Ayiti

Assassinat bis de Dessalines

Jean Erich René
 

Pères de la patrie
Toussaint Louverture - Jean-Jacques Dessalines
Alexandre Pétion - Henri Christophe.
haitiglobalvillage.com

L'histoire d'Haïti fourmille de cas d'assassinat, de trahison et de coups bas. Les noms des accusés fusent sur toutes les lèvres mais les juges n'entendent jamais de la même oreille que le public. D'ailleurs peut-on vraiment parler de jugement en Haïti? Le corps du délit est là, les preuves sont plus que convaincantes mais faute d'un appareil judiciaire indépendant des tractations politiques, la Cour ne peut  prononcer le mot du droit. 

Ainsi se déroule le film de notre histoire. Deux ans après avoir libéré l'esclave de St Domingue de ses chaînes et fondé une nouvelle Nation, Dessalines fut criblé de balles et son cadavre fut jeté en pâture à la foule qui  lui lançait des pierres. Selon Beaubrun Ardouin: "Les soldats lui coupèrent les doigts pour voler ses bagues de prix. Ils le dépouillèrent de ses vêtements en ne lui laissant que sa chemise et son caleçon. Ses armes, pistolets, sabres, poignards devinrent la proie des pillards." Ce corps inanimé, mutilé, percé de tant de trous, surtout à la tête était à peine reconnaissable. On fouillait les coins et les recoins de Marchand à la recherche de fortunes enfouies. Les parents et les proches collaborateurs de Dessalines furent persécutés. Boisrond Tonnerre, le rédacteur de l'Acte de l'Indépendance, fut jeté en prison et tué à coup de baïonnette.

Le pays fut divisé en deux camps: Le Royaume de Christophe dans le Nord et la République de Pétion dans l'Ouest et le Sud. Ces deux Etats pourtant si différents par leur  régime politique avaient un point commun: des deux côtés le peuple était mis à l'écart. Le Lycée Pétion dans l'Ouest était le fief de l'élite et les écoles bâties par Christophe dans le Nord étaient fréquentées par les fils des familles aisées. Les masses citadines et paysannes étaient exclues. Quand il fallait livrer bataille, on sonnait le rassemblement pour mobiliser le peuple. "En vient-on au partage! On prend le plus que l'on peut. On tire à soi le meilleur de l'affaire et la chicane vient après" nous confesse Jules Solime Milscent, ce peintre des mœurs haïtiennes.

De 1806 à  2005, le Drapeau Haïtien est toujours en berne en signe de deuil pour ce peuple meurtri, vilipendé, frustré,  trahi. Ce 17 octobre 2005, c'est  l'occasion pour tous les Haïtiens et toutes les Haïtiennes de méditer.

Oui, Frères et Sœurs haïtiens, méditons! Après avoir gravi  ce calvaire pendant plus de 200 ans, aujourd'hui nous avons atteint le sommet du Golgotha. Tous nos bourreaux sont là, armés de leurs pinces et de leurs tenailles pour  nous clouer sur la Croix. Les invincibles soldats romains rôdent dans le décor avec leurs casques, leurs glaives et leurs boucliers. La blague politique qui nous amusait tous, dépasse aujourd'hui les limites de la plaisanterie. Elle n'est plus drôle puisque notre vie de peuple est menacée.  Déni ou de cécité, en tout cas nos candidats sont tous gagas puisqu'ils investissent leur confiance dans un structure d'appui au CEP et proposent un Comité de Garantie électorale. Quels épouvantails!  Le Père Noël existe-t-il? Nous vous invitons à observer une pause afin de nous rendre compte jusqu'où nous ont conduit notre naïveté, nos luttes intestines, nos querelles byzantines, notre noirisme et notre mulâtrisme ridicules et rétrogrades, nos préjugés de fortune et de classes sociales. 

Après 201 ans d'indépendance Haïti est loin d'être un pays calme. Nous avons tué notre libérateur! Les mânes de nos ancêtres nous poursuivent. Depuis 1806  la vie politique haïtienne évolue au rythme de rivalités sanglantes entre Anciens Libres et Nouveaux Libres, Parti Libéral versus Parti National. A leurs remorques, il y a toujours des groupes armés pour semer le deuil: les Cacos, les Piquets,  les Zinglins, les Zinglindos, les Cocorates etc... En marge de cette triste réalité les masses sombrent toujours dans la misère et demeurent les plus grandes victimes.   Méditons! Frères et Sœurs haïtiens, méditons!

