Ayiti

RDNP! Encore des mots

Jean Erich René
 

Campagne haïtienne.

Campagne haïtienne, 1983. Photo F. & F. Biaggi.

On est unanime à reconnaitre que l'industrialisation, mieux que l'agriculture, charrie une croissance plus rapide du PNB. Cependant dans les pays sous-développés où l'agriculture représente la base de l'économie il est tout à fait indispensable de fouetter d'abord la croissance du secteur agricole. Selon Paul Bairoch l'agriculture est à la fois la pourvoyeuse et la consommatrice de l'industrie naissante.

La politique des 10 axes du RNDP pour "Changer la vie en Haïti" par le biais de l'industrialisation, au lieu de faire du secteur primaire sa priorité, préfère adopter le dicton anglais du 19ème siècle: «qui récolte le coton, gagne 1, qui le file gagne 2, et le tisse gagne 3». Peut-on brûler les étapes? Le développement économique est le fruit d'un long processus. Avant de filer le coton et le tisser on doit d'abord le planter et acquérir certaines expertises.

Nous partageons parfaitement les objectifs du RDNP privilégiant l'axe agro-alimentaire mais nous avons le grand regret d'annoncer que les dirigeants se sont trompés d'escaliers. Nous n'irons pas à Jérusalem avec un tel programme. Malheureusement ils résistent à l'idée dite facile, traditionnelle, communément admise que le premier et le dernier mot du développement serait l'agriculture d'abord, ensuite, encore et toujours.

Mais comment vont-ils faire pour construire leurs maïzeries, leurs huileries sans le maïs, le ricin, le soja, le palmier à huile etc... Est-il possible de développer les rhumeries sans la canne à sucre, les parfumeries sans le vétivert, l'industrie de la cigarette sans le tabac. Si on veut arriver au sertissage de nos fruits et légumes dont la variété et la saveur ne sont plusà vanter, le cri de l'Agronome industriel Louis Déjoie perce encore:"La politique de la terre est la seule et la vraie pour Haïti". La demande est latente sur le marché international.

Nous avons la grande surprise de constater que les 10 axes que propose le RNDP pour l'industrialisation d'Haïti ne reposent sur aucun socle. Dans ce cas aucune dynamique propre au développement économique ne sera dégagée. Quelles sont les études scientifiques, c'est à dire les enquêtes directes ou indirectes sur lesquelles se base le RDNP pour formuler ses recommandations. Le RDNP a le mérite de reconnaitre, dans sa politique industrielle complémentaire à l'agriculture, l'importance de la satisfaction des besoins locaux. Cependant nous restons encore sur notre faim ou du moins le RDNP nous a laissé devant un vide béant qui nous donne la tournis.

Pourquoi? Aucun chiffre n'a été avancé sur la valeur de la consommation locale avant de penser à l'exportation ou de passer à l'industrialisation. La vision d'une économie auto-centrée comme le prône le RDNP exige d'abord une évaluation des besoins de consommation de la population haitienne. C' est un préalable indispensable à l'agro-industrie, sans quoi on risque de créer la famine.

Dans une perspective d'industrialisation d'Haïiti en mettant l'accent sur l'agro-alimentaire l'équation de consommation suivante obtenue par une analyse de régression statistique per capita et par semaine doit être prise en compte:

C = 0,130 M + 0,330 Mi +1,132 R + 0,694 H + 0,153 T + 0,277 Or + 0,301 Ma + 0,223 Hu - In

M = maïs; Mi = millet; R = riz; H = haricot; T = tomates; Or = oranges; Ma = mangues, Hu = huile de cuisine; In = Insécurité

L'équation de consommation comporte une contrainte In = insécurité affectée d'un signe - (moins) qui explique les relations négatives entre le volume de produits disponibles et l'insécurité . Plus l'insécutité est élevée, moins on aura de poduits disponibles à la consommation et à l'industrie agro-alimentaire. Avant de penser à l'installation des maizeries ou encore à l'exportation des produits agricoles haïtiens la production Y doit être supérieure à la consommation C: Y>C.

On doit évaluer les besoins de la population pour une année. Les besoins en Tonne Métrique (TM) en 1970 étaient :

Maïs = 17'673,08
Millet = 53'071,46
Riz = 162'.242,57
Haricot = 94'473,99
Tomates =21'.353,89
Oranges = 37'695,62
Mangues = 40'.958,74
Huile de cuisine = 30'203,48


Source: DossierK15 P3 IOWA 1988 V13 -Availability of selected food items in haitian households.

A partir du coefficient angulaire de chaque produit on peut extrapoler pour le futur.

Nous reconnaissons le primat de la pensée sur l'action mais on ne peut pas se gargariser de vains propos pour arriver au développement économique d'Haïti. Il est vrai que l'industrialisation est la voie cardinale pour obtenir une croissance exponentielle cependant la croissance a des corollaires obligés tels que le capital, les ressources humaines et financières nécessaires. Sans les machineries, sans les ingénieurs et les ouvriers qualifiés, sans argent il n'y aura pas de développement économique d'Haïti. Le programme "Changer la vie du RDNP" n'a donné aucun inventaire tant sur le plan qualitatif que quantitatif, aucun chronogramme d'exécution. Rappelons que le mandat du Président est de 5 ans.

