Gouvernement Intérimaire.

Un coup de théâtre s'est produit sous la pression des circonstances. Les victimes de la Scierie demandent justice et Bernard Gousse en écoutant l'appel du devoir a procédé à l'emprisonnement de Yvon Neptune et de Jocelerme Privert. Une telle initiative n'a pas plu à l'Establishment américain qui voulait rester fidèle aux promesses faites au Premier Ministre Lavalas. En dépit des diverses démarches entreprises dans les coulisses pour affranchir Yvon Neptune Bernard Gousse n'a pas lâché prise. Rappelons, pour la clarté des débats, que Bernard Gousse doit son portefeuille au Groupe des 184 viscéralement opposé à Lavalas..

Le Ministre de la Justice par sa démission a anticipé sa révocation et créé un effet de surprise défavorable aux metteurs en scène étrangers. Cette décision brusque a permis à tout le monde de voir qui tire derrière les rideaux sur les ficelles. Une flambée nationaliste vient d'être allumée. Toute la faune politique est en émoi. Les citoyens de la rue et de la diaspora comprennent mieux maintenant la trame de la tragédie haïtienne. Il n'y a pas de petits faits en politique.

Tout s'enchaîne, il suffit d'un éclair d'intelligence pour découvrir l'articulation des événements qui se suivent sous le remote control des agents externes. Jean Bertrand Aristide est parti mais la plupart de ses lieutenants demeurent en place. Sous le couvert de la démocratie, Washington n'entend nullement effacer les Lavalassiens de l'échiquier politique haïtien. Au contraire, on veut les considérer comme partie prenante de la solution afin d'éviter cette regrettable cassure produite en 1986.

Sous l'invitation conjointe des Gouvernements canadiens et américains certains officiels haïtiens étaient invités à la fin de cette semaine à Montréal afin d'entreprendre les pourparlers pour une entente à l'amiable. Au lieu d'accepter la démission de Bernard Gousse, le renvoi du Gouvernement Intérimaire dans son intégralité est envisagé. Un Premier Ministre d'obédience lavalassienne pense-t-on serait la solution idéale. Ainsi on pourrait calmer le courroux de cette engeance lavalassienne qui n'hésite pas à tirer sur la voiture de l'Ambassade américaine, tuer le Consul de France au Cap-Haïtien, kidnapper des hommes d'affaires, arraisonner les passants crever les yeux d'un enfant et mettre toute la ville en émoi.

Marc Bazin toujours à l'affût, n'a pas peur des monts escarpés grâce à ses aptitudes de reptilien, rôde dans le décor. Il fait valoir sa médaille d'acrobate, champion de toutes les compétitions de la scène politique haïtienne. Il se présente à nouveau comme l'homme du moment pour jouer le rôle de Premier Ministre des 5 prochains mois de la transition.

Au terme de la rencontre de Montréal, un incident classé comme mineur va pourtant éclairer pour nous le fond du puit. Un individu qui s'est fait passer pour un journaliste a aspergé le Ministre Canadien Pierre Pettigrew d 'une substance rouge en signe de protestation. L'identité de l'agresseur de Pierre Pettigrew nous permet de remonter le fil des événements et de reprendre toute la générique de ce film sulfureux qui se déroule sur la scène politique haïtienne.

Nous comprenons maintenant partiellement la nature et l'origine de la tragédie haïtienne et on doit s'attendre à des séquences encore plus violentes dignes du Rwanda. L'action contre le Premier Ministre Pierre Pettigrew est posée au nom du Groupe Attac ou Action pour la Taxation des Transactions pour l'Aide aux Citoyens, un groupe d'Extrême Gauche très violent anti néo-libéral présent qui a ses ramifications en Haïti.

Toute solution mitigée à la crise haïtienne n'est pas acceptable au dire de Lavalas. L'unique sortie de la crise c'est le retour d'Aristide au pouvoir déclarent les militants d'ATTAC qui ne mâchent pas leurs mots. Les conférenciers de Montréal vont-ils tomber dans le piège de la violence comme argument pour justifier le renvoi du Gouvernement Latortue et le remplacer par un Gouvernement de salut public avec un Premier Ministre .lavalassien?

Dans ce cas le bal des condamnés ne fait que commencer et tous les rats déjà avertis doivent s'empresser de se terrer. Aux douze coups de minuit, les musiciens Chats vont rafler la faune. Le Peuple Haïtien est en train de danser une valse à trois temps: le Groupe des 184 , les congressistes américains et les attaquants de Attac. En l'occurrence la meilleure issue c'est d'arrêter la musique.

Chaque pays à son modèle de gestion politique. La Communauté Internationale doit définitive retenir comme leçon que: Le symbolisme de la rupture complète à la chute d'une dictature sanguinaire est sacré.

Jean Erich René
juin 2005