Dessalines fut assassiné parce qu'il voulait récompenser de manière juste et équitable tous ceux qui ont rendu possible l'épopée de 1804. 200 ans après ses vœux ne  sont pas encore réalisés. Au contraire, des fils prodigues nous reviennent avec la complicité de nos anciens maitres pour brûler l'Autel de la Patrie. Si en 1806 leurs Pères ont tué Dessalines et laissé à Défilé la Folle le soin de lui donner une sépulture, en 2005 animés des mêmes motifs  Macchabée et ses croque-morts  nous harcellent avec les  mêmes oraisons funèbres pour enterrer la Souveraineté Nationale. Leur hantise du pouvoir les empêche  de se rendre  compte de la gangrène qui ronge la Nation et qui nous attire l'attention de certains vautours prêts à se jeter sur nos cadavres.

Les Onusiens sont déjà à nos portes! La libération de deux fillettes par le FBI et le transfert des victimes et des accusés aux USA sont des preuves tangibles de notre incapacité de garantir la sécurité de nos résidents. La Charte des Nations Unies est stricte à ce sujet. La politique pragmatique de l'Administration Bush envisage des solutions de choc en une telle occurrence. Ce n'est pas un souhait, c'est une évidence. "A l'impossible nous sommes tous tenus" cette leitmotiv nous revient au bas de chaque communiqué ou note de presse du Gouvernement Intérimaire.

Nous tirons la sonnette d'alarme pour attirer l'attention  de tous  sur l'imminence de la tutelle onusienne parce qu'en dépit de nos incessants et infatigables  appels sur le net, Gérard Latortue n'a pas su dès le départ restaurer la  légalité, reconduire l'Armée d'Haïti et neutraliser les bandits. Il endosse une lourde responsabilité face à l'enlisement du processus de paix en Haïti. Le pays n'est pas en guerre, pourquoi avait-on sollicité la présence d'une Armée Onusienne sur le terrain. Il s'agit de conflits internes entre différentes factions politiques qui, jusqu'à présent ne s'affrontent pas par les armes. Le mouvement des rebelles de Guy Philippe était un camouflet qui s'est vite banalisé comme une bulle de savon  après le 29 février 2003. Les escarmouches qui troublent la vie quotidienne ne sont autres que les dérivées premières de la négligence, de l'insouciance et de l'inexpérience de nos dirigeants actuels. 

Le Gouvernement  Provisoire en selle depuis Mars 2003 se proposait de redresser la situation économique déplorable du pays et rétablir l'ordre sur toute l'étendue du territoire. Les dirigeants intérimaires ont prouvé leurs incapacités à combler nos espoirs. Aujourd'hui ils mettent à l'épreuve nos sentiments de fierté et de souveraineté nationale en nous exposant à la menace de tutelle de l'ONU et aux  gifles des Candidats à la Présidence de nationalité étrangère. C'est une honte pour les dirigeants intérimaires  de ne pas pouvoir s'acquitter de  leur unique mission  de conduire le Peuple aux élections.

Nous blâmons nos candidats qui jouissent de la double nationalité et qui s'obstinent à exposer le pays au danger de la tutelle au lieu de se conformer aux lois de la République. Victime de la trahison et de l'hypocrisie de ses frères Jean Jacques Dessalines pressentait  cet assassinat bis et ce triste destin pour Haïti. Lors de la Proclamation de l'Indépendance le 1er Janvier 1804 aux Gonaïves, Dessalines avait fait une déclaration fracassante et prophétique. Ecoutons-le:   

"Peuple Haïtien, Rappelle-toi que j'ai tout sacrifié pour voler à ta défense: parents, enfants, fortune et que maintenant que je ne suis riche que de ta liberté; que mon nom est devenu en horreur à tous les peuples qui veulent l'esclavage et que les despotes et les tyrans ne le prononcent en maudissant le jour qui m'a vu naître. Si jamais tu refusais ou recevais en murmurant les lois que le génie qui veille à ta destinée me dictera pour ton bonheur, tu mériterais le sort des peuples ingrats."

Paroles de Jean Jacques Dessalines le Grand, dans son Premier Discours, le Premier Jour de l'Indépendance.  A vous les commentaires!

Jean Erich René
octobre 2005

 
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