De plus, il faut une idéologie politique et une théorie scientifique pour atteindre les objectifs visés. La droite et la gauche n'ont pas les mêmes options. Si on est Louverturien on ne doit pas s'arrêter au Fort de Joux. Nous avons les oreilles rabattues de cette feuille de route perforée et classée dans les archives de l'histoire En 2005 nous sommes en présence d'une autre série statistique. Il faut ressusciter Toussaint, revigorer son discours pour le placer dans le contexte actuel afin qu'il puisse prendre les décisions qui s'imposent pour opiner sur la présence de l'ONU et la Minustah et sur les conditions d'ouverture des travaux de nos ateliers sous d'autres auspices. Que ferait Toussaint dans la crise trinitaire actuelle.

Selon Robert Solow, la croissance économique qui conduit vers le développement nécessite un modèle qu'il représente par la fonction de production suivante:

Y= KaL(1-a)

Y = production totale ou revenu national
K = capital c'est à dire: bulldozer, tracteurs, moteurs, semiconducteurs, ordinateurs etc...
L = ingénieurs, techniciens en informatique, bureautique, mécaniciens, manoeuvre, etc...
a = argent nécessaire pour acheter la machinerie , les outils et les accessoires...
1- a = argent nécessaire pour payer le personnel.

Pas de palabre! Voilà les variables indispensables à l'industrialisation .Ce n'est pas avec des mots que le développement d'Haïti sera possible. Toute croissance soutenue et durable de la production nationale dépend de la quantité d'argent à dépenser pour l'acquisition et l'augmentation du capital K et l'augmentation subséquente des salaires 1-a des ouvriers supplémentaires selon la dérivée:

Y'/Y = aK'/K + 1-aL'/L

Il nous faut des dirigeants politiques chevronnés et bien imbus des dossiers de la République, d'autres lois et d'autres structures administratives. Le mal haitien , avant d'être économique est d'abord politique et social. Avec une bourgeoisie peser-sucer, les petits-fils de colons et les nouveaux colons des temps modernes, la machine du développement ronronne sur place. L'exploitation éhontée de nos ouvriers avec un salaire de misère et la fuite de nos devises dans les Banques étrangères par la bourgeoisie locale qui n'est pas nationale ni nationaliste mettent le moteur du développement en panne d'essence.

Nous n'avons rien contre la bourgeoisie locale. Cependant nous devons vous confesser que le circuit économique est alimenté par les salaires versés aux ouvriers, les rentes perçues par les Industriels et les Commerçants et leurs réinvestissements éventuels. L'Etat chargé de la ges tion macro-économique puise toute sa force dans la perception des taxes et des revenus imposables.

Scientifiquement , les conditions de premier ordre de la croissance du PNB sont exprimées par la fonction suivante:

Y = WL + rK

Tout le Revenu National Y dépend des salaires W (wage) versés comme compensation du travail fourni L (labor) qu'on additionne à la rente percue r par les hommes d'affaires pour récupérer le capital investi K(kapital)...

On peut comprendre la raison essentielle de notre sous-développement parce que notre économie est anémiée par le salaire de poitrinaire qu'on verse aux ouvriers et à cause du non-renouvellement de notre stock de capital par suite du transfert des rentes de la bourgeoisie haïtienne dans leurs pays d'origine et leur refus systématique de faire face aux fiscs. Si le RDNP voudrait vraiment "Changer la vie" grâce au développement économique d'Haïti son programme devrait inclure une évaluation équitable du salaire (W) des ouvriers et des rentes (r) de nos hommes d'affaires de la manière suivante:

W = (1-a) Y/L  et  r = aY/K

Dans ce cas, sans avoir recours aux menaces politiques ni au déchouquage, les revenus imposables et l'amortissement comptable seront les deux leviers que peuvent utiliser le gouvernement pour faire tourner le moteur économique d'Haïti à plein rendement. Un Etat moderne avec des dirigeants nationalistes, compétents et honnêtes peut renverser les vapeurs en Haiti par des incitatifs à l'investissement déductible d'impôt et par un taux de dépréciation préférentielle du matériel.

Sans aucun esprit d'acrimonie nous avons le regret d'annoncer que le programme du RDNP avec ces dix axes ne rejoint pas les vecteurs réels du développement économique d'Haïti. La quantification aussi bien que le modus operandi font défaut. Le timing est complètement oublié. L'arithmétique commerciale n'est pas au rendez-vous. Le Griot est encore à l'honneur. On se perd complètement dans le dédale des axes de palabre sans aucune articulation ni support réel. Un modèle mathématique simple, fonctionnel et vérifiable serait plus scientifique et plus potable.

RDNP! Encore des mots, toujours des mots, les mêmes mots, des mots magiques et mirifiques, paroles, paroles, juste pour nous faire chanter selon Dalida.

Jean Erich René
mai 2005